Dans le journal Fakir dont je vous recommande l'abonnement, François Ruffin consacre un long article à l'histoire fiscale récente et surtout à son évolution concernant la valeur, l'utilité de l'impôt, stigmatisant ce qu'il appelle "l'impophobie". Alors que Sarkozy lors de ses voeux nous a confirmé son intention de "réformer" la fiscalité en 2011, se rafraichir la mémoire, comme le souhaite Ruffin, ne peut pas faire de mal.
J'ai prolongé son texte de réflexions personnelles.
par François Ruffin dans Fakir
« Le déficit, c’est de votre faute ! A cause de vos maternités, vos services publics ! » Voilà le discours que nous tenait, en substance, Nicolas Sarkozy lors de ses vœux 2011. C’est le contraire : « Le déficit, c’est de sa faute ! » Et de leur faute. Fakir consacre son dernier dossier à ça, à « Comment ils ont ruiné la France ». Pas vraiment en augmentant les dépenses. Surtout en diminuant ses recettes. Depuis les années 80, la décennie de « l’impophobie ».
Du «faire payer les riches» de 1981 au «trop d’impôt, pas d’impôt» de 1984: jusque-là, c’était (presque) la droite qui, fiscalement, penchait un peu à gauche. Mais au milieu des années 80, voilà la gauche qui vire à droite. En trois ans, à peine, l’histoire des idées fiscales a basculé. Sous quelles forces ?
«Je crois que la justice et le rééquilibrage de la société passe par une fiscalité qui frappe assez lourdement les très grosses fortunes.»
Qui déclarait ça, à l’automne 1976 ? Un dirigeant de la CGT ? Ou du Parti Socialiste ? Non, c’était Michel Poniatowski, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Barre, et pas franchement gauchiste.
C’est que, dans les années 70, les impôts progressifs ont le vent en poupe. En France, les hauts revenus sont imposés jusqu’à 63 %. Et l’histoire semble pousser dans ce sens : Valéry Giscard d’Estaing décide de taxer les plus-values. La gauche milite pour une imposition, sévère, des patrimoines. Le directeur de L’Express, Jean-Jacques Servan Schreiber considère «comme un objectif de première importance, sinon même le premier de tous, l'abolition de la transmission héréditaire de la propriété des moyens de production.»
C’est le Progrès – autant technologique que démocratique – qui voudrait ça, songe-t-on alors : que le mérite l’emporte sur la filiation. Que les mesures fiscales servent la justice sociale.
Animé par ce souffle, en 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy se met à l’ouvrage, avec un «prélèvement exceptionnel sur les bénéfices des entreprises», «sur les banques», «sur les sociétés d’intérim», un alourdissement «des droits de succession», «des taxes sur les bateaux de plaisance», «de la TVA sur la catégorie 4 étoiles de luxe», un relèvement de 63 à 65 % de «la tranche
Aucun article aperçu en ce sens dans les archives.
Mais voilà que, sous Margaret Thatcher, la Grande-Bretagne fait sa mue libérale, et qu’il faut soudain nous comparer : «Par rapport à nos 45,5% de prélèvements obligatoires, relève Patrick de Fréminet, directeur de la banque Paribas dans Le Monde, le Royaume-Uni est à 38,5%, soit 15,38% en dessous de nous ; les Etats-Unis à 29 %, soit 36,26 % en dessous.»
De ces comparaisons internationales, l’auteur tire une règle générale : «il nous faut nous rapprocher de nos partenaires», et pour cela, évidemment, c’est le titre de sa tribune : «Diminuer les impôts et les taxes ».
Sans quoi, «cela ne peut qu’affecter la compétitivité de nos entreprises» (3/03/87).
On connaît ce refrain par cœur, depuis. Il est inauguré alors.
Ces comparaisons internationales ne naissent pas par hasard, mais aussi d’une concurrence – sociale, fiscale – qui se renforce d’un round du GATT à l’autre, après la signature de l’Acte Unique Européen, avec des économies désormais ouvertes. Vingt-cinq ans plus tard, cette donnée centrale, la libre circulation des biens, n’a pas changé – et la donne non plus. Qu’on impose les industries pour la taxe carbone, au même titre que les particuliers, et Christine Lagarde prévient : «J’ai le souci de la compétitivité de ces entreprises et il n’est pas question de taxer à tout-va» (Les Echos, 5/01/10).
La victoire dans les têtes disposait ainsi d’un fondement matériel, bien réel."
Avec toute cette doxa ultra-libérale qui nous venait de l’école de Chicago et dont la mise en pratique fut si brutale, on en était venu à oublier que la fonction des impôts est , en France, d’abord et avant tout, re-distributrice. Qu’elle fonctionne comme une pompe aspirante et refoulante et permet d’alimenter au mieux la consommation de masse sur laquelle repose un des piliers de notre croissance économique.
Arrivé au bout de cette logique mortifère de la diminution d’impôts à tous prix, face aux difficultés à alimenter notre budget national, ne restent à l’UMP et Sarkozy que deux solutions:
- diminuer les dépenses sous couvert de rationalisations,
- transférer les charges en n’accompagnant ce transfert que d‘une fraction des crédits correspondants.
Là s’arrête la réflexion économique de l’UMP triomphante qui se cache derrière les conseils du Boston Consulting Group qui, avant les élections de 2007, avait travaillé sur le programme UMP et celui de Sarkozy.
Ce consultant américain, arrivé à Londres en 1970 et installé à Paris en 1972 a élaborer le socle de la réflexion umpiste en appliquant à la gestion d’un Etat, une matrice réalisée pour la gestion d’entreprises dans un monde concurrentiel et visant une meilleure allocation des ressources disponibles en fonction de la rentabilité attendue des diverses activités toutes réparties sous quatre rubriques:
- stars
- vaches à lait
- dilemmes
- poids morts.
D’entrée de jeu, le cœur même de cette fameuse matrice s’inscrit en faux dans la logique visant à privilégier l’intérêt général.
Les "poids morts" et les "dilemmes" sont petit à petit privés de ressources au bénéfice des "stars", dés lors que les" vaches à lait" se révèlent insuffisantes.
Le profit devient l’élément déterminant de l’action publique où son corollaire est la réduction des coûts des politiques publiques. La prise en compte des besoins essentiels des publics concernés n’a aucune place dans ces choix quelques soient les prix individuels ou sociaux engendrés. Les seules exceptions constatées relèvent d’une volonté démagogique quand, par exemple, pour faire croire à une mise au pas des cheminots, l’Etat réforme un dispositif de retraite qui finalement lui coûtera plus cher à a collectivité.
Mais « Paris vaut bien une messe » et sur la base de cette expérience, la voie sera libre pour des réformes conformes à la matrice et plus rentables ( Education, formation des maîtres Justice, Hopitaux publics etc..)
La question n’est pas de contester à l’Etat son droit à rationaliser son action, à rechercher des économies de gestion. Plus simplement, elle est de se demander quel est l’horizon vers lequel on nous pousse au-delà des slogans qui ne servent qu’à cacher le but réel des actions engagées; et si les baisses d’impôts directs et les économies réalisées ne sont pas les pavés d’une route qui nous conduit inéluctablement vers des situations sociales identiques à celles qui avaient cours au debut du siècle dernier.