« Ce soir, le chauffeur de taxi qui me ramenait chez moi a regardé le ciel et m'a dit Gare, il pleuvra demain. Je lui ai demandé le pourquoi de sa science. Il m'a répondu : je suis Portugais. On sait dans mon pays que mai est fou. Place du Trocadéro, je suis allé sur la terrasse, la tour Montparnasse renvoyait sur Paris les feux du soleil couchant. Pas un nuage, pas un signe. J'ai rêvé un moment à ceux des mois de mai de ma propre vie dont j'ai gardé le souvenir. Aucun qui n'eût sa déchirure. La drôle de guerre, qui, un10 mai, cessa de rire. La mort de mon père, un 5 mai. Longue à venir; la nuit l'avait emporté juste avant les premières blancheurs du jour. Un 28 mai, à Courville, sur la route de Chartres, l'ami qui s'endort et la voiture, à 100 à l'heure, qui s'enroule autour d'un tilleul. Laissons de côté la politique et sa boulimie de 13 mai. Il y a aussi les splendeurs, les joies aigues, les bonheurs à la mode de mai. On a le nez dans l'herbe et on respire la vie qui monte de la terre. Les tulipes s'ouvrent à périr, tandis que les iris tirent encore fierté des giboulées d'avril. Les giroflées, qui ont pris racine entre deux pierres du mur, plaident pour l'existence de Dieu mieux qu'on ne le fait à Notre-Dame. Le mai de Rome et le mai d'Amsterdam mêlent leurs ocres rouges. Il n'y a pas que les vaisseaux sur ces canaux à se sentir d'humeur vagabonde. La ville est une mer avec ses îles et ses ressacs. Une Volkswagen au port et nous voilà Christophe Colomb.
Le titre du dernie livre d'Irma Lavin me donne le mot que je cherchais. Si mai est fou, c'est de vivre. Un bonheur insoutenable. »
(François Mitterrand, La paille et le grain, Flammarion 1975)