Mardi soir, dans un Trianon ramassé et bouillonnant, le pianiste arméno-américain Tigran, qui pour l’occasion a récupéré son patronyme d’Hamasyan, présentait son nouvel album “Mockroot“, bousculant l’esthétique jazz pour un concert survolté, appelant à la rescousse Led Zeppelin, Satie ou la mélodie populaire arménienne pour repousser les frontières du genre. Avec l’efficacité du trio, Tigran semble bien avoir trouvé sur scène une formule à sa mesure, faisant le lien entre son bucheron dynamiteur de bassiste Sam Minaie et le délicat Henri Hnatek à la batterie, auxquels il faut rajouter les deux chanteuses, Areni Agbabian et Gayanée Movsisyan, envoutantes, parfois mystiques, suppléant “certains vibratos, certaines ornementations qui ne peuvent être exprimées par le piano“, dixit l’artiste.
A peine assis derrière le Steinway, la magie opère. Tour à tour enjôleur, délicat, énergique voire frénétique, contrastant les passages de grandes tensions et la grâce mélodique de son toucher, Tigran instaure son univers.
Très vite arrive “The Apple Orchard in Saghmosavanq “, morceau phare de l’album. Il expliquait récemment comment ce lieu l’avait bouleversé “c’est un monastère à une trentaine de kilomètres d’Erevan (capitale de l’Arménie), une place étonnante face aux montagnes. Quand vous regardez l’architecture de l’église en tuf noir et la montagne à côté, elles sont identiques, les deux proviennent de la nature. Le morceau commence avec une petite voix et le piano solo comme une prière dans l’église, et lorsque ça s’emballe, on ressent les montagnes, le paysage, l’espace, c’est une place rocailleuse et la mélodie, l’énergie de la chanson renvoient à cette pierre“. La salle, déjà acquise, exulte. Les morceaux s’enchaînent, “Song for Melan & Rafik“, hommage à ses grands-parents ou le mélancolique “Lilac“, jusqu’à “Kars“, un traditionnel arménien revisité mais aussi “une histoire personnelle, celle de mes quatre grands-parents tous originaires de cette ville, directement reliée à ce qui est arrivé un siècle auparavant “ termine le concert avant les rappels et sera le prétexte à un long et distingué dialogue improvisé avec Hnatek .
Pour la suite, en cette année centenaire du génocide, Tigran a un grand, un immense projet, 100 concerts pour les 100 ans, une série de représentations à travers le monde, uniquement dans des églises, où, en compagnie du Yerevan State Chamber Choir, il interprétera au piano des œuvres de musique sacrée du répertoire arménien qu’il a adapté pour piano et chœur. Avant ça, une date importante début avril, la rencontre avec un monstre sacré du jazz contemporain, le pianiste américain Brad Mehldau, pour un duo à la toute pimpante philharmonie de Paris “On jouera quelques compositions à lui, d’autres à moi, du Komidas, des airs arméniens et quelques standards“. Histoire de rappeler qu’il reste, peut-être avant tout, un très grand pianiste de jazz. Pas la peine de se précipiter, la billetterie affiche complet depuis belle lurette.
Patrick ARTINIAN
Concerts: 10 avril. Philarmonie de Paris en duo avec Brad Mehldau (complet)
19 mai. Abbatiale St Ouen. Rouen. Tigran & Yerevan State Chamber Choir
L ‘Album : Tigran HAMASYAN “Mockroot“ (Nonesuch)