Le 1er avril, en France, des centaines de milliers de TPE et indépendants découvraient sur le site impots.gouv qu'ils ne bénéficieront d'aucune aide financière, ou juste d'une aumône, pour traverser la crise. Pourquoi ? Parce que bon nombre d'entre eux ne peuvent remplir les conditions imposées...
La France n'a pas les moyens de l'Allemagne ? Certes : la mesure coûte là-bas 50 milliards.... Mais entre 9 000 € et 0 €, il y a une marge.
Pourquoi l'Allemagne a-t-elle cassé la tirelire ? Sans doute parce qu'elle a compris qu'aider massivement TPE et indépendants - qui représente 98% des entreprises en nombre en France - était la condition sine qua non pour éviter les faillites en masse et paralyser, par effet domino, la reprise de l'activité.
Un pan essentiel de l'économie française est au bord de l'arrêt cardiaque et, quand l'Allemagne sort le défibrillateur, la France opte pour un bouche à bouche d'une seule respiration....
Le conditionnement des aides française s'apparente en effet à une loterie déprimante. Le gouvernement, derrière des intentions louables d'aider les TPE/indépendants/micro-entreprises, a mis en place des modalités totalement inadéquates, basées sur des comparaisons mensuelles de chiffres d'affaires, qui ne correspondent en rien à la façon dont de nombreux petits entrepreneurs perçoivent leurs revenus.
Les protagonistes de ces mesures semblent (ou veulent) ignorer que la grande majorité d'entre eux ont une activité extrêmement contrastée d'un mois sur l'autre et d'une année sur l'autre (selon les délais d'encaissement des factures et la saisonnalité des contrats, ces derniers pourront parfois concentrer une bonne partie de leur chiffre d'affaire sur quelques mois et gagner très peu, voire rien les autres mois).
Hier, après deux semaines d'attente et d'infos contradictoires, l'information tombe : il suffit de se connecter sur impots.gouv pour faire une demande d'aide. Et allez vous rhabiller...
Depuis deux semaines donc, des centaines de milliers de TPE et indépendants se retrouvent confinés, perdent des contrats, jettent des devis à la poubelle, bref subissent un préjudice qui va les impacter bien davantage qu'un mois de confinement tandis qu'on leur annonce que, s'ils ont la « chance » d'avoir perdu 70% de chiffre d'affaire en mars 2020 par rapport à mars 2019, ils bénéficieront de 1500 € (maximum...).
Magnanime, ou plutôt sous la pression, le ministère de l'économie a décidé de faire baisser le pourcentage à 50 % en comparant avril 2020 vs avril 2019...
En résumé, tous ceux qui ont réalisé un petit chiffre d'affaire en mars 2019 (je ne parle pas de bénéfices... qui devraient être la norme pour que la mesure soit plus juste... parce que ce n'est pas avec le chiffre d'affaire qu'on va faire les courses, mais avec ce qu'il reste sur le compte en banque une fois déduits emprunts, dettes, frais, investissements et charges) peuvent d'ores et déjà appeler leur banque pour débloquer un crédit de trésorerie garanti par la BPI. Autre scénario, même punition, si vous avez touché le cumul de plusieurs mois de travail début mars 2020, restez donc en ligne avec votre banque... Et, si les choses restent en l'état, cela va se répéter en avril.
Soutien inadéquate = futur choc social, désespoir et perte de confiance...
Le vrai problème, c'est que bon nombre d'indépendants ne recommenceront à percevoir des revenus que dans deux ou trois mois, voire plus, selon la durée du confinement.
Ces mesures d'aide sont-elles justes et adaptées?
- Pourquoi deux TPE ayant potentiellement un chiffres d'affaires 2019 identiques bénéficieront ou non des aides d'urgence selon le chiffre d'affaire encaissé en mars de l'année 2019 ? ça n'a pas de sens !
- Sur quelle base le ministère peut-il s'appuyer pour affirmer qu'il va aider 400 000 TPE ?
- Pourquoi demander de justifier de 70% de perte de chiffre d'affaire sur l'ensemble du mois de mars alors que le confinement à commencé le 17 ? ça n'a pas plus de sens...
Poussons le raisonnement jusqu'à l'absurde : imaginons un COVID-20 au printemps 2021, Bercy pousserait-il le vice jusqu'à vous demander de déclarer 70 % de perte de CA en avril 2021 par rapport à avril 2020 lorsque vous étiez confiné ? Pas besoin d'être prix Nobel de math pour démonter que -70% de 0 = 0...
Bref, quand cette crise sanitaire sera terminée, une crise sociale d'ampleur va probablement advenir : la cessation d'activité de dizaines de milliers d'acteurs économiques qui n'auront pas bénéficié du traitement de choc dont ils avaient besoin.
Aider massivement les TPE et indépendants, ce n'est pas gaspiller, c'est investir en sauvegardant!
Au lieu de confondre vitesse et précipitation, peut-être aurait-il mieux valu temporiser encore quelques jours de plus pour étudier d'autres solutions.
- Pourquoi ne pas proposer que les indépendants et TPE ne pouvant exercer leur activité soient tous considérés en « fermeture administrative » et leur verser 1 500 € au minimum de manière systématique...
- Pourquoi ne pas étudier la possibilité d'un chômage partiel d'un mois et demi.
- Pourquoi ne pas mettre à contribution les assurances pour un fond de solidarité (Les indépendants sont très nombreux à cotiser mensuellement pour des assurances « pertes de revenus » et n'en verront sans doute pas un centime... C'est de l'argent qui dort et une manne probablement très conséquente : ils y ont peu recours parce qu'ils réfléchissent à quatre fois avant de se mettre en congés maladie...).
- Pourquoi ne pas imaginer dans le futur la création d'un fond de solidarité financé par 1 ou 2 % de cotisation supplémentaire... (les indépendants ne touchent pas le chômage parce qu'ils pourraient difficilement supporter un taux de cotisation identique à celui des entreprises, mais rien n'empêche de prévoir une cotisation spécifique pour faire face aux crises exceptionnelles... Certaines professions s'acquittent d'1% de charges qui donnent droit à 7 500 € de formation annuelle...).
Je ne suis ni économiste, ni comptable et ne représente aucune organisation. Mon propos - s'il comporte des approximations et omissions et n'est peut-être pas aussi bien étayé que celui d'un spécialiste - est destiné cependant à faire écho à ce que vivent aujourd'hui de nombreux indépendants, petits patrons, restaurateurs, auteurs ou artisans... bref à cette multitude de travailleurs sans assurance chômage, sans trésorerie et donc marge de manœuvre et qui s'angoissent à l'idée qu'ils ne tiendront pas jusqu'à la reprise de leur activité.
Traitée la plupart du temps comme la catégorie située en bas de l'échelle des priorités gouvernementales, les travailleurs indépendants représentent pourtant 3,5 millions de personnes en France et sont un rouage vital de l'économie française.
Jusqu'ici, cette multitude de profils professionnels extrêmement hétérogènes semble relativement inerte et est malheureusement très peu représentée au niveau syndical. Mais les décideurs politiques devraient se méfier de cette « eau qui dort », subissant depuis des années la tectonique sous-marine imprévisible et capricieuse de l'économie, contournant les écueils ou les siphons toujours plus nombreux que dresse l'administration, surnageant dans les cisaillements et courants contraires des gestions amateuristes et scandaleuses (ex-RSI ou Agessa pour ne citer qu'eux). Mais attention à la vague de mécontentement qui risque de se transformer en houle, coup de vent, puis avis de tempête... les décideurs qui fixent le cap du haut de leur passerelle devraient, à défaut d'aller voir ce qu'il se passe vraiment en salle des machines, mieux scruter les nuages gris (à défaut d'être jaune) qui s'annoncent à l'horizon...
Il est encore temps de changer de cap !
A ce sujet
Sur les aides allemandes :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/04/a-berlin-les-travailleurs-independants-ont-deja-recu-5-000-euros-d-allocation-corona_6035552_3234.html?fbclid=IwAR31NnBRVsGnUmI9sXxAs6khKHU_nP5gw7LJndivtr7e1cVb6TpM9ctuduc
Sur les préconisations :
https://www.lequotidien.lu/economie/coronavirus-il-ny-a-pas-a-sinquieter-de-la-facture-selon-la-nobel-deconomie/?fbclid=IwAR25Y-pPnAOX6O8xQQsCd0Y6MDzCh3fPWNG9voa7TeAWZTM0xJEkE4EAmKs