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Billet de blog 28 avril 2011

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Chateau en Espagne (?)

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Dans un précédent billet fut racontée l'anecdote d'un chômeur non indemnisé parcourant Paris en Rolls Royce avec chauffeur pour y introduire R.N , acheteur de millions de barils de pétrole disponibles sur le marché de barters au printemps 84.

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Juillet 88

A l’entrée nord d’Estepona, petit village situé à quelques encablures au sud de Marbella, R.N avait jeté son dévolu sur un terrain d’une douzaine d’hectares où il avait fait construire une merveilleuse villa à laquelle on accédait après avoir franchi un monumental portail, en retrait de l’étroit chemin d’accès, qui menait aussi au golf d’Atalaya situé sur l'autre versant de la colline, et dont un des piliers du portail d'entrée arborait fièrement l’adresse: Villa Mélodie.

Un œil exercé y aurait reconnu, parmi les enluminures de fer forgé, la présence d’une caméra qui permettait de reconnaître les éventuels visiteurs avant d’actionner l’ouverture automatique des lourds battants .
Le portail franchi, il fallait encore rouler, passer le sommet d’une colline, dominée sur la droite par la copie d’un temple coréen réputé, puis plonger vers un paysage planté de hauts palmiers aux pieds desquels un ruisseau artificiel alimentait un petit lac sur lequel flottait une gondole vénitienne réservée aux jeux d’enfants sages, le tout, sur fond d’une Méditerranée bleu azur.

Du pied de l’escalier à double révolution qui accédait à l’étage de réception, on pouvait deviner sur la droite la présence de deux autres villas, plus petites réservées au personnel philippin, avec leur propre piscine. A gauche de cet escalier monumental, une grande piscine accompagnée d’un jacuzzi en plein air reflétait sur son eau bleue les stucs de la demeure principale.

Sous la piscine, douze portes métalliques donnaient accès à autant de garages où le choix était ouvert entre de grosses américaines, plusieurs Rolls dont une superbe Corniche décapotable vert d’eau, une magnifique Mercédes coupé rouge 1950, et une sublime Lincoln Intercontinentale.
Luxe , calme et volupté , un vrai paradis sur terre !

C’est du moins l’impression que le premier quidam venu pouvait en avoir jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que les murs d’enceinte de la propriété étaient tous doublés d’un long couloir délimité par un haut grillage et que dans ce couloir couraient des molosses noirs, musclés aux oreilles courtes et droites, qui silencieusement montaient la garde.

A l’évidence, la sécurité de cette destination magique, réservée aux happy few ,avait été calibrée pour garantir à ces derniers une paix royale, la demeure s’avérait inexpugnable.

Nous étions déjà venus ici à l’invitation de R.N et K, son épouse coréenne et y avions rencontré des artistes, des présentateurs de télé qui venaient se reposer d’Intervilles, des chercheurs et inventeurs dont les recherches étaient financées par R.N, des banquiers et nombre d’affairistes de toute nature. Cette villa que nous avions connue si animée, était devenue désespérément silencieuse, ramassée sur elle-même, hautaine voire hostile. Finie l'insouciance de la fête perpétuelle, le showbiz artificel, les visiteurs plus attirés par la prodigalité des hôtes et la possibilité d'y faire valoir quelques intérêts particuliers.

Cest à la demande pressante de R.N et K que nous avions fait le voyage, accompagnés de nos trois enfants, pour leur servir d’alibi et justifier auprès de ceux qui fréquentaient trop assidûment la maison qu’il leur était alors impossible de les recevoir.

Ainsi donc, cet oasis de luxe généralement ouvert à tous, se recroquevillait sur lui-même et s’inventait des obligations pour ne recevoir personne. Il faut dire que sachant les sinistres aventures qu’ils venaient de connaitre, nous comprenions leur besoin tranquillité..

Quelques semaines plutôt, alors que les enfants, Mélodie et Amir, devaient se rendre à l’école, Amir, le garçon, prétexta un malaise pour refuser de se lever et les parents laissèrent le chauffeur conduire leur fille. Ce chauffeur n’était autre que R Jr, fils issu d’un précédent mariage.
Au sortir de la propriété, alors que la grosse berline américaine empruntait l’étroite route d’accès à la propriété, une BMW circulant en marche arrière lui barra la route, deux hommes cagoulés et armés se précipitèrent et après un moment d’hésitation constatant l'absence du fils, s’emparèrent de Mélodie âgée de cinq ans et assommèrent le conducteur avant de disparaître.

Deux heures plus tard, alors que l’alerte au kidnapping avait déjà été donnée, un appel téléphonique faisait connaître aux parents affolés le montant de la rançon exigée : treize millions de dollars.

A partir de ce moment, R.N et K ne pouvaient faire un geste sans que la police en soit informée, leurs lignes téléphoniques étant sur écoute, la villa totalement isolée du monde extérieur, et le personnel consigné à domicile.

Par je ne sais quel stratagème, R.N obtint au bout de cinq jours de savoir, où et quand devait être remise la rançon dont il renégocia le montant à un million de US$.... Se raccrochant à toute hypothèse, il m’avait demandé d’obtenir d’un ministère des informations concernant les agissements d’un groupe industriel français lié à l’approvisionnement du marché de la construction, avec lequel il était en concurrence dans le sud de la France. Pour lui, il ne faisait aucun doute que cet enlèvement était lié à cette affaire. Ce en quoi il se trompait !

Avec l’aide d’amis britanniques il réunit, la veille de la date fatidique de remise de rançon, la somme de un million de dollars….en faux billets !

Puis, un miracle se produisit : alors qu’un des ravisseurs faisait son jogging dans un parc proche de Malaga, ce dernier perdit son portefeuille dans lequel, la police découvrit une photo de Mélodie dont une partie des cheveux avait été coupée et envoyée à ses parents pour prouver qu’ils étaient bien les vrais détenteurs de la fillette.

La chasse à l’homme aussitôt ouverte se traduisit par l’arrestation des kidnappeurs et la découverte de Mélodie qui vivait sous une tente installée dans un appartement voisin du parc. Le débriefing de celle-ci démontra qu’elle avait reconnu une des personnes qui la retenait en otage et tout le monde en conclut que cette petite n’avait aucune chance d’être rendue vivante à ses parents… Elle l’avait échappé belle !
L’enquête révèla rapidement que l’instigateur principal de cet enlèvement, un français, était le père d’une des élèves qui fréquentait Alhoa l’école bilingue de Marbella où Mélodie était inscrite.

Ayant eu l’occasion de fréquenter la villa en accompagnant sa fille à un goûter d’anniversaire, fort impressionné par le luxe ambiant, il avait échafaudé l'enlèvement des deux enfants. Mais il n'eut que la fille. La femme d'un de ses accolytes fréquenta le couple à cette période cruciale pour mieux renseigner les kidnappeurs. Tels furent ses aveux.
Aujourd’hui, dans les geôles espagnoles le principal accusé purge sa réclusion.

La fillette ayant été très traumatisée par ces évènements, sur les conseils de la police, R.N et K, décidèrent de changer de mode de vie, de limiter leurs invitations au strict minimum et nous invitèrent avec nos enfants, déjà copains des leurs, afin de justifier cette opération porte close.

Même pour de proches escapades de lèche vitrines dans les magasins de Puerto Bañus, même pour des dîners au Vagabundo, nos sorties étaient systématiquement suivies par une voiture dans laquelle deux hommes, recrutés auprès d’une agence britannique, veillaient. Ce mois de "vacances forcées" nous parut un siècle tant le sentiment de claustration nous étouffa.

De retour en France, dans notre environnement normal, nous pûmes mesurer, après coup, tous les inconvénients d’une prison dorée et que les chateaux en Espagne cachent parfois de lourds secrets

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