Avertissement au lecteur
Toute ressemblance avec des événements ou des personnages existants ou ayant existé serait aussi fortuite que la rencontre d’un parapluie et d’une machine à en découdre sur une table de dissection.
Agrandissement : Illustration 1
Sous la page, les pavés …. Mai 2019
ACTE 1
MERCREDI 1er MAI Théâtre des opérations Boulevard de l’hôpital, Paris
TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! TOC ! (Nerveux)
BOUM ! BOUM ! BOUM ! (Plus lent, mais plus sonore)
« OUVREZ ! POLICE ! OUVREZ !»
Les coups portés dans la porte palière de Louis et Clara les médusèrent. Voilà une demi-heure qu’ils hésitaient entre regarder BFM TV Direct qui couvrait le défilé du Premier mai et contempler directement par une de leurs fenêtres le cortège des manifestants qui, Boulevard de l’hôpital, juste en bas de chez eux, s’écoulait tumultueusement comme un fleuve aux eaux jaunies. Ils étaient situés au premier étage, idéalement placés, comme des spectateurs privilégiés qui auraient le beurre et l’argent du beurre, l’impression d’être au cœur de l’événement sans le risque de perdre un œil. Puis, ils se remémorèrent la mort de cette femme de 80 ans, à Marseille, frappée à la tête par une grenade. Elle souhaitait juste se protéger des gaz lacrymogènes en tirant ses volets de son appartement. Se rappelant qu’elle était décédée des suites de ses blessures sur une table d’opérations, ils avaient opté pour un choix sûr : BFM. Le choix n’était pourtant pas idéal : le décalage entre les commentaires de Christophe Rasoir et les slogans qui venaient de la rue étaient considérable. Mais cette fois, les coups sourds ne provenaient ni de l’écran plat ni de la rue, mais bien de leur porte palière. Passé un court moment de sidération, ils reprirent leurs esprits avant de paniquer complètement quand ils entendirent : « Ouvrez cette porte, ordre de la Préfecture ! » C’était bien à eux qu’on s’adressait.
- Va voir, suggéra courageusement Clara à Louis.
- Qui êtes-vous ? parvint à articuler Louis, planté devant la porte, la gorge nouée par la peur.
- Brigadier Dupont. Nous sommes mandatés par le Préfet de Paris. Ouvrez vite Monsieur, c’est très urgent. »
Louis se remémora la lithographie d’Honoré Daumier montrant les quatre cadavres d’habitants de la rue Transnonain suspectés d’avoir le 14 avril 1834, depuis leurs fenêtres, jeté des armes par destination comme on dirait aujourd’hui, voire tiré au fusil sur la troupe qui passait. Le climat était à l’émeute, Thiers avait alors laissé s’exprimer sans entrave la révolte populaire pour mieux l’écraser ensuite. Après qu’un capitaine avait été touché à la tête, la troupe était montée dans les étages avec pour ordre de passer par les armes tous les hommes. Quatorze adultes furent massacrés.
- Qu’est-ce qui me prouve que vous êtes de la Police ? »
- Monsieur, il y a urgence, trois islamistes se sont glissés dans le cortège de la manifestation, nous avons ordre de les neutraliser avant qu’ils actionnent leurs ceintures d’explosifs. Nous avons besoin d’accéder à vos fenêtres. Des vies sont en jeu. Nous devons empêcher ce massacre. Je vous montre ma carte, et vous demande d’obtempérer dans les plus brefs délais. »
Louis vit par le judas le visage du policier et sa photographie sur sa carte professionnelle. C’était concordant, c’était bien l’homme photographié sur la carte barrée de tricolore qui lui parlait. Il ouvrit la porte. Aussitôt, son interlocuteur, s’engouffra dans l’appartement, suivi de trois hommes armés de fusils à lunette. Louis était pétrifié, Clara effondrée en pleurs dans le canapé incapable d’éteindre le téléviseur qui continuait à diffuser une actualité qui n’était plus du tout en phase avec la leur.
« N’ayez crainte. Nous devons agir très vite. Trois bombes peuvent exploser à tous moments. Par mesure de précaution, je vous demanderai de gagner la salle de bains pour vous y abriter, nous vous dirons quand en ressortir. » dit celui qui dirigeait le commando armé avec une voix douce et rassurante. « Ça va aller ? » ajouta-t-il. Louis et Clara se traînèrent jusqu’à la salle de bains en confirmant d’un regard furtif et d’un hochement de tête que oui, ça allait aller.
Le couple écarté, le champ était libre. Les trois tireurs prirent position. Agenouillés, ils ne laissaient dépasser par la baie ouverte de la même fenêtre que leur fusil et le haut de leur corps.
Chacun chercha sa cible. En fait, tous les trois recherchaient le même profil : un homme dont le haut du corps était revêtu des attributs des policiers, et le bas de ceux d’un civil. Genre minotaure moderne, un hybride déshumanisé. Pour faire simple, casque et blouson sombre en haut, jean et chaussures de sport en bas. Sauf que la cible était masquée et porteuse d’un brassard orange fluo sur lequel était écrit POLICE mais dont le matricule à 7 chiffres était lui aussi dissimulé. Sauf qu’ils étaient armés d’un LBD. Lanceur de Balle de Défense. Moins évocateur de violence que le flashball, ce terme laissait entendre que cette arme, dénoncée par différentes institutions et dont l’usage n’était autorisé qu’en France, n’était qu’un moyen défensif de riposte aux agressions d’énergumènes potentiellement criminels. Sauf que le bilan des blessures consécutives aux différentes journées de mobilisation établi par Thierry Dubois, un journaliste indépendant qui s’était mis en tête de contrecarrer factuellement les mensonges étatiques en matière de violences policières devenait au fil des semaines édifiant : l’archivage méthodique des blessures démentait le discours du gouvernement et démontait par la preuve le discours officiel niant les violences policières. Les blessures étaient parfois qualifiées de blessures de guerre dans les hôpitaux.
- Celui de gauche, dit le premier tireur situé à gauche
- Celui de droite, dit le tireur placé à droite
- Celui qui n’est ni de droite, ni de gauche, dit le troisième qui se trouvait au milieu.
- Tout le monde a sa cible ? » interrogea l’homme qui se tenait en retrait dans le salon.
Trois « Affirmatif » fusèrent.
« Tirez. »
Trois hommes s’effondrèrent sur la chaussée. Sans bruit.
« Allez les pompiers, au feu. » ajouta tranquillement le leader du commando s’adressant cette fois à son téléphone portable.
Moins de deux minutes après, une ambulance de réanimation des Pompiers de Paris s’immobilisa toutes sirènes hurlantes à proximité du cordon de sécurité formé par une trentaine de policiers protégeant leurs collègues à terre.
« Où est le blessé ? Que s’est-il passé ?» questionna le pompier qui portait un gilet blanc au dos duquel on pouvait lire Pompier de Paris MEDECIN pendant que le cordon s’ouvrait pour l’inviter à constater par lui-même que trois hommes gisaient à terre, inanimés. Une fléchette était visible sur chacun d’entre eux, fichée dans la cuisse. Deux autres pompiers portant un brancard suivaient, leur gilet également blanc précisait INFIRMIER et AMBULANCIER. Le médecin prit successivement le pouls des trois hommes, tenta de les faire parler, leur examina le fond de l’œil avec une petite lampe, et annonça sa décision à voix haute de manière à être bien entendu : « Empoisonnement au curare. Urgence absolue, évacuation immédiate. » Il saisit son portable et confirma sa décision en s’adressant cette fois à un service hospitalier :
- Ici le Capitaine Legrand, Médecin Urgentiste, Pompier de Paris, Caserne Charonne. Je me trouve au cœur de la manifestation qui se déroule en ce moment même Boulevard de l’hôpital. Je viens de prendre en charge trois policiers en coma dépassé. Il s’agit probablement d’un empoisonnement au curare, la respiration est très faible, le cœur va lâcher. Ils sont sous oxygène. Prévenez le service de réanimation. Pronostic vital engagé. Nous arrivons dans 6 à 7 mn.
-………………
- Affirmatif ! Terminé. »
Le médecin rejoignit ses deux collègues qui s’affairaient, équipaient les trois hommes de masque à oxygène et transportaient les trois corps inertes à l’arrière de leur camion. Les policiers consternés, en état de choc, pensaient au pire et restaient prostrés. Le mot curare produisait presqu’autant d’effet sur l’imaginaire que son injection : une terreur irrépressible et une paralysie.
- Capitaine, où les conduisez-vous ? articula péniblement l’un des policiers. C’est pour prévenir leur famille…
- A la Pitié, mais vite, le temps est compté. Aidez-nous à évacuer rapidement. »
Les policiers dégagèrent l’espace nécessaire au demi-tour du véhicule et fendirent une foule docile. Les manifestants avaient compris que quelque chose de grave venait de se produire, rapidement les eaux tumultueuses de la mer Jaune se fendirent en deux. Un con se crut malin en lançant : « Eh ben. V’la qui viennent se suicider jusque dans nos manifs. » En dépit du réchauffement climatique, la foule devint banquise et un glaçant « Connard ! » résuma le sentiment général.
Après ce moment de suspension, l’affrontement entre policiers et manifestants reprit. Les forces de l’ordre, galvanisés par la rumeur d’un massacre de plusieurs dizaines des leurs tués par des fléchettes empoisonnées, voyaient désormais en chaque manifestant un chasseur prêt à tuer. Les jets de gaz lacrymogènes, de grenades de désencerclement volaient en cloche avant d’exploser au-dessus des manifestants libérant seize morceaux de caoutchouc dur, les tirs de balle de défense s’intensifièrent tendus, à hauteur de tête. Les manifestants prirent peur devant ce regain de violence. Les policiers allaient désormais au contact, chargeaient et bastonnaient à coup de tonfa sans discernement. Hommes et femmes, jeunes et manifestants d’âge mûr. Couvert par l’anonymat et par leur hiérarchie, il n’y allait pas de main morte, libérant une hargne accumulée depuis des semaines. Nombre de gilets jaunes n’étaient pas venus là pour en découdre, ils n’avaient aucune expérience de ce type de heurts, ils redoutaient d’être blessés, défigurés et pourquoi pas tués.
Un mouvement de foule eut lieu, instinctif, qui conduisit une fraction du cortège à s’extraire de cette cohue dangereuse, à s’écarter pour chercher refuge. Leur dérive les conduisit à l’une des portes d’enceinte de l’hôpital de la Pitié. Les plus audacieux escaladèrent la grille métallique, brisèrent les chaînes qui les maintenaient closes. La foule s’engouffra dans cet espace qu’ils espéraient hospitalier, sanctuarisé. Le répit fut de courte durée. L’arrivée des brigades motorisées, cet escadron mortifère, provoqua la panique. Elles avaient pourtant été interdites après la mort d’un étudiant innocent en 1986, après qu’un effroi eut parcouru tout un pays où l’on avait dit « Plus jamais ça. » en dessinant au sol des dizaines de contours du corps du cadavre de celui qui avait été assassiné par les « gardiens de la paix ». Si vis pacem, para bellum, la fameuse locution latine qu’ils traduisaient approximativement par « Si tu veux qu’ils te foutent la paix fais leur la guerre ». Ces Pelotons de voltigeurs motoportés étaient de retour trente ans après leur dissolution. La vue de ses motos au déplacement rapide, chevauchées par un policier qui conduisait tandis que son binôme assis à l’arrière frappait durement avec son tonfa ou menaçait avec son LBD, provoquait l’effroi.
Au soir de cette journée d’émeute, la Préfecture de Police comme à l’accoutumée ne dénombrait aucun blessé chez les manifestants - chiffres contredits dès le lendemain par 46 signalements sur le compte Twitter du journaliste Dubois - cinq policiers hospitalisés, trois autres manquants à l’appel. La Direction des sapeurs-pompiers fit état de trois pompiers portés disparus. Le Ministre de l’intérieur Cogne n’avait pas attendu la dispersion du cortège pour déclarer que la sauvagerie des émeutiers ne connaissait aucune limite puisqu’ils avaient attaqué le service de réanimation de l’hôpital de La Pitié Salpêtrière mettant délibérément en danger la vie de personnes vulnérables, que ces factieux, criminels en puissance, devaient être sévèrement condamnés, eux qui avaient délibérément poursuivi jusque dans un service de réanimation trois valeureux policiers tombés en accomplissant leur devoir. Les journaux écrits, télévisés ou radiodiffusés, les commentateurs titulaires d’une carte de Presse confondant une fois encore vitesse et précipitation avaient repris en boucle les propos du ministre sans recouper les sources, la parole du ministre faisant toujours foi y compris dans les décomptes de manifestants et des blessés. De nombreux médias avaient privilégié cette approche spectaculaire et sensationnaliste de l’actualité, négligeant les six disparitions. Les jours suivants leur prouvèrent qu’ils avaient tort. D’une part, parce que le ministre, confronté à de nombreux témoignages oraux et à d’impitoyables images photographiées ou filmées, fut contraint de reconnaître à demi-mot qu’il avait menti. Bien qu’avouée, sa faute ne fut pardonnée que par Les Godillots en Marche, le parti majoritaire. D’autre part, parce que la disparition des policiers de surprenante devint dès le lendemain extrêmement préoccupante. Elle recelait en effet une véritable bombe à retardement.
Après enquête, la Préfecture avait établi que les trois policiers disparus étaient tombés inanimés lors d’une charge, frappés par des fléchettes vraisemblablement empoisonnées, qu’ils avaient été dirigés vers l’hôpital de la Pitié Salpêtrière par des pompiers immédiatement arrivés sur les lieux, que les services administratifs de l’hôpital ne gardaient aucune trace de leur réception et que de surcroit aucun autre hôpital ne les avait accueillis. Volatilisés. Trois pompiers, temporairement portés disparus aussi avec leur camion, furent retrouvés dans d’étranges conditions : leur véhicule, localisé sur le parking de la gare du Nord avait suscité la suspicion, car il était stationné depuis plusieurs heures sans aucune présence visible dans la cabine. Anormal. Un garçon de café en avait fait le tour puis ouvert les portes arrière non verrouillées et y avait découvert les trois pompiers hagards, le regard vitreux et l’esprit cotonneux. Le quotidien L’hibernation, traditionnellement jamais en reste d’un jeu de mot moisi, même avoir été vendu au grand capital, avait titré « Hagards du Nord, le mystère de la camionnette rouge ». Après avoir repris conscience, les sapeurs déclarèrent qu’alors qu’ils se trouvaient aux abords du cortège de la manifestation, postés, prêts à une éventuelle intervention, ils avaient été séduits par deux plantureuses jeunes femmes qui leur avaient proposé de les fumer comme des pompiers belges dans leur back-room, et qu’après ils ne se souvenaient de rien.
Enfin, un couple se manifesta auprès du commissariat du XIIIe arrondissement, relatant dans quelles circonstances leur appartement avait été investi par quatre hommes, comment ils avaient dû se terrer dans leur salle de bains avant d’en sortir et de constater leur disparition. Trois d’entre eux étaient armés de fusils à lunette. Aucune dégradation, aucun vol n’était à déplorer. Lors de l’identification du type d’arme employé par les trois tireurs, le couple fut formel et reconnut un modèle courant de fusil à seringue hypodermique utilisé par les services animaliers de zoo lors de télé-anesthésies.
Quatre hommes avaient agi avec sang-froid pour cibler et neutraliser trois policiers tandis que trois autres complices les avaient enlevés au cœur de Paris, au nez à la barbe d’une escouade de policiers, gendarmes et CRS abusés par l’invraisemblable assurance de cette pseudo équipe médicale.