En janvier 2025, dans Le Soir, Georges-Louis Bouchez (MR) proposait un « modèle politique idéal » sans ministère de la Culture. Dans La Libre du 11 mars, Yassin Rafik, porte-parole du MR déclare que « la culture ne devrait pas grimper par subside, mais s’élever par plébiscite ». Dans les attaques récurrentes de l’« « Arizona » contre la sécurité sociale et contre la culture et le système de l’allocation des arts, c’est à présent David Clarinval (MR) qui s’en prend au statut d’artiste en annonçant son intention de sortir ce statut du cadre du chômage. « Dans le cadre des réformes proposées, le maintien du régime très divergent des allocations du travail des arts conduirait à une inégalité de traitement disproportionnée et injustifiable entre les travailleurs des arts et les chômeurs. » C’est un extrait du projet de réforme du chômage soumis à négociation, en intercabinet, par le ministre de l’Emploi David Clarinval.
Six mois plus tard, le vote de la réforme du chômage, dans la nuit du 17 au 18 juillet 2025, « représente une attaque sans précédent contre la sécurité sociale belge », selon la Ligue des droits humains (LDH) [i]. Cette mesure limite les allocations de chômage à deux ans maximum. A terme, à partir de janvier 2026, plus de 180.000 personnes seront ainsi exclues du chômage. « Cela signifie qu’une partie d’entre elles va émarger aux CPAS et aura droit à un revenu d’intégration, avec des pertes de revenus à la clef. D’autres n’y auront pas droit et disparaîtront des radars. Et qui retrouvera un emploi ? », s’interroge la LDH. Sont essentiellement visées les personnes dont la carrière est discontinue, notamment les femmes et les emplois les plus précaires comme les enseignant.es contractuel.les.
Ce 17 juillet 2025, des syndicats et associations de travailleur.euses de l’art publient un communiqué : « La pension des travailleur·euses des arts menacée ! » [ii]
En effet, « lors de la réunion de la commission des affaires sociales de ce mercredi 16 juillet, le Ministre des pensions a confirmé que, pour le calcul de la pension, le statut de travailleur.euse des arts ne pourrait pas représenter plus de 20 % de la carrière en assimilant au passage les travailleur.euses des arts à des personnes sans emploi.
Concrètement, pour une carrière complète de 45 ans, seules 9 années de statut pourront être prises en compte. Cela signifie que les travailleur.euses qui ont bénéficié du statut (ou d’autres périodes assimilées) pendant plus de 9 ans perdront une partie de leur pension. Dans les cas les plus extrêmes, cela représente 36 années perdues.
A l’âge de la pension, beaucoup de travailleur.euses des arts risquent donc se retrouver dans une situation de grande précarité.
La crise sanitaire COVID 19 et ses conséquences sur les travailleur.euses des arts ont agi comme catalyseur pour l’élaboration d’une protection sociale adaptée aux spécificités du travail des arts : l’intermittence comme une contingence inhérente au métier artistique, le travail invisibilisé nécessaire à la création de projets qui intervient régulièrement entre les périodes d’engagement contractuel, l’imprévisibilité des revenus souvent faibles et la courte durée des contrats (CDD de courte durée) ».
« Les signataires souhaitent rappeler que même si la protection sociale des travailleur.euses des arts est inscrite dans la branche chômage de la sécurité sociale, le travailleur des arts ne peut être assimilé à une personne ayant perdu son travail et en recherche d’emploi, les travailleur·euses des arts exercent une démarche professionnelle continue, alternant périodes sous contrat et périodes de travail “invisibilisé” (création, recherche, développement de projets). L’exposé des motifs de la loi portant la réforme du statut des travailleur.euses des arts confirme que l’intermittence des travailleur·euses des arts est structurelle et inhérente à leurs métiers. Elle ne relève pas d’un choix individuel mais d’une réalité professionnelle, nécessitant une protection sociale adaptée qui tienne compte de cette spécificité.»
On imagine les recours qui pourraient être introduits sur base de l’interdiction de lois à effets rétroactifs. Mais ces procédures n’auront pas d’impact sur le statut des plus jeunes.
En France, titre Le Monde du 28 mars 2025, « Le procès en inutilité de la culture gagne du terrain en France, le même qui est à l’œuvre dans l’Amérique de Donald Trump » [iii]. Mais en France, ce discours est porté par le RN. Là, au moins c’est clair comme la citation attribuée aux nazis : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». Si le cordon sanitaire belge francophone a résisté pendant vingt ans, faisant de la Wallonie la seule région d’Europe sans aucun·e élu·e d’extrême-droite, le MR est aujourd’hui contaminé par ces idées de guerre culturelle, qu’il reprend à son compte.
Dans une carte blanche publiée dans Le Soir du 8 janvier 2025, Serge Rangoni, directeur général du Théâtre de Liège et Antoine Vandenbulke, professeur à l’École de Droit de l’UMons-ULB, font valoir que « Lorsque M. Bouchez propose de supprimer le ministère de la Culture, ce n’est (…) pas seulement une illustration de la lourdeur politique belge ou une provocation médiatique, c’est aussi la proposition d’un autre modèle de société : celui où le commun doit être, le plus possible, défini par l’individu. Or, si la décentralisation peut être dotée de vertus démocratiques, le problème essentiel du mécénat est que le poids de chacun dépend en grande partie de sa capacité contributive.
En somme, supprimer le ministère de la Culture, c’est laisser le sort des arts aux forces du marché et aux dons privés ; et c’est aussi, in fine, battre en brèche l’idée que l’intérêt collectif dépasse parfois la volonté de chacun. »
Cela semble évident, c’est une question d’intérêt public et collectif.
L’art et la culture, activités culturelles, sont considérées comme les meilleurs remparts contre la « barbarie » et le mal-être de la société ; en ce qu’elles rencontrent un besoin profond de l’être humain, elles sont essentielles et d’ordre public. L’art dans son essence est pulsion de vie et donc incontournable. « L’artiste a le pouvoir de réveiller la force d’agir qui sommeille dans d’autres âmes » écrivait Friedrich Nietzsche dans « Le Gai Savoir ».
Utilisée au pluriel, l’expression « les arts » induit immédiatement la très grande diversité des moyens, des techniques, des formes qui ne cessent d’évoluer. Nous pouvons sans doute nous accorder sur le fait que les arts représentent une forme d’expression humaine, moyen pour l’homme de se projeter, s’extérioriser, par retour se construire par une impulsion créatrice. Depuis les peintures rupestres préhistoriques jusqu’à nos films modernes et contemporains, les arts possèdent parfois un caractère narratif, mais également de résistance, voire de contestation, de transgression, et aussi de transmission dans la relation de l’humanité avec son environnement social, politique, éthique esthétique et mystique. Leur rôle a toujours été et demeure de montrer la réalité, d’en dévoiler la vérité, d’éduquer le regard, l’attention des sens. L’art et/ou les arts ne cessent -entre autre- de nous enseigner la liberté de penser, le bon, le bien, le mal, le sens de l’histoire, l’émancipation, l’humain, la vie, etc. Ceci indépendamment de l’indéfectible sphère de liberté propre à l’œuvre d’art ; celle de l’artiste de suggérer ou transmettre un message, plus ou moins ambigu, et celle du public d’y voir ou non quelque espèce de signification, de la ressentir en autonomie, notamment à l’abri du discours péremptoire du droit.
Depuis la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948, en son article 27.1 : « toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ».
Elle est renforcée par la conférence mondiale sur les politiques culturelles de l’UNESCO à Mexico en 1982. En « exprimant l’espoir d’une convergence ultime des objectifs culturels et spirituels de l’humanité », la Conférence de Mexico a convenu :
« que la culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même. C’est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés. C’est par elle que nous discernons des valeurs et effectuons des choix. C’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres qui le transcendent. » [iv]
La déclaration solennelle des droits culturels de Fribourg du 7 mai 2007 [v] va plus loin encore et proclame la culture comme un droit à part entière.
S’appuyant sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, la déclaration de Fribourg de 2007 réaffirme « que les droits de l’homme sont universels, indivisibles et interdépendants, et que les droits culturels sont à l’égal des autres droits de l’homme une expression et une exigence de la dignité humaine. Convaincus que les violations des droits culturels provoquent des tensions et conflits identitaires qui sont une des causes principales de la violence, des guerres et du terrorisme. Convaincus également que la diversité culturelle ne peut être véritablement protégée sans une mise en œuvre effective des droits culturels (…) ».
Dans l’affaire MÜLLER et autres c/ Suisse (n° 10737/84, arrêt du 24 mai 1988, série A), la Cour européenne des droits de l’homme décide que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensables à une société démocratique ».
Selon une étude de l’UNESCO de 2010, « la culture est, dans toutes ses dimensions, une composante essentielle du développement durable. En tant que domaine d’activité, elle contribue puissamment – par le biais du patrimoine matériel et immatériel, des industries créatives et des divers moyens d’expression artistique – au développement économique, à la stabilité sociale et à la protection de l’environnement. En tant que dépositaire du savoir, des significations et des valeurs qui imprègnent tous les aspects de notre vie, la culture détermine aussi la façon de vivre des êtres humains et les relations qu’ils ont les uns avec les autres aux niveaux local et mondial. » [vi]
Un groupe de chercheur.euses-acteur.ices a démontré dans un rapport, « Le Croisement des savoirs et des pratiques », que les besoins culturels peuvent être tout aussi primordiaux pour les personnes venant de milieux défavorisés. Cette recherche a été menée par le mouvement ATD Quart-Monde, dont le but est d’aider les plus exclus d’une société :
« La culture : une nourriture essentielle pour l’être humain » :
« Lorsqu’on vit dans la pauvreté, l’accès à la beauté de la nature ou de l’art demeure un besoin profond. La culture est une nourriture essentielle pour l’être humain. Le matériel, au sens large, ne suffit pas pour redonner de l’élan dans une vie. Les gens ne se mettent pas en route pour cela. La difficulté, par exemple, que peuvent avoir des personnes en situation de précarité à prendre leur santé en main peut provenir d’une absence de but, d’un manque de finalité dans leur existence. Les besoins culturels des personnes défavorisées sont méconnus. […]» [vii]
Dans la gestion de la crise du COVID-19, le moteur essentiel des civilisations que sont l’art et la culture a été mis à mal par les pouvoirs publics et de nombreux textes ont été publiés à ce sujet [viii]. « À l’heure où des milliards de personnes sont physiquement séparées les unes des autres, la culture nous rapproche, elle est le lien qui nous unit, elle réduit la distance qui nous sépare. La culture nous apporte réconfort, inspiration et espoir, alors qu’on traverse une période d’anxiété et d’incertitude inédites » [ix].
Ainsi, l’arrêt de la 18ème chambre F de la Cour d’appel de Bruxelles du 27 avril 2021 (en cause Ligue des Droits Humains, Liga voor Mensenrechten, DUJARDIN, Quentin / E.B., Ministre de l’Intérieur, R.G. n° 2021/KR/17) relève et condamne la violation des principes d’égalité et de non-discrimination, consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution, résultant du traitement discriminatoire dans l’arrêté ministériel du 20 octobre 2020, entre le rassemblement de 15 personnes autorisé dans un lieu de culte et un tel rassemblement interdit à des personnes qui souhaitent assouvir leur droit à l’épanouissement culturel, pour assister à un concert de musique, dans le respect des mêmes règles [x].
S’il existe un marché de l’art, on ne peut confondre et mettre sur le même pied l’art et la culture, d’une part, et les produits commerciaux, d’autre part ; cela procède d’une contradiction fondamentale puisqu’il s’agit de choses radicalement opposées.
L’œuvre d’art oblige à affiner notre sensibilité, à déchiffrer, à dépasser les conventions, nous entraîne vers un dépassement de nos principes de notre horizon, elle nous ouvre de nouvelles portes vers la connaissance de nous-même et des autres. La multitude d’actions créatrices forment le lien culturel qui se tisse au fil des siècles et se transmet, enrichissant ainsi l’humanité. La culture, les arts, sont synonymes de liberté d’expression, de désobéissance au formatage de l’esprit. L’art et la culture ont pour objet de faire penser, d’ouvrir et libérer les esprits ; la publicité commerciale tend à influencer et conditionner la pensée, elle agit par contagion. Outre sa valeur intrinsèque, la culture apporte de précieux avantages sur le plan social et économique. Avec l’amélioration de l’éducation et de la santé, une tolérance accrue et des occasions de se réunir, la culture améliore notre qualité de vie et augmente la sensation de bien-être, tant des personnes que des communautés.
La promotion culturelle et artistique promeut la créativité et se renouvelle sans cesse, elle est utile à la compréhension du monde et incite à la pensée, tandis que la propagande commerciale, issue des années ’30, martèle un slogan dans le but d’entrer dans les esprits et de faire acheter un produit. On ne peut mettre sur le même plan les annonceurs et les distributeurs de marques commerciales, dont le budget publicitaire est inclus dans le prix du produit[xi], avec les musées, théâtres, salles de spectacles et cinémas d’art et d’essai qui doivent faire de gros efforts pour informer de leurs activités. Par conséquent, la promotion de l’art et la culture, qui tend à informer et inciter le public à se rendre à des spectacles, des expositions et autres activités culturelles, constitue également une activité d’intérêt public.
Le travailleur, la travailleuse des arts et les professions apparentées doivent bénéficier d’un statut adapté aux particularités de la création et des modalités de travail et d’engagement des artistes. L’« Arizona » et ses méthodes de cow-boys en vue de réformer le chômage doit en tenir compte et faire preuve de subtilité et d’esprit créatif. Il doit aussi mettre fin à ses pratiques de « fraude sociale » pour le moins immorale de la part d'un gouvernement qui s’attaque à tous-tes les travailleur.euses, avec ou sans emploi [xii].
Le statut d’artiste, depuis sa création, est « un régime dérogatoire au droit commun du chômage et (…) le Conseil d’État n’a jamais soulevé d’objection par rapport à cela, la différence de traitement étant correctement et suffisamment justifiée » [xiii], de sorte qu’il n‘y a pas de discrimination entre les chômeurs artistes et non artistes.
Ceci étant précisé, ce sont tous les secteurs qui sont visés et doivent s’unir contre ces attaques sur la sécurité sociale belge.
[i] LDH, 18/07/2025, https://www.liguedh.be/le-vote-de-la-reforme-des-allocations-du-chomage-est-une-attaque-sans-precedent-contre-la-securite-sociale-belge/
[ii] « Mobilisation : la pension des travailleurs et travailleuses des arts menacée ! », La SCAM Belgique, 17/07/2025, https://www.scam.be/actualites-ressources/mobilisation-la-pension-des-travailleurs-et-travailleuses-des-arts-menacee/
[iii] Le Monde, 28/03/2025, https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/28/le-proces-en-inutilite-de-la-culture-gagne-du-terrain-en-france-le-meme-qui-est-a-l-uvre-dans-l-amerique-de-donald-trump_6586959_3232.html
[iv] Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances, (…) Déclaration de l’U N E S C O : Introduction à la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982
[v] Les droits culturels, Déclaration de Fribourg, ainsi que l’Institut interdisciplinaire d’éthique et droits de l’homme à l’Université de Fribourg, www.unifr.ch/iiedh
[vi] http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001893/189382f.pdf
[vii] http://www.culture-developpement.asso.fr/accueil/la-culture-une-nourriture-essentielle-pour-letre-humain/
[viii] http://www.culture-developpement.asso.fr/accueil/la-culture-une-nourriture-essentielle-pour-letre-humain/
[ix] UNESCO, « La culture, un besoin essentiel en temps de crise », 29/03/2020 : https://fr.unesco.org/news/culture-besoin-vital-temps-crise
[x] Arrêt publié sur Linkedin par Me Jacques Englebert : https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6792824545314246656/
[xi] Et qui, au demeurant, sont notamment des grands groupes ou multinationales qui éludent l’impôt en Belgique.
[xii] « Le Vif confirme la fraude sociale des ministres de l'Arizona » : Nicolas De Decker, « Les vrais émoluments des ministres de l’Arizona », Le Vif, 03/04/2025. « Selon l'article du 3 avril 2025, le porte-parole du premier ministre avait d'abord nié l'existence du cumul indemnité de logement/logement de fonction pour rectifier ensuite. L'article précise notamment que : 10 des 15 ministres du gouvernement NVA MR cumulent indemnités de logement et logement gratuit mis à disposition. Les frais de logement et de domesticité ne doivent pas être justifiés et sont nets d'impôts (et puisque ces frais ne doivent pas être justifiés, la fraude sociale est légale (sic)). Le Ministre David Clarinval bénéficie même d'un appartement privé juste pour lui ! », https://www.facebook.com/photo/?fbid=10161521290787734&set=gm.9972163152796699&idorvanity=7726414404038263
[xiii] RTBF, « Le casse-tête de la réforme du chômage, du statut d’artiste et des périodes assimilées », 28/03/2025, https://www.rtbf.be/article/le-casse-tete-de-la-reforme-du-chomage-du-statut-d-artiste-et-des-periodes-assimilees-11524754