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Billet de blog 12 avril 2018

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Etat espagnol / La répression d'Etat et délit imaginaire de la rébellion catalane

La décision du tribunal allemand du Land du Schleswig-Holstein de libérer Carles Puigdemont et de rejeter l'accusation de crime de sédition et rébellion, constitue un coup direct porté à tous les arguments judiciaires et répressifs de la justice espagnole. Le château de cartes monté sur la prétendue violence de la rébellion catalane a été effondré par la cour de justice allemande.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Daniel Reventos et Miguel Salas

Publié dans Sin Permiso.

Politiciens catalans emprisonnés, d'autres exilés en Suisse, en Allemagne, en Belgique et en Écosse. Tous légalement élus selon la législation actuelle des  "Autonomies" dans la Monarchie espagnole. Sans avoir pratiqué aucune violence. Ils appartiennent à des pensées politiques différentes: de droite, de gauche et d' extrême gauche. Avec une chose en commun: leur accord pour le droit du peuple catalan de décider quelles relations il veut entretenir avec les autres peuples et nations du monde. Au vu des événements, ceux qui ont préféré l'exil semblent avoir eu raison, ce qui a ainsi favorisé la grande internationalisation de la situation catalane, laquelle, à son tour, a mis en évidence le vrai caractère de l'actuelle justice espagnole, héritée du régime de Franco ("Le Parquet, la Cour Nationale de Justice et le Tribunal Suprême se comportent non pas comme les organes d' une Administration de la Justice d'un Etat de Droit Social et Démocratique, mais comme ce qu' ils étaient sous le Régime des "Lois Fondamentales" franquistes), un aspect et non l' unique de ce que signifie le régime de la restauration Monarchique des Bourbons - appelé aussi "régime de 78"- bien au-delà de ce que veulent laisser entendre les déclamations.

La décision du tribunal allemand du Land du Schleswig-Holstein de libérer Carles Puigdemont et de rejeter l'accusation de crime de sédition et rébellion, constitue un coup direct porté à tous les arguments judiciaires et répressifs de la justice espagnole. Le château de cartes monté sur la prétendue violence de la rébellion catalane a été  effondré par la cour de justice allemande. Le gouvernement Rajoy reçoit ainsi un autre sérieux revers dans sa politique répressive, la justice espagnole est mise en question et la boue recouvre toute la campagne médiatique des partisans de l' article constitutionnel 155 au nom duquel la Catalogne est intervenue et mise sous tutelle. Parmi les  réponses les plus cavernicoles et réactionnaires, la couverture du journal l' ABC du 6 avril 2018, en est l'une des plus représentatives : "La justice européenne donne de l'air au coup d' Etat". Autrement dit, maintenant ce sont les tribunaux européens qui, en défendant, selon eux ,  le supposé putsch catalan, n' auraient d' autre but que celui de discréditer "l' Espagne" et, ajoutent-ils, le fantastique gouvernement présidé par Rajoy et "notre" souverain Felipe et le pouvoir judiciaire qui a emprisonné les dirigeants catalans. Quelques jours auparavant, cette même campagne médiatique se réjouissait, avec une haine vindicative évidente pour toute personne dont la perception cognitive n' est pas sérieusement détériorée, que la police allemande ait arrêté Puigdemont et célébrait déjà le fait de le voir bientôt dans les prisons espagnoles.

Ces choses se produisent lorsque les décisions vindicatives des hautes cours de justice espagnoles sont confrontées à la réglementation judiciaire européenne. Il ne s'agit pas de magnifier la «justice européenne», mais de la comparer à une autre justice extrêmement discréditée. Cela permet une réflexion approfondie sur le niveau démocratique de l'État espagnol. Récemment, un constitutionnaliste vétéran espagnol a écrit :

"Le délit de rébellion que le Juge d' Instruction voit dans le comportement des ex-membres du Gouvernement ou du Bureau du Parlement catalan ou dans celui des présidents des associations culturelles, l' Assemblée Nationale de Catalogne (ANC) et l' Omnium, n'est vu par aucun juge européen. Et il ne le voit pas, car il n'existe pas, comme l'ont déjà écrit plus d'une centaine de professeurs de droit pénal des universités espagnoles. Le crime de rébellion des actes d'accusation et du mandat d'arrêt européen du juge Pablo Llarena, est un crime imaginaire, c'est-à-dire un crime qui n'existe que dans l'imagination du juge. "

Pour l'instant, les seuls «succès» obtenus par le gouvernement espagnol ont été, la mise en œuvre de l'article 155, la suspension de "l'autonomie" catalane et l' emprisonnement ou l'exil de certains des chefs les plus visibles du droit à l'autodétermination. Au niveau international, la tentative de présenter certains de ces chefs de la lutte pour l'autodétermination catalane comme des rebelles violents, a échoué lamentablement. Le juge Llarena a dû retirer un premier mandat d'arrêt et d' extradition européen lorsqu'il a été informé que la justice belge n'accepterait pas l'extradition des exilés dans ce pays. La Commission des droits de l'homme de l'ONU a exigé que les droits politiques de Jordi Sánchez l'un des élus emprisonnés et qui n'a pas été autorisé à participer aux sessions parlementaires, soient reconnus.Une recommandation de ce genre n'est pas discutable, bien que la justice espagnole ne l'accepte toujours pas, avec l'excuse qu'elle a 6 mois pour l'accomplir. Au second mandat d'arrêt et extradition européen, la Belgique a réagi en libérant les trois conseillers de la Generalitat, l'ex gouvernement de l' autonomie catalane, en exil. Il semble que la justice écossaise puisse répondre dans le même sens en ce qui concerne la conseillère Clara Ponsatí. Ce mandat d'arrêt européen a également demandé l'extradition de Marta Rovira, la leader de l' ERC ( gauche républicaine catalane) exilée en Suisse. L' Etat suisse a répondu également qu'il n'extrade pas les gens pour des raisons politiques. Pour tenter de faire pression, la police espagnole a arrêté Hervé Falciani, un employé de banque qui a découvert l'évasion fiscale cachée en Suisse, récupérant un mandat d'arrêt d' il y a un an. La tentative grossière (le tribunal national avait déjà rejeté son extradition) a été réglée avec les déclarations des représentants suisses affirmant que Falciani ne serait pas une monnaie d'échange. Bref, une tactique judiciaire qui ne trouve pas d'écho dans la législation européenne. Peut-être que l'héritage franquiste est un facteur à prendre en compte dans l'explication.

Nous avons dit dans un article précédent que cela va durer longtemps. Nous devons donc considérer l' épisode actuel comme un assaut gagné dans un long  combat dont la fin est incertaine; tout reste encore à décider et ne dépend pas seulement des aspects judiciaires; il y a et il y aura d'autres éléments qui détermineront le résultat: la capacité de riposte et de protestation de la société catalane et espagnole, celle de l'évolution politique dans l'État espagnol et de ses répercussions en Europe.

Le Royaume d'Espagne, et sa justice dépendante du pouvoir exécutif, vont contre-attaquer, chercher de nouveaux arguments juridiques, imposer des interprétations juridiques, etc. parce que tous les partis du "régime de 78" (PP, PSOE et l' héritier: Ciudadanos) sont déterminés à écraser la rébellion catalane. Ceci n' est ni nouveau ni ne devrait étonner personne. C'est une constante qui doit être prise en compte de manière permanente. Après le référendum du 1er octobre et les grèves et manifestations du 3 octobre, ils ont pris conscience que le processus d'autodétermination, même avec ses nombreux problèmes, hésitations et erreurs, était sérieux, que la République était possible, et tous les pouvoirs de l' Etat, à commencer par le Roi, en ont pris bonne note. Il convient que, dans l' autre camp, on en soit également très conscient.

D'où vient la violence?

Ce qui a défini le contenu de la campagne médiatique contre la rébellion catalane a été l'accusation des juges qu'un processus violent s'est développé qui s'est matérialisé dans les crimes de sédition et de rébellion. La question fondamentale est, sans aucun doute, de tenter de discréditer la mobilisation massive et pacifique développée durant ces dernières années. C'est une vieille manœuvre répétée, pas toujours avec succès, dans différents moments historiques.

Il y a aussi un autre élément important. L' Etat considère que la seule légitimité sur la violence c'est à lui qu'elle appartient et à partir de là, la répression du référendum du 1er octobre lui semble normale, ainsi que les centaines de personnes poursuivies pour avoir participé à des actes de protestation. Ce régime a également démontré qu'il accusera de violence ceux qui se battent simplement pour défendre et exiger des droits. Par la peur, ils veulent démobiliser, avec la démobilisation ils veulent imposer la punition à ceux qui ont osé exiger ce qui est le plus incompatible avec le régime 78: le droit à l'autodétermination. Ou faut-il rappeler l'interview de Juan Carlos, père de l' actuel 

Bourbon, roi d' Espagne en place, à une chaîne de télévision française?: "Quelques jours avant sa mort, Franco a pris ma main et a dit: Altesse, la seule chose que je demande c' est que vous préserviez l'unité de l'Espagne. Il ne m' a pas dit 'faites une chose ou une autre', non: l'unité de l'Espagne, le reste ... Si vous y pensez, cela signifie beaucoup de choses ".

Le "a por ellos", (achevons-les!) est maintenant concrétisé, entre autres étapes, par le " a por los CDR" (sus les CDR!). Les CDR (Comités de Défense de la République) sont des organismes unitaires, ouverts à ceux qui veulent participer,  issus de la préparation du référendum du 1er octobre et développés après la tentative ratée de proclamation de la République Catalane le 27 octobre. Ce sont des organismes répartis dans toute la Catalogne, très actifs pour l'organisation d'actions exigeant la libération des prisonniers,et qui discutent aussi et réfléchissent également sur les problèmes constituants d'une future république.

La coupure de certaines routes, la levée de certains péages d' autoroutes et des charges des Mossos ( force de police propre à l' "Autonomie") ont permis de relancer la campagne médiatique accusant les CDR d'organiser un nouveau kale-borroka (agitations de rue organisées au Pays Basque par les jeunesses nationalistes radicales basques). Ceci est bien loin de la réalité. Les actions des CDR sont généralement massives, convoquées et organisées publiquement et de résistance passive; généralement quand il y a des incidents ceux ci sont généralement causés par l'intervention de la police, du fait que qui a la légitimité de la violence c' est l'État et ses forces de sécurité.C'est là que l'on trouve l'origine de la violence. De la même manière que le tribunal allemand a rejeté l'accusation de rébellion contre Puigdemont, entre autres choses parce qu'il n' y a pas eu de violence dans la rébellion catalane, il faudra démonter les campagnes médiatiques qui tentent d'identifier les actions pour la liberté des prisonniers avec le " kale borroka" . Les CDR l'ont dit très clairement: nous utilisons des méthodes traditionnelles comme celles des grèves ouvrières, mais notre lutte est non-violente.

Quel gouvernement ?

Plus de trois mois se sont écoulés depuis les élections et le Parlement n'a pas élu de président pour le gouvernement de Catalogne. Il ne fait aucun doute que la responsabilité principale est entre les mains des juges qui ont empêché Puigdemont d'être élu, puis ne l' ont pas permis à Jordi Sánchez (autre candidat en remplacement), et Jordi Turull a été emprisonné pour éviter sa possible élection. La maxime des partisans de Rajoy et de l'article 155 est, qu' il faudra choisir un président qui leur plaira à eux.

Pendant ces mois il a été possible de vérifier l'inefficacité politique et la volonté ultranationaliste espagnole de "Ciudadanos"  et de sa leader Inés Arrimadas. Ils ont été la première force en votes, mais sans soutien social et en nombre insuffisant de parlementaires pour former un gouvernement et ils ont été incapables de produire une idée ou une proposition pour sortir de la situation. Il est évident qu 'ils préfèrent  la démagogie plutôt qu'un programme gouvernemental ou des propositions politiques. Leur unique «politique» consiste en ce que tout est de la faute du mouvement indépendantiste et de "l'illégalité" permanente que suppose réclamer le droit à l'autodétermination.

  Du côté de la coalition "Catalogne en Comú" qui inclut des partisans de la mairesse de Barcelone et de Podem (branche catalane de "Podemos"), il a été proposé un gouvernement transversal d'indépendants présidé par quelqu'un de progressiste. La proposition de Xavier Domènech (son représentant) pose comme objectif celui de récupérer les institutions, d' abroger l'article 155, de libérer les prisonniers politiques et d'établir des mesures sociales d'urgence. Pour le moment, il ne semble pas avoir eu beaucoup d'écho, puisque cette proposition stipule que le Président ne peut pas appartenir à "Junts per Catalunya" (la deuxième force politique au Parlement et la première force indépendantiste) et devrait inclure les socialistes, qui continuent à soutenir l' application de l' article 155 et à accepter la répression contre les emprisonnés et les exilés. Une quadrature du cercle difficile à réaliser ou une véritable démonstration d'impuissance quand on veut nager entre deux eaux très puissantes: celle de la répression du "régime de  78" et celle de la volonté de briser et d'affronter ce régime. Avec des faits, et pas avec des déclarations. C'est une proposition qui continue à placer le débat uniquement comme un problème de gauche ou de droite, sans donner suffisamment d'importance à la situation d' émergence démocratique et au poids des exigences nationales dans l' ensemble de la population. Comme si les problèmes sociaux étaient d'un côté et les problèmes nationaux de l'autre.

Cependant, malgré tous les obstacles imposés par les juges, la majorité parlementaire indépendantiste ne parvient pas à obtenir un consensus suffisant pour former un gouvernement et, de plus, n'arrive même pas à définir les contenus de son programme de gouvernement. Le résultat est une paralysie politique qui dure et qui, bien que personne ne semble le vouloir, pourrait aboutir à de nouvelles élections au mois de juillet.

Plusieurs débats sont en cours. L'un est de savoir s'il serait suffisant de récupérer les institutions catalanes, avec le doute de savoir s'il sera possible de revenir à la situation antérieure à l' application de l' artcile 155, ou si le gouvernement devrait se situer sur la base de construire la République, sans savoir très bien en quoi cela consisterait concrètement. L'autre débat est celui des politiques sociales du gouvernement. Parmi les forces indépendantistes coexistent les positions néo-libérales de personnes provenant de l'ancienne "Convergence" et les positions anticapitalistes de la CUP. Une coexistence difficile. De la part de "Junts per Catalunya" et de ERC, on ne voit pas quelles politiques sociales et économiques ils pourraient promouvoir et, cependant, cette semaine ils ont décidé de retirer de l'approbation parlementaire le recouvrement d'une partie de la rémunération supplémentaire due aux employés publics. Mauvaise décision s'il s'agit d'élargir la base sociale favorable à l' exercice du droit à l'autodétermination.

C'est vrai: la situation complexe n'a pas de solution facile. Il faudrait une majorité aussi large que possible pour répondre aux demandes soulevées les 1er et 3 octobre derniers, pour avancer vers la République avec des mesures sociales d'urgence. Une issue républicaine, avec les médiations et le soutien social nécessaire est la possibilité de sortir de la paralysie. Le contraire c' est la continuité, d'une manière ou d'une autre, du 155 ou d'une autonomie sous "intervention". Il ne s'agit pas d'opposer les mesures sociales aux mesures nationales.Nous l'avons écrit à plus d'une occasion:

"Une erreur grave est d'opposer "le social" au "national", pour le dire en quelques mots. Comme si les classes populaires ne devaient avoir en tête que les aspects parfois trop rapidement associés uniquement à la politique sociale: salaires, santé, éducation, protection sociale ... Le "national" serait un problème qui «détourne» de l' essentiel ou de la seule chose qui devrait inquiéter les classes populaires, le" social". Comme s'il y avait des espaces sociaux qui dans le capitalisme contemporain échappaient à la lutte des classes. L'indifférence, l'incompréhension ou, pire encore, l'hostilité aux demandes démocratiques d'autodétermination nationale se transforment en un appui direct, indirect, explicite ou implicite aux classes dirigeantes de la nation dominante".

Le 15 avril

Pour la journée qui suit celle du 87e anniversaire de la Deuxième République, une manifestation organisée par l'entité Democràcia i Convivència a été convoquée à Barcelone, réunissant les syndicats ouvriers, l'ANC et Omnium et de nombreuses associations, partis et entités [1] . C'est un appel large et transversal visant à exiger la libération des prisonniers politiques. Ce sera l'occasion de manifester le sentiment majoritaire de protestation contre la politique répressive de l'État espagnol et de calibrer les possibilités de confluence des différentes sensibilités et positions politiques qui permettent de rassembler les efforts pour sortir du blocage actuel, en commençant par libérer les prisonniers et abroger l'article 155. Des revendications qui commencent à avoir un certain écho solidaire dans d'autres parties de l'État. Aux manifestations déjà massives au Pays basque ou en Galice, il faut ajouter la manifestation méritoire à Madrid le 7 avril dernier et la solidarité de ceux de Murcie qui subissent la répression dans leur lutte contre l'AVE.


[1] La force motrice de l' Espai Democràcia i Convivència est formée par les entités et organisations suivantes: Association des Acteurs et Directeurs Professionnels de Catalogne (AADPC), Assemblée Nationale Catalane (ANC), Conseil National de la Jeunesse de Catalogne (CNJC), CCOO de Catalunya, Confédération des Associations de Voisins de Catalogne (CONFAVC), Lafede.cat-Organisations pour la justice mondiale, Omnium Culturel, Union de Federatióon Sportives de Catalunya (UFEC), Union de Paysans et UGT de Catalunya.

Daniel Raventós

Il est le rédacteur en chef de "Sin Permiso", président de "Red Renta Básica" et professeur à la Faculté d'économie et des affaires de l'Université de Barcelone. Il est membre du comité scientifique d'ATTAC. Ses derniers livres sont, en collaboration avec Jordi Arcarons et Lluís Torrens, « Un revenu de Base inconditionnel Une proposition pour un financement rationnel et équitable» (Serbal, 2017) et, en collaboration avec Julie Wark, «Against Charity» (Counterpunch, 2018).

Miguel Salas

Syndicaliste Il est membre du comité de rédaction de "Sin Permiso".

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