Patricio Paris (avatar)

Patricio Paris

Indoaméricano

Abonné·e de Mediapart

308 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 avril 2011

Patricio Paris (avatar)

Patricio Paris

Indoaméricano

Abonné·e de Mediapart

Le leader mapuche Héctor Llaitul écrit depuis la prison de Cañete, Chili.

Patricio Paris (avatar)

Patricio Paris

Indoaméricano

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Comment nous interprétons cette condamnation »

Héctor Llaitul

Source: Punto Final

Traduction faite par le Collectif de Soutien au Peuple Mapuche France

Pour prolonger : WichanInfosAlDia

Tout d’abord, un bref rappel de l’histoire,essentiel pour pouvoir comprendre le conflit historique que nous vivons entrele Peuple-Nation mapuche et l’État chilien.
Lorsqu’arrivèrent les Espagnols, le territoireancestral mapuche était d’environ 30 millions d’hectares. Il s’étendait de lazone centrale de ce qui est aujourd’hui le Chili à la Patagonie au Sud et duPacifique à l’Ouest, atteignait presque l’Atlantique à l’Est. C’est sur cesterritoires que furent postérieurement constituées les républiques du Chili etd’Argentine.
À partir de 1542, avec la fondation de villes et deforts, les Espagnols commencent à occuper militairement le territoire mapuche,situation qui généra une forte résistance de la part d’un peuple mapuche trèsuni. C’est dans ce contexte que surgirent les grands leaders que furentCalfulikam, Peleftraru, Lientur et Leftraru, notre grand chef mapuche.
Durant toute cette période de résistance, notrepeuple ne fut jamais mis en déroute. La Couronne espagnole alla jusqu’à reconnaîtrel’indépendance de la Nationmapuche, laquelle fut établie via divers traités appelés« Parlements », dont le plus important est celui de Quilín, signé en1641, qui reconnait officiellement le fleuve Bío Bío comme frontière entre les2 souverainetés. Ceci fut réaffirmé dans le Parlement de Negrete de 1803, dansle contexte des prémices de la création de la République duChili ; l’indépendance de la Nation mapuche étant reconnue jusqu’à l’année 1881 sur uneterritorialité d’environ 10 millions d’hectares.
Plus tard, et c’est une constante dans une grandepartie de l’Amérique latine, une fois que se consolident les États-nations, lesterritoires des peuples originaires sont occupés progressivement, occupationentraînant inévitablement des guerres d’extermination. Cette situations’explique par l’expansion du capitalisme primaire dans la région qui obligeles nouvelles républiques à consolider leurs structures indépendantistes parune conception économique de la non-dépendance. Ceci explique en grande partiepourquoi les républiques du Chili et d’Argentine définirent et menèrent à bienune occupation militaire exterminatrice de l’Araucanie, qui en définitiveculmina avec la déroute militaire de notre peuple vers 1881-1883, qui futspolié de son territoire ancestral, duquel lui restèrent environ 500 millehectares.
Nous sommes un peuple occupé

Notre Peuple-Nation est un peuplevivant en territoire occupé, dominé par et dépendant de l’État chilien jusqu’àl’heure actuelle, spolié de son territoire et qui, malgré tout, se maintient,survit et résiste sur ces quelques 5OO mille hectares. L’histoire et leschiffres parlent d’eux-mêmes et justifient pleinement les revendications deterritoire et d’autonomie pour la Nation mapuche.


Durant les dernières décennies et de façon accruedans l’actualité récente, notre peuple continue à résister malgré lesdifficultés. Soulignons l’exode massif des communautés, fruit de la pauvretéassociée au manque de terres et à la perte d’identité. La survie descommunautés se fait dans la dignité, malgré le fait de devoir vivre confinéesdans une portion de leur territoire originel et d’être de façon permanentemenacées des assauts conduits par les intérêts d’un état capitaliste qui, parses politiques de domination territoriale, a uniquement pu apporter pauvreté,misère, exclusion et extermination à petit feu.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’État chilien,tout en favorisant l’oligarchie créole, n’a jamais cessé d’appliquer despolitiques de type colonialiste qui ont pour objectif de soutenir l’étatd’oppression, permettant seulement une intégration forcée. Ainsi s’explique quedepuis presque un siècle, les réponses données aux demandes mapuche soient despolitiques de court-terme, d’assistanat et jamais des solutions de fond quipermettraient au moins de rendre viable la reconstruction territoriale etpolitique de notre peuple.
Le capitalismeprédateur

À l’heure actuelle, l’État chilienest par définition capitaliste puisqu’il a assumé et assume à outrance lemodèle économique néolibéral qui se nourrit d’activités productives consistanten l’exploitation non réfléchie des ressources comme cela se passe dans lessecteurs agricole, minier, halieutique et forestier. Dans le cas spécifique dusecteur forestier et son développement asservissant dans le sud du Chili, noustrouvons beaucoup des raisons de fond au conflit entre notre peuple et l’Étatchilien. En effet, ce sont les politiques d’État qui ont toujours bénéficié àl’oligarchie créole maintenant transnationale exprimée par les puissantsgroupes économiques qui continuent à diriger l’exploitation de notre territoireancestral, entraînant de graves conséquences pour notre peuple. L’usurpationterritoriale n’a pas cessé. Sous la dictature puis avec la Concertation, ellecontinua de manière toujours violente, ravissant ainsi une bonne partie desterres mapuche qui étaient toujours aux mains de notre peuple.
Ce qui s’appelle aujourd’hui Araucanie est maintenantcontrôlé par les grands groupes économiques qui non seulement exploitent demanière indiscriminée notre territoire ancestral et ses ressources, mais quirègnent aussi en maîtres absolus sur notre peuple ainsi que sur les Chiliensles moins nantis.
Disons-le clairement : derrière le conflitmapuche se trouvent le groupe Angelini, propriétaire de la Forestière Arauco,les Matte, propriétaires de CMPC et Mininco, le groupe Mitsubishi, EndesaChili, Shell, les latifundistes associés en SNA et plus récemment des groupesd’investissements miniers comme Santa Barbara et Farkas.
LePeuple-Nation Mapuche

La réalité que nous venons deretracer brièvement a conduit notre peuple à reprendre en force le processus derésistance dans le milieu des années 90. C’est dans ce contexte que surgit la Coordination deCommunautés en Conflit Arauco-Malleco (CAM), organisation territoriale mapuchequi, à ses débuts, proposait de recomposer le Butalmapu historique dans la zoneen question. Avec la CAM,nous allons connaître une expression plus avancée de la lutte mapuche. Eneffet, la CAMpropose résolument la reconstruction du Peuple-Nation Mapuche et, ce quiconstituerait un saut qualitatif plus important, la définition d’un grandprocessus de libération nationale mapuche, sujets qui mettent bien sûr enalerte le système de capital créole et transnational. Il s’agit dudéveloppement stratégique et de la pratique politique en découlant, passant parl’incitation au contrôle territorial mapuche dans les zones de conflit,principalement via un processus de récupération des terres à caractèreproductif et la défense de ce territoire. C’est bien un saut qualitatif dans lalutte mapuche, la rendant encore plus anticapitaliste et anti oligarchique,incluse dans un plan anticolonial d’autonomie définitive.


Pour faciliter la compréhension du sujet, il estnécessaire de préciser que la stratégie de la CAM se matérialise à travers deux élémentsimportants. D’un côté la résistance mapuche, définie parallèlement auxcaractéristiques du système capitaliste qui agit sur notre territoire ancestralvia les accords d’investissement destructeur qui lui sont associés. Il paraîtclair que le fait pour les communautés de ne pas lutter ni résister à cesystème signifierait pour nombre d’entre-elles leur extinction pure et simple.La résistance mapuche doit être comprise de manière large, intégrale. La massemapuche y participe majoritairement. Ses objectifs centraux sont la défense dela culture et la possibilité de formes de vie plus dignes au sein descommunautés. D’autre part, la reconstruction du Peuple-Nation Mapuche, audépart d’un projet de réarticulation des communautés et du développement, pas àpas, d’un contrôle territorial et politique mapuche qui permette derepositionner avec force tous les aspects qui nous sont propres en tant queMapuche. De ces éléments fondamentaux, nous pourrions tirer les conditions pourla création des bases nécessaires à une proposition de libération nationale etqui justifient toutes les actions menées à bien par les communautés et par lesmilitants des plus compromis dans la lutte, les weichafe. Ces éléments permettraient de développer une penséedoctrinaire, idéologique et politique mapuche pour la libération de leurpeuple.

La contre-insurrection en Araucanie

C’est cette approche, et sa pratique concrète, qui alerte le pouvoir dedomination, tant au niveau régional qu’au niveau central, obligeant l’Étatchilien à développer des stratégies répressives dans le cadre de lacontre-insurrection classique qui a été à l’oeuvre au Chili pour freiner lesjustes luttes des opprimés en général et celle de notre peuple, en particulier.

Pour parvenir à la stabilité politico-sociale nécessaire et assurer ainsi lefonctionnement de l’économie capitaliste qui se développe à partir du contrôleterritorial de l’État dans le Wallmapuche, le pouvoir de domination s’est vudans l’obligation de développer une politique de répression et de persécution àl’encontre des communautés mapuche en conflit et contre les secteurs les plusengagés et les plus conséquents dans la lutte. L’État chilien a clairementassumé les éléments centraux de la contre-insurrection pour faire face à lalutte mapuche, avec, pour objectif central de sa politique répressive, la CAM ainsi que les communautésles plus combatives et autonomes du mouvement mapuche. Cette politiquerépressive de l’Etat présente deux grands axes : d’un côté on observe lesforces de police qui apportent leur protection directe aux intérêtscapitalistes dans la zone, principalement aux entreprises forestières, ce qui asignifié la militarisation radicale des zones en conflit, avec l’installationde plusieurs campements à l’intérieur des bâtiments forestiers et la protectiondes équipes de production et de leur transport de bois, ce qui inclut parailleurs des postes de contrôle fixes, des rondes et des incursions dans lescommunautés, ainsi qu’un important travail de renseignement et d’infiltrationpolicière. De l’autre côté se trouvent les lignes de répression directe, quisignifient les perquisitions, assassinats de militants mapuche, persécution etemprisonnement des dirigeants les plus actifs et les plus engagés. Une questionfondamentale dans cette stratégie répressive a été la manipulationmédiatique,qui s’est exercéedernièrement à travers de véritables campagnes contre la cause mapuche, avec lesoutien des moyens de communication au service de la droite économique etpolitique de ce pays, situation qui s’est encore aggravée avec l’actuelgouvernement de droite. C’est dans ce contexte socio-politique que l’on assisteà la réémergence du terrorisme d’État en territoire mapuche, lequel s’exprimeconcrètement par la militarisation, les perquisitions incessantes,l’encerclement policier des communautés mobilisées et la présence de groupesparamilitaires de droite qui, telles des milices patronales, agissent en touteimpunité pour protéger les intérêts des latifundistes et des entreprises.

Manipulation médiatique

La manipulation des moyens de communication a volontairement déformé lesfaits, tactique essentiellepour lesgroupes de pouvoir, leur objectif étant de réduire la lutte mapuche à des actesdélictuels et terroristes pour pouvoir ainsi persécuter et réprimer tousazimuts. Dans ce contexte, l’Etat a misé sur la poursuite d’une politique decriminalisation de la cause mapuche, ce qui s’est traduit ces derniers tempspar une série d’incarcérations de comuneros et de dirigeants de la causemapuche, surtout de ceux qui incarnent avec le plus de force les positionsidéologiques et politiques de la résistance et de la libération. Mais il estévident que derrière ces politiques répressives se cache le grand patronatnational et transnational, ceux qui sont les vrais pourvoyeurs de la violenceofficielle contre les Mapuche et les ultimes responsables de l’utilisation del’État et de ses institutions pour réprimer et persécuter la juste lutte duPeuple-Nation mapuche. La criminalisation des revendications mapuche s’expliquepar elle-même dans l’application d’une législation aberrante comme la Loi Antiterroristeet de Sécurité Intérieure de l’État, ainsi que la justice militaire qui permetl’impunité de ses membres. L’application intentionnelle de ces aberrationsjuridiques a pour objectif concret de rechercher arbitrairement descondamnations, étant entendu que tous les jugements sont politiques, qu’ils ontpour but la persécution de nos idées et projets, et aboutissent à des procèsjudiciaires iniques, des procédures irrégulières et l’impossibilité dejugements impartiaux.

Terrorisme d’État

La Loi Antiterroriste incluant le recours aux témoins sans visage,la double poursuite, les irrégularités de procédure, les complicités grotesquesdans le jugement suite aux montages politico-policiers soutenus par desprocureurs anti-mapuche, tout cela vise à envoyer en prison les weichafe de notre peuple les plusengagés. Voilà comment il faut comprendre notre situation actuelle. Noussubissons une persécution politique, nous avons été faits prisonniers etpoursuivis en justice alors qu’il manquait tous les éléments pour donnersubstance aux aspects juridiques, nous avons été condamnés politiquement par untribunal sous la pression des intérêts de l’entreprise, la condamnation étaitdéjà un secret de Polichinelle avant le jugement, et la presse fasciste (El Mercurio) hurlait même déjà unverdict. C’est-à-dire que la résolution judiciaire est apparue plus encorecomme faisant partie de la définition du pouvoir politique central.

Les raisons de cette condamnation (20 et 25 ans de prison), il faut leschercher dans la réalité décrite, et même au-delà, en comprenant que noussommes dans un contexte socio-politique de droite, un scénario qui permet untype d’injustices plus grand encore, non seulement pour notre peuple mais aussipour tous ceux qui se battent pour leurs droits.

La condamnation est essentiellement politique, à cause de notre appartenanceà la CAM, parceque nous sommes des dirigeants mapuche et que nous sommes engagés avec forcedans la lutte de notre peuple. C’est une condamnation de notre positionautonomiste, de nos idées, qui sont aussi celles des milliers de pu peñi ka pu lamnien de notre peuple.C’est la vérité : nous n’avons pas bénéficié d’un jugement juste, notrecondamnation a été fondée essentiellement sur les témoignages d’un témoinsecret ou sans visage, il n’y a eu aucune preuve ni scientifique, ni d’aucunesorte, le Ministère Public n’a pu montrer aucune cohérence dans les faits, iln’y a pas eu de relation logique entre eux et rien qui prouve une seuleparticipation à ceux-ci.

La condamnation a été politique parce que nous appartenons et sommesprésents dans les actions de récupération territoriale et politique descommunautés dans la région de Lleu Lleu. La condamnation fait partie d’unestratégie majeure de répression du mouvement mapuche actif à Lleu Lleu, afin depermettre les investissements forestiers et miniers dans cette zone.

La condamnation prétend mettre un frein au projet que nous incarnons, depuisla défense de notre dignité jusqu’à la lutte pour la culture et l’identiténationale mapuche, bases fondamentales pour rêver et conquérir notre liberté àlaquelle nous aspirons tant : la Libération NationaleMapuche.

Pour le Territoire et l’Autonomie dela Nation Mapuche

Weuwain - Marrichiweu

Petu mongolein, Petu mapucheñelein

HéctorLLAITUL CARRILLANCA

Combattant dela Nation Mapuche

PPM (Prisonnier Politique Mapuche)

18 jours de grève de la faim.

(Traduction Collectif de Soutien auPeuple Mapuche)

Note: A la date où paraît cetteédition de Punto Final, Héctor Llaitul, Ramón Llanquileo, José Huenuche yJonathan Huillical –condamnés à 25 ans de prison pour le premier et à 20 anspour les trois autres- ont accompli une grève de la faim de 30 jours à laprison d’Angol.

Traductionfaite par le Collectif de Soutien au Peuple Mapuche France

Pour prolonger : WichanInfosAlDia

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.