Tu n’es pas là depuis très longtemps quand une grève d’élèves éclate. A vrai dire, les grèves d’élèves, ça ne te fait plus grand-chose : tu connais déjà. Une à C., une à N, une ici maintenant - limite si on ne s’étonne pas quand elle n’éclate pas, la grève des lycéens, blocus et tutti quanti. Ce qui est drôle - enfin, on s’entend - c’est que ta banlieue tranquille obtient le record des voitures brûlées durant la grogne : des casseurs ont mis le feu à une auto garée en face du lycée, et cela s’est propagé à tout le parking - pendant deux semaines, tu longes un champ de carcasses carbonisées en arrivant.
L’un des enjeux de la grève est, invariablement, le blocus : à N., c’est l’administration qui mettait les chaînes aux portails, de peur que des élèves entrent tout casser. Ici, à S., ce sont les élèves qui construisent des barricades de poubelles et s’apprêtent à cadenasser les portes pour interdire aux non-grévistes d’aller en cours. Le Cow-boy blond fulmine. Elle fend la foule, monte sur le perron, harangue les manifestants. Deux d’entre eux l’entourent, la soulèvent, la transportent. Comme une rock-star, mais avec moins d’amour, elle est portée par-dessus les têtes, et on la lâche de l’autre côté du groupe, dans la rue. Merci, on peut fermer.
Les profs entrent toujours. Les élèves, au compte-goutte. Un intrus a fait le mur, on peut passer un peu partout - sinon par les portes. Il est armé d’une barre de fer, il erre dans les couloirs, entre dans une salle. Le prof de maths qu’il interrompt dans une démonstration doit se protéger des coups avec une chaise. Il le repousse, verrouille la porte, appelle la vie scolaire ; l’homme s’est enfui. Ce n’est pas un élève, apparemment, mais un déséquilibré du quartier.
Dans la cour, d’autres jeunes sont entrés, qui tambourinent aux portes et chassent qui ils peuvent, et cassent ce qu’ils peuvent. La principale-adjointe s’interpose, calme mais ferme : ils la frappent - poignet cassé. Son plâtre, pendant quelque temps, nous rappellera ce qui a eu lieu au détour des couloirs.
C’est une grève d’élèves : les profs sont là. Pendant les cours, les rares présents ont du mal à suivre, car les bâtiments encadrent les cours, et ont donc tous des fenêtres donnant sur les rues alentour. Depuis ces rues, on hurle, on tambourine sur les grilles avec des bâtons. Des collègues vont voir le cow-boy : il faut fermer. Elle hurle, “Et alors, c’est dangereux ? Qu’est-ce que vous croyez ? La vie, c’est dangereux ! On n’est à l’abri nulle part ! Il faut qu’ils l’apprennent !”
La frêle Christiane reçoit des correspondants suédois avec sa classe. Elle tente de faire comme si tout était sous contrôle. T., le prof de philo polyglotte, a pris la tête d’une cohorte de grévistes. Il entre dans les salles en réclamant les cahiers d’appel, ces listes de collabos, ces relevés de flicaille. Dans la première salle, Anne-Marie, qui est de nature angélique, n’y voit pas malice et lui explique qu’elle n’a pas encore fait l’appel, qu’elle n’a pas le cahier adéquat, mais qu’il peut le faire sur une feuille blanche, faut pas s’en faire, ça passera. Dans la salle suivante, la prof, charismatique et posée, est en outre sa seule amie : il se dégonfle. Dans la troisième salle - il est hors de lui, poussé par sa troupe qui commence à douter - se trouve Christiane : il lui arrache des mains tout ce qu’elle tient, listes d’appel, cahier de cours, programme de l’échange, se rue dehors et balance l’ensemble par dessus les murs d’enceinte. Elle n’a pas de double, évidemment… comme elle essaie de se défendre, il la soulève du sol, la secoue violemment, la repousse.
En salle des professeurs, on voit arriver Christiane en larmes. Après quoi voilà T., délirant, qui braille à la cantonade qu’on est des nazis. Il s’installe à l’un des ordinateurs - celui qui y était s’est enfui - et envoie des dépêches on ne sait où, dans lesquelles il est question d’un repaire de néo-nazis casseurs de grève que le courageux T. aurait affronté malgré le danger. (On ne le sait pas tout de suite, évidemment, il faut d’abord que les dépêches soient publiées, et lues par les collègues sur les sites concernés.)
Le cow-boy appelle les pompiers. Deux heures plus tard, T. revient, fanfaron : le psychiatre a dit qu’il allait bien.
Plus tard, T. ne viendra plus : sommé de rester chez lui, mais payé. Ensuite, il sera muté dans un autre établissement. Fin de l’épisode.