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Billet de blog 2 septembre 2017

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CHILI / L’insaisissable justice : deux pas en avant et quatre en arrière

La Cour d’appel de Santiago a décidé récemment d’acquitter un pourcentage significatif de responsables dans des causes de personnes disparues pendant la dictature, contredisant ainsi les décisions de première instance dans « l’opération Colombo ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Magdalena Garcès *

La Cour d’appel de Santiago a décidé récemment d’acquitter un pourcentage significatif de responsables dans des causes de personnes disparues pendant la dictature, contredisant ainsi les décisions de première instance dans « l’opération Colombo ». On craint que ce critère ne devienne une constante : installer, une fois de plus, de nouvelles formes d’impunité. Cette situation s’est produite dans les cas de Jorge Grez Aburto, Sergio Flores Ponce, Luis Durán Rivas et Washington Cid Urrutia, tous arrêtés en 1974. C’est seulement dans le cas de María Cristina López Stewart que tous les responsables ont été condamnés. L’argumentation donnée par les juges est particulièrement grave dans le cas de Grez, qui faisait partie du groupe fondateur du MIR. Grez avait rejoint le parti socialiste à la fin des années 60 et a été arrêté le 23 mai 1974 par des agents de la DINA.

La sentence en première instance dans l’affaire Grez (mai 2014), délivrée par le ministre Hernán Crisosto Greisse, a confirmé ces faits, ainsi que les conditions de sa détention dans le centre de tortures du 38 de la rue Londres : aucun contact avec l’extérieur, les yeux bandés et attachés, continuellement soumis à des interrogatoires sous la torture.

Le jugement de première instance a condamné six officiers supérieurs de la DINA à 13 ans de prison comme auteurs du crime d’enlèvement qualifié : Juan Manuel Guillermo Contreras Sepúlveda, César Manriquez Bravo, Pedro Octavio Espinoza Bravo, Marcelo Luis Moren Brito, Miguel Krassnoff Martchenko et Gerardo Ernesto Urrich González. Il a aussi condamné 35 autres agents de DINA comme auteurs du même crime à la peine de 10 ans. Entre autres, Gerardo Godoy Garcia, Gerardo Ernesto Godoy Garcia, Ricardo Víctor Laurent Mires, Cyrus Ernesto tour Saez, Sergio Hernan Castillo González, Manuel Andrés Carevic Cubillos. Enfin, il a condamné 34 autres agents de la DINA à de peines de 4 ans de prison, comme complices pour le même délit.

Dans une argumentation insolite, la Cour de Santiago compare la responsabilité des agents de la DINA à celle de n’importe quel fonctionnaire public et même à celle de la société dans son ensemble, en ignorant les différentes responsabilités et la connaissance des faits. Ces sentences avaient donné plein d’espoir à des centaines de familles qui ignorent encore la destinée finale de leurs parents disparus, ce qui est par ailleurs une question d’intérêt national. Malheureusement, à cause de la lenteur du procès, les appels de la défense des condamnés ont permis de graves reculs de la justice.

La douzième chambre de la Cour d’appel de Santiago a décidé d’acquitter la grande majorité des accusés et de réduire les peines de quelques autres, dans une décision inattendue et avec de fondements douteux. Pour les magistrats de cette chambre de la Cour d’appel on pourrait être tous responsables des crimes de la DINA. C’est ainsi que 56 officiers, sous-officiers et conscrits ont été acquittés.

Simples « fonctionnaires »

Dans son argumentation insolite, la Cour de Santiago note dans le texte de juin 2016 : « ...Il ne semble pas raisonnable d’imputer la responsabilité personnelle de nature pénale à un sujet déterminé par le simple fait d’avoir la certitude qu’il appartenait au tableau constituant l’appareil répressif de l’État. Dans cette logique, il semble plutôt que ce qui est critiqué, c’est l’existence même d’une telle organisation, étant donné l’inadmissible finalité pour laquelle elle a été créée. Reproche que, même si elle peut naturellement être comprise, il suffit pour cela d’accepter seulement de noter la distinction plus fondamentale entre le bien et le mal ; il est certain que si l’on accepte ce raisonnement afin d’étendre la responsabilité personnelle dans la perpétration d’un crime sur la base des considérations qui précèdent, nous pourrions même affirmer que tel facteur d’imputation est également applicable à tous ceux qui faisaient partie de l’administration de l’État et plus encore, à la société dans son ensemble, qui est restée silencieuse et inactive contre cette action illégale [...] ».

La douzième chambre de la Cour d’appel de Santiago était présidée par le magistrat Alejandro Rivera Muñoz et composée par le juge Maritza Villadangos Frankovich et l’avocat de la Cour José Luis Lopez Reitze. Ce critère ouvre la continuité de la route commencée il y a plusieurs années par les tribunaux, dans le sens de condamner seulement quelques auteurs directs et certains chefs, sans comprendre qu’il s’agit de crimes graves qui ne peuvent pas être jugés comme crimes de droit commun, parce qu’ils sont des crimes commis par l’État, par des appareils du pouvoir qui avaient de nombreuses et immenses ressources et agents, qui ont agi de diverses manières pour que la politique des disparitions forcées des membres de la gauche chilienne se matérialise.

Nous reconnaissons le courage de certains juges d’enquêter et de juger correctement, souvent contre la justice transitionnelle adoptée par les gouvernements successifs depuis le début de la transition (« justice dans la mesure du possible ») et l’absence totale de progrès en la matière, comme par exemple dans l’abrogation ou l’interprétation de la Loi d’amnistie, qui est annoncée périodiquement en fanfare et dort encore au Parlement..

Le scénario d’un système judiciaire qui fait deux pas en avant et quatre en arrière rend compte de l’impunité persistante dans laquelle sont maintenus les responsables des cas de disparition forcée et de la complicité qui continue d’exister entre les secteurs de la justice et les responsables politiques, civils et militaires, de la répression au Chili. Cette complicité est encore plus grave dans le contexte des arguments justifiant des violations des droits de l’homme émis par le commandant en chef de l’armée, appelant à « comprendre le contexte historique » dans lequel elles ont eu lieu, et du silence de la plus haute autorité politique, à qui les forces armées, en tant qu’organe non délibérant, devraient se subordonner.

*Article paru dans « El Mostrador » (http://www.elmostrador.cl ) le 21 août 2017. Mme. Garcés est avocate et se consacre à la défense des victimes de la dictature. Elle mène aussi un travail d’enquête pour le rétablissement de la vérité concernant la destinée finale des victimes de disparition forcée au Chili, avec l’équipe du centre de mémoire « Londres 38 », ancien lieu de torture et d’extermination.

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