
Les jeunes Pierrot-Joé et Mickey, Proudhon et Bakounine

Le jeune Pierrot-Joé, agneau plutôt tristounet
Pierrot-Joé est né en 1809, bien avant Charlot et Freddy : il est d’environ dix ans leur aîné. Il n’est ni juif ni blond aryen ; il est Franc-comtois né à Besançon, comme Victor Considérant, disciple de Saint-Simon, et Charles Fourier, l’auteur du Nouveau Monde industriel et sociétaire (Pierrot-Joé a participé à son édition comme imprimeur). Il fut le précurseur d’un certain anarchisme ; mais pas le même que celui de Stirner, il est devenu partisan, repoussant rapidement la violence et donc la Révolution, d’une société mutuelliste et du fédéralisme plus proche de l’ordre que du bordel généralisé, donc une anarchie entendue en son sens positif : « La liberté est anarchie, parce qu’elle n’admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l’autorité de la loi, c’est-à-dire de la nécessité » écrit-il.
Il est le seul théoricien révolutionnaire du XIXe siècle à être issu du milieu ouvrier ; il est également le seul à ne pas avoir suivi une éducation bourgeoise accomplie : il ne passe son bac qu’à 29 ans, après avoir été ouvrier typographe et chômeur, grâce à l’économiste libéral Jérôme-Adolphe Blanqui (le frère aîné du révolutionnaire Auguste Blanqui). Il ne fit donc pas beaucoup d’études au début de sa vie, mais se rattrapa ensuite. Un complexe d’infériorité suivit-il ? La question est souvent posée dont la réponse se trouve dans la question ; il n’y avait peut-être pas de quoi, au contraire. Bien sûr, il comprit sans doute mal la dialectique de Hegel, Charlot le lui reprochera plus tard avec humour et gentillesse en lui disant : « Vous-autres Français ne comprendront jamais rien à la philosophie allemande ; heureusement, au lit vous nous êtes bien supérieurs ! ». Allez savoir pourquoi, Pierrot-Joé riait jaune.
Un autodidacte ne comprenant peut-être rien à Hegel mais qui a néanmoins beaucoup écrit : plus de soixante livres. Ce n’est pas un socialiste utopique ; dans une citation souvent rencontrée et un peu sibylline, il se prétend socialiste scientifique : « La souveraineté de la volonté cède devant la souveraineté de la raison, et finira par s’anéantir dans un socialisme scientifique ». Son anarchisme est donc bien différent de celui de Stirner qui lui reprocha assez sa droiture contre le vol à la Robin des bois ; ses propositions sociales restèrent cependant floues, passant du coq à l’âne. Du coup, il eut toujours l’esprit ouvert et réussit, mais beaucoup plus tard, après s’être fait tirer un peu l’oreille, une synthèse avec Charlot.
On disait de lui qu’il était un homosexuel refoulé : que nenni ! Il n’était pas refoulé du tout, mais cachait bien ses petits jeux coquins.
Pierre-Joseph Proudhon jeune ; avec une morale sexuelle rigide
Ce qui a été dit dans l’uchronie est en gros identique à la vie de Proudhon dans l’Histoire ; mais il faut y ajouter quelques compléments. Et les travaux sur Proudhon sont innombrables[1].
Il comprit sans doute mal la dialectique de Hegel, Marx le lui reprochera avec méchanceté, son maître allemand en dialectique hégélienne étant Karl Grün, l’un des meilleurs ennemis de Karl. Ce dernier n’a pas tort : la « dialectique sérielle » de Proudhon est celle du bien et du mal et il faut rechercher l’équilibre entre les contraires ; rien à voir avec la dialectique de Hegel. Au début de sa relation avec Marx (d’abord par écrits interposés) tout alla cependant pour le mieux ; Marx loua en 1842, dans un article pour la Gazette rhénane, le « texte si pénétrant de Proudhon » : Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement. Premier mémoire sur la propriété. Ils ne se rencontrèrent de visu, selon Marx, qu’en 1844 à Paris (Proudhon n’indique aucune rencontre) ; Engels ne semble pas être intervenu directement dans les relations avec Proudhon. Lorsqu’Engels et Marx polémiquent contre des Allemands, par exemple dans La Sainte-Famille de 1844 et L’Idéologie allemande, Karl défend le Français Proudhon tout en ajoutant qu’il faut « critiquer et apprécier Proudhon ». Il va même, dans le premier écrit, le comparer à l’abbé Sieyès (grand révolutionnaire français déjà célèbre en 1788, avec son Essai sur les privilèges, puis son pamphlet de 1789 Qu’est-ce que le Tiers état ?) : « L’ouvrage de Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? est aussi important, écrit Marx, pour l’économie politique moderne que l’ouvrage de Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ? pour la politique moderne ».
Enfin, Proudhon fut-il un refoulé, homo ou asexuel[2] ? Peut-être Proudhon était-il un Ace (Ace étant au départ, la contraction du terme Asexuel-le). Peut-être ; tout simplement, était-il bisexuel (il se maria et eut beaucoup d’enfants) comme le grand Goethe qui écrivit (dans Poésie et vérité : Souvenirs de ma vie) : « C’est vrai que j’ai fait aussi l’amour avec des garçons mais je leur préférais les filles, car quand elles me lassaient en tant que fille, je pouvais encore m’en servir comme garçon ».
Les vies sexuelles, avec leurs bonheurs et leurs malheurs, orientent-elles les vies politiques[3] ? Grave question… On renvoie le lecteur au texte de Guérin qui ne manque pas d’humour ; et surtout aux citations de Proudhon lui-même. Quelques exemples pour convaincre le lecteur d’y aller voir… Pierre-Joseph, il l’avoue et l’écrit, était pourtant attiré par la chair : « Le diable qui, si longtemps m’avait brûlé du côté du cœur, maintenant me rôtissait du côté du foie, sans que ni travail, ni lectures, ni promenades, ni réfrigérants d’aucune sorte pussent me rendre la tranquillité. […] Une scission douloureuse s’opérait en moi entre la volonté et la nature. La chair disait : je veux, la conscience : je ne veux pas... ». Une dure lutte en effet. Un complexe d’Œdipe le repoussait-il ? « Je souhaite, si je me marie jamais, d’aimer autant ma femme que j’ai aimé ma mère ». Sa misogynie est connue de toutes, elle est maladive ; mais le pompon est probablement ce qu’il a écrit contre ses prédécesseurs saint-simoniens et fouriéristes et contre les conceptions sexuelles attribuées aux communistes : « Le communisme, écrit Guérin, citant Proudhon, en tendant ″à la confusion des sexes″, serait ″au point de vue des relations amoureuses, fatalement pédérastique″. Il suspecte ″l’androgynie sacerdotale″ des saint-simoniens tout comme l’″omnigamie″ de Fourier, sur qui il fait peser le soupçon inquisitorial d’avoir ″étendu fort au-delà des barrières accoutumées les relations amoureuses″ et d’avoir ″sanctifié jusqu’aux conjonctions unisexuelles″. La fureur des sens, à l’entendre, aboutit nécessairement aux jouissances ″contre nature″, à la ″sodomie″ ». Fichtre ! Et, pour conclure ce florilège, Proudhon y alla très fort ; Guérin le cite encore (dans Proudhon, De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, édition Rivière, t. IV, 1858) : « J’irais plus loin : qu’était cette prédilection tant remarquée du Christ pour le plus jeune de ses apôtres ? ».
Le jeune Mickey : plus révolutionnaire que lui, tu meurs !
Né en Russie[4] un an avant la bataille de Waterloo, il fit presque le tour du monde de la Révolution, ce qui est rare à cette époque où l’on quitte peu l’Europe et où la Suisse attire les révolutionnaires comme la lumière les papillons de nuit. Par exemple, après moultes actions révolutionnaires (conséquence de sa formation d’artilleur ?) Mickey fut arrêté par les Prussiens (d’abord condamné à mort puis gracié) jugé en Autriche, puis livré aux Russes en 1851 ; il passe des années en Sibérie (pas en vacances) mais s’évade en 1861 pour rejoindre l’Angleterre en passant par le Japon et la démocratie américaine. Il va faire le coup de feu au Japon ; recherché par toutes les polices des prédécesseurs de Meiji, il s’en tire encore et se rend aux États-Unis : même activité. Mais il a quelques ennuis avec les anarchistes juifs, et surtout avec les femmes, peu importe leur religion ou leur sentiment ; ses propos antisémites et misogynes (lard ou cochon) choquent[5]. À son retour en Europe, il ne se calme pas.
Pourquoi une telle hardiesse et ces défauts majeurs ? Mystère. Petit noble qui choisit de se déclasser ? Touché par la maladie de la suractivité ? Mickey préféra à l’artillerie la philosophie à l’université de Moscou, se passionna pour la pensée de Hegel (qui fit donc des petits en Russie) et y rencontra Alexandre Herzen, le père des premiers révolutionnaires russes. Avec Herzen, il part pour Berlin en 1840 et devient, avec lui, compagnon du cercle des Jeunes hégéliens, et écrit, en 1842, inspiré maintenant par les Ultragauchistes hégélien (bien avant Charlot et Freddy avec leur Sainte famille) un pamphlet contre la réaction en Allemagne. Les Prussiens le repèrent ; il s’exile en Suisse puis part en 1844 pour Bruxelles ; sensibilisé par la question polonaise, il rejette cependant le nationalisme et prône un rapprochement de tous les Slaves. La même année, il débarque à Paris pour trois ans et rencontre pour la première fois Charlot[6], mais aussi Pierrot-Joé[7] avec qui il tchatcha des nuits entières sur Hegel. Il n’était pas encore anarchiste et ne devint jamais communiste, mais eut des rapports chaleureux avec Charlot[8]. Mickey[9] n’était que révolutionnaire et détestait les chapelles comme les religions ; point. Il s’engueula régulièrement avec Charlot et Freddy, mais sans aucune sordide animosité[10] et évolua…
On ne contera pas ici une sombre histoire qui a dû marquer Mickey[11], mais qui n’eut aucune incidence sur ses relations avec Charlot, Freddy et Pierrot-Joé de l’époque, car l’histoire ne s’ébruita pas ; seul Herzen faut au courant.
Mikhaïl (francisé en Michel) Bakounine : un boutefeu
Mikhaïl est né en 1814 (il est donc à peine plus vieux que Marx) au sein d’une famille de petits nobles, une fraction sociale dont beaucoup de leurs enfants, peut-être se sentant déclassés, grossiront les rangs des narodniki (les populistes russes) puis des marxistes. Peut-être comme plus tard, en Mai 68, l’équivalent de ces petits-bourgeois qui voulaient « aller au peuple » (narod en russe). Son père voulait en faire un artilleur et il sera envoyé jeune à l’École d’artillerie de Saint-Pétersbourg ; bon début pour celui qui passera sa vie à faire le coup de feu et fut donc vraiment artilleur jusqu’à l’âge de 21 ans.
Préférant à l’artillerie la philosophie, il se colleta avec la pensée de Hegel à l’université de Moscou où il rencontra Alexandre Herzen. Ce dernier est le père du socialisme populiste russe (celui des narodniki, « ceux du peuple » donc, en russe) peut-être pas des anarchistes au sens de Stirner ou de Proudhon, mais l’un des pères du courant révolutionnaire auquel s’opposeront, alors qu’ils sortaient tous de ce berceau, les premiers russes adeptes de Marx, et l’un des inspirateurs de l’abolition du servage de 1861. Bakounine fut sans aucun doute influencé également par l’écrivain populiste Nikolaï Tchernychevski et son roman Que faire ?[12].
En 1840, Bakounine part pour Berlin et devient, comme Herzen, compagnon du cercle des Jeunes hégéliens, mais étudie aussi les socialistes français (Fourier, Louis Blanc, Cabet, Proudhon). En octobre 1842 (bien avant Marx et Engels avec leur Sainte famille) il commet un texte, La réaction en Allemagne, fragment, par un Français, non pas signé Bakounine, mais Jules Elysard (qui rime presque avec Élysée). Il finit par rencontrer Proudhon[13] qu’il adora alors qu’il n’était pas encore anarchiste, et Marx à Paris. Ses rapports avec Marx furent plus distants : « Nous fûmes assez amis. […] Je ne savais alors rien de l’économie politique, je ne m’étais pas encore défait des abstractions métaphysiques, et mon socialisme n’était que d’instinct. Lui, quoique plus jeune que moi, était déjà un athée, un matérialiste savant et un socialiste réfléchi. […] Nous nous vîmes assez souvent, car je le respectais beaucoup pour sa science et pour son dévouement passionné et sérieux, quoique toujours mêlé de vanité personnelle, à la cause du prolétariat, et je cherchai avec avidité sa conversation toujours instructive et spirituelle lorsqu’elle ne s’inspirait pas de haine mesquine, ce qui arrivait, hélas ! trop souvent. Jamais pourtant il n’y eut d’intimité franche entre nous. Nos tempéraments ne se supportaient pas. Il m’appelait un idéaliste sentimental et il avait raison ; je l’appelais un vaniteux perfide et sournois, et j’avais raison aussi ». Les longues amitiés commencent rarement comme cela...
Cette remarque fondamentale de Bakounine est citée par Hanns Erich Kaminski, Bakounine, la vie d’un révolutionnaire (éditeur La Table ronde, 2017) ; il est probable que cette citation soit postérieure à son exclusion de l’Internationale ; mais on n’a pas vérifié. Kaminski résume la vie militante de Bakounine en une phrase : « Michel Bakounine, le premier Russe absolument libre, accourt là où règne l’émeute, et la crée quand elle n’existe pas ». Son courage et sa folie révolutionnaires sont également notés par Kaminski (op. cit.) qui rapporte : « Marc Caussidière, collègue de barricade, disait de cette omniprésence : ″Quel homme, quel homme ! Le premier jour de la Révolution il fait tout simplement merveille, mais le deuxième, il faudrait le fusiller ! ″ ».
Bakounine participe à la Révolution de 1848 à Paris, et au Printemps des peuples dans toute l’Europe (émeutes de Prague et de Dresde) ; il voulut aller auparavant soutenir les Polonais à Varsovie, mais il n’y parviendra jamais. La Neue Rheinische Zeitung (La Nouvelle Gazette rhénane ; ne pas confondre avec la Rheinische Zeitung, la Gazette rhénane fondée en 1842 et que Marx dirigea avant sa fermeture en 1843 ; il s’agit de la Nouvelle...) de Cologne, le journal de Marx, publia un court entrefilet accusant Bakounine d’être un agent du tsar, avec des preuves accablantes de George Sand qui aurait été en possession des documents prouvant sa traitrise. Bakounine répond, en niant évidemment ; George Sand tomba des nues et fit publier par la Neue Rheinische Zeitung un démenti. Le journal s’excusa, simplement.
Allez savoir si Marx… Maurice Joyeux, dans Marx, le ténia du socialisme (op. cit.) est plus direct que moi ; il écrit : « Cette attitude de Marx devant les hommes qui apparaitront comme ses adversaires ne se démentira jamais, et un peu plus tard, alors qu’expulsé de France il s’est réfugié à Bruxelles, il va de nouveau se répandre en calomnies [...] contre Bakounine. En se servant d’une confidence que lui aurait faite George Sand, il va accuser le révolutionnaire russe d’être un agent du tsar. Celle-ci, naturellement, démentira avoir tenu de tels propos, et on est en possession de sa lettre à Bakounine où elle s’indigne de tels procédés. Que croyez- vous que fit Marx ? Qu’il s’excusa ? Il prit simplement acte du démenti et essaya de se justifier en avançant la nécessité de protéger le mouvement révolutionnaire des agissements de la police des gouvernements capitalistes en place. Le procédé est ignoble et part de l’idée classique : calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! Cette attitude va le laisser pendant des années en marge du socialisme francais, et seuls les blanquistes, lorsqu’ils auront adhéré à l’Internationale, lui fourniront un public fluctuant ». Le communiste allemand, Wilhelm Liebknecht, membre de la Ligue des communistes et cofondateur, plus tard, du Parti social-démocrate d’Allemagne (encore communiste : pas encore « socialo ») remit le couvert, au congrès de Bâle de l’Internationale, en 1869 ; sans pouvoir apporter de preuve, il s’excusa aussi, simplement[14].
Toujours selon Joyeux, un journal proche de Marx accusa aussi Bakounine, en 1866, de s’être évadé de Sibérie avec la complicité de la police du tsar ; Joyeux écrit cependant (op. cit.) : « Marx s’est toujours défendu d’être l’inspirateur de cet article, mais il écrivait dans ce journal dont l’éditeur, Urquhart, était un de ses amis et auquel un autre ami, Ewwerbeck, collaborait. Nous sommes devant une tactique que Marx rodera au cours des premières années de l’Internationale et qui consiste à faire faire par d’autres toutes les sales besognes de la calomnie de l’adversaire ». Ces calomnies seront par la suite réutilisées contre Bakounine par ses adversaires politiques.
Selon Kaminski encore, la conversion définitive de Bakounine aux idées anarchistes est sa rencontre en Suisse avec Élie et Élisée Reclus, autour de 1866. Elisée Reclus, un grand géographe et libertaire français, farouchement anticolonialiste, avait rejoint en Suisse son frère Élie et participa à la Fédération Jurassienne (qui aura une grande importance lors des débats de l’Internationale) ; il fut condamné pour sa participation armée à la Commune de Paris.
On doit, dans l’Histoire, conter une mésaventure de Bakounine qui resta inconnue de Marx, Engels et autres cocos (heureusement pour lui) ; seul Herzen et peut-être quelques norodniki russes furent au courant. Il s’agit de sa fameuse Confession au tsar, en 1851, alors qu’il venait d’être enfermé ; il existe plusieurs traductions de ce texte[15]. De quoi s’agit-il ? C’est, écrit Jean-Christophe Angaut, au sujet du texte la Confession, dans Autoportrait… d’un texte déroutant qui « semblait écorner l’image d’une figure historique du mouvement révolutionnaire russe, qui paraissait s’humilier devant son tsar, confesser ses péchés et demander la clémence pour ses crimes ». L’authenticité de ce texte ne fait pas de doute : il fut trouvé juste après Octobre 1917 dans les archives de la police politique du tsar[16]. Sans doute, Bakounine craqua : dans sa lettre à Herzen de 1860 (toujours selon Angaut, Autoportrait…, op. cit.) il s’explique : « J’ai réfléchi quelques instants, et j’ai pensé que si j’avais été en présence d’un jury, dans un procès public, il aurait été de mon devoir de tenir mon rôle jusqu’au bout, mais qu’enfermé entre quatre murs, entre les griffes de l’ours, je pouvais sans honte adoucir les formes ». Mais la confession va souvent loin : « J’ai été à la fois trompé et trompeur ; j’ai leurré les autres et je me suis leurré moi-même, comme si je faisais violence à mon propre esprit et au bon sens de mes auditeurs. Situation antinaturelle, inconcevable, dans laquelle je m’étais mis moi-même, et qui m’obligeait quelquefois à n’être qu’un charlatan malgré moi. Il y a toujours eu en moi beaucoup de Don-Quichottisme... ».
Arrêtons là cette triste aventure ; il en eut beaucoup d’autres plus glorieuses.
Notes de bas de page
[1] Sur la Toile, on peut commencer par Wikipédia, évidemment :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Proudhon
On peut continuer avec L’Encyclopædia Universalis, mais surtout par le travail monumental où nous avons puisé une grande partie de notre pseudoérudition : Proudhon, de Hervé Touboul, Louis Ucciani, Philippe Chanial, François Dagognet (Préfacier), Collectif, Corpus, Revue de philosophie, N° 47, 2004, 366 pages quand même... Il faut citer également le travail de recherche de toute une vie, celui de Pierre Haubtmann, en trois tomes : Pierre-Joseph Proudhon, sa vie et sa pensée, Éditions Beauchesnes, Paris, 1982 ; l’auteur est un prêtre qui fut très proche du pape Jean XXIII du concile Vatican II et qui fut aumônier national de L’Action catholique ouvrière (en 1954, après la dissolution des prêtres-ouvriers par Pie XII) patron de l’Université Catholique de Paris, La Catho. Un compagnon de route bien particulier des anars...
Nous n’avons pas lu, mais on peut les indiquer, les vieilles biographies de Daniel Halevy : La jeunesse de Proudhon, Les cahiers du Centre & Eugène Figuière, Moulins & Paris, 1913 ; La vie de Proudhon, (1) la jeunesse (1809-1847) suivie de P. J. Proudhon par Sainte-Beuve (étude inachevée), Stock, 1948 ; Le mariage de Proudhon, Stock, Delamain et Boutelleau, Paris, 1955. C’est une sorte de suite à La Jeunesse qui porte sur les années 1846 à 1852 ; il a en effet épousé (pas à l’église… ) une ouvrière passementière et eut quatre filles. Rien à voir avec Proudhon, Amour et mariage, édition 1876, Librairie internationale A. Lacroix & Cie Éditeurs, réédité, Hachette livre, BNF, 2016.
[2] Daniel Guérin, anarcho-communiste et bisexuel assumé (on en reparlera) s’intéressa à la vie sexuelle de Proudhon dans Essai sur la révolution sexuelle après Reich et Kinsey (Belfond, Paris, 1969) où une partie lui est consacrée. Voir également, de Guérin, Proudhon, un refoulé sexuel sur la Toile (par exemple sur le site Socialisme libertaire, le 21 Juillet 2019). C’est un véritable florilège des conneries que Proudhon a pu raconter sur le sexe :
https://www.socialisme-libertaire.fr/2019/07/proudhon-un-refoule-sexuel.html
[3] La vie de Lou-Louise Michel en fut un autre avatar.
[4] Michel Bakounine, évidemment, dans l’Histoire.
[5] Attention : il s’agit ici de Mickey, dans l’uchronie, pas de son clone dans l’Histoire ; contrairement à Mickey, ce dernier ne fit que passer discrètement au Japon et aux États-Unis. Dans ce qui suit, l’uchronie et l’Histoire se rejoignent, sauf quand le contraire est noté …
[6] Comme Bakounine rencontra Marx.
[7] Proudhon donc.
[8] Là s’arrête le parcours commun entre Mickey et Bakounine. Les rapports de ce dernier avec Marx furent plus distants, quoique correct au début de leurs rencontres.
[9] Comme Bakounine.
[10] On est là dans l’uchronie un peu Bisounours ; dans l’Histoire, ce fut un peu moins chaleureux.
[11] Et Bakounine, évidemment.
[12] Bien avant celui du Que faire ? de Lénine, au début du XXe siècle, dont le titre fut simplement pompé sur celui de Tchernychevski ; on y reviendra bien sûr.
[13] Idem.
[14] Wilhelm Liebknecht est le père de Karl Liebknecht, cofondateur avec Rosa Luxemburg de la Ligue spartakiste, puis du Parti communiste d’Allemagne ; il sera assassiné avec Rosa Luxemburg lors de la répression de l’insurrection de Berlin.
[15] Dont : Confession (1857) De Mikhaïl Bakounine, traduit par Paulette Brupbacher, Préface de Fritz Brupbacher, Franck L’huillier (édité par Max Nettlau, Les Introuvables, L’Harmattan, 2003) ; et Jean-Christophe Angaut, Confession, avec comme sous-titre Michel Bakounine, (Le Passager Clandestin, Collection boomerang, 2013). On peut lire également, À propos de la Confession de Bakounine, de Victor Serge (1921, sur marxists.org ; réédition de son texte de 1919). Voir, sur marxists.org :
https://marxists.org/francais/serge/works/1921/12/bakounine.htm
Jean-Christophe Angaut, dans Autoportrait d’un révolutionnaire en déroute (à propos de la Confession, in Michel Bakounine, Un blog de l’Atelier de création libertaire V2, 26 novembre 2018) nous donne une information intéressante. Il nous explique (et il a l’air de s’y connaître) : « À l’époque où il rédige sa Confession, Bakounine n’est pas anarchiste et … le mouvement anarchiste n’existera qu’une vingtaine d’années plus tard. Lui-même ne se décrira comme tel qu’en 1867, et ses premiers projets politiques combinant socialisme et fédéralisme libertaire datent de 1864. Quant au mouvement anarchiste, il prend son essor après la dissolution de la première Internationale en 1872 ». Vieux débat… Angaut laisse donc de côté Stirner (qui ne laissa pas de son vivant le moindre mouvement révolutionnaire) et Proudhon, déjà connu comme anarchiste et se prétendant tel.
[16] Cela fit du bruit, arrangea le pouvoir bolchevik et, bien qu’il fût discret, fit les délices de Victor Serge, ancien anarchiste converti. Plus tard, certains communistes de premier plan en remirent une couche, singulièrement Jacques Duclos, dans Bakounine et Marx : ombre et lumière (Livre club Diderot, Paris, 1974 ; on voit où est l’ombre et d’où vient la lumière…). Le même Duclos avait commis, peu après Mai 68, Anarchistes d’hier et d’aujourd’hui - comment le gauchisme fait le jeu de la réaction (collection notre temps, Éditions sociales, Paris, 1970). Sacré Duclos !... La traduction de la Confession publiée en annexe est due à Andrée Robel qui y voit « le misérable reniement de son action militante » et suggère encore que Bakounine aurait pu être un agent du tsar. À la guerre comme à la guerre…