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Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 1 novembre 2023

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Cocos et anars jouent Éros plutôt que Thanatos : uchronie et Histoire (Saison 2)

Précisons : uchronie très ensoleillée ; fort sombre Histoire. Les Rouges et les Noirs : Charlot pour l'uchronie et Karl Marx pour lHistoire, puis, respectivement Freddy et Friedrich Engels, Pierrot-Joé et Pierre-Joseph Proudhon, Mickey et Michel Bakounine, Lou et Louise Michel, et les autres...

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Illustration 1

On propose ici, dans cette saison 2 un petit intermède tentant d’éclairer tout le feuilleton proposé (voir la saison 1). On retrouvera en saison 3 nos héros pour de nouvelles aventures...  

Préliminaires

Allez savoir pourquoi, j’ai toujours préféré ce titre à Introduction. D’autant plus que, dans ce récit, juxtaposition de l’uchronie (le rêve réalisé de l’union entre anars ou libertaires et cocos ou marxistes) et d’un bref rappel de l’Histoire (les tentatives de rapprochement, les ruptures puis les haines) sont décrites les différentes positions plus ou moins amoureuses de ces partenaires. Dans l’Histoire, se succèdent en effet pour les anars et les cocos, comme dans un mauvais roman érotique de gare, les attouchements, plus si affinités, le désamour, le dépit amoureux, enfin la haine bien supérieure à leur haine commune envers la société capitaliste. Soyons plus directs : les premiers et les seconds ont surtout passé leur temps à se foutre sur la gueule, faute de s’aimer.

Ces deux gueules d’amour, adulées par leurs clientèles (leurs amants exploités respectifs) étaient toutes deux belles et elles le savaient ; faute de pouvoir vraiment s’aimer, anars et cocos se sont donc haïs. Éros (la pulsion de vie) s’est muté en Thanatos (la pulsion de mort) : faute de caresses tentant de prolonger les préliminaires amoureux pour se demander comment aller plus loin, on se pénètre férocement, le phallus devenant une épée. Les guerres d’égos, car c’est surtout de « ça »[1] qu’il s’agit dans l’Histoire entre anars et cocos, sont des guerres de petits coqs à ergots et phallus[2] déployés ; même si les oppositions philosophiques, économiques et politiques ne sont pas rien, surtout État or not État[3].

L’État, c’est le roi des phallus (hypothèse…) ; allons plus loin : c’est le roi des phallus qui rêve d’être toujours dressé ; le mot État (selon le Larousse étymologique de 1971) vient « du latin status, dérivé du verbe stare qui signifie au sens premier ʺse tenir deboutʺ, et au sens figuré ʺla positionʺ ». Larousse n’est pas loin de notre approche. Et ainsi, quel est le macho qui voudrait abolir l’État !

Or, la question de l’État, est évidemment centrale pour nos petits coqs ; le reste de leurs désaccords n’en sont que des avatars : comment s’organiser (de façon décentralisée ou centralisée ?) ; qui doit diriger le mouvement révolutionnaire (un petit groupe d’avant-garde à la tête d’un parti ou un groupe plus large sur une base plutôt syndicale ?) ; parti ou syndicat ? Anars et cocos sont certes d’accord sur l’abolition de l’État : mais les premiers tout de suite, les seconds après la Dictature du Prolétariat. Au moins, ce ne sont probablement pas des machos ; et il y a sans doute moyen de se mettre d’accord… Ce sera fait dans notre uchronie, pas dans l’Histoire ; et c’est bien dommage…

Mais que vient faire ici la référenc à Hamlet ? Hamlet en anglais signifie hameau, un tout petit village ; comme les anars et les cocos étaient, au milieu du XIXe siècle des tout petits groupes, des groupuscules ; et au sens strict, selon le dictionnaire d’Oxford, il s’agit d’un hameau sans église ; ça tombe bien pour nos deux groupuscules qui bouffaient du curé. Et alors ? En transposant beaucoup, on retrouve la tragédie shakespearienne : nos deux petits hameaux sans église veulent se venger du capitalisme et proposent chacun, et en hésitant, un chemin un peu différent. Ils vont tout connement finir par s’auto-flinguer (allant plus loin qu’Hamlet qui hésitait aussi[4]) au congrès de la Haye ; plus exactement, c’est Marx qui flingue Bakounine, mais, ce faisant, il ouvre grande la porte au réformisme marxiste, et surtout à la plus tragique division des Révolutionnaires[5].

Cette espèce de suicide est l’une des raisons de l’explication que certains freudo-marxistes proposent pour expliquer le fascisme de masse avec la fascination des humains pour l’autorité (dominatrice, mais aussi, malheureusement, subie) qui peut aller jusqu’à l’autodestruction ; on peut également expliquer ainsi le peu de succès, congénital, du socialisme libertaire antiautoritaire. Mais n’allons pas trop vite…

Le récit uchronique n’est évidemment qu’un rêve ; mais, je me répète, ce rêve aurait pu se réaliser. Cependant, dans l’histoire, les noms d’oiseaux ont, des deux côtés, volé en escadrille. Deux exemples. Les marxistes, c’est leur tasse de thé, adorent taxer les anarchistes de « petits-bourgeois » ; et ils dirent pire. Les anarchistes ne furent pas en reste : Proudhon prétend, dans une phrase lapidaire, que Marx est « le ténia du socialisme » ; et lui et ses copains trouvèrent mieux. La formule avec le ténia est en effet lapidaire, mais assez claire : Marx serait à la fois un parasite qui s’accroche et ne se nourrit que des digestions des autres en baignant dedans (ce qui est peu ragoutant). Proudhon est sans aucun doute le premier à lancer une interprétation qui fera florès dans la critique libertaire : le socialisme scientifique de Marx (dont se targuent tous les marxistes) serait en fait un plagiat du socialisme utopiste en général et de Proudhon en particulier. Toutefois, les anars ne vont pas jusqu’au bout de leur raisonnement : qu’est devenu alors, après la digestion, le socialisme utopique dont le ténia se nourrit ?

On trouve, publiés en 1983 (pour commémorer le centenaire de la mort de Marx) deux écrits libertaires développant cette saillie de Proudhon ; on peut les entendre ou les trouver très exagérés, c’est selon[6]. Il s’agit, d’une part, d’un texte du grand militant et écrivain anarchiste français contemporain[7], Maurice Joyeux, Karl Marx : le ténia du socialisme[8]. Il s’agit d’autre part d’un petit bulletin de militants anars de la base reprenant également le bon mot de Proudhon : Marx « le ténia du socialisme »[9].

Et s’il n’y avait que les quolibets et les invectives ! Les magouilles les plus sordides furent, des deux côtés, de la partie ; chacun prétendant que l’autre fit pire… Je pense que les marxistes eurent une longueur d’avance, et jusqu’à la fin du XXe siècle. Je suis un vieux marxiste non repenti, marxiste-léniniste même, « M-L » comme on disait autour de Mai 68, maoïste pour tout avouer ; ce rêve d’alliance anars-cocos peut ainsi apparaître fort bizarre sinon incongru. Marx est un grand économiste qui a beaucoup éclairé ladite « science » ; ce n’est pas le Roi Soleil de l’économie considéré par certains groupies, mais étant un peu économiste moi-même, j’en connais quelques rayons, et s’il faut bien secouer l’arbre de Marx et des marxistes pour en faire tomber les fruits trop mûrs, ce n’est pas le dernier des cons en la matière. Il est surtout agaçant, car comme on dit d’une nana qu’elle est belle et qu’elle le sait, il était intelligent et il le savait. Je fus cependant toujours écartelé[10] entre ma mère coco et mon père anar qui me reprocha, et véhémentement, de m’acoquiner avec les marxistes-léninistes, « ces plus grands assassins de l’Histoire » : la seule véritable engueulade que nous eûmes ! Ainsi va la vie... Resté anar de cœur devenu marxiste et mao (ce fut la mode…) je considérais mon père comme un anar d’opérette et, ne sachant rien à l’époque des autres libertaires, je suis resté mao…

Après les deux récits de ce feuilleton (et pour développer ce qui n’est que rapidement évoqué ici) on proposera en conclusion quelques éléments de l’Histoire des anars devenus indépendants des marxistes après 1872. Cependant, une certaine union entre anarchisme et communisme marxiste va perdurer sur toute la période (comme des traces de ce qui aurait pu se passer) : les mouvements communistes libertaires qui écriront les plus belles et tragiques pages de l’anarchisme révolutionnaire, notamment en ce qui deviendra l’URSS (Makhno en Ukraine et la révolte de Kronstadt) et dans la lutte contre Franco lors de la guerre civile espagnole. Autrement dit, ce qui aurait pu se produire comme conclusion de notre uchronie s’est réalisé, mais comme une succession de convulsions, avec luttes à mort et/ou alliances entre marxistes et anarchistes, pendant une période (de la fin de la première guerre mondiale à la chute de l’URSS) où le mouvement révolutionnaire (Russie, Chine, Corée, Vietnam, Cuba et Amérique latine) fut sans aucun doute dominé par le marxisme.

Ce récit est donc[11] une uchronie mise en parallèle avec quelques éléments de l’Histoire

La juxtaposition des deux récits alternent sans cesse dans chaque partie se succédant de manière chronologique[12]. D’abord, l’uchronie (le rêve) qui se veut un peu humoristique sinon désopilante, dans la veine d’un conte philosophique tentant de corriger les mœurs par le rire ; pour en rajouter un peu, les principaux protagonistes y sont nommés par des sobriquets ; il n’y a qu’une femme, mais elle compta pour au moins quatre. Ensuite, immédiatement pour chaque séquence, le rappel rapide de l’Histoire (la réalité) pour le mettre en parallèle avec le récit de l’uchronie, de temps en temps histoire légèrement romancée, et avec probablement des erreurs et approximations[13]. Sans ces quelques repères, l’uchronie ne serait qu’un conte philosophique sans contenu politique : il faut donc le couple uchronie-Histoire

Si l’uchronie n’a pas le projet de démontrer quoi que ce soit (comme dit en substance Bernadette Soubirous qui avait vu la Dame : « Je ne vous demande pas de me croire, simplement de m’écouter ») mais seulement de s’amuser sur un sujet politique qui me tient à cœur depuis bien longtemps, j’ai cependant l’idée saugrenue (je radote…) de penser que cela aurait pu arriver dans l’Histoire ; on en était à deux doigts. Au fur et à mesure de mes recherches, cette idée folle est apparue, d’abord trouble, puis plus claire, pour finir par une quasi-certitude : il s’en est fallu de presque rien pour que cela arrive ; et ainsi, il ne faudrait pas grand-chose pour que cela se produise dans l’avenir. On peut rêver…

Tout commença dans l’uchronie par une tentative de rapprochement entre Charlot (le clone de Karl Marx) et Pierrot-Joé (celui de Pierre-Joseph Proudhon) à l’initiative du premier ; et le second marcha dans la combine. Idem avec Mickey (jouant le rôle de Mikhaïl Bakounine) un peu plus tard, qui se fit cependant un peu tirer l’oreille mais finit par accepter. Et dans les deux cas, ce fut l’amour fou qui accoucha d’un beau mouvement unifiant les communistes et les libertaires : le mouvement des coLibs, les communistes-libertaires. Amour très fou même, car va se greffer sur cet amour politique une passion charnelle avec Lou (Louise Michel bien transformée) dite la « Libertine noire », arrivée sur le tard, qui tomba amoureuse, pendant l’insurrection de la Commune de Paris en 1871, à la fois de Charlot et Mickey pour former un trouple révolutionnaire. Ne serait-ce que pour respecter l’Histoire, Éros pointera souvent, dans l’uchronie, le bout de son nez, et de temps en temps plus que le bout de son nez ; Lou n’eut pas le nez de Cléopâtre, mais ses relations avec nos révolutionnaires dans l’uchronie ont changé la face du monde. Toutefois, qu’on ne s’y trompe pas, ce livre n’est pas fait que pour l’humour ou la gaudriole ; ce n’est pas un livre qui se lit avec une seule main. Je ne suis pas prêt de changer : Éros étant selon moi au centre du Monde, il ne peut être qu’au centre de l’uchronie comme il est déjà au centre de l’Histoire sans doute dominée par la recherche de l’orgasme et sa difficulté[14].  

Dans l’Histoire, ce fut bien différent… Toutefois, Éros y intervint aussi ; chaque héros et la seule héroïne de notre bande s’y confronta ou l’évita, un peu comme tout le monde, mais sans doute plus que tout le monde. Et, tout commença également (mais en tout bien tout honneur…) par une tentative de rapprochement entre Marx et Proudhon (à l’initiative du premier) ; Proudhon ne donna pas suite. D’où un premier désamour après des attouchements. Avec Bakounine, un peu plus tard, le même scenario recommença ; le simple boutefeu devenu anar se fit désirer mais, grâce à une radicalisation des proudhoniens après la mort du maître, il pensait son heure arrivée et accepta une pseudo-histoire d’amour vache avec Marx qui s’est conclue par son expulsion par les marxistes. Quant à Louise Michel, dite la « Vierge rouge », elle vécut sa vie amoureuse et militante en dehors de ces quatre « grands » (et les enterra tous) ; blanquiste donc, elle ne devint anarchiste que pendant ou après la Commune de Paris et ne connut probablement pas physiquement la bande historique des quatre, et surtout pas au sens de la Bible. Par ailleurs, elle ne s’est donc pas lancée dans des écrits théoriques (politiques ou économiques) bien qu’ayant tenté l’écriture à ses débuts, mais fit, à son retour de sa transportation en Nouvelle-Calédonie, de nombreuses conférences.

Dans l’uchronie ainsi que dans l’Histoire vraie, j’ai négligé, au moins pour les premiers rôles, des tas de protagonistes autres que cette petite bande : Auguste Blanqui surtout, le plus souvent en prison, et tous les autres réformistes ou gauchistes français ; mais également, par exemple, le fameux anarchiste russe Kropotkine[15]. Et (on ne se refait pas…) le rôle principal est tenu ici par Charlot-Karl ; dans l’Histoire (on peut le regretter) Karl Marx eut plus de succès que les autres héros peints ici. Pour les anarchistes, Marx est évidemment le vilain, l’antihéros[16].

Pour éviter un récit trop sec, je l’ai agrémenté de nombreuses citations des acteurs (les vraies, sorties des sources, et les bidon pour l’uchronie, sorties de mon imagination) : c’est dans les deux cas un peu plus théâtral, donc plus vivant, même si le texte et les notes de bas de page sont bien chargées.

La forme du récit est donc linéaire, avec des nombreux chapitres se suivant à la queue leu leu, comme dans un polar ordinaire... Oui, cette uchronie a, de temps en temps, des allures de roman policier ! Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les différences entre les récits de l’uchronie et de l’Histoire sont discrètes ; ensuite, quelques ruptures se produisent dont la Révolution de 1848 et ce qui suivra en France (Napoléon III) et en Europe ; mais aussi une rupture plus privée qui n’eut, bizarrement, aucune conséquence sur le cours de l’Histoire avec un grand H (sauf pour un enfant[17]). Ensuite, et jusqu’à 1872 au fameux congrès de La Haye de la Première Internationale, se développe l’uchronie de plus en plus délirante qui aurait pu bouleverser l’Histoire de l’humanité. Jusqu’à la happy end ; pour le conte, pas pour l’Histoire. C’est la fin de la cohabitation, certes très conflictuelle, entre anars et communistes marxistes, et presque la fin de notre couple uchronie-Histoire.

Le couple uchronie-Histoire n’ira guère plus loin, seulement jusqu’en 1875 : avec la première Révolution d’octobre, celle des coLibs en Allemagne, versus la lutte acharnée du socialisme marxiste contre le « socialisme d’État » de Bismarck. En épilogue cependant, est offerte, en deux saisons, une Petite suite en mode mineur, une mise en perspective qui s’imposaient : qu’allait-il se passer en Russie ? Mode mineur, car ne reste dans le récit que l’uchronie, l’Histoire étant reléguée en notes rapides de bas de page. Charlot (il a déjà enterré Pierrot-Joé en 1865 et Mickey en 1876 ; Lou fera donc des os plus vieux) rencontre vers 1877 une anarchiste russe prénommée Véra[18] où des scènes d’amour un peu croustillantes mais très philosophiques introduisent ce qui suivra.

Cependant, rassurez-vous, ce n’est pas encore fini ! Des conclusions (qui n’ont plus rien à voir avec les récits de l’uchronie et les repères de l’Histoire de la trentaine d’années de 1840 au début des années 1870, mais se proposent comme son bilan et sa suite) vous seront offertes.

Ces conclusions seront présentées sur deux saisons. La première rappellera que les anars ne sont pas morts en 1872[19] ; et il y eut en outre, répétons-le, des rapprochements entre marxistes et anarchistes, mais ils furent souvent des échecs et de nombreuses grandes gueules firent des allers-retours de l’un à l’autre[20]  ; la seconde est que si, d’un côté, la réalisation du communisme (le vrai, pas celui de ses avatars historiques !) est sans doute une lubie, le rapprochement entre anars et marxistes est sans doute théoriquement impossible ; un peu pour les mêmes raisons[21]… Sauf si… Mais on garde le suspense...

Une postface proposera (enfin…) un curieux personnage arrivé au milieu des années trente du XXe siècle : un économiste britannique qui fit un véritable melting pot de toutes les théories économiques et politiques qui sont présentées dans les deux récits. Il s’agit de John Maynard Keynes (qui sera annoncé moult fois dans cet écrit) dont le réformisme bien sympathique peut être considéré (en forçant évidemment le trait) comme notre uchronie presque réalisée en politique économique ; presque… Car Keynes puisera ses sources en même temps chez Proudhon qui développa les théories du socialisme utopique du taux d’intérêt tendant vers zéro ; mais, en même temps, chez les successeurs de l’interventionnisme bismarckien. Et on insiste rarement auprès des étudiants débutant en économie que la politique économique nazie était keynésienne…

Bibliographies

Ah ! J’oubliais ! Avant ce feuilleton, j’avais écrit quelques bouquins d’économie plus sérieux[22] ; sauf les deux derniers… Sans compter quelques billets sur Le Club de Médiapart. Et, bien sûr, ajoutons quelques précisions complémentaires concernant les sources du présent feuilleton pour les lecteurs qui voudraient aller plus loin. Tout lire (ou même 10 % ou 1 %) des œuvres complètes de chaque auteur, sans compter leurs exégèses, aurait été un travail de Romain au-dessus de mes forces ; surtout, je ne connais pas grand-chose à la science historique. J’ai donc picoré, dans le Rouge, dans le Noir et ailleurs, ce qui me tombait sous la main, mais j’ai essayé d’être équilibré et prudent avec ces sources ; et ce travail aurait évidemment été impossible sans la Toile[23], Internet, et pas seulement Wikipédia : le lecteur l’aura remarqué… Ceux qui adorent le travail de Romain ou aiment picorer à leur guise trouveront de quoi lire pour un bon moment dans ce qui suit.

La question des livres et articles traitant des luttes entre cocos et anars pourrait remplir une grande bibliothèque, et je n’ai découvert certains qu’à la fin de mes recherches[24] ; mais celle de leur rapprochement ne fait que quelques rayons[25]. On trouvera ci-dessous un inventaire à la Prévert…

Le site Le Maitron, ensemble de dictionnaires biographiques du mouvement ouvrier (dirigé par l’historien Jean Maitron, site qui continua après sa mort) est remarquable ; on peut y trouver toutes les biographies des héros de l’Histoire présents dans les récits de ce livre, avec surtout les anars, mais aussi les cocos et les autres[26] ; le Dictionnaire des anarchistes fait partie du Maitron[27].

Pour les libertaires, l’opposition née dans les années 1920 est fondamentale entre les synthétistes répondant aux plateformistes[28]. Cette opposition se retrouve (mais pas toujours) dans celle des différentes éditions anarchistes.

Commençons par celles des anars dits de la synthèse (non communistes libertaires) et, ça commence bien : il y en a deux qui se ressemblent. D’abord celle, officielle de la Fédération anarchiste, nommée Les éditions du Monde Libertaire[29], avec le journal Le Monde Libertaire (dit « le ML » ; mais rien à voir avec les « ML » marxistes léninistes…) la Radio libertaire ou encore la librairie Publico de la rue Amelot à Paris. Mais aussi celle, indépendante, des Éditions Libertaires[30] ; les lecteurs qui se sentent perdus entre les deux pourront comprendre en lisant une explication[31].

Celle des communistes libertaires les plus importants (de l’Union communiste libertaire, l’UCL) avec les Éditions Alternative Libertaire[32] et le journal du même nom. Il y en a d’autres, dont : Nada[33] ; Éditions Libertalia[34] ; L’Atelier de création libertaire (ACL)[35] ; Lux éditeur, à Montréal, Canada[36] ; enfin, les éditions créées par Jean-Pierre Duteuil, le seul « dirigeant » anar (anar Noir et Rouge) que j’ai côtoyé dans la fac où nous étions collègues, lui anar et moi mao, mais unis dans les luttes syndicales et antifascistes : Les éditions Acratie[37].

La biodiversité des anars est ainsi fort riche…

Les marxistes proposent les principaux textes marxistes (mais aussi anarchistes et sociaux-démocrates) dans L’Archive internet des marxistes (Marxists Internet Archive ou MIA en anglais) plus simplement marxists.org[38]. Le site de Wikirouge[39] est plus radical (mais admet aussi le Noir et le Rouge…) : « La ligne politique est communiste révolutionnaire. Nous sommes conscient.e.s de la division qui existe au sein de ces courants (trotskisme, communisme libertaire, conseillisme...), mais nous pensons qu’un travail unitaire est possible et peut nous bénéficier à tou.te.s, si l’on se fixe les principes suivants… ».

Notes de bas de page

[1] Le « ça » de Freud, évidemment…

[2] Je me fous de savoir qui a raison entre les finasseries de Freud, Lacan et Derrida concernant ce phallus.

[3] « To be or not to be, that is the question », « Être ou ne pas être, voilà la question » : vivre ou ne pas vivre (se suicider) est en effet tout simplement la question que se posait Hamlet : « Je me flingue ou pas ? ». La première Internationale ouvrière joua le même théâtre, vécut peu et se suicida quand Marx vira Bakounine en 1872 au congrès de La Haye.

[4] En lisant le premier monologue d’Hamlet (Vivre et lutter ou se flinguer, donc) on peut remplacer ce héros par nos anars et nos cocos : essayez, ça marche !

[5] Et on finira les deux récits de l’uchronie et de l’Histoire par une autre pièce de théâtre tragique où des exploitées voulant tuer leur patronne vont se détester ; et, encore, l’une tuera l’autre…

[6] À mon humble avis, Marx plagiaire des anarchistes, et singulièrement de Proudhon, est une légende (bien colportée par les libertaires…). En revanche (n’en déplaise aux marxistes intégristes) Marx s’est beaucoup inspiré en économie (c’est le moins que l’on puisse dire : il les a en fait pompés, en les réarrangeant) des théories des économistes classiques britanniques : Adam Smith et David Ricardo surtout ; il a repris leur théorie de la valeur travail et de la plus-value (elle est déjà évidente chez Smith, mais sans le mot ; on y reviendra) comme source du profit, ainsi que toutes ses conséquences (péréquation des taux de profit, etc.).

[7] Il a traversé le XXe siècle : il est mort en 1991 à plus de 80 ans.

[8] In La Rue - n°33-35, Groupe libertaire Louise Michel, 2ème trimestre 1983. On trouve le texte complet sur la Toile. Chaque fois que le texte est lisible sur cette Toile, le Net, on ne détaillera pas la bibliographie :

https://fr.theanarchistlibrary.org/library/maurice-joyeux-karl-marx-le-tenia-du-socialisme

Voir également, dans ce même numéro, un texte de critique du marxisme et un texte du Groupe Maltesta de critique de Rosa Luxemburg.

[9] Ce petit opuscule (qui est en outre un écrit vintage : on le trouve pour 1 € à la libraire anarchiste (Publico) de la rue Amelot ; mais aussi en occasion sur la Toile jusqu’à plus de 35 €…) fut publié par le Groupe Sacco-Vanzetti (préface groupe Sacco-Vanzetti, Fédération anarchiste, Chelles, Les Editions de l’Entr’aide, 1983). Il contient, outre l’introduction-préface, deux textes : le premier, de Rudolf Rocker, est celui du titre général ; le second, de Gaston Leval, est Bakounine et l’État marxiste.

[10] Tout petit, ma mère me bassinait avec Staline et ses copains, et mon père me parlait de son héros anar : Maurice Joyeux…

[11] On l’aura compris et vu dans la saison 1.

[12] Bien que ne lisant jamais, ou très rarement, de roman, exception qui confirme la règle, je fus toutefois impressionné par la lecture de La Part de l’autre, d’Éric-Emmanuel Schmitt (Librairie Générale Française, 2003). Selon la théorie du chaos, un rien, un tout petit chouïa peut changer la face du monde ; ce fut le cas en octobre 1908 selon Schmitt : Adolf Hitler fut recalé pour la seconde fois au concours d’entrée à l’École des Beaux-Arts de Vienne ; Schmitt imagine que son double, Adolphe H. y est reçu. Schmitt a le génie d’alterner dans son texte, sans transition marquée, l’uchronie et l’Histoire. Je ne possède pas cet art : l’alternance sera indiquée ici par les titres des paragraphes : avec ces grosses ficelles, il est ainsi difficile de se perdre.

[13] Engels et Marx se rencontrèrent-ils le 28 août 1844 à Paris au Café de la Régence, le grand café des joueurs d’échecs, ou s’étaient-ils croisés auparavant dans un bar à vin ou une brasserie de Berlin ? Peu importe ! Engels est-il vraiment tombé sous le charme de Marx, presque comme on tombe amoureux (au moins de son génie) alors que Marx le provoquait sciemment en le titillant sur son appartenance à la bourgeoisie. Après la réponse posée mais sans doute calculée de son futur alter égo, il lui dit l’admiration qu’il a pour son livre La Situation de la classe ouvrière en Angleterre. Voir la scène du film biographique franco-germano-belge réalisé par Raoul Peck en 2016 et sorti en 2017 : Le jeune Karl Marx ; il fait partie de nos sources, même si les rapports avec Proudhon sont transposés (l’unique échange de lettre est remplacé par une scène en live dans un hôtel).

[14] On y reviendra dans la conclusion un peu théorique avec le freudo-marxiste Wilhelm Reich (et sa fonction de l’orgasme) et quelques autres pour tenter d’expliquer pourquoi les anarchistes libertaires ont peu de succès.

[15] Pierre (Piotr) Alexeïevitch Kropotkine fut un petit jeune comparé à Marx, Engels, Proudhon et Bakounine : la génération suivante. Il est né en 1842, presque comme Louise Michel, et mort en 1921, près de quarante ans après Marx.

[16] « Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur » indique un proverbe africain. Heureusement, les anarchistes eurent leurs historiens.

[17] Un cliché éculé qui vaut cependant ici son pesant d’or : entre sauver un enfant et sauver une toile de Rembrandt, Marx choisit de sauver le Rembrandt : sa notoriété. Mais ne divulgâchons pas : à part quelques happy few qui commencent à avoir la puce à l’oreille, les lecteurs devront aller plus avant...

[18] Dans l’Histoire, il s’agit de l’échange de lettres de 1881 entre Véra Zassoulitch et Marx concernant les deux possibilités de Révolution en Russie.

[19] Non, comme Saint Éloi dans la chanson bien connue, les anars ne sont pas morts après le malheureux congrès de La Haye ; mieux, la diversité des points de vue va exploser, dont les branches les plus actives seront, répétons-le, les différents communismes libertaires, cependant assez différents des coLibs de l’uchronie.

[20] Parallèlement aux communistes libertaires, les anars vont de temps en temps lutter avec les communistes marxistes ; mais le plus souvent, sinon toujours, ils se heurteront aux communistes historiques qui les liquideront ; les rares tentatives récentes en France (singulièrement celle de Daniel Guérin il y a plus d’un demi-siècle et, plus récemment de la Ligue communiste trotskiste devenu NPA (Nouveau parti anticapitaliste) sont restées marginales et sans bain de sang.

[21] On rappellera d’abord les raisons pour lesquelles le communisme rêvé par Marx et Engels est sans doute lui-même impossible à réaliser ; les horreurs du communisme historique n’étant qu’une présomption de preuve. Que le ver était déjà dans le joli fruit proposé par Marx et Engels aura été montré dans les récits de l’Histoire et de l’uchronie des anars et des cocos de 1840 à 1872 : une seule solution, celle des coLibs. Les clichés ne sont pas toujours de mauvaises photos, mais on insistera surtout sur deux points : l’humain pense surtout à ses intérêts personnels ; l’humain est un loup pour l’humain et Thanatos domine souvent Éros. Il est chiant ce Freud... En second lieu, une petite analyse sera proposée où l’on tente de démontrer que le rapprochement conté dans l’uchronie et donc tenté maintes fois dans l’Histoire est théoriquement impossible : le socialisme autoritaire ne pouvait, par construction, que gagner contre le socialisme libertaire : on aura recours, on l’a déjà indiqué, au freudo-marxisme et à des analyses proches. Impossible, sauf si certaines conditions sont réunies (en jetant Œdipe cul par-dessus tête) ; il s’agit sans doute d’un rêve...

[22] « Voie chilienne » au socialisme et luttes paysannes, sous-titre Approche théorique et pratique d’une transition capitaliste non révolutionnaire, Collection documents et recherches d’économie et socialisme n° 10, Maspero, Paris, 1977. Analyse macrocomptable et comptabilité nationale, deux tomes, Collection exercices et cas, n° 15, Economica, Paris, 1991. Théorie générale de la monnaie et du capital, Collection Innovations économiques, L’Harmattan, Paris, 2003, en quatre tomes : La Monnaie : bâtarde de la société, enfant putatif du banquier (Tome 1) ; Cachez cette monnaie que je ne saurais voir ! (T 2) ; La monnaie : Doctor Maynard and Mr Keynes (T 3) ; Principe d’incertitude généralisé et énergie de la monnaie : E=Mv2 (T 4). Introduction à une théorie générale de la monnaie et du capital, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation, n° 17, L’Économie du siècle, Points critiques de l’accumulation, pp.29-50, 2003. Macrocomptabilité de la France. Le capitalisme des trente années de plomb par la comptabilité nationale, Édition 2006, Collection Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, 2006. Histoire critique des théories monétaires des économistes. L’argent contre la monnaie, Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, 2007. La Chute : théorie de la crise actuelle du capitalisme. Taux d’intérêt et taux de profit, 2000-2008 : crise financière ou crise réelle ? Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, 2008. Trente Glorieuses, trente années de plomb, Grande crise. Macrocomptabilité de la France, 1948-2008, Édition 2009, Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, 2010. Baisse des taux de profit et d’intérêt en France : une approche empirique et théorique de la crise, Revue de la régulation, Capitalisme, institutions, pouvoirs, n° 9, 1er semestre 2011, édition électronique. Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante ? Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, 2018. Nouvelles calédoniennes, sous-titre Entre Éros et politique, L’Harmattan, Paris, 2022. Mémoires capitales II, sous-titre Brève histoire du bon temps d’un maoïste amoureux, Autofiction, L’Harmattan, Paris, 2022.

[23] On a proposé le plus souvent, surtout quand le texte cité était lisible sur la Toile, d’y accéder, en note de bas de page, par un lien hypertexte (en caractère bleu souligné). La version électronique de ce feuilleton est évidemment commode…

[24] Entre mille, on peut lire la contribution récente (2019) Petite histoire de la Première Internationale, AIT : à la rencontre de Karl Marx et de Michel Bakounine ; ses auteurs sont très divers, Christian Eyschen, Michel Godicheau, Dominique Goussot, Pierre-Yves Ruff et Jean-Marc Schiappa (le père de Marlène…). L’éditeur est Theolib (Collection Résistances) du protestantisme libéral.

[25] Entre cent, quelques textes intéressants : Jean-Christophe Angaut, Retour sur les critiques anarchistes du marxisme, Actuel Marx, Populisme, contre populisme, 2013/2 (n° 54) :

https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2013-2-page-173.htm

et Pierre Beaudet, Anarchisme, marxisme et socialisme : le débat continue, Nouveaux Cahiers du socialisme (revue québécoise) janvier 2021. Pierre Beaudet était un canadien du Québec, ex mao :

https://www.cahiersdusocialisme.org/anarchisme-marxisme-et-socialisme-le-debat-continue/ 

[26] https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/maitron/

[27] https://maitron.fr/spip.php?mot28&debut_articles=210#pagination_articles

[28] https://fr.wikipedia.org/wiki/Plateformisme

 et :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Synthèse_anarchiste

[29] On y trouve en outre des archives et des tas d’autres choses :

https://www.editions.federation-anarchiste.org/index.php 

[30] https://editions-libertaires.org/ 

[31] https://www.monde-libertaire.fr/?articlen=&article=A_propos_des_Editions_libertaires

[32] https://www.lalibrairie.com/livres/editeurs/editions-alternatives-libertaires,0-741421.html

[33] https://www.nada-editions.fr

[34] https://www.editionslibertalia.com/catalogue/poche/dix-questions-sur-l-anarchisme

[35] http://www.atelierdecreationlibertaire.com/

[36] https://luxediteur.com/maison/

[37] https://editionsacratie.com/,

avec la liste de ses principaux livres publiés :

https://editionsacratie.files.wordpress.com/2021/04/catalogue-acratie-2.pdf

[38] Marxists Internet Archive

Des tas de langues ; aller à Français puis surfer... On y trouve donc aussi les anars…

[39] https://wikirouge.net/Accueil

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