Ici, point n’est question de nier la barbarie à l’oeuvre chez Daesh ou Boko-Haram, pas plus qu’il n’est question de tolérer les officines de la haine qui ont conduit à l’assassinat de Samuel Paty. À l’heure où son sinistre bourreau officiait à Conflans Sainte-Honorine, j’étais moi-même en train d’évoquer l’embrigadement devant des classes de 4ème d’un collège d’Orbec, en Normandie.
Depuis, plusieurs professeurs tétanisés ont annulé les invitations qu’ils m’avaient faites, par peur d’évoquer ces questions devant leurs élèves, mais aussi parce qu’ils ne se sentaient pas assez soutenus par leur hiérarchie.
L’expression d’islamo-gauchisme me fait pourtant bondir, comme me fait bondir l’enquête diligentée par Frédérique Vidal, qui dit vouloir une approche rationnelle et scientifique du sujet.
Êtes-vous donc devenus amnésiques?
L’expression ne vous rappelle-t-elle rien?
Il suffit simplement de changer les mots, de les remplacer par « judéo-marxisme », pour en identifier l’origine sémantique inconsciente. Après la révolution russe, une thèse antisémite s’est répandue partout en Europe : les Juifs, à l'origine d'un « complot mondial », auraient été les véritables artisans de la conquête du pouvoir par les bolcheviks en Russie et ce complot viserait à étendre leur domination sur le reste de l’Occident.
La thèse sera reprise par les Nazis et l’extrême-droite française, et culminera chez nous sous le régime de Vichy. Pour mémoire, nous citerons Édouard Drumont, antidreyfusard, nationaliste et antisémite, créateur de la Ligue nationale antisémitique de France, qui pointait du doigt en 1920 les « fous furieux de l'extrémisme qui veulent implanter en France le régime de sang et de boue du judéo-bolchevisme ».
Le terme « Islamo-gauchisme » n’est rien d’autre que l’avatar de l’expression « Judéo-marxisme ». Encore une fois et au risque de me répéter, il suffit de changer les mots. Vous pouvez essayer avec « Judéo-maçonnique », ça marche aussi. Le drame est que, comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, Frédérique Vidal fait de l’extrême-droite sans - on l’espère! - le savoir.
L’expression, clairement identifiable en termes sémantiques, provient pourtant d’un think tank républicain à tendance souverainiste, la fondation du 2 mars. A l’origine, le sociologue Pierre-André Taguieff l’a utilisée pour désigner "une convergence entre intégristes musulmans et groupes d’extrême-gauche, à la faveur d’ennemis communs". Mais l’extrême-droite a immédiatement reconnu ses petits et s’en est aussitôt emparée. En 2017, elle qualifiait déjà le candidat Benoît Hamon d’ « Islamo-gauchiste ».
Après la saillie de Gérald Darmanin sur la supposée mollesse de Marine Le Pen, voici maintenant la mission diligentée par la Ministre de l’Enseignement supérieur afin d’établir une « base scientifique » à l’existence de l’ « Islamo-gauchisme ». Certes, il nous manque encore un pendant au « Protocole des Sages de Sion », mais nous n’en n’avons nul besoin pour comprendre que ce gouvernement joue avec le feu de l’extrême-droite en mimant ses valeurs. Est-ce dans l’espoir de séduire son électorat?
C’est oublier un peu vite un certain nombre de leçons du passé. La première étant que l’électeur préfère généralement l’original à la copie, la seconde que face à une candidate d’extrême-droite, Emmanuel Macron aura sans nul doute grand besoin des électorats de gauche et du centre dont il est en train de se couper durablement.