La bécane est tombée en panne.
J'ai terminé la traite à la main, j'ai lâché les bêtes, puis je l'ai chargée dans la camionnette. Elle tenait tout juste.
Ils ont réparé vite fait. Je suis retourné la chercher deux jours plus tard. L'ouvrier, un type en salopette bleue, m'a expliqué en deux mots.
- On vous a sorti le boîtier électronique, c'est compliqué, c'est fragile et ça ne sert à rien...
Je lui ai filé de quoi se payer plus qu'un verre. Leur patron n'était pas chien, mais le mécano était vraiment bien, on a des employés qui vous ressemblent. Puis je suis parti, chez nous on comptait alors en heures, pas en kilomètres, surtout sur cette route. Quinze kilomètres de lignes droites, avec deux ou trois courbes pour tromper l'ennemi et ensuite la folie.
100 à l'heure, pépère, beau temps, midi, j'ai trois fois le temps de rentrer avant la traite du soir, tout sera prêt... Cool, avant le deuxième long virage, sur une voie à se faire croiser trois camions, alors qu'à même pas trois kilomètres, devant, bientôt les bagnoles devront se faire la politesse...
Et je l'ai vu, tout à coup devant mon capot, le con! Il a coupé le virage. Golf noire, je suis mort, ma femme, ma fille, c'est fini. C'est maintenant! Calme.
Douleur. Je n'ai pas freiné, ni même ralenti, la voiture roule toute seule, pourtant j'ai mal.
De la pointe des orteils, à la racine de mes cheveux dont j'ai l'impression que je pourrais les compter un par un, tellement je sens leurs racines...
Je suis mort? Et non... Le type m'a évité, je ne sais pas comment, il était à fond... Moi, je n'ai rien fait de spécial, sauf d'être là à respirer, pas plus vite, pas plus fort, simplement avec cette douleur, à travers tout le corps.
Merci.