Le traumatisme des attentats, la formidable réaction des Français le 11 janvier et celle qui suivra les attentats de novembre ont entraîné une question politique légitime: comment, non pas récupérer, mais offrir un débouché politique à la mobilisation historique des citoyens de notre pays. Les propositions politiques offertes aux Français ne se sont pas fait attendre: révision constitutionnelle, déchéance de la nationalité, état d'urgence, le tout accompagné de débats sur-médiatisés et portés par des personnalités de la société civile et politique s'ingéniant jusqu’à la surenchère, à redéfinir la laïcité et ses rapports devenus (après 50 ans de coexistence pacifique) compliqués avec l'Islam et/ou les musulmans. Ces longs mois de débats partisans, de combats politiques n'entraineront pas l’adhésion massive des citoyens à ces propositions. Les 700 participants du Printemps Républicain, version citoyenne de la tentative politique, n'y changeraient rien : fin de la révision constitutionnelle, fin de la déchéance de la nationalité. Point. Ne reste plus que l'état d'urgence, dont les acteurs (renseignements, police, justice, armée) ont plusieurs fois rappelé qu’il ne pouvait être considéré comme une réponse politique donc comme un débouché.
Dans l’angle mort de nombreux politiques et médias se dessinait, un fourmillement de mouvements citoyens désireux de reprendre l’initiative et de formuler les débouchés politiques que les professionnels n’étaient plus capables de formuler pour eux. Présents sur tout le territoire et organisés à côté d’eux, les mouvements citoyens ignoraient minutieusement les politiques, leurs partis et les médias, autant que ceux-ci les ignoraient d’ailleurs. La question de La Primaire à gauche puis celle de la loi El Khomri donnèrent à ces mouvements les occasions de se fédérer et de fédérer autour d’eux. Les résultats des deux pétitions dont celle contre la loi du travail, n’auraient jamais recueilli autant de signatures si un mouvement profond dans la société française n’avait pas déjà été à l’œuvre. Leur apparition dans le champ politique et leur maintien dans ce champ, grâce à Nuit Debout, en déconcertent aujourd’hui plus d’un. Plus d’un, sauf ceux qui, réunis à l’initiative du philosophe Patrick Viveret, comprirent un soir de mars 2016, qu’ils étaient nombreux, présents sur l’ensemble du territoire jusque dans les villes les plus reculées, avec une volonté commune et partagée : proposer des débouchés politiques aux crises profondes du pays en s’appuyant sur la souveraineté retrouvée des citoyens. Retrouver les biens communs asphyxiés par l’évasion et la fraude fiscale d’un côté et la dette publique illégitimement générée par les banques, de l’autre. Le comment et avec qui, est leur débat. Il ne fait certes que commencer. Mais il a commencé et ne devrait plus s’arrêter.
C’est dans ce contexte, qu’il faut comprendre Nuit Debout et l’exclusion (admettons maladroite) de Finkelkraut. L’exfiltration de l’intellectuel aurait mérité des arguments. Elle en avait tant !
Les mouvements citoyens veulent sortir du débat stérile et sombre dans lequel, en figure de proue, Finkelkraut les a plongés jusqu’à la nausée. Ce n’est pas uniquement ce débat qui est ici en cause, mais sa stérilité politique démontrée. Le pays n’a pas voulu du débouché politique porté par le débat lancé par Finkelkraut et tant d’autres (y compris à gauche), Nuit Debout non plus !
François Hollande a d’ailleurs, après l’avoir tant voulu, sifflé, la fin de ce débat dont il aura, lui, à payer le prix : pas de déchéance, pas de révision constitutionnelle. Et à Manuel Valls qui tentait de le relancer au travers d’une possible loi interdisant le voile à l’université, lui a opposé une fin de non-recevoir claire et définitive.
Le même Manuel Valls avait pourtant remis le sujet et sa fracture au bon niveau en affirmant que seul 1% des musulmans (pas de l’ensemble de la population) étaient sensibles à l’islamisme radical.
Nuit Debout et les mouvements citoyens veulent des débats et des solutions : la démocratie, le pouvoir, la représentation, l’économie, les inégalités, les injustices, l’environnement… De ceux qui concernent 99% des moins riches des populations du pays et du monde.
Ne les prenez pas pour des naïfs, cessez de les juger parce -qu’ils ont refusé Finkelkraut. Ces citoyens, jeunes pour la plupart, ont été la génération première victime des attentats. Ils savent que d’autres seront commis et peut-être même au cœur des places citoyennes où ils se retrouvent. Qu’ils trouvent la force résiliente de penser leur pays et le monde plutôt que d’avoir peur de l’autre est aussi une défaite implacable pour l’islamisme radical et la première réponse politique post attentat.