Le programme du NFP (Nouveau Front Populaire) indique p. 16 : "Conditionner les aides aux entreprises au respect de critères environnementaux, sociaux et de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise. Les inscrire dans une stratégie industrielle publique. Exiger le remboursement des aides en cas de non-respect des contreparties". Il faut donner une interprétation large à cette disposition en faisant entrer dans le champ des conditionnalités indiquées ci-dessus l'ensemble des financements publics des entreprises incluant, à côté des aides de l'État central et des collectivités locales, les crédits ou apports venant à des conditions favorables de la Banque de France, de la Caisse des dépôts, de la BPI.
En cas de victoire du NFP, ces financements publics des entreprises auront un rôle crucial à jouer en raison des incidences d'une application effective du programme du NFP sur le taux de profit, la rémunération des actionnaires et des managers liés à ceux-ci, des violentes campagnes d'opinion pro-capital déjà engagées. Dans la suite du message fondamental de Keynes sur le rôle décisif des anticipations des investisseurs, nous avons à "anticiper les anticipations" dépressives des investisseurs capitalistes et à les compenser par des financements publics de la production conditionnels.
Ces financements publics des entreprises sous conditions sociales-écologiques ne peuvent pas être réalisées avec succès de façon technocratique. Il y a la nécessité de trouver des articulations avec l'intervention des salariés dans les entreprises et des formes de concertation appropriées avec les syndicats. D'où le lien avec le renforcement des droits des salariés dans les entreprises et les propositions
- de constituer dès que possible des Comités de filière analogues à une échelle supérieure aux Comités d'entreprise, Comités de filière pouvant engager la responsabilité sociale et écologique des donneurs d’ordre et contribuer à la définition de politiques de filière
- d'instaurer un avis conforme du Comité d'entreprise et du Comité de filière concernés directement pour les financements publics aux entreprises.
Concernant le budget de l'État, je suppose un coût supplémentaire zéro par réorientation radicale des aides considérables que l'État apporte actuellement aux entreprises.
À l'appui des indications précédentes, j'ajoute un bref rappel de la période 1981-1984 en me référant à l'intervention de Robert Salais "De la relance à la rigueur" lors d'un colloque tenu en 1999 dont les actes ont été édités dans : Berstein Serge, Milza Pierre, Bianco Jean-Louis (dir), 2001, François Mitterand. Les années du changement 1981-1984, p. 476-505. Perrin. Robert Salais administrateur de l'Insee est un des auteurs de l'économie des conventions qui se distingue des théories de la régulation et de celles des marchés autorégulateurs en plaçant au centre de l’analyse les cadres de connaissance et d'action des agents. C'est cette approche que Robert Salais met en œuvre dans le dépouillement d'archives exceptionnellement ouvertes du secrétariat général de la Présidence de la République, archives comportant des documents venant de ce secrétariat, de cabinets ministériels, et du haut de l'administration économique et financière. Robert Salais relève d'abord que, contrairement à une légende souvent répandue, la relance de 1981 a été minuscule et que les difficultés du commerce extérieur et de la balance des paiements sont venues alors de l'énorme pression internationale "à la rigueur" et au "tout marché" dans les différents pays développés, des faiblesses qui s'étaient développées dans l'appareil de production français au cours des années 1970, et de la non anticipation à peu près complète des tendances internationales dans le contexte idéologique français au tournant des décennies 70-80. Ensuite Robert Salais souligne que les cadres de connaissance et d'action des dirigeants publics et de leurs conseils sont enfermés dans une vision macro-économique statique du déplacement de quelques masses financières limitées dans les tableaux agrégés de la Comptabilité nationale. D'où alors une incompréhension des raisons pour lesquelles l'investissement ne repart pas.
Évitons aujourd'hui de nous aveugler de la même façon.