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Billet de blog 17 février 2015

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Spataro réécrit l'histoire !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Internet à ceci de terrible pour celles et ceux qui oublient que c'est aussi un formidable instrument de compilation beaucoup plus facile à utiliser que l'écrit classique ( livres et journaux ) archivé à l'ancienne ! 

Ainsi le procureur Spataro qui mène les charges contre Erri de Luca se fend dans l'Obs ( journal de la gauche "moderne" par excellence !) d'un petit article nerveux, destiné à "ouvir les yeux" à ces damnés  français bernés par de mauvais maîtres ( expression fort prisé en Italie ) et prisonniers d'une vague de mansuétude à l'égard de celles et de ceux qui  prirent les armes dans les années 70, et qui seraient sinon  prêts à repartir au combat ( vu leur âge, c'est un peu risqué ), mais de faire des émules dans la population plus jeune ! 

Il s'agit ici de juger les paroles de l'écrivain qui a appelé au "sabotage" pour lutter contre le projet TAV Lyon Turin ! Projet sur qui par ailleurs, outre ses aspects dangereux pour l'environnement, flotte un parfum de Mafia ......... via des entrepreneurs de travaux publics. 

Que nous dit donc Spataro : 

"

Le procureur général du parquet de Turin, qui poursuit Erri De Luca, appelle les intellectuels à reconnaître leurs erreurs. Tribune.

Le corps d'Aldo Moro, retrouvé le 9 mai 1978 à Rome, en Italie, tué par les Brigades rouges après 55 jours de captivité. (©AP/SIPA)

 Il faut resituer les événements du val de Suse (attentats, sabotages, attaques contre les forces de l’ordre) dans l’histoire de la subversion italienne, avec toutes les nuances dues à l’évolution des temps. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes: 380 personnes ont été assassinées en Italie par les groupes terroristes de droite et de gauche au cours des «années de plomb».

La folie de cette période, qui va de 1972 à 1989, tient en une phrase prononcée par le fils d’une des victimes, Marco Alessandrini, dont le père *, avocat, a été éliminé par le groupe Prima Linea en 1979: «Si je n’arrive pas à faire le deuil c’est parce que mon père a été tué par une bande de crétins.»

Je suis d’accord avec lui : une «bande de crétins», sans racines réelles dans le pays, qui ont seulement réussi à faire obstacle à la maturation de la démocratie et à l’affirmation d’une véritable dialectique politique.

S’il est légitime de passer à la loupe la façon dont la magistrature a accompli sa tâche pendant ces années difficiles, évitons de prendre pour argent comptant les histoires racontées en France par les réfugiés, «avec une technique analogue à celle des fraudeurs des années 1950 qui mettaient sur le marché des marchandises frelatées», comme a justement écrit Barbara Spinelli, journaliste renommée et députée européenne. ( !! ) 

Je m’étonne donc que certains continuent à défendre les raisons de ces criminels, fabulant sur une Italie secouée par la guerre civile. Car il n’y a eu aucune guerre civile ici, mais une guerre unilatérale, déclarée par les terroristes – quelques milliers de personnes – contre les institutions démocratiques. Et mon pays peut se vanter d’avoir battu la subversion avec les instruments de la loi. Dans les tribunaux, pas dans les stades. Il serait temps que ces intellectuels se décident à reconnaître combien ils se sont trompés.

Je ne mets pas en discussion ce qu’on a appelé la «doctrine Mitterrand» ** (le droit d’asile à ceux qui n’avaient pas commis de crimes de sang, s’engageaient à ne pas en commettre d’autres et n’avaient pas subi de condamnation définitive). Même si elle a été appliquée aussi à des condamnés tel le fameux Cesare Battisti, auteur reconnu de quatre assassinats.

LIREErri De Luca : "Si je suis condamné, j'irai en taule"

Mais je m’interroge encore sur l’indulgence française à l’égard de ceux qui ont fabulé sur la «non-fiabilité des sentences italiennes», sur l’utilisation de«repentis» indignes de foi, et sur un inexistant usage de la torture. Je citerai encore Spinelli, qui, s’adressant aux soutiens français de Battisti, parlait de leur «ignorance très spéciale […] péremptoire […] militante». Eux qui devraient se convaincre que l’Italie est le seul pays européen à avoir vaincu le terrorisme en respectant la Constitution et les règles d’un juste procès." 

" Sans racines réelles dans le pays" un pays pourtant traversé par des luttes urbaines et une "insubordination ouvrière" qui dura plusieurs années ! Et qui ne fut "cassée" que par des mesures légales forts contestables dont la moindre fut la vague d'arrestation en avril 1979 de plusieurs centaines de miltant(e)s, quitte à ce que des années de détention plus tard, on abandonne les poursuites ........ ou l'on prononce des non-lieux 

Et parmi ceux-ci quelques intellectuels de renom .........les mauvais maîtres déjà ! 

" Un procès de Moscou… à Rome

Autonomie pour le communiste, n°2, 28 Avril 1979, p. 4.

 "Arrestations de plusieurs diri­geants de l’autonomie - ils sont accusés d’étre les dirigeants des BR - Toni Negri, chef des Brigades Rouges". Puis jour après jour : "Negri organisateur de l’affaire Moro - Negri est celui qui a téléphoné à Eleonora Moro - La résolution stratégique des BR écrite de la main de Negri…"

Voilà quelques uns des titres qui font la une depuis maintenant plus de deux semaines de la presse ita­lienne, et parviennent avec quelques déformations en sus en France. Pour qui connaît un peu la situation en Italie et peut suivre la presse ita­lienne, le caractère à la fois incroya­ble, grotesque et inquiétant de ces accusations, qui par delà les per­sonnes arrêtées visent l’ensemble du mouvement italien, est assez clair. Tout le monde sait que ce qu’on appelle l’Aire de l’autonomie qui était sur le point de se réunifier et se faisait de plus en plus consis­tante, avait pris position avec des nuances, mais de façon très claire contre les BR.............." 

L'utilisation de mesures légales fort restricitves pour les droits de la défense facilita quand même  la répression et l'affaiblissement d'un mouvement fort composite et ne se résumant pas juste à la lutte armée !

Rassurons-nous aussi par le fait qu'elles (ces mesures ) furent abandonnées dans les années qui suivirent, devenues obsolètes........ et qu'elle ne furent jamais appliquées dans le cas de poursuite de corruption du personnel politique par exemple !  

" évitons de prendre pour argent comptant les histoires racontées en France par les réfugiés " qui vous parleraient de torture par exemple ! Puisque ce "beau pays démocratique" " peut se vanter d’avoir battu la subversion avec les instruments de la loi "

Oui,  mais pas seulement si l'on en croit ce qui vient de se passer il y a quelques mois ( octobre 1973 ) devant un autre tribunal que celui du procureur Spataro, le tribunal de Perouse ou Enrico Triaca, ancien membre des BR attaque en justice en demandant la révision de son procès ; voici ce que l'on peut lire sur Bakchich en juin 2013 à propos de ce procès a venir :

Surnommés les « Les 5 de l’ave maria », avec à leur tête le « professeur de tormentis », cette équipe de fonctionnaires de la police antiterroriste très active à partir de 1978 se retrouvera bientôt convoquée devant un tribunal…

......  C’est comme un chirurgien qui a commencé une opération, il faut aller jusqu’au bout. Les hommes "de l’ave maria" existaient, ils m’étaient très fidèles et savaient utiliser des techniques particulières »

Dans un entretien paru sur le Corriere della sera du 12 février 2012, « le professeur de Tormentis » revient encore sur sa philosophie « Je suis un fasciste mussolinien. Je suis pour la légalité. » Il revendique son rôle dans « la guerre civile » qui s’est déroulée en Italie : « Je suis un combattant, celle contre les Brigades Rouges était une guerre. Une véritable guerre. Et dans cette guerre j’étais un dur qui apprenait à ses hommes la loyauté. Il fallait rétablir une forme d’ auctoritas avec toutes les moyens. Si c’était à refaire, je referais tous ce que j’ai fait. »    

Les conséquences de ces admissions sont très importantes. Elles peuvent mener à revoir l’histoire officielle de toute une époque............ "

Surtout pas pour le procureur Spataro, ce sont là arguments de "crétins" ! Possible alors que les collègues de Pérouse soient eux aussi des "crétins" puisqu'ils ont reconnu l'usage de la torture dans le cas dudit militant des BR, mais dispensé de peine le " « le professeur de Tormentis » car le code pénal italien ne sanctionne pas ces faits ! 

A défaut de mauvais maîtres , conseillons à Spataro de réviser ses connaissances au travers de ces quelques lectures  (ici en édition française mais traduites de l'Italien ) :

- "Insurrection" Paolo Pozzi Editions Nautilus 2010

- " Autonomie ! Italie, les années 70 " Marcello Tari aux éditions La Fabrique 2011

et 3 ouvrages parus aux Editions "Les Nuits Rouges" :

  • " La Fiat aux mains des ouvriers; L'automne chaud de 1969 à Turin De Diego Giachetti et Marco Scavino 2005 : la genèse du mouvement par deux historiens
  • " La "Garde Rouge" raconte, histoire du Comité ouvrier de la Magneti Marelli ( Milan, 1975-78) Emilio Mentasti 2009 : un comité ouvrier dans une usine de la banlieue de Milan
  • " Pouvoir ouvrier à Porto Marghera Du Comité d’usine à l’Assemblée de territoire(Vénétie – 1960-80) Devio Sacchetto et Gianni Sbrogio Parution septembre 2012

Et un film pour ses soirées d'hiver : " Diaz - Un crime d’état de Daniele Vicari " à défaut de "mauvais maître" il y est question d' une école...........

Et souhaitons bonne chance à Erri de Luca qui d'avance, a décidé s'il est condamné, de ne pas faire appel ! 

* reconnaissons que cet assassinat là était particulièrement "stupide" puisque ce magistrat en question instruisait sur les possibles implications de l'extrême droite pour commettre les attentats en vue de créer une  "stratégie de la tension" !  

Comme il fut revendiqué par Prima Linea, groupe composé en grande partie d'ex membre de Lotta Continua, organisation dont Erri de Luca en fut un des nombreux militants, le choix de cet exemple n'est pas fortuit dans l'intervention de Spataro ! 

** vaudrait mieux éviter de s'attarder sur ce sujet pour certains  car plus que de doctrine c'est surtout un "deal"avec les autorités italiennes de l'époque ( dont Craxi si je ne m'abuse ) et qui a grandement facilité l'arrêt des "hostilités", sinon celles-ci auraient traînées en longueur ............... quelques années de plus ! 

PS : afin de lever toute ambiguité, je tiens à préciser que ma solidarité avec les militant(e)s de cette époque fort trouble ne vas pas jusqu'à approuver le passage à "la lutte armée", mais que je ne sais pas ce que j'aurais eu comme attitude si j'avais été à cette époque en Italie militant moi-même ! 

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