Dès la fin juin de cette année là, en 69 donc, Cècile et moi convolions en justes noces et comme en pèlerinage, partions passer notre voyage de noces en Grande-Bretagne pour deux longs mois. A Manchester d’abord, où l’on assista bouche bée aux premiers pas de l’homme sur la lune, dans des vapeurs d’alcool et de marijuana, puis rejoints par un groupe d’amis, nous faisions route vers l’Ecosse pour en faire le tour d’Inverness à Glagow en passant par le Festival Tatoo d’Edinbourg, les falaises de John O’Groats, Thurso et Mey, le château de la Reine Mère d’où nous chassèrent des détectives que notre arrivée impromptue avait mis en émoi. Mais le but de notre périple était l’Ile de Skye, sur la côte Ouest, là où devait se tenir les Jeux traditionnels des Îles (Island Games) dont nous pensions pouvoir revendre un film documentaire à l’ORTF;
L’accès à Skye nécessitait de passer un bras de mer sur un petit bateau dont le pont pivotait pour permettre à deux véhicules d’y accéder . La barcasse était ridiculement petite, peinait pour lutter contre les forts courants et il fallait toute la science du capitaine pour nous amener à bon port.
Les jeux se déroulaient dans la capitale de l’île à Portree dans un décor de landes dominant la mer. Ils consistaient en des lancers de troncs d’arbres dégarnis de leurs branches et dont la tête devait se planter dans le sol avant que le tronc pivote du côté opposé au lanceur. Les compétiteurs avaient tous en commun d’être originaires d’une île quand bien même celle-ci était aux antipodes comme la New Zeland.
La caractéristique principale de ces jeux était que l’athlète faisait équipe avec un musicien dont la cornemuse accompagnait les efforts au son d’une marche typicaly scotish. Dans ces épreuves de force tout était bon à lancer, des arbres mais aussi des poids à lancer en hauteur ou des espèces de marteaux d’un autre âge à lancer le plus loin possible.
Bien sûr toutes les épreuves avaient lieu en kilt, tant pour les sportifs que pour les musiciens et l’on devinait que les tartans réglaient à cette occasion de vieux comptes.
A la fin des Jeux, les médailles furent remises à Dunvegan Castle, dans le plus vieux château d’Ecosse encore habité par les Mac Leod dont la dernière descendante, Lady Mac Leod, âgée de plus de quatre-vingt printemps, souhaitait à chaque vainqueur de pouvoir confirmer sa victoire l’année suivante afin qu’elle lui remette une nouvelle fois la médaille.. A ses côtés, un vieillard cacochyme se tenait aussi immobile que les armures médiévales qui montaient la garde dans la salle d’armes où étaient remis les prix. A l’évidence, il ne faisait pas bon se déclarer Anglais en cette compagnie lors des libations toutes portées à la gloire de l‘Ecosse et de ses ancêtres luttant contre l‘envahisseur comme avait su le faire les Mac Leod et les Mac Donalds..
On ne pouvait pas quitter cette île superbe sans visiter sa distilerie de Whisky, ce que nous fîmes par un bel après-midi, visite pendant laquelle aucun verre de Talisker ne nous fut servi mais dont nous étions ressortis totalement enivrés par les vapeurs d’alcool. Ce whisky est distilé avec de l’eau de tourbe, de la pity water, une eau si pure que nous ne pouvions nous rincer avec quand nous nous lavions dans le torrent proche de notre campement.
Adieu l’Ecosse et son Nessy, ses petits trains de montagne, ses landes, ses phoques avec lesquels nous nous baignions et son incomparable hospitalité dès lors que vous aviez fait savoir que vous étiez d’origine celte, donc cousins. Retour en France.
Cécile ayant accepté une nomination d’assistante de français dans un collège anglais à Tavistock cité de sir Francis Drake, nichée dans le Devon, je passais ma première année de mariage sans elle et m’organisais pour tous les mois et demi aller la rejoindre chez Phoebe, une vieille fille chez qui elle avait loué une chambre. C’était un vrai périple, une vraie course d’obstacles qu’il me fallait faire. Nantes - Dinard en voiture, puis sur Rousseau Aviation dans un vieux Dakota à hélices, Dinard-Jersey afin d’y attraper un vol pour Exeter sur Aurigny Air Service dont les avions de 6 places, des bi- moteurs Islanders, donnaient l’impression, au passager que j’étais, de prendre une leçon de pilotage car souvent il n’y avait à bord que le pilote et moi-même. Arrivé à Exeter, il me fallait louer une voiture anglaise pour parcourir les cents et quelques kilomètres qui me séparaient encore de ma femme.
Si ça, ce n’est pas de l’amour !
La maison où vivaient Cécile et Phoebe dominait la petite ville médiévale de Tavistock, grande bâtisse entourée d’un superbe jardin, elle gardait précieusement en son sein les reliques des parents de Phoebe. Sa mère pianiste de concert lui avait laissé un magnifique piano à queue qui trônait dans un salon -bibliothèque, et de son père Mr Brown, qui avait été le seul Premier Ministre Anglais libéral, elle avait gardé la collection complète des « Punch », journal satirique dont les premières éditions remontaient au siècle dernier.
La salle à manger y fut le lieu où j’appris à dresser la table à l’anglaise…et où, un verre de cherry à la main, Phoebe reprenait mon accent et mes expressions londoniennes pour tenter de m’inculquer une pratique de sa langue plus conforme aux canons du bon goût britannique…De cette période, je garde le souvenir d’avoir touché de près au savoir vivre de la gentry britannique, à ses petites manies, ses hobbies et cette ouverture vers le monde extérieur que nous, Français, avions perdu depuis longtemps. En fait, dans leur tête, de façon évidente, l’Empire Britannique subsistait, se perpétuait malgré une réalité contraire. Il suffisait d’assister à un match de cricket entre Anglais et Indiens ou Pakistanais pour comprendre que même les spectateurs vivaient sur une autre planète que la mienne.
Tous les personnages que j’y rencontrais étaient bizarres ou avaient des occupations peu banales.
Percy Peck, professeur d’histoire au collège, par exemple, était animé de plusieurs obsessions qui le rendaient inclassable.
Il habitait un ancien presbytère, « the old caverage » dont une moitié de la bâtisse était en fait creusée dans la roche, aucune femme ne pouvait y accéder sans avoir au préalable accepté de se faire photographier les genoux par le propriétaire des lieux qui de surcroît couvrait les murs de son salon de ses « prises de guerre« . Il nourrissait par ailleurs une passion pour les vieux whiskies pur malt, passion qu’il partageait avec Creebers qui possédait une épicerie fine connue à des miles à la ronde. Enfin, il passait depuis des années ses loisirs à restaurer dans son garage une vieille « Chenard- Walker » dont il refaisait lui-même les pièces du moteur ainsi que les cuirs qui garnissaient le véhicule.
Combien de whiskies avions nous testés ensemble ? Je ne saurais le dire mais avec les cadavres des bouteilles, nous aurions pu ouvrir un magasin !
Miss Beever quant à elle, habitait une vaste demeure située en dehors des murs de la ville, dans la lande du Dartmoor où les moutons, les vaches et surtout les poneys se baladaient librement, seule l’entrée dans la ville leur était interdite par des grilles enchâssées dans le bitume des routes y conduisaient. Cette maison lui venait de ses parents car elle ne s’était jamais mariée, trop occupée par son statut de militante du Women’s Lib, hérité des manifestations de suffragettes du début du siècle.
Toute sa vie, elle avait milité et elle était fière de me montrer le photos des congrès de W.L auxquels elle avait assisté sa vie durant. Bien que frisant les soixante dix ans, elle se faisait une obligation d’aller à tous les congrès. Enfin, quand j’écris «assister» je triche un peu. En effet, elle y allait avec une de ses copines du même age, s’y faisait enregistrer et, aussitôt après, louait un véhicule et partait visiter le pays où avait lieu ce congrès.
C’est ainsi qu’elle fut sauvée par un détachement de troupes britanniques alors qu’avec son amie, elles s’étaient perdues dans le désert du sud Soudan au volant d’une Land Rover dont le compas s’était mis, lui aussi, en vacances…
Elle entreprit de m’initier au bridge et lors d’une partie acharnée où elle essayait vainement de me faire comprendre les subtilités du « texas » , elle me demanda brusquement… «Patrick, vous ne trichez donc jamais au jeu ?». Lui ayant répondu que tricher au bridge rendrait ce jeu inintéressant, elle me répondit «vous ne saurez jamais jouer alors» !!! Sur ce, j’annonçais «cinq pique» !
Cette année de va et viens entre la perfide Albion et Nantes restera marquée dans ma mémoire de jeune homme comme une période fort enrichissante.
L’année suivante, Cécile de retour en France fut recrutée comme moi, surveillante d’externat alors qu’elle était inscrite en fac de lettres section Anglais et la vie redevint morose à souhait.
Le hasard des rencontres à l’Université nous avait mis en présence de deux jeunes filles d’origine grecque venues là perfectionner leur français. A Nantes, elles n’avaient aucune chance de fréquenter une communauté grecque inexistante et avec un couple d’amis, Alain et Colette, nous les avions prises en sympathie et présentées à la mère d’Alain, Josée, qui n’ayant eu que trois fils se fit un plaisir de les accueillir régulièrement le week-end afin qu’elles retrouvent un peu d’atmosphère familiale.
C’est donc au cours d’un de ces dimanche après-midi que nous nous interrogions sur notre prochaine destination de vacances d’été, hésitant entre une virée en Corse dans le village d’où était originaire Josée et une escapade sur le circuit des villes impériales au Maroc, que nos nouvelles amies s’insurgèrent en constatant que nous n’avions pas inscrit la Grèce dans nos destinations éventuelles. Piqué au vif, Alain qui visait un CAPES ou une Agrégation de lettres classiques, fit alors notre siège pour que la Grèce soit notre prochaine destination estivale.
C’est ainsi que tout début juillet, Cécile et moi, sacs au dos, étions pris en stop à la sortie de Nantes par un camion qui partait livrer un chargeur Manitou dans la région milanaise et devions rejoindre Alain et Colette à Brindisi sous la colonne romaine qui domine le port, juste en face de celle édifiée sous Mussolini.
Ayant appris que j’allais en Grèce en auto-stop, mes camarades socialistes qui avaient des liens avec des membres du PASOEK exilés en France, m’avait chargé de convoyer des stencils rédigés en grecs que je devais remettre à une adresse dans le quartier de Plaka. Les nombreux jeunes touristes qui visitaient ce pays sac au dos, garantissait un passage de documents sans problème à la douane. La fin de la traversée de l’Adriatique, au moment où le paquebot empruntait le chenal entre les eaux grecques et celles de l’Albanie, pays mystérieux ayant opté officiellement pour un communisme à la chinoise, donnait à tous l’occasion d’un frisson indéfinissable.
Du bateau, avant l’accostage alors que le quai d’Igoumenitsa nous accueillait, on pouvait distinguer une horde de gens en uniforme qui attendait cette invasion de touristes. Dans la file d’attente, les deux personnes qui me précédaient durent vider leurs sacs à dos et répondre aux questions de deux moustachus à l’air sévère. Je tendis mon passeport qui fut tamponné sans que le douanier ne jette un coup d’œil sur mon visage. J’avais eu chaud!
C’est à Aygion, petite ville balnéaire située sur le golf de Corinthe que les parents d’une de nos amies grecques nous attendaient. Pour nous garantir un bon séjour, ils s’étaient mis en tête de nous garder une dizaine de jours afin de nous apprendre des rudiments de grec moderne et c’est armé d’une cinquantaine de phrases toutes faites, de près de trois cents mots et de notions grammaticales qu’ils nous laissèrent partir vers Olympia, là où Alain nous avait promis qu’il accomplirait un tour de stade victorieux comme celui du célèbre marathonien !
Outre cette plongée dans le berceau de notre civilisation, rythmée par la lecture d’un Guide Bleu irremplaçable, c’est avec émotion que je me souviens d’avoir été pris en stop dans une grosse voiture anglaise dont le conducteur, voyant que Français nous faisions l’effort de parler grec, nous expliqua à voix basse, la vraie nature du pouvoir des colonels tout en insistant sur le fait que jamais il n’aurait tenu de tels propos si nous n’avions été seuls avec lui dans sa voiture sur les routes de montagne…
Puis vint le moment de rejoindre Athènes, ses musées, ses places Omonia et Syntagma, ses Ezvones montant la garde devant le Parlement, ses tabernas où l’on choisissait nos plats en soulevant les couvercles de grosses marmites pleines de Moussaka, ses terrasses de bistrots où se dégustaient l’après-midi des « frappés » homériques et où le soir après le Ouzo traditionnel, venait le temps du Raisiné, vin blanc acre qui coupait la soif. Là je rencontrais Georges, un militant du Pasoek à qui je remis les documents et qui se mit en tête de nous faire partager son amour du pays.
Jeune ingénieur diplômé, il avait été arrêté lors d’une manifestation et depuis était assigné à résidence, on lui avait retiré ses papiers d’identité et il était tenu de prévenir la police dès lors qu’il envisageait de sortir d’Athènes. Sous couvert d’une rencontre amicale suivie d’un dîner en haut de la colline du Licabet qui toisait celle de l’Acropole, nous rencontrions une partie de ses amis qui préparaient « un gros coup » pour le lendemain, samedi soir.
Le lendemain , tout le monde se retrouva en fin d’après-midi au théâtre d’Epidaure, vaste hémicycle de six mille places en plein air, au sud de Corinthe, où devait être joué le soir même Electra, la pièce de Sophocle.
Pour nous français, les dialogues étaient difficiles à suivre et nous avions un petit mémento rédigé en Anglais qui nous en racontait, acte par acte, l’histoire.
L’amphithéâtre était bondé, le premier rang était occupé par la fine fleur du gouvernement des colonels et dans les travées, toutes les cinq marches, des policiers en grande tenue d’apparat blanche veillaient.
C’est alors qu’au moment où Electra s’adressait à Oreste, qu’elle avait retrouvé, et lui demandait de tuer leur mère qui avec son amant avait assassiné leur père Agamemnon, un gros tiers du public présent se leva dans un pesant silence et je fus brutalement agrippé par les épaules pour me retrouver debout. Tout le public levé fixa le premier rang des officiels dictateurs pendant de très longues minutes, puis se rassit dans un silence souligné par la soudaine aphonie des acteurs.
On m’expliqua à la fin du spectacle que ce public de militants du Pasoek s’était levé quand Electra disait à Oreste «ceux qui ont vaincu par le glaive doivent périr par le glaive»….
J’avais participé à une opération de résistance, sans en avoir saisi le sens à l’instant où elle avait eu lieu. J’en étais à la fois furieux et fier car le choix de cette action révélait à mes yeux qu’au travers les siècles, le génie de l’intelligence collective pouvait se transmettre.
En compagnie d’une de nos amies grecques, Soso, nous partîmes bientôt vers le coin de paradis qu’elle voulait nous faire connaître et utilisant le bateau de la malle poste, arrivions à Sifnos, petite île des Cyclades, proche de Milos. De la ville principale Apollonia, dans un caïque, nous quittions la foule pour arriver à Vathi, un lieu qu’elle nous avait vanté moult fois lors de nos rencontres en France.
Là, ce fut le paradis sur terre. Une baie dont le O n’était ouvert que par une brève échancrure vers la mer Egée, la plage bordée de tamaris et de lauriers roses Au nord de l’ouverture vers la mer, un petit restaurant accompagné de quelques maisons basses et les pieds dans l’eau, une chapelle byzantine accouplée d’un bâtiment qui servit de réfectoire aux popes qui y logeaient et que nous avons loué pour y séjourner. Le tout d’une blancheur éclatante sous le chaud soleil d’été, même le Meltem, ce vent étouffant des Cyclades y était clément. Baignades, pêche sous-marine et chasse à la tortue furent inscrits à nos menus quotidiens.
Pendant trois années à suivre, c’est vers la Grèce que nous nous évadions d’une vie étudiante et d’un « pionnicat » décervelant, ajoutant à nos destinations la Crète, Santorin, Paros, Samos, Cythère où nous croisions dans l’île un nombre de « civils » habillés en citadins qui se révélèrent être des urbains d’opposition assignés là à résidence. En tout lieu l’accueil était chaleureux et notre maîtrise du grec moderne progressait. Visitant l’île d’Eubée (Evia) nous fûmes même contraints de fuir un petit village de pêcheurs qui nous avait adopté. C’était un des derniers villages vivant encore sous la loi martiale, un village où la résistance à la dictature de Papadopoulos avait été la plus tenace. Français et militants socialistes, nous animions les soirées sur la place avec force « zito Galia, zito Hellas, zito Papandréou !! » et à ce petit jeu il nous était devenu impossible de payer quoi que ce soit, même nos cigarettes nous étaient offertes. Et quand tout le village réuni chantait « vive la France, vive la Grèce, vive Papandréou » avec nous, cela voulait dire que dans les cinq minutes un halftrack de l’armée emportant une dizaine de soldats venait démontrer à tous qu’elle veillait sur nous !
La dernière année, en 74 nous y étions allé en voiture car nous souhaitions visiter le Nord du pays vers Kastoria et la frontière albanaise ainsi que les Météorones dont les monastères perchés sur les hauteurs nous impressionnaient. Le hasard voulut que l’on aille récupérer la voiture dans un garage grec où elle était en révision, le lendemain de l’arrivée à Athènes de Caramanlis à qui Giscard avait prêté son avion personnel pour lui permettre de rentrer d’exil et prendre le pouvoir après le départ des colonels félons.
Là encore, impossible de payer le garagiste, le seul fait d’être Français valait tout sauf -conduit. Dans ces conditions, oui on pouvait être fier d’être Français !
Sur le chemin du retour, débarquant à Brindisi, l’italien du service de tourisme refusa de nous vendre des tickets d’essence à prix réduit, tickets qui étaient réservés aux touristes. Mécontents, nous décidions de traverser la botte italienne le plus rapidement possible et sans arrêt autre que le ravitaillement en essence, nous nous retrouvions au petit matin dans la montée d’Aoste vers le Mont Blanc. En milieu de matinée, alors que nous venions de traverser Bourg en Bresse, j’indiquais à Cécile qui avait dormi toute la nuit sur le siège arrière déplié de Coccinelle que je souhaitais me reposer. «D’accord me répondit-elle, mais dans un hôtel suffisamment éloigné de la route. La première pancarte, on y va».
C’est ainsi que l’on se retrouva à Vonnas chez la Mère Blanc où hirsute et non rasé je garais la voiture couverte de moustiques écrasés entre deux belles limousines allemandes. Ils leur restaient une chambre libre, elle fut pour nous.
Quand on a passé deux mois à vivre dehors, campant le plus souvent, à passer des journées entières, tuba à la bouche et palmes aux pieds, à se rincer à l’aide de tuyaux trouvés dans les vergers où l’eau gardait longtemps la chaleur du plein soleil, et que l’on se retrouve sans l’avoir cherché dans la chambre d’un palace, meublée avec goût et dotée d’une salle de bain où Nina Ricci imprime sa marque, on se dit là que vraiment, la France est un pays irremplaçable…et on en use et abuse jusqu’à l’heure du dîner nécessairement gastronomique. Le lendemain, repus et reposés, nous quittions cette halte improvisée en emportant comme souvenir cinq caisses de vins sélectionnés par Michel Blanc…de quoi attaquer la nouvelle année universitaire sans angoisse !
D’autant que nos conditions de vie et de travail avaient changé depuis le début de l’année 74.
En effet, début 73, à l’occasion d’un repas dominical à la table de famille d’Alain, son père qui était Inspecteur d’Académie nous fit l’article sur l’école de fonctionnaires qui venait d’ouvrir ses portes à Nantes : l’Institut Régional d’Administration.
Pour lui, c’était une aubaine pour de jeunes futurs diplômés que d’essayer d’entrer dans ce temple qui assurerait aux heureux élus une vie sans grande surprise mais dotée d’un revenu certes limité mais garanti jusqu’à la retraite.
Dans le même temps, mon épouse qui se préparait à devenir professeur d’Anglais tout étant pionne dans un collège, me fit la confession que, au bout du compte, elle ne se voyait pas devoir faire face à des élèves sa vie durant, ceux qu’elle était en charge de surveiller l’ayant définitivement convaincue qu’elle faisait fausse route.
Je lui rappelais les propos de l’Inspecteur d’Académie et lui suggérais de tenter sa chance à ce fameux concours. L’IRA étant proche de la fac de Droit, je lui proposais même d’aller m’enquérir du dossier d’inscription, ce qu’elle accepta.
Envisageant moi-même de passer les concours d’entrée dans des écoles de commerce, je savais ce qu’il en coûtait pour s’inscrire à HEC, à l’ESSEC ou à l’HEDEC car je m’étais renseigné.
Alors que la préposée de l’IRA venait de me donner un dossier d’inscription pour Cécile, m’apprêtant à la payer, je lui demandais combien je lui devais. Elle me répondit alors, que les inscriptions à un concours organisé par l’Etat étaient gratuites.
«Dans ce cas, lui dis-je, donnez m’en un second, pour moi».
Dans mon esprit, mon inscription devait permettre à Cécile d’aborder le concours en toute sérénité puisque portant le même nom, nous devions être assis côte à côte.
Que nenni ! Le jour du concours nous découvrions avec horreur qu’elle avait été placée en fonction de son nom de jeune fille et je me retrouvais, gros jean comme devant, à disserter rageusement pour un concours intéressant les passionnés de droit public alors que j’étais en licence de droit privé.
Vers la fin de l’année, alors que nous avions tous deux oublié ce satané concours, un courrier émanant du Ministre de la Fonction Publique, nous apprenait que j’y étais reçu….et que ma scolarité à l’IRA de Nantes commencerait début janvier.
J’étais devenu socialiste par amour, allais-je devenir fonctionnaire par hasard ?
Lors de mon inscription pour rire au concours de l’IRA, n’ayant aucune vocation à m’investir dans cette voie, je n’avais pas cru devoir examiner avec attention les conditions offertes aux heureux lauréats, ni même les carrières auxquelles ce concours permettait d‘accéder.
De fait, entre mon traitement de pion et celui d’un élève fonctionnaire du cadre A, il y avait un monde, d’autant que l’argent amassé avant mon engagement à l’Education Nationale avait depuis longtemps fondu comme neige au soleil.
L‘équation était simple: J’y gagnais l’année nécessaire pour terminer ma maîtrise de droit, j’avais l’opportunité d’approfondir les aspects particuliers du droit public que je connaissais mal, j’y gagnais un salaire qui doublait au bas mot mais y perdais un bon mois et demi de vacances.
En cette fin d’année 1974, la jeunesse ne se posait pas le problème de son avenir économique et professionnel avec autant d’acuité et d’inquiétude qu’actuellement, elle était certaine, quoiqu’il advienne, de trouver du travail et pouvait plus aisément courir le risque de se tromper.
Pour moi le calcul fut vite fait. J’allais au plus rentable immédiatement et acceptais de me consacrer deux années durant à cette formation spécifique.
C’est donc sans complexe que j’endossais l’habit d’un fonctionnaire d’opérette pour une scolarité de deux ans dont une année de stage à l‘Ecole Nationale de la Santé Publique, puisque j‘avais choisi d‘être inspecteur de Directions Régionales de la Sécurité Sociale (DRSS), moi qui ne connaissais absolument rien de cette activité, mais ne souhaitais pas être nommé dans une administration centrale à Paris…
La première année, élu délégué des élèves au Conseil d’Administration de l’école, j’en profitais pour terminer ma maîtrise de droit privé à la fac située juste en face de l’IRA.
La seconde année commença à Rennes à l’école de la Santé alors que Cécile faisait son entrée à l’IRA où elle avait fini par être reçue. Elle vivait donc à Nantes et moi à cent kilomètres de là parmi d’adorables jeunes inspectrices stagiaires, le social étant prisé par la gente féminine…. Huit mois de fêtes à n’en plus pouvoir et pendant lesquelles, ne doutant de rien, je me mis en tête de passer le concours pour accéder au cycle préparatoire à l’ENA, réservé aux candidats ayant une certaine ancienneté dans la fonction publique, ce qui était mon cas puisque j’avais été pion.
La veille du concours une inspectrice stagiaire que j’avais assidûment fréquenté et qui faisait figure de pasionaria de la cause féminine, me donna à lire un opuscule faisant le point sur la condition de la femme au travail. Ce livre bourré de statistiques se révéla si intéressant que je l’avalais d’une traite avant m’endormir.
Le lendemain matin, le sujet de dissertation générale qui étai proposé au concours se révélait être rien de moins que le titre de l’ouvrage que j’avais lu la veille !
Il est parfois de ces coïncidences qui vous font dire que décidément le hasard n’existe pas , que quelqu’un, là haut, veille au grain et guide votre destinée et que quelque soient vos projets personnels, c’est toujours lui qui manipule les aiguillages et organise le chaos ou l’harmonie. Enfin quoi, j
’avais été deux ans plus tôt, reçu à un concours que je n’avais pas préparé et voilà que ma dernière lecture nocturne correspondait au sujet soumis à dissertation pour au concours auquel je ne m‘étais inscrit que par désoeuvrement, juste « pour aller voir » et parce qu’être payé à faire des études était une situation qu’inconsciemment je rêvais de faire perdurer !!! J’y voyais un signe fort du destin et m’appliquais à dénoncer les conditions faites aux femmes au travail en truffant mon propos de statistiques probantes dont la veille au matin j‘ignorais encore tout.
Ce n’est qu’au retour de vacances passées chez Phoebe dans le Dartmoor sauvage au cœur du Devon que le résultat du concours me parvint : j‘étais admissible! Inutile de dire que j’avais depuis longtemps oublié cet épisode cocasse, ne m’étais en rien préparé à passer l’oral d’admission et n‘avais guère l‘envie de m‘y soumettre préférant lézarder benoîtement dans mon univers fonctionnarisé de stagiaire.
Pour me convaincre d’aller me présenter à Paris à l’oral d’admission, ma mère mis les petits plats dans les grands, m’offrant le costume neuf, la chemise, la cravate et les chaussures qui devaient me rendre présentable aux yeux de ces vieux messieurs composant le jury.
De guerre lasse, à l’occasion d’une invitation à déjeuner dans le cadre magnifique du restaurant « Mon rêve » sur les bords de la Loire, je finis par accepter d’y aller jouer ma chance, bien conscient que ce jury mythique finirait bien par confondre l’imposteur qui se présenterait devant eux et que la chance qui m’avait conduit là ne pourrait en aucun cas se manifester une nouvelle fois.
Alors que j’étais convoqué à l’oral pour 17 heures, rue des Saint Pères à l’ENA, je débarquais gare Montparnasse par une belle fin de matinée de septembre et me rendis derechef vers cette école prestigieuse. Là, constatant qu’il me faudrait attendre plus de cinq heures et n’ayant pas envie d’assister plus longtemps au martyr public des autres candidats, je considérais en avoir assez vu et me rendis comme un bon provincial sur les Champs Elysées pour y déjeuner à la Pizza Pino. Le repas avalé, il me restait quatre bonnes heures à tuer et l’affiche du film Emmanuelle qui dominait le cinéma Georges V attira mon attention.
Quelques mois plus tôt ce film avait défrayé les chroniques et fait scandale. Afin de me changer les idées et oublier jusqu’aux raisons qui m’avaient amené à Paris, je me glissais, un peu honteux, dans la salle obscure, rassuré par la présence d’une horloge lumineuse à côté de l’écran.
A l’heure dite, je me présentais à cet oral en croisant dans les couloirs des candidats commentant leurs propre passage et m’apprenant que certains des examinateurs avaient fait leurs armes dans l’administration coloniale et n’étaient pas issus de l’ENA.
Ils étaient là, face à moi, les huit membres de ce jury, de l’autre coté d’une grande table sur laquelle une horloge marquait inexorablement les minutes d’un supplice supposé durer une petite demie -heure.
J’avais tiré un sujet sur les O.S et pendant dix bonnes minutes, je débitais ma salade sur la taylorisation des tâches industrielles, le recours systématique à la main d’œuvre non qualifiée et importée en nombre ainsi que la sédimentation prévisible d’une couche de cette population dans un lumpen prolétariat en cours de constitution quand un des examinateurs me coupa la parole pour me demander d’où je venais. Je lui répondis que j’étais nantais et avais pris le train pour me présenter à cet oral. Ma réponse ne lui convenait pas. Il voulait savoir ce que j’avais fait de ma journée, voulant sans doute que je puisse disserter sur le stress de l’attente dans les couloirs.
Incrédule, et n’ayant rien à perdre, le regardant bien en face et avec un sourire que j’estimais charmeur mais qui relevait plutôt de la provocation, je lui répondis que j’avais passé l’après-midi au cinéma Georges V et y avait assisté à la projection du film Emmanuelle qui n’était pas resté longtemps à l’affiche dans ma bonne ville de Nantes…
Cet aveu souriant fut accueilli d’un long silence, comme si tous ces braves hommes, soit m’en voulaient d’une telle bravade, soit mesuraient avec aigreur que leur après-midi avait été moins agréable que le mien. Sur ce, le président du jury me demanda si à mon avis, il fallait être sorti de l’ENA pour être un haut fonctionnaire compétent. Me souvenant des conversations entendues dans le couloir, je lui citais les noms de grands commissaires de l’Etat qui n’étaient pas sortis de cette école et avaient néanmoins façonné un état moderne, je citais à l’envie des personnages comme Paul Delouvrier, père de la planification et à l’origine des trente glorieuses finissantes.
Ne me laissant pas terminer mon propos, il me congédia tout en me souhaitant bonne chance au concours.
Mon passage n’avait duré que vingt petites minutes et je me dis que pour une fois, j’aurais dû tenir ma langue et la jouer plus conforme à ce que l’on attendait d’un futur candidat aux responsabilités de la haute fonction publique. Tant pis, il me faudrait terminer mon stage à l’IRA et trouver un moyen de sortir de cette galère de futur poste d’inspecteur des DRSS qui ne me disait rien qui vaille. Le retour en train fut presque mélancolique .
Un mois plus tard, le Ministère de la Fonction Publique fut mis en émoi par un individu qui, non content d’avoir été payé pendant deux ans à étudier à l‘IRA, venait peut-être d’en reprendre pour trois ans après son succès aux épreuves d’admission du Cycle Préparatoire à l’ENA. Vite, un décret fut publié pour interdire à l’avenir ce genre d’incrustation de longue durée dans le confort d’études payées par le contribuable. Non mais ! Et silence dans les rangs !
J’avais profité d’un malencontreux oubli administratif et serai le premier et le dernier à en profiter !
Une fois de plus, je déménageais, m’installais à Paris dans un appartement des bords de Seine, près du pont Bir Hakeim dans le XVème. L’immeuble de belle facture était surtout occupé par des personnels diplomatiques travaillant à l’UNESCO et j’avais eu la chance d’y trouver un refuge au loyer acceptable.
Pour suivre cette nouvelle scolarité, j’avais choisi Sciences Po, rue Saint Guillaume plutôt que la formation organisée au Ministère des Finances. Nous formions un petit groupe d’élèves dont la majorité entendait prouver qu’elle n’était pas là par hasard. Un des membres de ce groupe, qui venait de Strasbourg, avait obtenu d’être logé dans un bâtiment réservé aux élèves de l’ENA, rue de Bucci. Malheureusement pour lui, cette rue sur laquelle donnait sa fenêtre était très fréquentée le soir et très bruyante. Il avait du mal à y travailler et à s’y reposer.
Cécile étant restée à Nantes et ne venant me rejoindre à Paris que le week-end, je l’invitais donc à partager mon appartement, sachant que lui, le week-end, il ferait le chemin inverse sur Strasbourg où était restée sa femme. Pour me remercier d’une telle sollicitude, il alimentait mon bar en alcools blancs dont il était devenu un spécialiste. De la poire Williams au kirsh, en passant par la mirabelle, l’alcool de sureau ou le marc de Meursault, nos soirées de travail donnaient l’impression de se dérouler au plus près d’un alambic… Fin gourmet et toujours à la recherche d’une démonstration tendant à me prouver qu’il aurait pu briller dans les cuisines des plus grands palaces, il sélectionnait les boutiques où nous effectuions nos emplettes, Poîlane pour le pain, Quantin pour le fromage, le gibier choisi rue Dupleix. Bref sa présence chez moi transformait nos journées de travail en autant d’expériences culinaires et gourmandes.
Autant avouer tout de suite que nous fréquentions plus le billard électrique de chez Basile, le bar situé juste en face de l’entrée principale de Sciences Po, que les cours.
De temps à autre, des galops d’essais étaient organisés à l’IEP et à chaque fois, un de nos compagnons d’armes, Jean Eric, se lamentait des résultats catastrophiques que le rendu des notes lui attribuerait. Il venait à chaque fois se plaindre par avance de son sort d’infortune qui selon lui le traquait.
A chaque remise des résultats, nous constations avec résignation que Jean Eric trustait les meilleures notes et que les affres dans lesquelles il se débattait n’étaient dues en fait qu’à une absence maladive de confiance en lui.
Avant d’intégrer ce cycle préparatoire, il avait fait l’X sans en sortir major, ce qui, à ses yeux, confortait ses craintes d‘échec. Issu d’un milieu très favorisé, il avait tout pour réussir et nous le prouva en sortant dans la botte à la sortie de l’ENA d‘où il rejoignit le Conseil d’Etat. Un de nos autres compagnons dû s’y reprendre à deux fois pour intégrer l’ENA, le jour du concours, il avait été retenu par un embouteillage et ne s’était présenté que quelques minutes après la distribution des sujets ce qui lui interdisait de concourir.Quant à moi, dés l’épreuve du premier jour, mon sort en était jeté. Les âges de la vie dans la société contemporaine tel était le sujet qui à l’époque ne m’inspira rien qui soit susceptible récolter une note capable de faire la différence. J’y rendais un ectoplasme de devoir dont le destin me menait tout droit à la poubelle. Ce ne fut même pas une réflexion ordonnée, segmentée, démontrant la tentative d’une analyse, c’était la juste confirmation évidente que, sans travail intellectuel préalable, le but ne pouvait être atteint. Il eut fallu souligner que, dans le même temps, les jeunes actifs entraient dans la vie professionnelle de plus en plus tard, du fait de l’allongement généralisé des études et que dans le même temps les départs en retraite ou en pré-retraite étaient de plus en plus précoces, préciser que la population active qui portait le fardeau fiscal et social allait diminuant de façon gravissime et que le poids des efforts qui leurs seraient demandés deviendrait de plus en plus insupportable, évoquer l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, suggérer l’ouverture de nos frontières à une main d’œuvre immigrée et les efforts à réaliser pour leur donner une formation synonyme d’avenir chez nous, évoquer les travaux d’Alfred Sauvy et consorts.
La matière pour traiter un tel sujet était assez abondante et facile à mettre en perspectives, elle n’aurait dû me poser aucun problème majeur et pourtant , j’étais resté sec comme un arbre sans fruit, incapable de réfléchir au sens même de l’énoncé du sujet. Comme si, disposant de tous les outils indispensables, j’en avais néanmoins perdu le mode d’emploi…
Cuisant échec personnel, cruelle déconvenue.
Conscient d’avoir gâcher ma chance, j’expédiais les autres épreuves sans conviction. J’en venais même à regretter de n’avoir pu me présenter à l’oral d’admission du concours d’Administrateur du Sénat, concours passé pour m’habituer avant celui de l’ENA et dont j’avais été déclaré admissible mais qu’un réveil mécanique, remonté la veille trop énergiquement et qui s’en était trouvé bloqué, m’avait laissé endormi plus longtemps que de raison. J’avais bien été admis aussi au concours de CASU, passé dans le même esprit, mais ne souhaitais en aucun cas me retrouver à l’Education Nationale.Ce concours qui venait de se refuser à moi, il me le fallait, coûte que coûte, et j’avais la possibilité de m’y représenter une fois.
Désemparé, je me rapprochais du Ministère de la Santé où je fus affecté à la Direction Organisation Méthodes et Informatique, rue de Ségur.
Là, le directeur, à qui j’expliquais ma déconvenue, m’affecta au service Organisation qui devait préparer le déménagement d’une grande direction, tout en donnant des instructions pour que je puisse disposer de suffisamment de temps pour préparer dans de bonnes conditions mon prochain concours. Tout n’était pas perdu et je pensais tenir ma revanche.Las, les évènements ne me permirent pas d’aller jusqu’au bout de mon projet. Alors que je m’étais déjà inscrit pour repasser ce concours, les élection municipales de mars 77 furent remportées par les listes socialistes candidates dans les grandes villes, dont Nantes. Or, j’étais à l’origine de la liste municipale conduite par Alain Chénard cette année là.En section de Nantes, j’avais contraint l’ancienne équipe municipale à dénoncer son alliance avec la droite anti - UDR dirigée par André Morice. Seul Alain Chénard avait accepté d’en tirer les conclusions et avait bataillé trois années durant en étant le seul élu d’opposition.
Le 19 mars 77, au soir du deuxième tour, alors que les militants se pressent dans la permanence de campagne louée à deux pas de la mairie convoitée, que les résultats de chaque bureau nous parviennent et sont comptabilisés sur un vieux système Nixdorf, tout le monde est suspendu au résultat d’un dernier bureau qui tarde à nous parvenir. Quand, soudain, alors que la tension montait dans la pièce, j’avais constaté que l’avance dont nous disposions ne pourrait être comblée par la liste adverse que si 75% des électeurs du bureau manquant votaient pour elle. Ce qui était impossible puisqu’au premier tour, nous étions en tête dans ce bureau.
Assis face à Alain, je lui assurais qu’il était élu et le conviais à rédiger rapidement une allocution qu’il aurait à faire devant les électeurs réunis près du bureau centralisant les votes de toute la ville. Comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit aux cris de on a gagné, on a gagné, descendant vers la mairie, nous croisions des gens pleurant de joie, et tous allions narguer nos anciens compagnons qui, exclus du parti socialiste, avaient préféré les avantages de leur petite carrière et venaient d’en être chassés par le suffrage populaire.
Après une nuit de fête, je regagnais mon ministère à Paris pour y préparer le concours.
Ce n’est que début Avril que le maire de Nantes nouvellement installé me fit signe. Alors que je lui faisais valoir que j’avais un concours à préparer, il me répondit que sa proposition de poste comme Directeur de son Cabinet était tout aussi intéressante qu’un éventuel succès à mon concours, que j’accèderais plus vite à des fonctions tout aussi importantes et aurais l’assurance de pouvoir travailler dans ma ville natale, entouré de gens que je connaissais bien et que je fréquentais depuis longtemps.
A bout d’arguments, et pourquoi le nier, flatté d’être ainsi choisi, je m’empressais de demander à Simone Weil mon détachement en mairie de Nantes qu’elle accepta dans des délais extrêmement brefs.
Début juin je quittais Paris pour Nantes bien décidé à m’investir totalement dans ces nouvelles responsabilités dont j’ignorais tout.
à suivre ....