Lu pour vous un courrier de lecteur du Monde
Une cause plausible de l'hostilité à la réforme gouvernementale des retraites
par JACQUES MANIEZ, retraité
L’ampleur des manifestations d’hostilité à la réforme gouvernementale des retraites appelle à s’interroger sur les motivations diverses de ce phénomène social. Parmi les causes plausibles à la racine de ce sentiment diffus d’injustice je me hasarde à proposer l’inégalité de traitement entre les actifs et les retraités.
Un système par répartition présuppose une société assez stable pour équilibrer les cotisations des uns et les retraites des autres. L’accroissement continu de la durée de vie rompt cet équilibre et l’allongement corrélatif du temps d’activité est mathématiquement correct. En est-il de même au regard de la justice intergénérationnelle ? La progression de la longévité favorisée par l’excellence des soins est une aubaine coûteuse dont profite notre société dans son ensemble, mais spécialement la catégorie des retraités.
Or l’effort demandé par cette réforme s’adresse essentiellement aux actifs. Non seulement le nombre d’années de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein a été augmenté, ce qui est logique, mais la loi Worth prévoit l’interdiction de bénéficier de sa retraite avant soixante-deux ans, afin de réaliser des économies substantielles : deux ans au cours desquels les actifs continueront à cotiser sans bénéficier de leur pension. C’est sur ces deux années, on le sait, que se concentre le sentiment d’injustice. Car les retraités actuels sont non seulement épargnés, mais protégés par la loi Worth. En effet le maintien du niveau des retraites est un des principes fondateurs de la loi et est présenté comme un droit imprescriptible. Le poids de l’électorat du 3e âge dans la majorité actuelle n’est sans doute pas étranger à ce choix de société. Mais l’opposition elle aussi ne peut guère se hasarder à professer une hypothèse de travail aussi impopulaire. C’est pourquoi ce sujet est passé sous silence dans le débat actuel.
Et pourtant, une légère baisse du niveau des pensions confortables serait aussi un moyen de réaliser des économies importantes, et de rétablir une communauté des efforts entre les générations. Je connais des retraités qui seraient prêts à apporter ce type de contribution à l’équité sociale, à condition qu’elle s’inscrive dans un projet solidaire et équilibré. Les théoriciens et les observateurs de nos mœurs politiques n’auraient-ils pas intérêt à explorer cette piste de réflexion et à imaginer des solutions élégantes ? En compensation, il deviendrait possible de faire sauter le verrou insupportable des 62 ans au profit d’une solution plus souple. De ce point de vue la solution proposée par le PS, vilipendée par la droite, me semble raisonnable : retraite possible dès soixante ans, mais avec décote. Chacun pourrait en fonction de sa situation personnelle soit continuer à travailler et cotiser, soit partir avec une retraite moins importante.
Si cet aspect négligé du débat sur la réforme des retraites mérite quelque attention, nous serions bien inspirés de comprendre qu’à trop charger la barque des actifs on risque des accidents de navigation, et qu’en période de crise les efforts doivent être répartis équitablement entre les générations.
P.-S. J’ai pris ma retraite à soixante-deux ans et je bénéficie depuis vingt-cinq ans d'une pension à taux plein
Qu'en pensent les retraités médiapartiens ?