Nous avons entraperçu dans deux billets précédents le fait que les valeurs sont mythiques.
Un mythe est une histoire. Il fonde un mode de vie, de pensée, de croire. Il est lui-même établi sur d'autres mythes, d'autres histoires, qui lui donnent sa substance. Peu importe sa vérité, il est vivant et fonctionne tant qu'il se trouve assez de gens pour lui donner leur foi, ou bien réfléchie, ou bien par esprit de facilité.
On se situe obligatoirement, dans un sens de la raison étroit, voire nul. Il concerne ceux de la sensibilité et de l'émotion, en relation avec les valeurs qu'il va porter. Ainsi les mythes qui vont établir un fond autour duquel nous allons nous animer, feront un paysage à notre histoire personnelle. Elle devient un autre mythe, épine dorsale du sens que nous allons donner à notre vie, de l'interprétation des perceptions vers ce que nous voudrions, croyons, voudrions être.
On peut penser que la cassure qui s'effectue en ce moment entre les élites et le commun est aussi importante, parce que deux fractions de la population d'une société ne fondent plus leur vie sur des mythes semblables. Ils continuent de partager un fond commun, mais les forces qui agissent au sein de leur ambition ne suivent plus les mêmes axes. Le sens et l'importance des valeurs auxquelles ils croient a basculé, leurs valeurs, leurs fois se sont séparées.
Cette bifurcation entre deux pensées et deux sensibilités n'est pas neuve, elle accompagne le développement d'une civilisation, qui voit se modifier les modes d'appréhension des mouvements qui affectent la société. Ils naissent de l'apparition de nouvelles idées, ou bien du changement des conditions du vivre ensemble.
Lorsqu'un magnat quelconque annonce froidement qu'à cinquante ans, si l'on n'a pas une rolex, une montre hors de prix, on a raté sa vie, il ne plaisante pas.
Pour lui, si l'on n'a pas assez de superflu pour placer des sommes, visiblement folles pour d'autres, dans des bijoux sans nécessité, alors effectivement, on n'est ni logé, ni véhiculé, ni entouré, par ce qui se fait de plus puissant dans la société.
Pour un puissant, la démonstration de la réussite est dans l'action, l'exercice du pouvoir, encore plus que dans l'exhibition de ses moyens. Ainsi les dictateurs font défiler leurs armées, les richissimes financent des fondations, jouent les mécènes ou régalent leurs amis dans des banquets dont la munificence et l'exagération garantissent leur position aux yeux de celles et ceux qui comptent.
Mais surtout, ils interviennent dans la vie de tous, au bénéfice de l'accroissement de leur influence, en cherchant systématiquement à faire durer et développer leurs moyens.C'est qu'ils veulent absolument coller au mythe de leur toute puissance. Il ne leur suffit donc pas de dominer financièrement ou économiquement, ou militairement, il faut qu'ils établissent absolument leur vérité dans les esprits.
Un riche ne sera donc jamais assez riche, un puissant n'aura jamais suffisamment de pouvoir, c'est l'idée qu'ils se font d'eux mêmes qui les porte à ce plus, jusqu'à ce qu'ils trouvent naturellement leurs limites, avec celle de leur suprématie.
Nous avons besoin des mythes qui génèrent des valeurs, pour créer assez d'unité et de mouvement afin de construire des mondes qui leurs ressemblent. Pour avancer, grandir, s'étendre et agir avec succès, le mythe personnel est un moteur aussi incontournable que le mythe collectif.
Si notre société a atteint des sommets technologiques, c'est directement en relation avec le mythe du progrès, comme celui de la réalisation de l'impossible, techniquement. Si les sociétés démocratiques ont atteint ces degrés de complexité, ils fallait des mythes communs comme la famille, le travail, la patrie, ou encore l'égalité de droit, celui de la république ou de la liberté.
C'est ainsi qu'en partageant des mythes, nous n'avons aucun problème à oublier les conséquences que notre aspiration à les maintenir vivants, en y souscrivant, déclenchent chez d'autres qui ne les partagent pas. Nous existons par le mythe, ceux qui n'en font pas partie n'existent pas.
Ainsi, pour les super riches, les pauvres n'ont pas vraiment d'existence, pour les pays développés, pendant des années, les pays du quart monde n'avaient pas de véritable réalité. On oublie, tout simplement, ce qui ne s'accorde pas avec le mythe. Il occupe l'entière sphère de notre pensée, puisqu'il définit notre être.
En politique, les mythes seront tout aussi importants, on le comprend.
La démocratie pourrait être comprise comme un mythe de l'égalité.
En ce sens, elle a vécu. Aujourd'hui, peu de gens croient encore en l'égalité. Du moins dans nos vieilles sociétés européennes.
C'est gravissime, le mythe est moteur de nos intentions, mais aussi il donne une base, un ancrage qui définit les itinéraires que nous allons vouloir emprunter. C'est lui qui ouvre le chemin, qui balise la route. Si on le perd, alors on est perdu et on ne sait plus au nom de quoi, ni par quoi nous allons fonctionner, aussi bien personnellemnt que collectivement.
Généralement, les mythes mettent un temps infini à mourir, certains sont presqu'aussi vieux que l'humanité. Cependant, quand ils s'effacent, c'est parce qu'ils sont remplacés.
Une fois le mythe de l'égalité touché à mort, on se tromperait si l'on imaginait que la foi des peuples et de leurs dirigeants, peut retourner d'un seul bloc vers un autre ancien mythe, celui de l'inégalité.
Si l'on prend le fascisme, l'exemple est assez conséquent actuellement, avec le renouveau apparent des extrêmes droites en Europe, il consacre plusieurs mythes pour former celui de son idéal, la hiérarchie, consacrée par la force. Et a force n'est jamais loin de la violence, quand elle devient autre chose qu'une qualité.
Le fascisme passe naturellement au nazisme, après les citoyens membres de la fraternité qui s'organise en hiérarchie, on va classer les races, les métiers, les individus.
Mais le fascisme sépare toujours en échelons inférieurs et supérieurs, sans se situer dans l'esprit de caste, où la naissance fondait la suprématie,. Il préfèrera celui du mérite, un autre mythe, dans un sens très étroit, la vérité du mérite est tellement difficile à reconnaître que l'on voit rapidement quelle sorte d'individus s'élève dans les systèmes fascistes.
Les meilleurs se découvrent dans un domaine qui fait frémir et lever les armes, par les gens épris de liberté (un autre mythe).
Il ne faut pas chercher de raison, ou d'explication raisonnée au mythe, il la tourne au sens qui lui permet de perdurer.
Pour fonder une société fasciste, il faut que le mythe soit partagé, comme pour fonder une société démocratique. En l'état, le mythe de l'inégalité et de la légitimité de la hiérarchie, est encore plus moribond que celui de l'égalité, on a très peu de risque de voir ses chantres et ses défenseurs gagner significativement. La mue et la transformation du FN, en France, est exemplaire. Il n'a pas fini de se bouleverser, sinon, il ne peut coller assez à la société pour espérer en prendre un jour les commandes.
En ce sens, étant donné les voies sur lesquelles s'engage le monde moderne, parcourir les chemins déjà parcourus, ce serait presque un moindre mal, parce que nous savons comment en sortir.
On a vu les systèmes fascistes en place en Europe, en Asie et en Amérique du sud.
On a vu le même genre de système, appuyé sur de semblables croyances, où l'individu et sa liberté sont moins que rien, puisqu'ils ne peuvent se déterminer qu'en fonction d'un leader, un parti, une idéologie, une pensée unique, partout dans le monde. On sait comment s'en libérer.
Notre problème aujourd'hui est bien plus profond. On ne se libère pas de la liberté.
Et si le mythe de l'égalité n'est plus partagé, on doit se demander, on doit comprendre, par quel autre mythe en train de naître, il est en voie d'être remplacé.