1 - Le gag !
Enfin, le gap entre les taux de cotisations sociales entre le Caillou et la Métropole allait s’amenuiser[1] ! Erreur ! Seul le plafond d’environ à 5,2 millions de francs CFP (un peu moins de 43 600 € mensuels bruts, un bon petit salaire...) est supprimé. On pensait à une coquille, à une erreur d’un zéro, car on avait en tête le premier plafond de 0,51 millions (environ 4 300 € mensuels) : en gros le salaire moyen d’un cadre. Nous ne fumes pas les premiers à être enfumés : un bon copain connaisseur du Caillou nous fit bien rire en pensant à une coquille d’un journaliste fraichement arrivé… C’est bien le projet de décret publié : pas une coquille de journaliste… Mieux : ou le Medef local s’y est aussi laissé prendre, ou il se ridiculise en criant à l’assassin : selon la CAFAT[2] (Caisse de Compensation des Prestations Familiales, des Accidents du Travail et de Prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie), la Sécu du Caillou), cette loi scélérate pour les premiers de cordée gênerait environ une soixantaine de hauts salaires…
Elle ne rapporterait que quelques sous alors que la moitié au moins du déficit du RUAMM (Régime Unifié d’Assurance Maladie-Maternité) de la CAFAT, est due au quasi-plafonnement des cotisations sociales pour un salaire brut au dessus de 0,51 millions mensuels : 15,5% de taux total de cotisation avant ce plafond ; 5% ensuite, et jusqu’au fameux 5,2 millions de francs CFP.
Le détail des taux de cotisations sociales suit pour 2021, en tableau et graphiques, avant la formidable réforme envisagée, avec le plafond auquel tout le monde pensait : celui de la tranche 1 du RUAMM, à 510 KCFP en brut et environ 490 KCFP en net ; on néglige les plafonds intermédiaires à environ 300 KCFP en brut car les taux de cotisations sont petits. Seuls les taux des accidents du travail sont très variables selon les risques : d'où les totaux minimums et maximums, sous plafonds.
Agrandissement : Illustration 1
Agrandissement : Illustration 2
Agrandissement : Illustration 3
Or, les hauts salaires supérieurs à ce plafond dit Ruamm tranche 1, ne sont pas une curiosité en Nouvelle-Calédonie : le salaire mensuel net moyen des cadres et assimilés, surtout dans le secteur privé, est largement supérieur à ce plafond (environ 0,49 millions de CFP mensuels). Certains cadres bénéficient ainsi (les plus aguerris) d’un salaire bien plus élevé et certains sont sous ce plafond. Le salaire moyen des professions intermédiaires (dont les techniciens et agents de maîtrise) est certes bien inférieur à ce plafond, mais certains le dépassent sans doute.
Agrandissement : Illustration 4
Agrandissement : Illustration 5
L’analyse par décile, quartile, etc. confirme ce sentiment : 10% ("Décile 9") des salariés du secteur public (environ 2 300 personnes) touchent plus de 0,67 millions de salaire net mensuels ; mais seulement plus de 0,46 millions pour le secteur privé (environ 6 600 salariés). Pour le secteur public, 25% ("Quartile 3") des salariés touchent plus que ce plafond (environ 6 700 personnes) ; le Q 3 du secteur privé est bien en-dessous et est même supérieur à la médiane du secteur public. Les "très, très riches" au dessus du second plafond (tous secteurs confondus) qui serait maintenant supprimé, sont moins nombreux : 60 personnes donc : 0,068%, en plus clair 7 happy fewspour 10 000 salariés… Mais le Medef calédonien en déduit que le pouvoir d’achat va baisser si on déplafonne ainsi !
NB : La médiane ou « Quartile 2 », noté de façon répétitive dans les tableaux de l’ISEE.nc ("Q5, Quartile 5") est une coquille de l'ISEE. Voir par ailleurs un billet précédent pour la comparaison des salaires entre secteur privé et public ainsi que leur évolution en pouvoir d'achat.
Agrandissement : Illustration 6
Agrandissement : Illustration 7
Agrandissement : Illustration 8
Bref, il y a pas mal de salariés au dessus du plafond "Ruamm tranche 1", et de quoi rééquilibrer en partie les comptes sociaux. Bien sûr, une augmentation des taux de cotisations (bien inférieurs à ceux de la Métropole ; voir un autre billet), accompagnée d’une réforme fiscale imposant plus fortement les hauts revenus (cadres compris : osons !) permettrait d’augmenter le taux de prélèvement obligatoire, le "taux de PO", certes en augmentant le coût du travail pour les employeurs et érodant les salaires nets… mais en luttant contre les très fortes inégalités du Caillou. Et les fameux transferts financiers de la Métropole (voir un autre billet…) pourraient fondre ou même disparaître, avec ou sans Indépendance.
Mais c’est aune autre question !
Agrandissement : Illustration 9
Agrandissement : Illustration 10
Agrandissement : Illustration 11
L’inégalité de ponction des cotisations sociales en fonction du salaire brut est en particulier évidente, calculée à partir d’un calculateur (proposé par le Medef.nc lui-même, facile à trouver sur la Toile) : plus le salaire augmente, plus le coût du travail relativement au salaire diminue ; et plus le taux de cotisation sociale totale s’érode. Mais ne rêvons pas : un haut salaire coûte plus cher aux patrons qu’un petit salaire... mais il rapporte moins relativement à la Sécu calédonienne. On peut arguer qu’un cadre n’est pas plus malade qu’un ouvrier ; ce n’est qu’à moitié vrai : en Métropole, on le sait, il se soigne plus souvent et à plus haut prix.
Agrandissement : Illustration 12
Agrandissement : Illustration 13
2 - Les réactions des acteurs sociaux
Dans un article du seul quotidien écrit du Caillou, Les Nouvelles calédoniennes, LNC, (Cet avant-projet de loi qui ne plaît pas aux syndicats patronaux. Explications[3], il est indiqué que « les syndicats patronaux se sont opposés au texte. Le Medef, la CGPME et l’U2P NC[4] réunis en inter-patronale dénoncent une mesure qu’ils jugent contre-productive et souhaitent exprimer “leur profonde opposition au texte”. Le déplafonnement pourrait, selon eux, entraîner une baisse du pouvoir d’achat pour les Calédoniens et une perte de compétitivité pour les entreprises ». (Les caractères gras sont de mon fait). La demande globale va certainement s’écrouler avec la taxation de 60 très hauts revenus…
L’article continue, sans rire, par : "Des effets sur l’économie néfastes ? Selon les syndicats patronaux, cette mesure serait problématique pour l’économie du Territoire. D’après eux, elle augmentera le coût du travail et donc fera baisser la compétitivité des entreprises. Elle réduirait également le pouvoir d’achat des Calédoniens. Enfin, cette mesure pourrait réduire le rendement de l’impôt sur le revenu, puisque celui-ci est calculé sur le revenu net. Et qui dit plus de cotisations, dit un salaire net plus bas". Un gag, on vous dit !
Concernant la suppression du plafond fixé à 5,2 millions de CFP, un syndicat (la Fédération des fonctionnaires, la Fédé), est, dans un premier article, moins moins radicale que nous ; elle considère, dans une déclaration, que "cela n’a pour effet que de diminuer très légèrement l’iniquité sociale. La mesure la plus équitable socialement, à savoir celle du taux de cotisation de 15% pour les salaires inférieurs ou égaux à 510 500 francs CFP et de 5 % pour les salaires supérieurs n’a pas du tout été modifiée".
Il est vrai que d’autres mesures de sauvetage de la Sécu du Caillou sont en voie de réalisation : une hausse de la taxe sur les produits sucrés ; la hausse des taxes sur les alcools ; l’augmentation de la CCS, la Contribution calédonienne de solidarité (l’équivalent de la CSG, la Contribution sociale généralisée de Métropole). Le projet de délibération du Congrès, déposé par le gouvernement, propose de fixer à 1,3 % le taux de la CCS qui s’applique aux revenus d’activité ou de remplacement et de solidarité (retraites, indemnités chômage, allocations, bourses) contre 1 % auparavant. Le taux de référence de 2 % (revenus du patrimoine, produits d’épargne et de placement, revenus de valeurs mobilières, produits des jeux) serait, quant à lui, relevé à 2,6 %.
La Fédé s’opposa cependant, un peu plus tard, dans une lettre ouverte à l’attention des élus du pays, à ces taxes comportementales et à la hausse de la CCS (Voir l'article dans LNC, de Brice Bacquet, du 2 septembre 2021 ; archives LNC / NikO VinCent). Le syndicat des fonctionnaires a en effet publié une lettre ouverte à l’attention des élus du pays. Il appelle à un "esprit de justice sociale" pour renflouer le RUAMM, arguant en substance que ces taxes proportionnelles touchent autant les pauvres que les riches : " Les plus riches doivent payer autant que les autres pour le système de santé", estime la Fédé ; "On s’apprête à taxer la consommation sur l’alcool, le tabac et le sucre, ainsi qu’augmenter l’effort fiscal sur la CCS, y compris sur les plus bas revenus, la moindre des choses serait que les hauts salaires et les grosses entreprises participent à cet effort ».
La Fédé précise sa pensée, de façon plus vigoureuse que dans sa première intervention, concernant les cotisations du RUAMM pour renflouer ses caisses, rembourser le prêt obtenu et financer le service public : " La contribution nécessaire à ces impératifs doit se faire en réduisant les inégalités non pas en les confortant, ou les aggravant", indique l’organisation.
Elle invite les politiques à " instaurer une tranche unique de cotisation au RUAMM". Elle s’attaque également à la fiscalité, demandant "des impôts sur les dividendes, les plus-values ou les grosses fortunes".
On ne connaît pas encore les réactions des autres acteurs sociaux et partis politiques.
Notes
[1] De Charlotte Mannevy et Dave Waheo Hnasson/(A.S), publié le 20 août 2021.
[2] L’U2P-NC(Union Professionnelle des Entreprises de Proximité) est la seule organisation patronale représentative de l’artisanat et du commerce de proximité.
[3] Voir notre précédent billet sur les prélèvements obligatoires, les PO.
[4] C’est un organisme privé mais chargé d'une mission de service public : assurer la gestion de la protection sociale des calédoniens.