Les flammes sont montées, très haut, puis tout s'éteint, quelques étincelles continuent de voler, ici et là, mais en dehors d'une odeur de brûlé et quelques coups de tension, on n'a pas de violences physiques graves, semble-t-il, à déplorer, à cet instant.
Merci à Médiapart, bien sûr, d'abord, d'avoir permis si librement l'expression.
Nous avons lu des dizaines de billets, des centaines de commentaires, un florilège d'articles, du bon et du moins bon.
On a pu parler, dénoncer, crier, se lamenter, exposer des points de vue, parfois passionnés, parfois documentés, toujours se libérer.
C'est important. La voix quand elle enfle et porte auprès d'un auditoire, fut-il virtuel, permet de défaire des tensions qui ne se seraient jamais calmées autrement.
C'est maintenant le temps d'un premier bilan.
D'abord écoutons le principal intéressé :
Il lui faut en finir avec une situation financière qui pose des problèmes, on le comprend, donc vendre le spectacle qu'il n'a pas pu jouer; ses fans l'achèteront, les DVD se vendront, mais personne n'ira plus en foule voir ce spectacle précis.
Les contempteurs d'hier se calmeront, resteront vigilants sur la suite de ses prestations, mais à cette heure, ils ont gagné, Dieudonné est interdit de parole, partout dans le pays, à tort ou à raison, la loi a jugé.
Il l'a acceptée. Laissons donc faire la justice.
Au vu du discours, au vu de l'attitude de l'humoriste, il n'a pas l'intention de devenir le leader d'un quelconque mouvement.
C'est une chose de faire rire les gens par milliers dans un amphithéâtre, c'est autre chose de les voir se masser, d'entendre son nom grondé par la foule, de voir des jeunes gens tentés d'en découdre, face à des hommes dont la bataille de rue, au coeur des manifestations, est le métier.
Grâce lui soit rendue d'avoir fait ce qu'il faut afin de ramener le calme.
On peut imaginer que la parenthèse peu importe la manière dont on l'a qualifiée, antisioniste ou antisémite, ou provocatrice à l'extrême, il l'avait entamée, elle est terminée.
On l'espère.
Il retrouvera avec avantage un ton moins sulfureux; il a assez de talent comique pour faire rire à peu près dans n'importe quel registre.
Pour lui, malgré des ennemis mortels, à des postes d'une puissance écrasante, malgré l'oeil de l'Etat, celui de quelques uns de ses serviteurs qui chercheront par n'importe quel moyen à lui faire payer les dernières journées, on peut dire que la fin restera positive.
Professionnellement, sa notoriété atteint des sommets qu'un Bedos ou un Devos, ont passé trente ans de carrière pour les atteindre.
L'attention sur des problèmes qu'il a soulevés, le deux poids, deux mesures dans l'approche publique ou personnelle, de tragédies historiques essentielles, est entré dans les esprits.
Enfin, si quelqu'un lui avait infligé irrégulièrement un ostracisme et une interdiction professionnels, pour des raisons de racisme ou de politique, il a payé le prix fort, par le succès rencontré du réprouvé.
Après le bilan personnel de l'humoriste, à l'occasion de cette folle équipée, on peut procéder à l'observation des forces qui se sont levées .
Les associations de défense contre l'antisémitisme ont gagné. Leur victoire est nette, l'Etat, les médias, les populations ont tranché. L'antisémitisme est et restera inacceptable et condamnable.
De cet extraordinaire battage, l'unanimité sur ce point restera.
On a remarqué l'extraordinaire puissance de ces associations à influer sur les médias et l'Etat.
Faut-il le déplorer? Faut-il s'alerter que l'antisémisme ait d'aussi formidables ennemis? La réponse naturelle est non.
On ne peut que regretter que le combat contre le racisme, notamment contre les gens de couleur, ainsi que l'islamophobie, n'aient pas visiblement acquis autant de force et de légitimité devant les médias et l'Etat qu'il est nécessaire.
Le chantier est à présent encore plus ouvert.
Dieudonné aura aussi réussi cela.
Cette victoire de la loi, au nom de la bataille contre la discrimination et le racisme, même si elle est à discuter, sur le cas personnel de l'humoriste, mais c'est une affaire de justice, doit permettre de rechercher et d'exiger l'égalité de traitement contre les atteintes au droit et à la dignité des personnes.
Plus loin, on relancera plus fort et mieux, les luttes pour la défense des droits des femmes et de tous les faibles par nature ou par accident, handicapés, immigrés, pauvres, vieux, jeunes, dans le pays.
On peut se demander si une telle affaire, finalement n'aurait vu que des gagnants.
Ainsi la liberté d'expression, pour la première fois en France, s'est vue limitée. Au nom de la dignité des personnes, il est vrai, une honorabilité contre une autre, est-ce raisonnable? Les juristes auront de quoi penser et décider.
Elle non plus, peut-être bien, n'aurait pas été sacrifiée, sinon pour une plus haute conception de l'humanité.
Alors, qui a perdu? Qui a perdu sa crédibilité, qui a utilisé son pouvoir et la puissance à sa disposition, dans des formes que la maladresse ou la constitution du caractère n'ont pas permis de rétablir la paix, avant d'en arriver à un paroxysme qui a ému le pays?
Vous l'aurez compris, ce billet n'est pas accusatoire.
Nous laisserons aux commentateurs le soin de répondre selon leur sensibilité.
Avec, il faut l'espérer, le souci constant non pas de reculer, non pas de se déchirer, mais d'avancer, parce que ce pays porte un mot magnifique dans sa devise, dont plus que jamais, aujourd'hui, nous devons nous honorer:
Fraternité.