
L’économiste qui reprend le dessus sur le romancier ou l’essayiste amateur, pense en effet qu’une sorte de tentative de synthèse des théories économiques et politiques présentes dans nos deux récits est apparue dans l’histoire de la pensée économique : c’est le travail de John Maynard Keynes (fin dialecticien donc…). Ses analyses économiques furent le sujet de quelques-unes de mes amourettes : je voulais, comme beaucoup, tenter des rapprochements avec Marx, mon premier Amour.
Cette amourette fut rapidement déçue : je me suis rendu compte que le réformisme de Keynes n’était, au niveau de ses fondements économiques théoriques, que des conneries et/ou des incompréhensions. Rares sont ceux qui insistent sur ce point et chargent ainsi le Grand Keynes. Paul Anthony Samuelson, prix dit Nobel[1] d’économie en 1970 (la deuxième année où ce prix fut décerné) et chef de file de l’école de la Synthèse néoclassique (synthèse de la théorie macroéconomique de Keynes et de la microéconomie néoclassique) déclarait quelque part, au sujet de la Théorie générale : « C’est un livre mal écrit, mal construit, et tout profane attiré par la renommée de son auteur se fait escroquer de cinq shillings en achetant cet ouvrage plein de confusion et d’erreurs… Dans la Théorie générale, le système keynésien ne se dégage que de façon floue […] on a tout lieu de croire que Keynes lui-même n’avait pas vraiment compris sa propre analyse ». Je le pense aussi. Heureusement pour le keynésianisme, d’autres auteurs ont beaucoup mieux compris que lui l’interventionnisme réformiste (quelquefois radical, souvent molasson, jamais révolutionnaire ; mais mâtiné d’un esprit de liberté et combattant les formes libérales et ultralibérales du capitalisme) qui a suivi la crise des années trente du XXe siècle, dont le Suédois Gunnar Myrdal, l’un des pères de la social-démocratie qui domina longtemps à Stockholm[2] et, évidemment, Samuelson lui-même.
Le principal apport de Keynes est un évident héritage de la théorie monétaire de Proudhon (et de ses inspirateurs : les saint-simoniens et Louis Blanc) que John Maynard ne cite pas : son inconscient, celui de l'incertitude radicale de Keynes, l'explique peut-être. Ce réformisme est pourtant tout sauf anarchiste puisqu’il prône, contre les économistes libéraux après la crise économique déclenchée en 1929, l’intervention de l’État dans l’économie[3] ; mais il s’inspire (c’est le moins que l’on puisse dire…) de la théorie économique du Proudhon de 1848 avec son crédit gratuit et sa Banque du peuple[4]. Keynes fut en effet hétérodoxe ; et il n’eut pas que la théorie de Proudhon dans sa garde-robe idéologique. Son réformisme assumé, dit pourtant « Révolution keynésienne », trouve ses sources dans nombre de courants anarchistes, communistes, entre les deux ou ailleurs, qui se sont côtoyés ou combattus pendant la trentaine d’années et les années suivantes qui nous ont intéressées : un gros brin des saint-simoniens repris donc par Proudhon, après Louis blanc ; une touche de Société Fabienne[5] ; un tout petit brin de théorie de la valeur travail et de critique du capital improductif, comme un clin d’œil à Marx. Mais il a aussi beaucoup emprunté à l’interventionnisme allemand et donc au « socialisme d’État » cher à Bismarck, l’un des ennemis de nos coLibs… et avec pour finir une surprise ; mais n’allons pas trop vite…
Keynes présente bien une sorte de synthèse, en économie, des thèmes de notre uchronie et de l’Histoire ! Un économiste se devait ainsi de conclure l’ouvrage. Mais ne rêvons pas : l’apport de Keynes ne fut qu’un patchwork entre l’anarchisme et l’étatisme… Faire de ses idées une réalisation de notre uchronie doit être considéré comme une licence poétique et politique.
1 – D’abord les emprunts à Proudhon, l’anarchiste réformiste qu’il a allègrement pompé...
Keynes reprendra en substance ce que déclarait Proudhon à l’Assemblée en juillet 1848 en écrivant dans la Théorie générale : « La disparition de la rente du capital [l’intérêt] entraînera bien d’autres changements radicaux dans ce régime. Le grand avantage de l’évolution que nous préconisons, c’est que l’euthanasie du rentier et du capitaliste oisif n’aura rien de soudain, qu’elle n’exigera aucun bouleversement »[6]. Il a bien pompé notre anar ; pas mot pour mot, mais l’esprit est le même[7].
Ce que racontait Proudhon (gonfler la masse monétaire, donc la masse de capitaux à rémunérer en rabotant le taux d’intérêt) peut se tenir si l’on suit la théorie du taux d’intérêt d’Adam Smith[8]. Mais ce qu’en fait Keynes, avec son invention du marché de la monnaie, pourtant repris par tous les keynésiens (dont Samuelson…) est une légende ; et une légende tenace ! Cedit marché de la monnaie confronte une demande de monnaie et une offre de monnaie.
Keynes fait de la demande de monnaie (terme déjà ambigu : non pas demande pour la dépenser, mais demande pour la thésauriser, pour la garder) une fonction décroissante du taux d’intérêt ; c’est vrai au niveau microéconomique, pour tout un chacun; et encore, mais ne pinaillons pas. Pourquoi ? Si les taux d’intérêt sont bas, on garde ses liquidités (ou on vend ses titres boursiers) ; pas seulement par ce que cela ne vaut pas le coup de prêter, mais parce que le taux risque de remonter ; dans ce cas, la valeur de marché des obligations (des prêts-emprunts mais sous forme de titres négociables sur le marché boursier obligataire) va baisser : c’est le « risque de taux »[9]. Ainsi, si le taux d’intérêt est petit ou très petit, une majorité (les italiques sont importantes) des agents économiques va penser qu’il risque de remonter : il y a risque, grand ou très grand, de baisse des cours ; cette majorité va donc vendre pour retrouver la liquidité, donc demander de la monnaie dans le sens de Keynes. Si, au contraire, le taux d’intérêt est élevé ou très élevé, une majorité de spéculateurs va penser qu’il y a peu de risque de baisse des cours : cette majorité va donc acheter des obligations, nouvelles ou anciennes, en se débarrassant de sa monnaie, en déthésaurisant. Cette demande de monnaie pour motif de spéculation (comme Keynes et ses suiveurs la nomment) est donc une fonction décroissante du taux d’intérêt. CQFD ! Pas du tout !
Car ce qui est évident au niveau microéconomique de chaque agent devient une plaisanterie au niveau macroéconomique. Pourquoi ? Il y a toujours (sauf suspension des cotations sur le marché secondaire obligataire, plutôt rare) des spéculateurs qui, pour des taux ni trop hauts ni trop bas, pensent le contraire de la majorité, des contrariants… et, par cette spéculation, la monnaie passe simplement d’une poche à une autre, de celui qui vend à celui qui achète ! Pas un cent d’augmentation ou de diminution de la masse monétaire au niveau macroéconomique ! L’invention par Keynes, et reprise par tous les keynésiens donc, d’un marché de la monnaie, est donc une véritable farce !
Sur ce Marché de la monnaie, à la demande fondée sur ce qui précède, se confronte une offre de monnaie des banques commerciales offrant des crédits bancaires. On peut discuter de cette notion qui entraîne quelques difficutés mais on est loin de la farce de la demande de monnaie [10].
Je suis convaincu que Keynes avait vu sa connerie de la demande de monnaie pour motif de spéculation ; cette erreur de débutant est le paradoxe mic-mac [11] : ce qui est vrai au niveau microéconomique, n’a ici aucun sens au niveau macroéconomique ! Il tourne en effet autour du pot en prenant ce qu’il appelle « le cas simple », mais se garde bien de passer au cas général. Il avait sans doute compris que s’il devait abandonner la généralisation au niveau macro de sa juste analyse au niveau micro, toute sa théorie du marché de la monnaie était par terre.
2 – Un clin d’œil discret à Marx[12]
Keynes semble également s’enticher des économistes classiques britanniques. Non content de répéter Proudhon sur la baisse du taux d’intérêt à long terme, il se fait le défenseur de la théorie de la valeur travail ; pourtant il déteste Ricardo et Marx, surtout Marx… C’est certes bien caché au milieu de la Théorie générale : le capital n’est pas productif, c’est le travail qui produit toute chose ; on le raconte rarement aux étudiants, mais il suffit de le lire[13].
Résumons, car Keynes est, comme souvent, peu clair en mélangeant la théorie de Proudhon avec celle de la valeur travail qui intéressa peu ce dernier. La première partie de la citation de Keynes se réfère encore à Proudhon ; il reprend sa théorie de la décroissance à long terme du taux d’intérêt qui serait une loi naturelle. Mais il va encore plus loin : le taux d’intérêt « ne rémunère aujourd’hui aucun sacrifice véritable, pas plus que la rente du sol » ; l’intérêt est ainsi assimilé à une rente indue, comme chez les socialistes britanniques du mouvement des Fabiens reprenant les analyses de Saint-Simon et Proudhon. Cependant, dans la Théorie générale, Keynes ne proposa pas de doper son « euthanasie[14] des rentiers » par la baisse des taux d’intérêt en rajoutant l’inflation. Malgré toutes ses qualités, il n’a jamais dit, même s’il le pensait très fort, que l’inflation pouvait également contribuer à cette « euthanasie » ; sauf une fois quand il était encore « jeune », en 1923 dans La Réforme monétaire : « L’inflation est injuste… mais il […] est pire, dans un monde appauvri, de causer du chômage que de duper les rentiers ».
Keynes se réfère aussi (seconde partie de la citation) à la théorie de la valeur travail selon laquelle le capital n’est pas du tout productif (pas besoin de Marx, Smith aurait suffi ; on l’a vu). Un lecteur peu attentif pourrait croire qu’il ne fait que répéter Smith et Marx ; c’est oublier que déjà le premier niait le profit ayant son origine dans le « travail d’inspection et de direction ». Pour Keynes, le profit n’a rien à voir non plus avec ce travail ou talent de l’entrepreneur ; il va ainsi très loin en mettant l’entrepreneur et son talent dans le camp des travailleurs ; traduction moderne : « Tous ensemble, tous ensemble contre le capital improductif porteur d’intérêt ! ».
3 – Keynes s’est également largement inspiré de l’interventionnisme avant, pendant et après Bismarck ; mais, là il n’a rien compris du tout…
Keynes a littéralement pompé (c’est encore le mot juste ; mais par l’intermédiaire de l’un de ses jeunes assistants) un écrit prophétique de 1903 d’un Allemand autodidacte dans la veine de l’interventionnisme dominant dans ce pays depuis List et surtout le grand chancelier qui proclama Empereur le roi de Prusse. Il s’agit de Nicholaus Johannsen[15], avec son Kreislauf des Geldes[16], souvent traduit par La Circulation de la monnaie ; Le circuit de la monnaie est une traduction plus correcte, plus spécifique à cette analyse, car en sont donc nées plusieurs écoles dites circuitistes.
Johannsen, sans aucun doute, est le père du mécanisme du multiplicateur dit d’investissement ; il s’agit en fait de toute dépense exogène du revenu, national ou intérieur[17]. Multiplicateur d’investissement est une appellation idiote, une autre connerie de Keynes et des keynésiens que n’avait pas commis Johannsen, mais qui fit ensuite florès… On enseigne pourtant aux étudiants que Keynes a emprunté la théorie du multiplicateur à l’un de ses sherpas[18], l’un de ses anciens étudiants : Richard Ferdinand Kahn[19]. Mais où Kahn a-t-il trouvé son idée ?
Après des années de recherches infructueuses, je viens peut-être de trouver comment on est passé de Johannsen à Kahn : grâce à un dénommé Adolf Lowe[20]. Ainsi, on a le probable chaînon manquant entre Kahn et Johannsen, grâce à Jean-Marc Daniel ; mais en cherchant bien on trouve maintenant des confirmations. Lowe fut un haut fonctionnaire de la République de Weimar qui critiqua la politique idiote d’austérité du chancelier Brüning[21] au début de la crise, suite au krach boursier de 1929 ; il avait sans aucun doute lu, en bon interventionniste allemand, Johannsen. Lowe (un Juif et social-démocrate ; ça fera beaucoup pour les nazis...) avait voulu jouer le rôle de Keynes, sans succès, pour lutter contre les crises économiques et le chômage. C’est sans doute aussi l’inventeur de ladite École circuitiste allemande qui arriva en Allemagne et avait tenté de lutter contre la crise jusqu’à l’époque de Keynes, mais avant la Théorie générale et avant le nazisme[22].
Là, c’est l’autre face du conte de notre uchronie, quoique les contemporains de Keynes (interventionnistes dans la tradition de Bismarck) les circuitistes allemands furent des démocrates progressistes sinon marxiste[23] ; encore une ironie de l’Histoire où l’interventionnisme de Bismarck accoucha d’une théorie que Keynes mélangea avec celle de Proudhon.
Kahn passe donc le relai à Keynes. Mais ce dernier n’a rien compris, mais alors rien du tout, à l’histoire de l’égalité de l’épargne et de l’investissement et ainsi du multiplicateur dit d’investissement. La théorie de Johannsen est juste, sa reprise par Keynes est une grossière incompréhension… Histoire donc de vendre quelques vieux bouquins, je n’en dirai pas beaucoup plus... Seulement un indice : Keynes s’y reprend à deux fois dans sa Théorie générale : deux chapitres sont consacrés à l’égalité (éventuelle…) de l’épargne et de l’investissement[24]. Une première fois, au Chapitre VI, La définition du revenu, de l’épargne et de l'investissement, point II. – L’épargne et l’investissement ; ils sont toujours égaux[25]. C’est vrai, et on enseigne ainsi aux étudiants débutants que « I = S » : mathématiques de course[26]… Au Chapitre VII, Nouvelles considérations sur le sens des notions d’épargne et d’investissement[27], Keynes répète son truisme : « De la définition donnée au chapitre précédent, il résulte que l’Épargne et l’Investissement sont forcément d’un montant égal puisque, pour la communauté considérée dans son ensemble, ils ne sont que deux aspects différents de la même chose ».
Alors, où se trouve l’erreur ? Keynes ne l’a pas vue[28] en écrivant : « M. Hawtrey, par exemple, qui attache une grande importance aux variations du capital liquide, c’est-à-dire aux augmentations (ou aux diminutions) involontaires du stock de produits invendus, a proposé une définition de l’investissement d’où les variations de cette nature sont exclues. Un excès de l’épargne sur l’investissement est alors la même chose qu’une augmentation involontaire du stock de produits invendus, c’est-à-dire qu’un accroissement du capital liquide. M. Hawtrey ne nous a pas convaincus de la nécessité de mettre ce facteur en relief… ». Bref, il n’a rien compris à la théorie du multiplicateur de Johannsen, alors qu'elle était fondée justement sur cette inégalité qu’Hawtrey mit plus tard en relief.
Hawtrey est un grand économiste, spécialiste de la monnaie, de la politique bancaire et des cycles économiques ; et ami de Keynes ; c’est dommage qu’il n’ait pas convaincu son ami ! C’est pourtant simple ; et Hawtrey avait, lui, tout compris. En cas de surproduction (possible donc, Keynes l’a montré contre l’optimisme de tous les libéraux suivant Jean-Baptiste Say) si une partie de l’épargne est thésaurisée, gardée sous forme de monnaie, se forment alors des stocks non désirés de produits invendus, ΔStnd ; ce sont bien des investissements (car ils correspondent à des revenus non consommés et thésaurisés), mais ils ne sont pas, évidemment, désirés[29] ! Keynes n’a jamais compris, ou plutôt a feint de ne pas comprendre, cette évidence. Et il culpabilisait peut-être par rapport à son emprunt (direct ou indirect) à l’inventeur du multiplicateur : avant le Circus, Keynes citait Johannsen dans une note de bas de page du Treatise on money[30] ; Johannsen disparaît curieusement de la Théorie générale. Si jamais certains y étaient aller voir en lisant son dernier bouquin...
Myrdal a mieux compris le mécanisme du multiplicateur, avec sa distinction ex ante-ex post (prévision, anticipation versus réalisation) ; mais passons.
Et arrive la surprise annoncée…
4 – La politique économique interventionniste des nazis fut keynésienne : une sorte de « socialisme d’État » à la Bismarck, l’aspect « national » (le nazisme) en plus…
- En fait, il faut inverser la proposition : le keynésianisme eut pour but, au milieu des années trente, de sauver les meubles de la démocratie dans une situation politique très grave : à l’extrême droite Hitler (et Mussolini) ; à l’extrême gauche (disait-on) Staline. Keynes employa (certes bien après Roosevelt aux États-Unis d’Amérique) puis les keynésiens plus tard, la même politique économique que celle qui fut employée au même moment en Allemagne sous le régime nazi, mais donc également envisagé auparavant par des démocrates de gauche allemands (au moins Lowe ; peut-être Föhl). On insiste rarement sur cette coïncidence ; mais elle ne peut éclabousser le grand démocrate que fut Keynes, car les deux politiques avaient tout simplement les mêmes sources : l’interventionnisme circuitiste allemand !
Une politique économique ressemblant donc fort à celle préconisée par Keynes a ainsi permis à l’Allemagne nazie de supprimer le chômage, de vaincre la crise et de se préparer à vaincre l’Europe, pourquoi pas le Monde, en commettant le génocide d’une grande partie des Juifs d’Europe, et d’autres atrocités. Il y eut en effet, en Allemagne nazie, un économiste peut-être moins brillant que Keynes et beaucoup moins connu chez nous, mais qui eut plus de pouvoir pour appliquer sa politique économique : Hjalmar Schacht[31] (à prononcer, pour les non-germanistes : Yalmar Charte) la petite moustache d’Adolf, mais la raie des cheveux au milieu. Sa politique, sous Hitler, fut fondée sur de grands travaux comme la construction d’autoroutes financées par l’État, mais surtout de travaux de réarmement, plus une politique monétaire géniale qui séduisit un temps Keynes et Hayek au début de la guerre ; sa technique très astucieuse est cependant très compliquée à expliquer, même aux économistes...
Il fallait bien finir cette uchronie qui passe son temps à rêver de l’amour entre communisme et anarchie par le portrait d’un brave économiste nazi, qui géra en bon père de famille une horreur qui ne fut que la conséquence des haines entre ceux qui voulaient s’y opposer. Haines entre socialistes réformistes et communistes, mais aussi haines entre libertaires et marxistes. Et le ventre de ces haines est encore fécond qui accoucha de la bête immonde (je sais, je me répète, un peu comme l’Histoire).
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Et je propose de clore ces propos par une fin théâtrale, à la Jean Genet… Car ces haines suicidaires résonnent avec sa géniale pièce de théâtre Les Bonnes : ces deux bonnes veulent tuer leur maîtresse ; mais, à la fin, l’une tue l’autre.
On ne va pas ici reprendre la critique de Genet, ni rappeler tant son côté sulfureux que son côté lumineux : on propose juste une interprétation peut-être un peu originale de cette pièce jouée pour la première fois en 1947. Il met en effet en scène deux bonnes qui échangent souvent leur rôle et celui de la maitresse ; on s’y perd donc et on ne va pas divulgâcher. Claire, la petite sœur, est très révoltée et excitée, mais effacée ; elle rêve de dominer son aînée dans le rôle de meurtrière de Madame, la patronne ; Solange est plus mûre, plus réservée mais aussi plus m’as-tu vue, et est d’ailleurs inquiète du comportement qu’elle juge trop révolté de sa sœur. Solange incarne la raison : le marxisme ? Claire incarne la passion : l’anarchisme ? Madame, c’est, évidemment, la bourgeoisie, le capitalisme… mais incarnée par une bonne ! La scène du jeu de rôle au début de la pièce chamboule tout (mais le spectateur ne le découvre que plus tard) où Solange joue la bonne et Claire joue Madame, serait à retravailler dans cette optique : Solange à Claire : Que Madame se souvienne que je suis la bonne… / Claire à Solange : Je vois dans ton œil que tu me hais. / Solange : Je vous aime. / Claire : Comme on aime sa maîtresse, sans doute. Les deux bonnes veulent assassiner Madame avec du tilleul bourré de Gardénal. Comme les cocos et les anars voulaient tuer le capitalisme bourgeois, mais s’entre-tuent ; plus exactement les premiers tuent les seconds (qui s’en remettront).
Lors de la scène finale, Claire (l’anarchie, ici sans aucun doute) joue le rôle de Madame (la bourgeoisie), et boit le tilleul empoisonné ; elle meurt, mais en mourant elle assassine symboliquement sa maîtresse (la bourgeoisie). L’anarchisme n’a-t-il pas toujours été accusé (avec, en plus, l’adjectif dépréciatif de « petit ») de faire le jeu de la bourgeoisie ? Mais, pour les anarchistes, c’est peut-être le contraire…
Genêt, supposé anarchiste[32] a peut-être pensé à cette interprétation de la pièce ; mais il ne l’a jamais dit.
Notes de bas de page
[1] Plus exactement le « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ».
[2] Son ouvrage, L’Équilibre monétaire (écrit en suédois en 1932) précéda de façon évidente la Théorie générale de Keynes de 1936 et ne tombe pas dans les travers de Keynes (qui ne le mentionne pas). Ironie de l’histoire des prix Nobel d’économie, il l’obtint (en 1974) en même temps que l’ultra-libéral Friedrich von Hayek.
[3] Avec son ouvrage de 1936, The General Theory of Employment, Interest and Money : en français et en plus clair, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, dite, pour simplifier, Théorie générale.
[4] Autres points communs avec Proudhon, Keynes était un homosexuel assumé, rarement honteux ; mais il se maria aussi. Quel rapport entre son homosexualité et sa pensée économique, se dira le lecteur ? Il faut toujours qu’il place des histoires de cul dans ses écrits ! Ce n’est pas seulement pour les égayer : je pense, et je me répète, que c’est important. On murmure que le principal opposant ultralibéral à Keynes (mais, en privé, dans les Clubs anglais, ils étaient de vrais amis) Friedrich von Hayek (que revoilà...) l’un des plus importants ultralibéraux contemporains de Keynes, aurait dit et même écrit quelque part que son hétérodoxie en économie n’était probablement pas étrangère à ses mœurs…
[5] Il eut une affinité avec des membres de la Fabian Society britannique, des réformistes assumés (déjà rencontrés plus haut) nés la fin du XIXe siècle dont il fut proche. C’est déjà tout Keynes : le choix de ce mouvement de se nommer Les Fabiens vient du nom de celui qui mena pour Rome la guerre contre le Carthaginois Hannibal, Fabius Maximus, dit Cunctator (le Temporisateur ; mais dit aussi Ovicula, la petite brebis ??). Jugeant l’armée romaine trop faible, il se contenta de harceler Hannibal, refusant systématiquement le combat ; d’où son surnom.
Cependant, Keynes n’appartint jamais au mouvement des Fabiens : il n’aimait guère le socialisme et avait une dent contre Marx ; il fut toujours membre du parti libéral, comme Beveridge, le père du Welfare state britannique (l’État de bien-être, souvent traduit en français, pour sa généralité, d’État-providence) : pas loin de Bismarck (système de protection fondé sur des assurances sociales et financées par des cotisations sociales) alors que le système beveridgien est financé par l’impôt et n’assure qu’un minimum de protection, par exemple pour la retraite.
[6] À la fin de la Théorie générale, chapitre 24, Notes finales sur la philosophie sociale à laquelle la théorie générale peut conduire.
[7] Rappelons ce que proclamait Proudhon : « Les deux vices marquants du monde économique où nous vivons sont le premier que le plein emploi n’y est pas assuré, le second que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d’équité. […] point de dépossession, point d’expropriation, point de banqueroutes, […] annihilation du revenu net, par la concurrence de la Banque Nationale, c’est-à-dire la liberté, rien que la liberté. […] Je vous demande aujourd’hui, comme représentant du peuple, obligé, à ce titre, de ménager tous les intérêts, d’ordonner que cette révocation soit faite avec toute la lenteur et les ménagements que peuvent souhaiter les positions acquises, avec toutes les garanties de sécurité que peuvent exiger les propriétaires ». C’était déjà du Keynes !
[8] Le taux d’intérêt n’est, selon Smith, que le taux de profit moyen moins une prime de risque, plus exactement une décote de moindre risque pour les prêts que pour les capitaux propres : le crédit bancaire augmentant la masse monétaire apparente à rémunérer ne peut que faire baisser mécaniquement le taux de profit (la masse des capitaux à rémunérer s’accroissant) et, donc, le taux d’intérêt. Pour en savoir plus, voir mes écrits théoriques, car c’est un peu coton…
[9] Qui achètera le mardi une obligation de 100 achetée le lundi à un taux rapportant 5 % (donc 5 par an) si le taux est, ce mardi, passé à 10 %, rapportant donc 10 ? La valeur de marché de l’obligation d’ « occasion » va évidemment chuter et induire une perte en capital. Que le malheureux spéculateur du lundi garde ou vende son obligation, il fait la gueule. Mais comment et pourquoi les taux d’intérêt varient ? Bonne question à laquelle on ne répondra pas ici : théorie du taux d’intérêt d’Adam Smith, d’ailleurs critiquée par Marx ; théorie de Keynes des taux suivant ceux choisis par les Banques centrales et influencés par la politique monétaire ; théorie des économistes néoclassiques (offre d’épargne et demande d’investissement) ; quelques autres plus ou moins proches ?
[10] Toute offre de crédit d’une banque à ses clients est censée créer de la monnaie. C’est apparemment vrai : le compte de l’emprunteur est augmenté et cet argent, la monnaie scripturale (écrite dans les comptes) peut être dépensée et même être transformée en monnaie presque sonnante et trébuchante, la monnaie fiduciaire émise par les banques centrales. Pour certains économistes, vieux débat, ce n’est que la vitesse de circulation de la monnaie qui est accélérée, pas sa masse qui est augmentée ; par exemple, aucun crédit ne produira jamais un gramme d’or supplémentaire, la vraie et seule monnaie pour certains (les partisans de l’étalon or). Mais arrêtons là ce cours d’économie…
[11] Keynes tombe ainsi dans le panneau de l’un des paradoxes dit « mic-mac », « micro-macro » (ce qui est vrai au niveau microéconomique peut être faux au niveau macroéconomie) qu’il était pourtant le premier à fustiger. Par exemple, la baisse des salaires peut doper la demande de travail de chaque entreprise (ce qui augmenterait l’emploi : foutaise libérale !) mais surtout induire du chômage généralisé par la baisse de la demande effective.
Je n’en dirai pas plus : il faut bien vendre ses vieux livres…
[12] En fait aux économistes classiques britanniques qui ont inventé la théorie de la valeur travail, ensuite pompée par Marx.
[13] « Au lieu de dire du capital qu’il est productif, il vaut beaucoup mieux en dire qu’il fournit au cours de son existence un rendement supérieur à son coût originel. Car la seule raison pour laquelle on peut attendre d’un capital qu’il rende au cours de son existence des services dont la valeur globale soit supérieure à son prix d’offre initial, c’est qu’il est rare ; et il reste rare parce que le taux d’intérêt attaché à la monnaie permet à celle-ci de lui faire concurrence. À mesure que le capital est moins rare, l’excès de son revenu sur son prix d’offre diminue, sans qu’il devienne pour cela moins productif - au moins au sens physique du mot ». Comprenne un peu qui pourra... Là, il s’agit encore d’une référence à Proudhon qui pense qu’à long terme, le taux d’intérêt va tendre vers zéro (voir plus haut sa polémique avec Bastiat) : pas besoin de la théorie de la valeur travail, la rareté suffit.
Mais la théorie de la valeur travail pointe plus que le bout de son nez quand Keynes continue : « Nos préférences vont par conséquent à la doctrine [selon laquelle] c’est le travail qui produit toute chose, avec l’aide de [...] la technique [...] avec l’aide des ressources naturelles […] avec l’aide enfin des résultats du travail passé incorporé dans les biens capitaux. […] Il est préférable de considérer le travail, y compris bien entendu les services personnels de l’entrepreneur et de ses assistants, comme le seul facteur de production ». Mais il se garde bien de citer Marx ou même les économistes classiques britanniques !
[14] Qui a remarqué que cette expression était fort bizarre ? Les rentiers « qui gagnent de l’argent en dormant » (expression évocatrice de Keynes) ne se sentent pas malades et ne demandent pas à faire cesser une quelconque souffrance ! Keynes n’osa bien sûr pas dire : « l’assassinat des rentiers à petit feu »…
[15] Qui le connaît, même chez les économistes sérieux ? C’est l’inventeur du mécanisme du multiplicateur que tous les économistes débutants connaissent (mais probablement pas tous mes lecteurs…) et que leurs professeurs attribuent à Keynes qui d’ailleurs, n’y a rien compris… (Samuelson pensait-il à cet aspect de la Théorie générale ?).
[16] Der Kreislauf des Geldes und Mechanismus des Sozial-Lebens (Le circuit de la monnaie et mécanisme de la vie sociale) écrit en allemand à Berlin, mais sous le nom de J. J. O. Lahn, Berlin, Puttkammer & Mühlbrecht, 1903.
[17] Une dépense dite exogène du revenu n’est pas liée (comme la consommation finale des ménages) au revenu, l’autre face du PIB ou (en gros et pour simplifier) du produit national : son montant est lié à d’autres considérations. Par exemple, en effet, l’investissement (lié positivement à sa rentabilité et lié négativement au niveau du taux d’intérêt) mais aussi les dépenses publiques ou les exportations.
[18] Keynes lui a demandé, pour l’aider, de diriger un groupe que l’on peut considérer comme ses sherpas : le Cambridge Circus.
[19] En 1931, ce dernier écrit (dans un article de l’Economic Journal) The Relation of Home Investment to Unemployment (La relation entre l’investissement intérieur et le chômage). Serait ainsi né le « multiplicateur d’emploi » que le génial Keynes aura transformé (sans bien comprendre donc…) en multiplicateur d’investissement.
[20] Grâce à Jean-Marc Daniel dans un article qui m’avait échappé : Richard Kahn, l’inspirateur du multiplicateur keynésien, Le Monde, 10 mars 2006. Jean-Marc Daniel indique que Kahn « s’intéresse aux économistes allemands, qui, refusant la notion d’équilibre chère aux néoclassiques, concentrent leurs réflexions sur les cycles et les moyens d’en limiter l’ampleur. En 1903, Nicolaus Johannsen a publié à Berlin une brochure passée d’abord inaperçue où il explique que toute dépense nouvelle suscite une chaîne de dépenses qui se traduit, in fine, par un accroissement du revenu national supérieur à celui de la dépense initiale. En 1931, dans une Allemagne en crise, Adolf Lowe utilise cette idée pour conseiller une politique de grands travaux, qui doit servir à ses yeux à ″réamorcer la pompe″ : les salaires versés aux ouvriers travaillant sur les chantiers publics seront dépensés chez des commerçants qui […] à leur tour dépenseront ». Pas de multiplicateur d’investissement donc, mais seulement de « toute dépense nouvelle », exogène donc au revenu. Les keynésiens proposeront aussi des grands travaux ; et, avant le Keynes de la Théorie générale de 1936, Roosevelt et ses conseillers.
[21] Du parti du Zentrum dont le nom est évocateur, ni à droite ni à gauche (tout rapprochement avec une politique française plus récente et un en même temps serait purement fortuit...) tentant de faire le pont entre la gauche hors parti communiste et la droite hors nazis ; Brüning fut chancelier un peu avant Hitler, tout au début des années trente. Comme Hoover aux États-Unis, il pratiqua une politique restrictive de rigueur déflationniste : il n’y eut pas à sa suite un Roosevelt, mais un Hitler.
[22] Adolf Lowe (ou Löwe) fut un économiste un peu marxiste et sociologue lié à l’École de Francfort d’avant les nazis, spécialiste des cycles économiques. Lowe aurait peut-être voulu jouer le rôle que joua Keynes, sans succès ; il fut contraint d’émigrer en Angleterre, puis aux États-Unis après la prise de pouvoir par Hitler. Il retourna en Allemagne et mourut de sa belle mort, à 102 ans…
[23] Un autre allemand, Carl Föhl (qui mourut aussi de sa belle mort en 1973 et fut considéré dans son pays, après la guerre, comme un keynésien) avait en 1935 produit une thèse (publiée en livre en 1937) dans les deux cas sous le nazisme donc, dont les idées sont considérées peu éloignées de celles de Keynes. Il est en effet l’auteur (après donc la publication de la Théorie générale de Keynes) de Geldschöpfung und Wirtschaftskreislauf que l’on peut traduire par Création monétaire et circuit économique (publié à Munich et Leipzig, 1937 ; pour la réédition, Duncker & Humblot, Berlin, 1955). Il existe une école française du circuit (les circuitistes français) mélangeant keynésianisme et marxisme ; elle eut un temps son heure de gloire et fut soumise à ma critique acerbe, mais, je pense, argumentée ; voir La monnaie : Doctor Maynard…, op. cit. On trouve Föhl sur la Toile en allemand, mais ça ne va pas très loin non plus.
Föhl a-t-il pompé Keynes ? Probablement pas selon le grand économiste et historien de la matière, Joseph Schumpeter, dans son Histoire de l’analyse économique (traduction en français) de 1954 qui considère sa théorie comme différente de celle de Keynes, laquelle ne reprend en effet pas exactement la théorie circuitiste, antérieure à Föhl, des économistes allemands ; en outre, son livre est la reprise de sa thèse rédigée en 1935. Keynes a-t-il pompé Föhl ?
[24] Toute la théorie du multiplicateur de Johannsen se trouve dans cette question ; il démontre en effet que l’épargne et l’investissement ne sont pas forcément égaux, par les variations non-désirées des stocks.
[25] Pas le moindre problème n’est soulevé concernant leur égalité : « Ainsi, bien que le montant de l’épargne résulte du comportement collectif des consommateurs individuels et le montant de l’investissement du comportement collectif des entrepreneurs individuels, ces deux montants sont nécessairement égaux puisque chacun d’eux est égal à l’excès du revenu sur la consommation, […] l’égalité de l’épargne et de l’investissement en découle nécessairement ».
[26] Si l’on note toujours, comme tout le monde (le franglais est vieux comme l’apparition de Keynes en économie) l’investissement I comme investment et l’épargne S, comme Saving (ce qui est sauvé, épargné de la dépense du revenu) on a bien, toujours I = S ; c’est simplement une identité, (notée I ≡ S, le signe ≡ indiquant cette identité, toujours vraie) une tautologie, un truisme (a truism en anglais). ; mais c’est malheureusement pour Keynes (et la plupart des économistes), plus compliqué : il ne faut pas confondre l’investissement effectif (I) et l’investissement désiré (Id) par ceux qui veulent investir. Mais il est possible qu’Id soit différent de S ! Un peu de patience…
[27] Vous imaginez la réaction du correcteur d’une copie d’un étudiant qui produirait deux chapitres pour traiter, sans la moindre dialectique, d’une question un peu compliquée !
[28] Je suis convaincu qu’il l’avait vue, cette connerie, comme pour sa fable du marché monétaire, mais n’a pas voulu la voir : elle remettait en cause, et une seconde fois, toute son analyse ! Malin et efficace, John Maynard : personne ou peu d’économistes n’a ou n’ont tiqué.
[29] Pour les économistes qui adorent les formalisations (ici très simples) on peut rajouter : Id < S avec, bien sûr, S = Id + ΔStnd = I ; on a toujours l’identité I ≡ S. Dans le cas contraire, avec une sous-production (offre inférieure à la demande) les ΔStnd sont négatifs (si des stocks de produits existent ; le contraire étant rarement le cas) et, avec ce désinvestissement en stock, S = Id - ΔStnd = I. Et le multiplicateur de Johannsen devient une évidence (que peu d’économistes ont comprise, préférant les formalisations mathématiques qui ne sont alors encore que des tautologies). Illustrons ; imaginons une surproduction de 100 dans un revenu national ou intérieur (le PIB, pour simplifier, qui correspond à l’offre produite) de 10 000 ; si la propension à consommer le revenu (la part consommée de ce revenu) est toujours (en moyenne comme en propension dite marginale) de 80 %, on consomme 8 000 et 2 000 (20 %) sont épargnés ; si Id n’est (pessimisme des anticipations de profit, taux d’intérêt trop élevé, etc.) que de 1 900, il manque 100 à la demande, d’où une surproduction de 100 et un ainsi un ΔStnd positif de 100 et un excès d’épargne sur l’investissement désiré. De combien faut-il alors réduire la production pour retrouver l’équilibre entre l’offre et la demande si l’adaptation par les prix ne se fait pas du tout (hypothèse keynésienne forte des prix fixes ou du moins rigides à la baisse) ? D’un certain montant tel que 20 % de cette production-PIB-revenu supprime le ΔStnd de 100. Faut-il des mathématiques supérieures pour trouver que l’offre et le revenu macroéconomique doivent alors baisser de 500, dont 400 de consommation finale et 100 d’épargne, réduisant alors les stocks de 100 ? Les pédants vous calculeront que le multiplicateur k (ici multiplicateur… à la baisse) est l’inverse de la propension à consommer, l’inverse de 20 % : 1 / 0,2 = 5. CQFD !
À l’inverse, en cas de sous-production de 100, il faut rétablir le niveau désiré des stocks qui ont fondu. De combien ? Bien sûr de 500, avec le même multiplicateur k = 5, mais ici à la hausse. Enfin, imaginons une situation d’équilibre où l’offre est égale à la demande, toujours avec un revenu et un PIB de 10 000, une consommation de 8 000, une épargne de 2 000 et un investissement désiré de même niveau ; si un nouvel investissement désiré (ou toute autre dépense exogène du revenu national : par exemple des exportations en hausse ou des dépenses publiques) par exemple de 200, est mis en œuvre immédiatement, il ne peut être puisé que sur les stocks (si, encore une fois, ceux-ci existent). Puisqu’on était à l’équilibre, le niveau désiré des stocks était le bon ; il va alors baisser par cette dépense exogène (investissement nouveau ou autres) de 200 ; quelle sera la réaction macroéconomique ? Produire k fois 200, soit 1 000, avec une consommation supplémentaire de 800 et une épargne de 200 rétablissant le niveau des stocks désirés. Et cette multiplication des petits pains est au centre des raisonnements (peut être plus sibyllins) de Johannsen, de Lowe, Kahn, Keynes et des keynésiens. Et ça marche donc aussi (mais avec l’épargne obligatoire née des impôts) avec une augmentation des dépenses publiques dans les politiques budgétaires.
[30] Ce Treatise on money, jamais traduit en français jusqu’en 2019, que Keynes a publié en 1930 mais probablement écrit en 1929 et avant le krach boursier, Marc Laudet l’a traduit il y a peu (seules des traductions allemandes et japonaises existaient !) : Un traité sur la monnaie, de John Maynard Keynes, Classiques Garnier, 2019. Il s’agit d’un pavé indigeste (surtout en anglais) et sans grand intérêt où Keynes tentait d’expliquer l’inflation par autre chose que la théorie quantitative de la monnaie, la TQM mentionnée plus haut : il sortit sa « Profit inflation » (« l’Inflation par les profits ») qu’il autocritiquera comme une erreur avant la publication de la Théorie générale. J’ai montré, dans divers écrits théoriques, qu’il s’agissait en effet d’une pure fantaisie.
[31] On peut trouver sur lui des tas de notes sur la Toile et quelques biographies ou analyses : Jean-François Bouchard, Le banquier du diable, Éditeur Max Milo, 2015, et une bande dessinée, Le banquier du Reich, tomes I et II, Éditions Glénat, 2020. Il fut d’abord banquier et économiste sous le gouvernement social-démocrate (gouvernement un peu de gauche quand même, mais celui qui suivit et réprima la Révolution spartakiste de Rosa Luxemburg) de la République de Weimar. Comme Keynes à ses débuts, il voulait lutter contre l’inflation ; Schacht parvint avec succès à juguler l’hyperinflation allemande de 1923 en créant la monnaie Rentenmark. Il fut, avant et après la prise du pouvoir par Hitler, président de la Reichsbank, la Banque du Reich (de l’Empire donc) et ministre de l’Économie du Troisième Reich jusqu’en 1937. Schacht participa-t-il vraiment à la préparation de l’attentat de juillet 1944, contre Hitler ? Il en fut accusé et interné dans un camp où il aurait failli mourir ; il en sortit, libéré par les Alliés, pour être l’un des accusés du tribunal de Nuremberg où il fut l’un des rares acquittés ; il vécut encore longtemps : il meurt en Allemagne de sa belle mort en 1970, à 93 ans.
[32] En dessert, on vous offre la remarquable biographie de Geneviève Latour, Jean Genet ou Le Combattant anarchiste et poète, Association de la Régie Théâtrale (ART) non daté (mais postérieure sans aucun doute à la mort du poète en 1986). Lisible sur la Toile :
http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/auteurs/genet/jean-genet-1.html
On vous offre aussi, pour finir, une mise en scène de la pièce (en 1991) visible sur la Toile à :
https://www.youtube.com/watch?v=QF58gF8ABsk
Peut-être un jour proposera-t-on un remake où Solange (ou Claire) sera nommée Marxisme et Claire (ou l’autre) Anarchisme. J’en parlerai à Éric-Emmanuel Schmitt…