La vague des manifestations pacifiques qui submergea les pouvoirs oligarques en place en Tunisie et en Egypte s'étend en Syrie et en Libye où la révolte menacée d'écrasement meurtrier prit les armes, au Yémen, au Maroc et dans une moindre mesure en Algérie.
Temporairement les manifestants des deux premiers pays semblent avoir été entendus, une révision constitutionnelle afin de redonner le pouvoir au peuple étant programmée.
Seul l'avenir dira si l'espoir des manifestants aura été réellement entendu notamment sur les sujets concernant la liberté d'association, d'expression, de création et de reconnaissance de tout parti politique, l'organisation d'élections libres permettant une juste représentation des opinions au sein des organes délibérants.
De la même façon que les émeutes étudiantes américaines de 1967 produisirent un an plus tard, en Europe et en France de fortes mobilisations contre les pouvoirs en place, les manifestations africaines font l'objet d'une tentative de transposition en Europe. Après l'Argentine en 2001, aujourd'hui la Grèce et l'Espagne, demain sans doute l'Italie, le Portugal et la France.
La grande presse organise déjà le buzz sur les manifestants de la Puerta del Sol à Madrid, haut lieu des rendez-vous contestataires ou festifs de tous ordres et déjà apparaissent sur le web des images de manifestants français à Nantes, Brest ou Paris.
Si de Tunis à Paris en passant par Madrid, l'onde de choc est manifeste, il est curieux de noter que les exigences exprimées ici et là-bas n'ont rien à voir et paraissent même souvent antinomiques.
A Tunis et au Caire, le débat portait sur la mise en place d'un système où le peuple entend prendre le pouvoir au travers une représentation élective qu'il se choisira librement.
A entendre les manifestants européens ce sont justement les éléments constitutifs de cette représentation populaire, tant espérée ailleurs, qui sont mis en cause et vilipendés et dont le pouvoir doit être remis à la rue.
Par delà le malaise social, le chômage institutionnalisé des jeunes, les petits boulots, la non reconnaissance des acquis diplômant, l'absence de perspectives autres que celles ds privations, c'est une conscience du no futur qui s'exprime d'abord par un rejet de la classe politique. Sentiment d'avoir été trahis? Sensation de n'être plus entendus ? Impression d'avoir à payer seuls la facture énorme des déséquilibres provoqués par les banques ? Evidence d'une privatisation de profits accompagnée d'une socialisation des pertes ? Refus d'obtempérer devant cette menace de déclassement généralisé ? Toutes ces bonnes raisons se cumulent mais ne ressort à Madrid comme à Paris que l'exigence forte d'un retour à la dimension délibérative, directe, non mandatée, de la démocratie.
La remise en cause essentielle est celle de la démocratie représentative, au nom d'une condamnation d'élites réputées incompétentes et/ou supposées corrompues.
Elle ne peut surprendre que ceux qui n'ont jamais prêté attention à l'avancée dans l'inconscient collectif du phénomène individualiste.
Cumuler l'individualisme triomphant et le développement exponentiel des moyens de communication de masse et d'interventions personnelles dans le cadre d'une interactivité des expressions, c'est offrir l'illusion d'un pouvoir d'agir sur les évènements qui se révèlera n'être qu'un leurre dont le pouvoir en place nous donne l'illustration quotidienne.
Il inonde la sphère médiatique de discours systématiques, sur tous sujets y compris ceux qui ne sont pas de son ressort, et évite soigneusement de porter remède aux maux dénoncés.
A la rigueur, il consent le vote rapide d'une loi qui ne recevra jamais les décrets d'application nécessaires.
Ces manifestations, pour sympathiques qu'elles puissent paraitre, ne sont rien de moins qu'un faux nez de l'oligarchie qui se met en place et désigne un chemin d'où personne ne saura trouver une sortie satisfaisante pour le plus grand nombre.
Mais le « tous nuls ou tous pourris » n'a jamais constitué un programme politique hors de l'extrême droite, et une révolte, pour se transformer en révolution doit avant tout reposer sur un projet politique clair composé de revendications concrètes,précises, réalisables et vérifiables.
Ce qui est loin d'être le cas. Méfiance donc car la dictature de l'émotion n'est pas toujours bonne conseillère et nombreux sont les apprentis-sorciers jouant avec le feu.
Churchill avait coutume de dire que "la démocratie est le pire des systèmes, mais qu'on n'en avait pas trouver de meilleur". Cela reste vrai et la réponse ébauchée par S.Royal avec sa démocratie participative mériterait autre chose que des sourires narquois car il y a là du grain à moudre pour tous ceux qui cherchent à améliorer les conditions d'exercice de la démocratie réelle.