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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 6 février 2023

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Racisme et Caillou, Lapita, MPA Et grands débats encore, tout ça à Nouméa !

Le racisme est-il un trait dominant de la Nouvelle-Calédonie ? Non, c’est autre-chose ! Quoique… Les Kanak sont-ils les premiers occupants du Caillou ou pas ? Dans les deux cas, ont-ils empêché la civilisation Lapita d’établir une société despotique centralisée ? D’où la référence au Mode de production asiatique, le MPA : un vieux truc marxiste qui fait aussi débat. Deux débats valent mieux qu’un…

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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une moitié de Kanak bien noirs ; une petite moitié d’Européens bien blancs ; une forte minorité montrant toutes les couleurs (dont celles du métissage) dans ce monde pluriethnique. Cependant, le racisme, celui de la couleur de peau ne règne pas en maître : il y a bien d’autres motifs d’opposition ! Est-on pour ou contre l’indépendance de cette colonie qui prétend se décoloniser sans indépendance ? Pour la Kanaky Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’une Indépendance-Association (les indépendantistes) ou contre cette perspective, préférant la Calédonie française (les loyalistes). Car les premiers sont plutôt pour, les seconds plutôt contre. Ce sera notre première partie.

Un débat, plus ou moins enfoui depuis un siècle et qui réapparaît depuis une dizaine d’années, baigne encore dans la question du racisme alors qu’il ne s’agit que d’une question technique d’archéologues : la civilisation dite Lapita (du nom du site archéologique où furent découverts ses premiers vestiges : des poteries finement ciselées et gravées ; civilisation probablement aussi à l’origine des pétroglyphes, des rochers également gravés découverts sur le Caillou) est celle des premiers occupants du Caillou. Mais est-elle une civilisation kanak ? Les Lapita (on les appellera comme çà[1]) et Kanak n’étaient-ils pas tous deux couleurs ébène ? Certains prétendaient cependant, il y a plus d’un siècle, que les Kanak avaient été précédés par cette civilisation brillante qui ne pouvait pas être kanak[2]. Allons plus loin : les Lapita, selon d’autres (mais ils sont plus rares) avaient la « peau claire ». On reviendra sur tout ça dans la seconde partie, car, on l’aura compris, ces questions techniques renvoient à l’opposition politique entre : d’un côté, les loyalistes (qui préfèrent sans aucun doute l’hypothèse des Lapita, civilisation brillante établie avant les Kanak) ; de l’autre, les indépendantistes kanak qui continuent de marteler qu’ils sont bien les premiers occupants. Ce sera notre deuxième partie.

En conclusion, on proposera l’hypothèse évoquée plus haut (où le vieux marxiste renaît en effet de ses cendres, avec le « MPA ») concernant la longue Histoire kanak. Elle paraîtra certes délirante, surtout si on peut la généraliser à toute l’Océanie. Mais n’allons pas trop vite…

Préliminaires

Déjà, pourquoi se poser la question du racisme si elle n’est pas importante ! Et pourquoi une sorte de réponse de Normand ? Car le non-dit rôde sur ce Caillou. L’Historien Louis-José Barbançon, où il y est très connu[3], en a fait un livre en 1992, écrit juste après la quasi-guerre civile (dite « Les Événements », comme on disait pour parler de la Guerre d’Algérie…) : Le pays du Non-dit Regards sur la Nouvelle-Calédonie[4] . C’est un Calédonien assumé qui réfute cependant être Caldoche (terme jugé dépréciatif par la plupart d’entre eux) mais, sans aucun doute, c’est, au moins philosophiquement, un nationaliste calédonien qui a participé à des groupes politiques dans ce sens. Le mot Kanak[5], aussi très dépréciatif du temps des Canaques (l’une des injures du capitaine Haddock) est en revanche devenu l’honneur de ce peuple autochtone (appellation aussi dépréciative, mais plus soft, pour éviter canaque). Et, c’est le point clé de ce billet : dans l’opposition politique (contre ou pour l’indépendance) entre Caldoches et Kanak, n’est jamais (ou très rarement) mis en avant le racisme. Pourtant…

Le dit me semble plus efficace que le non-dit[6], car le racisme rôde encore pourtant (il a toujours rôdé) dans cette colonie, mais il prend (comme souvent de par le monde) des formes détournées. Je pense même, et avec effroi qu’il s’agit peut-être de l’un des non-dits principaux du Caillou. Si ça va sans dire, ça donc mieux en le disant ! Et, du coup, disons tout de suite, pour donner le cadre de ce qui suit, ce qui se dit rarement concernant la structure ethnique de la population de la Nouvelle-Calédonie : autour de 270 000 habitants actuellement ; et en stagnation ou même diminution avec les Métropolitains qui fuient en masse depuis 2014, ce qui semble s’aggraver depuis 2020[7].

Les recensements ne donnent que les données brutes, par exemple en 2019 (avant la fuite des Métros) : 41 % de Kanak, 24 % d’Européens (natifs et non-natifs) 8 % de Wallisiens-Futuniens, 5 % étant d’origine tahitienne, indonésienne, vietnamienne et Ni-Vanuataise… et 21 % ne se définissant pas, avec plus de la moitié cependant (11 %) se déclarant métisses et métis. Ce qui n’était qu’un mouvement de mauvaise humeur où de volonté de se définir simplement comme Calédonien dans le cadre du fameux Destin commun jusqu’en 1996 (5 % de refus) est devenue en 2019 un mouvement de grande ampleur qui concerne plus d’un enquêté sur cinq ! Ça fait du monde. Je propose depuis longtemps, faute de mieux, de répartir ceux qui refusent de se définir dans les recensements comme appartenant à une ethnie spécifique, au prorata de ceux qui se déclarent. C’est bien sûr une méthode au doigt mouillé, mais peut-être pas tant que ça ; cette méthode m’est propre et n’a jamais été reprise à ma connaissance.  Les parts brutes de chaque ethnie (les seules, évidemment, publiées) deviennent alors complètement bidon ! Selon nos données corrigées, les Kanak (avec métis, mais se sentant plutôt kanak) représentaient en 2019 environ 50 % de la population et les Européens (avec métis, mais se sentant plutôt Européens) 39 % ; avec la forte émigration nette d’Européens, les Kanak sont maintenant majoritaires, sans le moindre doute. Mais qui en parle ouvertement : ni les indépendantistes (qui doivent c’en réjouir) ni les loyalistes (que ça doit attrister) ; où alors ils sont restés le nez dans le guidon des données brutes où les Kanak n’ont qu’une majorité relative.

Voilà qui est dit pour un premier non-dit ; mais il en est un autre : au fait, c’est quoi, au juste, le racisme ? Tout le monde le sait, pourquoi rabâcher des évidences ! Pas si sûr ; allons, une petite piqûre de rappel qui va nous être utile !

Les « races », ça n’existe pas ! On sait maintenant que la diversité génétique est beaucoup plus importante entre les individus d’une même population qu’entre groupes différents ; mais les racistes existent toujours, et ça risque de durer. Depuis l’UNESCO, le mot race[8] est politiquement très incorrect : on doit dire ethnie : la future Kanaky sera pluriethnique, point. Pourtant, même le mot ethnie sent encore le soufre : l’ISEE locale (et elle n’est pas la seule) préfère communauté à ethnie[9]. Sympathique, mais à côté de la plaque si l’on regarde de plus près ce que nous disent les dictionnaires pour ethnie : (du grec ethnos) groupe d’êtres d’origine ou de condition commune, nation, peuple ; groupe humain qui partage une même culture, en particulier pour la langue et les traditions ; groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l’unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe. Pas un mot sur la gueule des gens ou leur couleur ; pourtant, ça existe la couleur et autres phénotypes comme disent les pédants avec leur jargon (ensemble des caractères apparents d’un individu ; opposé au génotype). La race et la couleur disparaissent ; et on va éviter avec ça le racisme avec cette manip de faux derches ! Et l’homophobie contre la communauté LGVT++ (qui correspond parfaitement à cette définition du mot ethnie, avec son drapeau arc-en-ciel qui représente la diversité où n’apparaissent ni noir ni blanc ni gris) c’est encore de l’« ethnisme », bref, du racisme ; parlez-en à Zemmour et Soral.

J’emploie le mot ethnisme dans son acception la plus noire : en gros celle de la généralisation du racisme sans référence à une couleur de peau ; ce mot est en revanche souvent utilisé dans un registre positif, exactement comme le mot race : j’y viens. Je ne vais pas défendre l’emploi du mot race (ce serait désespéré) ; mais l’histoire de ce mot est pour le moins contradictoire, car son origine flirte avec la noblesse. Avant le racisme contemporain, ce mot était « racé[10] ». Le dictionnaire Le Robert indiquait (et indique toujours) les deux sens du mot : « 1. Famille illustre, considérée dans sa continuité[11] … ; synonymes : ascendance, descendance, sang ; 2. Catégorie de personnes formant une communauté, ou apparentées par le comportement … ». Race était donc en fait synonyme de peuple, de culture, de lignage ; comme ethnie, mais avec une certaine noblesse ; on va y revenir car l’ambiguïté du mot et le racisme qui en découle viennent probablement de là. Bien avant la traite négrière qui a institutionnalisé le racisme anti Noir en Europe, mais peu avant le décret de l’Alhambra de 1492 (après la prise de Grenade : la fin de la fameuse Reconquista) qui expulsa les Juifs et les Maures (qui n’étaient pas noirs, sauf quelques-uns) s’était établi dans la péninsule Ibérique un système de certificat de pureté de sang (limpieza de sangre). Et les races qui tenaient tellement à leur pureté se sont éteintes par endogamie, par exemple, justement, la descendance de Charles Quint et des Habsbourg ; on dit encore « fin de race » dans cette même veine.

Que dire de cette acception du mot race-lignée en Nouvelle-Calédonie ? Elle colle parfaitement ; et des deux côtés[12]. Pour les Kanak, le culte des ancêtres est primordial : ne dit-on pas sociétés lignagères pour désigner ce type de société ? Plus curieux est l’obsession pour les Caldoches de l’appartenance à une Grande famille : Les Lafleur, Les Pentecost, Les Lavoix, Les Jeandot, et bien d’autres (mais pas tant que cela pour les Grandes) presque comme on disait Les Capétiens ou Les Habsbourg… Bien sûr, leur grandeur est définie par leur fortune ; mais on parle peu sur le Caillou, contrairement à la Métropole, des Grandes fortunes : la lignée prime sur le fric.

Voilà pour le premier côté ; passons au second. C’est plus difficile pour le mot nègre dont l’origine est bien sordide. Dans les vieux dictionnaires, par exemple le premier de l’Académie française de 1762, le mot nègre est synonyme de celui d’esclave ; dans d’autres, plus tard, au mot nègre était écrit plus simplement : « Voir esclave ». Malgré le mouvement littéraire de la négritude, de Césaire et Senghor, malgré le « Je suis nègre et je t’emmerde » du premier, le mot nègre est toujours proscrit[13]. Malgré tout, donc, la négritude n’a jamais permis au mot nègre de garder sa fierté, et c’est bien dommage.

Un mot, pour tenter d’en finir avec le racisme (oui, c’est paradoxal, mais attendez un instant) sur l’inénarrable (mais il fait pleurer[14] plus que rire) Gobineau, dit le comte Arthur de Gobineau (qui se croyait sans aucun racé : tout est là). Le point de départ de sa pensée raciste « reprend l’idée, écrit Wikipedia[15], d’Henri de Boulainvilliers que la noblesse française descend des envahisseurs germaniques, par opposition au peuple d’ascendance gallo-romaine, pour justifier leurs privilèges historiques de vainqueurs »[16]. Gobineau classe les races : la blanche, intelligente ; la noire, sensible mais vigoureuse ; la jaune, industrieuse. La « race supérieure » est bien entendu la blanche, elle-même subdivisée en caucasiens (aryens germains et francs, celtes et slaves) et sémites. Selon lui, il y a donc bien plusieurs races blanches, mais il a un faible pour la « race ariane » placée au-dessus de toutes les autres. Il avait cependant oublié d’être antisémite et évoquait donc, malin comme un singe, certaines supériorités chez les races qu’il considérait comme inférieures : par exemple la sensualité et la vigueur des Noirs, le caractère industrieux des Jaunes. C’est un grand classique du racisme : les noirs courent vite et ont le sens du rythme[17], les juifs sont très forts en affaires financières... Le métissage, pourtant nécessaire selon lui à l’épanouissement des civilisations[18], c’est la mort de la « race blanche » parce que son sang doit immanquablement être contaminé par celui des autres. Et, c’est moins connu, Gobineau (royaliste légitimiste convaincu) présente un argument raciste que je n’avais jamais entendu contre la « démocratie égalitaire »[19].

Paradoxalement (je vais encore me faire des amis…) Gobineau pourrait permettre au mot race de retrouver sa légitimité d’origine : celle de lignée souvent glorieuse (la race des Capétiens, la race des Seigneurs de Nietzsche, celle de Don Diègue et d’autres) ; mais, et c’est là que le bât blesse, définir ainsi la race entraîne, irrémédiablement sans doute, à considérer les autres races que la sienne comme des races inférieures. Tout est donc sans doute là ! Pour cette raison, le mot race sera difficile à réhabiliter ; c’est ballot, mais je viens juste de le comprendre en écrivant ce billet… Je viens aussi juste de comprendre que la structure actuelle de la population européenne, comme celle du nord de l’Afrique et du Proche-et Moyen-Orient, renvoie aussi à ethnie et donc à race : malgré des milliers d’années d’invasions et de métissages entre Blancs, chaque nation voit l’autre comme ayant un phénotype différent[20]. À l’inverse, il faut ainsi réhabiliter les mots Noir et Nègre[21].

Toutefois, pourquoi pinailler sur ce qu’est le racisme ; c’est clair, non ? Pas si sûr, et je me répète, et en dépassant l’ethnisme. Si les mots racisme et raciste sont récents (on va y revenir…) c’est la plus vieille bêtise du monde pour s’assurer de son identité par rapport aux « autres[22] », aux étrangers (du latin classique extraneus, du dehors, extérieur, qui n’est pas de la famille, du Pays) qui sont bien étranges ; et la langue, les coutumes, la religion, même le nez crochu ou d’autres traits[23] font l’affaire. Le racisme n’est, à mon humble avis, que la face sombre (la plus sombre) de la xénophobie, réservée aux plus cons qui ne peuvent percevoir que la différence de couleur : le racisme est la verrue très apparente de la phobie de ce qui est étrange car étranger.

Un exemple, en creux. Pour les Kanak, quand ils virent arriver James Cook, puis (plus tard) les autres, à Balade (au nord-ouest de l’Archipel) c’était évidemment des étrangers bien étranges ; mais la couleur de leur peau n’était probablement qu’un détail qu’ils remarquèrent sans doute moins que la différence entre leurs frêles embarcations et les navires qui accostaient. Un autre bien connu celui-là. Les Grecs de l’Hellade qualifiaient les étrangers de Barbares, car leur langage leur était incompréhensible, dont le bruit leur semblait à l’oreille comme une série ininterrompue de borborygmes (gargouillements, gargouillis internes aux intestins) inaudibles. Mais pas de racisme dans cette appellation ; cependant, la couleur de peau, ça se voit mieux que les gargouillis qu’on entend à peine. Je peste en particulier contre la différence assumée entre racisme et antisémitisme[24] : les mots racisme et raciste n’apparaissent en français qu’à la fin du XIXe siècle, et dans un journal antisémite, La Libre Parole de Drumont[25] ; les deux mots n’entrent dans le Larousse qu’en 1932. Résumons (et ça va nous aider pour ce qui suit) : le racisme est un ethnisme au sens utilisé précédemment ; mieux c’est la xénophobie des plus cons !

1 - Un racisme bien caché sur le Caillou ?

Si le racisme était absent du Caillou, cela serait à marquer d’une pierre blanche. Ne soyons pas naïf : il existe, et de tous les côtés (le Caillou étant pluriethnique) mais n’est que sous-jacent. Il se cache souvent (comme toujours) derrière des questions sociales où le caractère ethnique, déjà caché sous des caractères culturels, saute aux yeux.

11 - Le racisme caché sous l’aspect culturel

Existe d’abord un certain mépris des Blancs envers les Kanak, surtout de la part des loyalistes, des Caldoches, mais aussi de la plupart des Métros. On ne dit pas « Salle race ! » (ça se disait beaucoup en Algérie française) on dit simplement (je l’ai entendu mille fois) : « Ils se contentent de peu, mais c’est leur culture ; ils n’aiment guère se défoncer au travail (on évite de dire « Ce sont des fainéants ! ») parce que (dit-on pour ne pas paraître raciste…) l’argent a peu d’importance pour eux, car ils préfèrent le loisir[26] (souvent, le lundi[27], ils désertent leur boulot et perdent un jour de salaire, se reposant de leurs cuites du week-end) mais c’est leur culture ; bref, ils sont nonchalants, mais c’est leur culture ». Et l’on rajoute souvent, ponctué d’un éclat de rire : « Peut-être ont-ils raison ! ».

Ce n’est pas tout. Les Kanak ne profiteraient pas ou peu des discriminations positives à leur égard, notamment de la formation[28] ; et ils adoreraient l’assistanat. Pas de racisme là-dedans bien sûr : juste une critique envers les pauvres, il faut bien trouver quelqu’un à haïr ; Salauds de pauvres[29] !

12 - Le racisme caché sous l’opposition des communautés et l’opposition politique

Peut-être pas de racisme, mais une forte animosité entre les ethnies du Caillou… Le fameux seuil de tolérance (rien à voir, évidemment, avec le racisme ; tu parles[30] !) à 12 % pour que des problèmes naissent pour les majoritaires n’est jamais dépassé pour toutes les communautés au niveau global (sauf pour le couple Kanak-Européens) ; mais il l’est largement en Province Sud envers les Wallisiens, et des deux côtés… Contre les Wallisiens[31] mis à part, moins de racisme apparent envers les autres communautés océaniennes et asiatiques[32] : largement en dessous de ce seuil de tolérance. Et, ça fait plaisir (mais ça interroge) pas le moindre racisme des Européens envers les Caledoun, les Arabes (en fait surtout Kabyles) descendants des bagnards installés sur le Caillou, surtout dans la région de Bourail, après la Révolte des Mokrani en Algérie en 1871[33].

Il n’y eut plus de quasi-guerre civile depuis 1988 (un petit début néanmoins fin 2020) mais les Européens, Kanak et autres cohabitaient[34] dans ce qu’il est convenu d’appeler le Destin commun. Rien n’est toutefois apaisé sur le fond entre les deux blocs, malgré tous les discours sur les Victimes de l’histoire ; le racisme antiNoirs des Blancs est latent, celui antiBlancs des Kanak aussi, expliqué sinon justifié par l’anticolonialisme ; et les contradictions (ça ressemble à du racisme et s’en est sans doute) restent fortes entre Kanak et Wallisiens. Les jeunes Kanak et Wallisiens ne se supportent en général pas et en viennent souvent aux mains lors des week-ends arrosés. Toutes les autres communautés appellent les Wallisiens les Wallis : on devine le mépris.

Plus grave fut l’expulsion organisée d’une population wallisienne installée dans la localité-tribu de Saint-Louis (située sur la commune du Mont-Dore qui fait partie du Grand Nouméa) qui est surtout connue par ses incidents, dont les caillassages sur la route du Sud. Ces Wallisiens, installés depuis les années 1960 au lotissement l’Ave Maria, ont été chassés à la fois institutionnellement et manu militari par les Kanak entre 2001 et 2004[35]. Il est vrai que les Wallisiens étaient en majorité[36] alliés aux loyalistes et jouaient pour eux les gros bras, ils sont effectivement en général très costauds et occupent toujours la plupart des emplois du gardiennage, de la sécurité mais aussi du BTP ; cette affaire fut bien sûr instrumentalisée autant par les indépendantistes que par les loyalistes.

Le plus lamentable est que c’est à Saint-Louis que vivait la seule (ou presque) langue créole sur le Caillou : le tayo, d’origine réunionnaise. Il ne comptait dans les années 2020 qu’à peine un millier de locuteurs et était la langue maternelle pour les Kanak du coin, en fait diverses tribus (donc un groupe hétérogène) regroupées là et auparavant à la tribu de la Conception (toute proche) par les Maristes quelques années après la prise de possession de 1853 ; c’était aussi une seconde langue pour les Wallisiens du lotissement l’Ave Maria. Deux communautés, une seule langue, ce qui aurait pu entraîner une vraie créolisation. Car si le métissage est Roi (peut-être largement sous-estimé : à 11% donc de la population dans le dernier recensement de 2019) il n’y eut donc pas de créolisation (notion différente du métissage[37]) au sens d’Édouard Glissant, mais bien une créolisation-métissage au sens de Mélenchon[38].

Plus généralement, les immigrés wallisiens-futuniens récents (et leurs descendants nés sur le caillou) sont perçus par beaucoup de Kanak comme venant manger leur igname et leur taro, plus exactement prendre leur emploi : de nationalité française, le Caillou leur est ouvert sans restriction, de même qu’aux Antillais et Réunionnais des DOM. Beaucoup de Wallisiens (entre 8 et 10% de la population[39]) Antillais (nommés affectueusement ou péjorativement Doudous) et Réunionnais eux-mêmes se sentent cependant des pièces rapportées, même ceux qui sont nés sur le Caillou ; certains rêvent de passer leur retraite sur leur terre d’origine ; une minorité se sent intégrée mais est indépendantiste ; d’autres se sentent également intégrés mais sont loyalistes. Il est vrai que certains discours indépendantistes radicaux anciens (et moins anciens) proposaient leur rejet en cas d’indépendance.

Le racisme, souvent caché, revient quelquefois au galop ; rappelons l’incident au Congrès de Nouvelle-Calédonie en 2016 : au sujet de la délinquance kanak, en particulier à Saint-Louis toujours, où le même Wamytan insulta l’un de ses collègues par : « Sale blanc, retourne chez toi à Wallis ! ».

13 - Mais les Kanak ne furent jamais traités de nègres ; on se contenta, outre Autochtones et Canaques, de Mélanésiens

Bien que les Kanak aient la peau noire, très noire ; on ne les a jamais ou rarement traités de nègres ni même de noirs ; curieux mais explicable. L’esclavage venait d’être aboli en 1848, plus d’esclaves, plus de nègres (voir plus haut) ; et il n’y eut jamais de grandes plantations, même sans esclaves. Surtout, l’opposition entre colons européens et Kanak était directement sociale et politique : les luttes des Kanak pour tenter de garder leur terre que les colons (et, au début, pour y installer les bagnards) leur prenaient, n’avaient donc pas besoin du racisme déclaré ! La Grande révolte kanak, ou l’Insurrection kanak, ou encore, pour les Kanak, La Guerre d’Ataï qui commença en juin 1878, fut la plus grande opposition armée[40] des Kanak à la colonisation depuis la prise de possession, en 1853, de la Nouvelle-Calédonie par la France. Elle commença presque par des incidents : le bétail des colons dévorait de plus en plus les cultures indigènes de taros et d’ignames[41]. Insistons : luttes de classes et luttes coloniales, simplement ; d’un côté comme de l’autre : la couleur de peau n’était qu’un détail.

Arrivons quand même à cette question de couleur. Mélanésie signifie Îles noires[42] : on se trouve au cœur du sujet. Mais ce ne sont pas les Caldoches qui ont taxé les Kanak de Mélanésiens, mais bien avant 1853, l’explorateur français Dumont d’Urville qui forgea en 1831 le terme Mélanésie, pays peuplé par des Noirs. Toutefois, ces Noirs sont plus noirs que noirs ! Pourquoi ce mauvais jeu de mots à la Coluche ? Le mot méla vient du mot noir en grec ancien (d’où la mélanine qui permet la coloration de la peau pour éviter les coups de soleil). Mais ça signifie en fait plus que ça[43] : le grec malas vient du sanscrit mala, tache, saleté, devenu en latin malus ! Les voix du racisme sont encore impénétrables.

Car l’idéologie raciste continue d’associer la blancheur de la peau à la pureté, à la neutralité, plus même : à l’universalité (le blanc en physique n’est-il pas le mélange parfait combinant toutes les couleurs du spectre solaire ? Le noir étant l’absence absolue de lumière…

Insistons sur la mélanine : on en aura besoin plus loin. En zones très ensoleillées, la peau noire (avec davantage de mélanine) est un avantage sélectif à la Darwin, car il protège des UV et donc du cancer : il n’y a pas un gène du Noir ! Mais pourquoi cet avantage devrait-il disparaître en zones moins ensoleillées : tous les Blancs, Jaunes et Rouges venant d’Afrique, grâce à Lucy, ont perdu (sauf certains, on va y revenir) leur forte mélanine, pourquoi[44] ?  J’ai mis le temps à comprendre (peut-être parce que les scientifiques avaient aussi mis le temps) que la peau foncée, quand il y a peu de soleil fait produire moins de vitamine D qui évite le rachitisme ; et en devenant plus blanc, dans les contrées où le soleil tape moins, on économise ainsi de l’énergie et des nutriments en fabriquant moins de mélanine. Et les Noirs ont donc disparu en Europe, par sélection naturelle, mais après des dizaines, sinon des centaines de milliers d’années[45]. Avec une nouvelle glaciation (après le réchauffement climatique, s’il continue) on retournera vers l’équateur, et nous redeviendrons noirs ; mais ça mettra aussi le temps.

2 - La question de la première civilisation du Caillou, la civilisation Lapita : rupture ou continuité avec les Kanak qui suivirent ? C’est une question éminemment politique où rôde encore le racisme !

21 - L’énigme

Ce fut donc depuis longtemps une pierre d’achoppement entre les Kanak et les chercheurs ; puis ça devint une énigme à résoudre et un sujet de controverse scientifique : depuis surtout une dizaine d’années eut lieu un débat où s’opposaient les points de vue des chercheurs mais repris politiquement par les indépendantistes et les loyalistes, à moins que ce ne soit le contraire… Mais débat qui ne fit pas le buzz dans la classe politique ; c’est à peine si j’en avais perçu quelques murmures en 2018[46]. Cette question était pourtant posée explicitement depuis 2010[47]. C’est cette énigme que tente de résoudre l’archéologue calédonien Christophe Sand.

On l’a évoqué dès l’introduction, la civilisation Lapita est celle des premiers arrivants sur l’Archipel vers 1300 ou 1000 av. J.-C. (dont l’âge d’or fut en fait bref, environ 250 ans, à la fin de ce millénaire) ; la civilisation proprement kanak l’aurait suivie : ils ne seraient alors pas les premiers arrivants, sauf si les Lapita étaient des Kanak : on tourne en rond ! D’où, on y revient, l’importance politique de cette exposition du quai Branly qui décrit également la découverte de cette civilisation ? Christophe Sand répond à cette question dans un article de 2018[48] : « Dans la situation de la Nouvelle-Calédonie, l’importance de cette découverte était énorme. Les Kanaks, qui s’appuyaient sur leur statut de premiers occupants, ont longtemps refusé l’idée d’un peuplement antérieur. Puis les colons ont profité de la sophistication de l’art lapita pour prouver qu’il y avait eu plus intelligents et plus développés que les Kanaks ». Sand y précise encore, quant à l’aspect politique : « Les caractéristiques culturelles spécifiquement kanak ne se sont peu à peu développées qu’il y a environ mille ans. Elles comportaient une tradition d’accueil des étrangers : les traditions orales kanak sont remplies de récits décrivant l’arrivée de familles originaires d’autres archipels de l’arc mélanésien ou de Polynésie occidentale. Ces arrivées épisodiques ont contribué à diversifier le patrimoine génétique et à enrichir les cultures de l’archipel ». Doit-on comprendre, avec cette phrase sibylline, que les futurs Kanak étaient déjà là quand arrivèrent les nouveaux de la civilisation lapita ? L’honneur kanak serait sauf ; mais celui de ceux qui pensent le contraire également : pourquoi cette civilisation, très sophistiquée, aurait-elle régressé ; pourquoi la quasi-disparition brusque de ces fines poteries ciselées ? L’énigme est en fait toujours là…

Ces Lapita mélanésiens (ajout aux Kanak ou arrivés avant… ; insistons) n’étaient déjà plus les Austronésiens venus de Chine par Taïwan, ils s’étaient déjà métissés, selon Sand, avec les Papous : autre hypothèse de la couleur noire des Kanak. Selon une autre hypothèse en effet, les Asiatiques arrivés en Papouasie, et plus tard sur le Caillou, seraient d’origine directement africaine : ils n’auraient pas perdu leur couleur originelle. Qui a raison ; et d’où viennent alors les Papous ? Personne ne semble étonné quand est indiquée une origine asiatique aux Kanak (celle des Austronésiens, définis par une langue[49] et non pas par des caractéristiques physiques) alors que les Mélanésiens ont la peau noire. Des recherches récentes montrent que les Mélanésiens seraient bien venus d’Afrique (comme tout le monde…) en passant par Taïwan mais sans perdre leur couleur (comme les minorités négritos, proches des pygmées, d’Asie, et les Indiens dravidiens du Sud). Bref, les Africains à l’origine de l’humanité[50] auraient bien une branche sur le Caillou : les Austronésiens asiatiques ne seraient donc pas des Jaunes devenus des Noirs (par adaptation au climat) ; on sait que c’est impossible en moins de quelques dizaines de millénaires[51].

Dans une autre contribution[52], Sand oppose surtout, au début de l’archéologie à la fin du XIXe siècle, deux amateurs. L’un apparaît sympathique et proche des Kanak : Gustave Glaumont qui décrit une sorte de continuité historique de l’histoire kanak, contrairement à celle de la succession de divers peuples. L’autre joue le rôle du méchant : Marius Archambault qui va surtout étudier les pétroglyphes et ne donne pas dans la dentelle, par exemple quand il écrit (en 1901) : « Ces monuments … ne doivent pas être attribués à la peuplade canaque qui occupe l’île actuellement. […] On se trouve conduit à attribuer les mégalithes calédoniens à une race qui aurait occupé l’île avant les Canaques actuels. […] A-t-elle disparu chassée ou exterminée par un cataclysme, un changement de climat meurtrier, une épidémie, ou bien a-t-elle été conquise, massacrée ou absorbée par les hommes de race mélanésienne ? »[53].

Mais, toujours plus haut, toujours plus fort, il est une autre hypothèse que l’on trouve dans cette contribution (il s’y oppose farouchement, mais l’indique, comme tout bon scientifique doit le faire) quand il éclaire la période de la théorie de la « succession des races », autour des années quarante. Certains affirment que les pierres gravées « sont l’œuvre d’une humanité antérieure aux indigènes mélanésiens actuels » ; d’autres suggèrent que la civilisation Lapita « … correspondrait à une ou plusieurs migrations probablement blanches au départ […] issu(e)s sans doute de l’Eurasie du Nord-est … » ; rien que ça. Le même continue en suggérant (comme notre Marius) que cette civilisation (celle des Lapita) « aurait finalement été détruite par une invasion mélanésienne (papoue) … ». Sand rapporte enfin que le pasteur protestant Maurice Leenhardt, l’une des icônes du Caillou, aurait évoqué la même hypothèse d’« un peuple clair » ayant fabriqué les pétroglyphes ; c’est peut-être la seule trace de racisme chez ce pasteur.

La question est surtout devenue un buzz plus récemment, avec, par exemple une contribution qui réitère le point de vue de Sand[54] : « Les colons quant à eux, se sont servis des découvertes Lapita pour montrer l’existence d’une civilisation intelligente et développée antérieure aux Kanak ».

Sand est un homme clé dans toute cette histoire, singulièrement dans son aspect politique sur le Caillou. On peut l’écouter et le voir lors de sa conférence, en septembre 2018, au Centre culturel Tjibaou. Il était encore le patron de l’Institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique (IANCP) ; il en fut viré peu après, et assez salement, en 2019, juste avant les élections territoriales. D’autres histoires ou simplement celle de la résolution de notre énigme ? Je n’en sais rien, car tout n’a pas été dit ou écrit, à ma connaissance. Il y annonce d’ailleurs que certains de ses propos gêneraient probablement une partie de l’assistance ; on comprend pourquoi. Pourtant, il réfute l’idée raciste selon laquelle les Lapita seraient plus intelligents que les Kanak qui leur ont succédé : « L’identification d’une continuité culturelle entre la période Lapita et ce qui suit vient réfuter l’idée d’un " remplacement de population " à la fin de la période Lapita en Mélanésie ».

Sand nous décrit d’abord par le menu, dans cette conférence de 2018, que la question politique est vieille comme la colonisation française (voir sa contribution de 2020) ; on laisse le lecteur l’écouter et le voir. Sauf une seule référence : le fameux Marius Archambault[55] dont il précise la pensée. Selon cet ignoble personnage, employé des postes et archéologue amateur, les Kanak sont les plus proches de l’homme de Neandertal, c’est-à-dire « tout en bas » ; et (devenu donc grand classique) les Kanak ne sont donc pas les premiers occupants puisque les Lapita (probablement - mais Archambault ne le dit sans doute pas - des homo sapiens sapiens) les ont précédés. Pour ce dernier, quelle pourrait être la couleur de ces homo sapiens sapiens ? La réponse est dans la question.

Cette conférence fut suivie d’une autre, en plus petit comité, à la librairie Calédo Livres de Nouméa, en 2021, également retransmise par la télé Caledonia ; très curieusement, cette conférence (deux ans après l’éviction de Sand de l’IANCP) était présidée par Sylvain Pabouty, un indépendantiste radical kanak marginal… alors Président du Conseil d’administration de l’IANCP ; elle apporte peu de choses par rapport à celle de 2018, le nouveau livre présenté mis à part[56].

22 - Quelques mots sur l’intervention de l’économique dans les sociétés humaines, à partir de l’évolution de la société kanak avant l’arrivée des Blancs  

L’apport de Christophe Sand est, à cet égard, important ; cependant avec des aspects théoriques certes critiquables, mais qui résonnent avec mes propres recherches (théoriques mais pas du tout de terrain pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie). Il insiste sur ce qui peut paraître un slogan, mais qui résume toute l’histoire kanak ; souvent considérée comme un continuum d’une « société communiste primitive » fort sympathique, car sans propriété privée et (apparemment) sans hiérarchie ni classes sociales, donc sans histoire[57] : « Aucune société est immobile ». Il insiste, dans son histoire de la société kanak qui n’est donc pas immobile sur plusieurs points importants ; on n’en retiendra que les trois principaux.

En premier lieu, un renforcement des défenses militaires, singulièrement dans l’île de Maré, avec de grandes murailles faites de moellons de calcaire coralien pesant jusqu’à plusieurs tonnes dignes, toute proportion gardée, des pyramides de l’Égypte des Pharaons, lié au développement de chefferies très hiérarchisées, « pyramidales »[58], qui auraient pu se généraliser à tout l’archipel ; cependant, il n’indique pas cette généralisation possible. Il propose également, en second lieu, l’histoire du passage d’une famille retreinte au clan qui va venir « au-dessus », puis à la tribu ou chefferie, passage rendu nécessaire par un travail collectif de masse qui suppose une direction centralisée, au moins localement ; ce que les marxistes analyseraient comme l’évolution des rapports sociaux de production contrainte par le développement des forces productives. De quoi s’agit-il ? Il donne l’exemple des immenses tarodières irriguées en terrasses pour la culture du tarot et des billons pour les ignames. Il en déduit, compte tenu des immenses surfaces concernées, que la population était sans doute bien supérieure aux 40 000 kanak évalués au début de la colonisation. Il insiste en troisième lieu sur le développement des échanges locaux et avec les Îles Loyauté, et aussi avec toute la Mélanésie, Ouvéa étant la plaque tournante ; ce qui suppose peut-être une organisation plus que locale.

23 - Un MPA raté (de peu ?) au milieu du Pacifique : les Tonga

Alors que j’allais mettre sous presse, comme on disait autrefois, je viens juste de tomber (grâce à un copain) sur probablement la dernière conférence[59] de Sand ; elle est moins politique, mais l’hypothèse du despotisme local dans toute l’Océanie qui n’a pas pu se généraliser me semble renforcée[60].

Sand n’insiste plus trop, dans cette conférence, sur les rapports entre la monumentalité des constructions en dur (calcaires coralliens ou basaltes volcaniques) et la centralisation politique et religieuse croissante en maints endroits de tout le Pacifique ; mais il insiste sur la masse de main-d’œuvre nécessaire et sur l’organisation qui en découle : on peut donc faire le lien.

L’exemple des Tonga est frappant avec, entre autres, son Ha’amonga ‘a Maui, une sorte d’arc de triomphe de plus de 5 m de haut et de 4 m de large et pesant plusieurs tonnes. On sait que les tongiens ont été les principaux envahisseurs océaniens, et pratiquement les seuls organisés politiquement avec, si l’on suit Sand et l’histoire du pays, une organisation que certains considèrent comme un Proto-État[61] qui a unifié les chefferies des tribus (bien au-delà donc de l’organisation tribale déjà pyramidale décrite par Sand à Maré). Certes, ledit Empire Tu’i Tonga (né d’une royauté établie à Tongatapu, la principale île) au Xe siècle n’a duré qu’un temps, mais l’actuel Royaume des Tonga (monarchie de plus en plus constitutionnelle) garde des traces de ce passé, de même que les traditions sociales (avec un régime de castes encore prégnant).

La densité de population[62], qui semble avoir peu varié dans le temps, est (et était probablement) phénoménale ; elle explique sans doute ces spécificités des Tonga. En outre, l’anglais mis à part (Tonga fut un protectorat - mais jamais, officiellement, colonie - britannique de 1900 à 1970, date de son indépendance) le tongien écrase quelques autres dialectes locaux, et depuis longtemps : Tonga avait donc une armée et une marine…[63]. Ce Proto-État aurait pu devenir l’Empire du milieu de l’Océan Pacifique (plaisanterie en référence à L’empire du milieu[64] de l’Asie, nettement plus peuplé…) ; il n’y est pas parvenu et reste une petite royauté qui est la seule héréditaire de l’Océanie.

Conclusion

Que peut-on en déduire si l’on pense au vieux matérialisme historique ? Je propose une hypothèse qui peut apparaître délirante : il n’y eut peut-être pas de « Grand remplacement » des Lapita par les Kanak, mais une longue lutte politique qui évita le passage au despotisme qui était peut-être l’avenir de cette civilisation ; on va préciser tout de suite de quoi il s’agit : encore un peu de suspense... Hypothèse délirante sans doute, mais plausible : certains chercheurs remarquent que peu de  poteries Lapita ont été retrouvées entières : toutes (sauf rares exceptions) étaient brisées. Volontairement ? On trouve souvent de par le monde des poteries brisées ; mais les entières sont moins rares qu’en Mélanésie. Hypothèse à vérifier néanmoins…

Venons-en à l’éventuelle clé de cette histoire kanak, mais en passant encore par de la théorie : les vieux marxistes se souviennent encore de la théorie du « Mode de Production Asiatique » (noté MPA par les connaisseurs) un temps[65] étudié par Marx et Engels, prétendant que le développement des forces productives dans des Empires où l’irrigation était une contrainte forte[66] rendait nécessaire un État bureaucratique centralisé, une absence de propriété privée, le contrôle du commerce lointain ; une bureaucratie avec comptabilité, et d’autres aspects plus secondaires.

Ce despotisme dit oriental, déjà analysé par Montesquieu[67] (bien avant Marx) remet évidemment en cause l’histoire, toujours également un peu Bisounours, du passage du communisme primitif (où « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » comme aurait dit l’anarchiste de droite Jean Yanne) au vrai communisme. Et ce fameux MPA (fameux seulement pour les vieux marxistes…) a donné lieu à des débats homériques, avec quelques empêcheurs d’exploiter bureaucratiquement en rond qui virent dans l’URSS de Staline une reproduction spécifique de ce MPA ; allez voir chez Karl Wittfogel[68].

Et Pierre Vidal-Naquet[69] propose une analyse de Marx concernant ce MPA dont quelques détails nous avaient échappés. Ce n’est, pour moi, que l’histoire de la société kanak et les apports de Sand qui permettent d’éclairer ce qu’écrit Vidal-Naquet : « La thèse de Marx est que le despotisme oriental, qui fait son apparition dans les premières sociétés agricoles, représente, tout compte fait, une modification à la fois décisive et cependant apparemment peu profonde de la communauté. Les structures de celle-ci sont maintenues pour l’essentiel, mais, pour des raisons techniques - et Marx invoque notamment les problèmes de l’adduction de l’eau -, on voit apparaitre au-dessus de la tribu, de la communauté usufruitière du sol, une tribu imaginaire, mythique, une communauté supérieure qui détient, elle, la propriété authentique du sol et finit par exister en tant que personne, et qui s’incarne dans le despote, individuel ou collectif, et dans le Dieu ».

Chaque mot est important dans cette courte remarque.

« Une modification à la fois décisive et cependant apparemment peu profonde de la communauté » renvoie à la continuité bien connue du communisme dit primitif au MPA, notamment la non-existence de la propriété privée de la terre et le travail collectif. « Les structures de celle-ci sont maintenues pour l’essentiel », toujours la continuité mais seulement pour l’essentiel (les deux caractéristiques précédentes). « Pour des raisons techniques » : les fameuses forces productives. « On voit apparaitre au-dessus de la tribu, de la communauté usufruitière du sol, une tribu imaginaire, mythique, une communauté supérieure qui détient, elle, la propriété authentique du sol » : comment ne pas mettre cette affirmation avec l’un des mythes fondateurs de la société kanak (et, sans doute, de toutes les sociétés du même type), cette fameuse Terre à laquelle le collectif est tant attaché ! « Et finit par exister en tant que personne, et qui s’incarne dans le despote, individuel ou collectif, et dans le Dieu ». La fin de la phrase est simple, sauf qu’il n’y a pas, en général dans le MPA, qu’un seul Dieu ; chez les Kanak (et bien d’autres) ce Dieu tout puissant, ce sont les ancêtres qui sont retournés à la Terre. La question du despote « individuel ou collectif » est fondamentale et résonne avec ce que raconte Christophe Sand : on ne passe évidemment pas du communisme dit primitif au MPA en cinq minutes ; le chemin est long et ça peut rater.

C’est peut-être ce qui s’est passé chez les Kanak (et en Papouasie et sans doute ailleurs en Océanie) où le MPA ne s’est jamais implanté, contrairement au Moyen-Orient, en Chine et en Amérique centrale et du Sud andine. La quasi-disparition soudaine (bien que la production ait continué, mais avec de moins en moins de ciselages) des poteries des Lapita n’est peut-être que le résultat d’une opposition populaire générale à ce despotisme, quand les Lapita, nouveaux arrivants ou vieux kanak (ou Papous) ont voulu prendre un pouvoir plus centralisé.  Et cette opposition a dû continuer, dans l’histoire de la société kanak qui a suivi, la généralisation de la société très hiérarchisée de Maré ou celle de l’organisation de grands travaux collectifs des tarodières en immenses terrasses et des billons d’igname, n’a donné ni despotisme généralisé ni État central. Mais un despotisme local, sans aucun doute : celui que l’on connaît encore maintenant, cependant grignoté par celui du capitalisme colonial. Voir, pour revenir du MPA à l’actualité, la question suivante : la société kanak est-elle soluble dans l’argent[70].

On ne va pas aller au-delà de cette hypothèse[71]… Sauf, pour la renforcer : un dernier mot sur la multiplicité des langues et dialectes en Mélanésie et en particulier en Calédonie. Il n’y a pas moins, outre le français, de 32 langues et dialectes kanak ; cela prouve probablement qu’aucune tribu n’a réussi à dominer les autres (malgré les guerres) et pendant 3 500 ans[72]. Certains linguistes du Caillou ne partagent pas ce point de vue, la diversité des langues n’étant pour eux qu’une loi naturelle.

Si le MPA n’a jamais pu s’implanter ni en Kanaky ni en Papouasie, ni ailleurs en Océanie, c’est qu’aucune ethnie n’a réussi à dominer l’autre ; rien à voir donc avec ce qui s’est passé un peu partout dans le Monde, même dans certains coins d’Afrique.  Pourtant, ils avaient sans doute mis du cœur à l’ouvrage, les Kanak, dans leurs petites guerres interethniques. Cependant, pas de Grands conquérants (d’Hannibal, de César ou d’Alexandre le Grand ; de Gengis Khan, Tamerlan, Cyrus le Grand ou Attila) ; mais ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants : avantage comparatif évident.  Ce ne fut sans doute pas « Make love, not war ! », mais « Faites plus l’Amour que la guerre ! ».

[1] On en fera un mot invariable en genre et en nombre, par analogie avec Kanak.

[2] On reviendra sur cet archéologue amateur de la fin du XIXe siècle qui écrivait, au sujet des pétroglyphes : « Ces monuments ne doivent pas être attribués à la peuplade canaque qui occupe actuellement l’île » ; ils étaient, selon lui, la marque « de précédents envahisseurs plus évolués ». Ce racisme assumé éclaire bien le sujet !

[3] C’est un Calédonien assumé qui réfute cependant être Caldoche (terme jugé dépréciatif par la plupart d’entre eux) mais, sans aucun doute, c’est, au moins philosophiquement, un nationaliste calédonien qui a participé à des groupes politiques dans ce sens ?

[4] Nouméa, édité par l’auteur.

[5] Mot donc invariable en genre et en nombre, rappelons-le, par volonté des indépendantistes de Kanaky ; Barbançon n’aime guère cette coutume.

[6] Je travaille sur la Nouvelle-Calédonie depuis plus d’une dizaine d’années, avec en moyenne deux voyages de deux ou trois mois par an ; d’abord comme expert économique et financier auprès des syndicats de salariés, puis, après ma retraite, pour continuer à travailler sur l’indépendance de la Kanaky que (pourquoi le taire) je soutiens. J’ai commis, en 2018, le bouquin Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante ? (L’Harmattan, collection Écrit Tic). Le point d’interrogation interroge, mais on peut aller voir ce qu’il signifie. Ont été aussi commis quelques billets comme celui-ci sur Le Club de Mediapart : des bouteilles à la mer, en fait peu lues (sauf par les copains, après préconisation personnelle ; un peu comme beaucoup de bouquins).

[7] C’est une catastrophe sociale qui éclaire un peu mieux la dynamique des Blancs sur ce Caillou. Les Métros sont très mobiles : ils sont attirés par l’Eldorado, mais fuient en temps de crise (économique et politique) ; autrement dit, la Nouvelle-Calédonie est bien l’une des dernières colonies du Nouveau Monde. Catastrophe économique qui était annoncée depuis 2019, effet et cause du ralentissement de la croissance depuis une petite décennie, puis de la crise économique actuelle ; il y eut, en outre, les successions de référendum de 2018 à 2021, donc la peur de l’indépendance. Cette dernière période n’explique pas tout, loin de là : tout avait commencé dès 2014, l’ISEE nc (l’INSEE locale, l’Institut national de la statistique et des études économiques) ne s’en est rendu compte qu’avec le recensement de 2019 qui indiquait clairement le fort flux migratoire négatif net ; une lecture même pas trop attentive permettait déjà de comprendre que l’exode provenait des Européens, et en particulier des Métros ; mais l’ISEE l’écrivait de façon plus soft, les désignant comme des « non-natifs ». Ça vaut le coup de s’y attarder un peu ; l’ISEE écrivait en effet : « Le net fléchissement démographique s’explique par un solde migratoire apparent devenu négatif pour la première fois depuis près de quarante ans. Entre 2014 et 2019, 27 600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l’archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie … Inversement, 17 300 personnes qui ne vivaient pas sur le Caillou en 2014 sont arrivées depuis .... Le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, soit 2 000 départs nets par an ». Résumé : « L’émigration importante de non-natifs explique en partie ce résultat ». Les Européens « non-natifs » ont en effet diminué de 7,7 milliers ; quand même près de 11 % de moins qu’en 2014… Cependant, aucune mise en relation avec la minuscule population de l’Archipel : 11 % de départ, ça ferait combien en France avec 67 millions d’habitants ?

[8] On utilisera maintenant ce mot sans guillemets, sans italique et sans vergogne : une provocation ?  Non, on expliquera juste un peu plus loin pourquoi.

[9] Le mot ethnie ne veut rien dire, c’est un cache-sexe, comme on disait les Israélites plutôt que les Juifs. L’UNESCO recommanda malgré tout, au milieu des années 1950, de remplacer le mot race par celui d’ethnie ; et elle se fit aider par certains qui allaient devenir de grands noms : c’est l’un des premiers écrits de Claude Lévi-Strauss, publié en 1952 dans le cadre des recherches de cette institution pour lutter contre le racisme, où Race et Histoire met en pièces l’Essai sur l’inégalité des races humaines du Français Arthur de Gobineau (Essai qui fut malheureusement souventes fois transformé, paru en 1853, date de la prise de possession par la France de la Nouvelle-Calédonie). Le mot communauté m’énerve, car c’est encore le cache-sexe du cache-sexe du mot ethnie, même s’il s’applique à tous les communautarismes ; et depuis qu’Alain Soral parle de « la » communauté pour éviter de dire les Juifs, j’ai de l’urticaire.

[10] Avec racé, on atteint des sommets grâce aux mots croisés. En 4 lettres pour racé : Bien né ; De bonne lignée ; De première classe ; Qui a du chien ; Typé. En 5 lettres pour racée : Élégante ; Qui fait preuve de distinction. En 5 lettres pour racés : Qui ont de la classe. En 6 lettres pour racées : Distinguées. On croit rêver…

[11] Corneille s’y est repris à deux fois pour donner tout son honneur au mot race dans ce sens. D’abord, lors d’une engueulade avec le père de Chimène : « Don Diègue, mettant l’épée à la main. Achève, et prends ma vie après un tel affront, Le premier dont ma race ait vu rougir le front ». Ensuite avec son fils Rodrigue à qui il venait de demander s’il avait du cœur : « Ton illustre audace fait bien revivre en toi les héros de ma race ; c’est d’eux que tu descends, c’est de moi que tu viens ». Comment le racisme a-t-il pu salir ce mot ! Comment les antiracistes ont-ils pu accepter de ne plus l’employer ! Mektoub ! Littéralement : C’était écrit. Putain de destin ! Il y a une explication, mais on laisse le lecteur réfléchir.

[12] Je pensais que lignage était un brin dépréciatif et lignée plus noble ; ce n’est pas le cas selon les lettrés (on dit une lignée d’artistes, pas un lignage d’artistes, mais un homme de haut lignage, pas un homme de haute lignée). Quoique… Le lignage concerne en fait l’ascendance (le passé), alors que la lignée se projette sur la descendance (l’avenir). Mais c’est sans doute plus compliqué : on trouve par exemple « lignage : ensemble de personnes qui appartiennent à la même lignée » ; et, selon le dictionnaire Le Robert, race est bien l’un des synonymes de lignage

[13] Même le mot noir est évité (il n’y a plus d’Afrique noire, devenue Afrique subsaharienne) ; homme de couleur (ridicule) est devenu désuet ; enfin sont arrivés, dans le Neuf-Trois, black puis renoi en verlan : le dit différemment permet, par la bande, de garder sa noblesse à la négritude.

[14] Son enfance fut difficile (celle d’Adolf Hitler aussi…) ; ce n’est pas cela qui fait pleurer, mais son acharnement raciste bestial.

[15] On peut voir tout cela, en se pinçant le nez, sur Wikipédia. On me reprochera sans doute de trop m’étendre sur ce personnage bien dérangé, mais je préfère toujours le dit au non-dit.

[16] Les Gaulois conquis par les Romains, puis les Gallo-Romains défaits par les Francs… Mais « Nos ancêtres les Gaulois… ». On aura besoin de cette remarque dans le point 2 concernant les Lapita et les Kanak.

[17] Qui ne connaît pas cette blague (raciste ou pas ? Je la pense anti raciste) où, dans un futur lointain, deux hommes d’affaires noirs écoutent un petit cireur blanc cirant les chaussures d’un autre homme d’affaire noir, et chantant « Ah ! le petit vin blanc / Qu’on boit sous les tonnelles / Quand les filles sont belles / Du côté de Nogent » ; « On dira ce qu’on voudra des Blancs, mais quel sens du rythme ! ». Ailleurs, dans l’un des premiers film du « cinema novo » brésilien, on dit quelque-chose comme : « Le Blanc qui court vite est un champion ; le Noir un voleur ».

[18] Pourquoi cette affirmation paradoxale pour un fieffé raciste ? Wikipédia répond à cette bonne question : il manque à la race blanche, selon Gobineau, « un principe indispensable à l’épanouissement des civilisations, et plus particulièrement des arts, celui des sensations » ; bien sûr, pour lui, cette propriété est, heureusement « cachée dans le sang des noirs » ; donc, continue Wikipédia « … le métissage, auquel la nature civilisatrice de la race blanche la pousse infailliblement, s’avère indispensable : car si la race blanche est dépourvue des qualités sensuelles, la race noire manque pour Gobineau des “aptitudes intellectuelles” nécessaires à “la culture de l'art” ». Les voix artistiques du racisme sont encore impénétrables…

[19] Wikipédia note, en passant, et en le citant : il (le métissage) « mène les sociétés au néant auquel rien ne peut remédier ». L’article continue par : « Aboutissement de cette perte de vitalité causée par le métissage, la “démocratie égalitaire” apparaît comme le produit d’une passion pour l’égalité vers laquelle tendent naturellement les peuples dégénérés par les “apports des races étrangères”. Le régime démocratique est ainsi désigné par Gobineau comme le cimetière des civilisations, dont la valeur dépend essentiellement de caractères héréditaires corrélés aux propriétés du sang ». Les voix de l’anti-démocratie sont aussi impénétrables…

[20] Et c’est, bien sûr, vrai ! Quel Français ne reconnaît pas tout de suite, du premier coup d’œil (ça se discute) un Allemand ? Voir et entendre le sketch de Fernand Raynaud, L’Allemand ; malheureusement, on ne le trouve pas sur la Toile ; curieux, non ? Quel Picard ne trouve pas qu’il n’a pas la même physionomie qu’un Occitan, sans parler de la langue ? Quel Occitan n’évoque pas immédiatement sa différence avec un Maghrébin, fût-il Berbère ? Chaque ethnie, en Afrique, Asie ou ailleurs, se reconnaît par ce fameux phénotype, par la gueule qu’on présente ; s’est bien sûr une connerie, mais elle a sans doute renforcé la xénophobie et le nationalisme. Encore un paradoxe : le vrai racisme le plus odieux commence quand un Blanc ne fait pas la différence envers ceux qu’il voit comme Noirs ou Jaunes ; et, sauf à bien connaître ses interlocuteurs, il ne sait souvent pas qui est qui. Il en est évidemment de même pour les autres... Le premier qui nie cette évidence est un gros menteur !

[21] Que d’hésitations dans un même texte contre le racisme ! Si vous trouvez mieux, je suis preneur.

[22] Oui, je sais : « L’enfer, c’est les autres » de Sartre, c’est plus compliqué, mais je reste ici simple.

[23] Les Polonais, les Allemands et les Russes ne sont pas des Blancs ou des Noirs qui s’opposent : les premiers, pour endurcir leur nationalisme, ont choisi la religion catholique (les Allemands, à leur gauche étant luthériens et les Russes, à leur droite, étant orthodoxes) ; il en est de même pour les Irlandais unionistes de Belfast (protestants) ou de Dublin (catholiques) ; les Hutus et les Tutsis ne se différencient pas par leur couleur de peau ou leur nez, mais, paraît-il, par leurs traits et leur taille. On peut multiplier les exemples.

[24] L’actuelle LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme) qui combat aussi (et c’est important) les discriminations liées au genre se nommait jusqu’en 1979 LICA, sans le R de racisme ; elle voulut ainsi, après 1979, affirmer sa volonté de lutter contre toutes les formes de racisme direct ou voilé, individuel ou collectif, et sa détermination de dénoncer la discrimination raciale. Sympathique (on laisse de côté sa défense de l’État d’Israël qui interroge : c’est un autre problème qui n’a rien à voir avec le présent sujet ; même si je semble jouer ici les faux-culs) : l’antisémitisme est un racisme, un ethnisme au sens utilisé précédemment.

[25] L’antisémitisme n’était pas un délit à l’époque (1892) ; il était même plutôt fashion : cette feuille sera un des principaux supports des antidreyfusards.

[26] Rappelons aux lecteurs non-économistes que la théorie dominante (celle desdits néoclassiques qui a remplacé, à la fin du XIXe siècle, la théorie dite classique de la valeur travail expliquant les prix par la quantité de travail – car théorie développée par les marxistes, elle sentait désormais le soufre) explique justement le comportement du salarié « offreur de travail » par le choix entre le loisir et le travail. Je n’accepte de travailler plus que si l’on augmente mon salaire horaire, car je perds une heure de loisir ; or le loisir est un bien précieux mais plus sa consommation augmente, plus son utilité marginale (le plaisir marginal) baisse (la « désutilité marginale du travail » disent les pédants) comme quand on consomme n’importe quoi ; donc, perdre une heure de loisir présente une utilité marginale croissante de ce loisir. Vous suivez ? Donc, pour compenser cette perte de plaisir, il faut augmenter les salaires pour inciter les offreurs de travail à travailler plus pour gagner plus (comme disait Sarkozy). Ce n’est vrai que si ledit effet de substitution est dominant (il est sensé l’être pour les homo œconomicus dits rationnels ; à l’inverse, si ledit effet revenu l’emporte, je décide de travailler moins pour le même revenu : c’est le principe de la Target Economy que l’on adore appliquer aux primitifs non encore entrés dans la modernité (comme « l’homme africain n'est pas assez entré dans  l’Histoire » du même Sarkozy…). Sans connaître ce concept récent d’Économie de cible, Garnier considérait déjà les Kanak comme des homo œconomicus.

[27] Cet effet lundi particulier est l’un des clichés les plus courants ; mais est-ce avéré ?

[28] D’abord le Programme « 400 Cadres » (Accords de Matignon-Oudinot de 1988 qui précise : « dans le but de rééquilibrer le partage de l’exercice des responsabilités, un important programme de formation de cadres particulièrement de cadres mélanésiens, doit être engagé dans les meilleurs délais » ; puis le Programme « Cadres Avenir » (Accord de Nouméa de 1998) financé à 90 % par l’État et à 10 % par la Nouvelle-Calédonie. Succès selon certains, résultats mitigés selon d’autres.

[29] La sortie de Grangil-Jean Gabin dans le film (1956) La Traversée de Paris, sortie reprise de façon très critique par Coluche et par le film éponyme de 2019.

[30] Pas de racisme des Français envers les Ritals, les Portos, les Espingouins, les Chinetoques ou les Viets (j’en oublie, sauf les Polaks) : juste de la xénophobie. Quoique… Bien sûr que c’est du racisme ; mais avec notre définition de l’ethnisme, tout s’éclaire.

[31] Combien de fois, avec des amis de plusieurs communautés dont Kanak et métis (il n’y avait pas de Wallis…) j’ai entendu cette litanie habituelle contre cette ethnie : « Ils passent leur temps à la messe ; mais quand ils en sortent, ils n’arrêtent pas de mentir ; oui, ce sont tous des menteurs ! ». En en venant presque aux mains, je ne pus convaincre mes interlocuteurs dont Kanak de leur connerie qu’en leur disant : « Que pensez-vous des Européens qui affirment que tous les kanak sont des fainéants et des assistés ? ».

[32] Mais les Jaunes (Vietnamiens arrivés depuis longtemps, puis les Chinois-Vietnamiens puis les Chinois après l’arrivée de quelques boat people) sont, malgré leur discrétion légendaire, souvent mal perçus. 

[33] Voir, écrit par Louis-José Barbançon et Christophe Sand, Caledoun : histoire des Arabes et Berbères de Nouvelle-Calédonie, édité par Bourail, Association des Arabes et amis des Arabes de Nouvelle-Calédonie, 2013 ; voir sur la Toile :

https://searchworks.stanford.edu/view/11486709

Voir aussi une interview de TV5 Monde expliquant cette insurrection et ses rapports avec le Caillou : https://information.tv5monde.com/video/algerie-en-1871-mokrani-la-plus-importante-insurrection-contre-les-colons-francais

[34] Il s’agit bien d’une cohabitation, souvent sans le moindre contact amical (mais on travaille ensemble) avec l’« Autre ». Dans les dîners barbecue-brochettes des Métros, pas un Kanak ou un Wallisien (si, de temps en temps chez certains) rarement un Caldoche, et vice-versa. On compte sur les doigts d’une main quand on rencontre un Kanak dans les conférences ou manifestations au Centre culturel Tjibaou ou dans les quelques théâtres.

[35] Voir, sur la Toile, l’analyse assez objective de Rock Wamytan (grand chef coutumier kanak du coin et dirigeant indépendantiste sur lequel on reviendra : 

http://onkanaky.blogspot.com/2008/04/eclairage-sur-le-drame-autour-de-lave.html

[36] Une minorité est toutefois indépendantiste.

[37] Pour une fois, on ne va pas pinailler…

[38] Chaque fois que l’on se promène (surtout dans le Grand Nouméa ; un peu moins ailleurs, sauf quand on croise les descendants de métis et métisses né(e)s de pères blancs - rarement les Maristes, quoi que… - et de femmes kanak) on est effaré de la diversité (certes, il ne faut rien exagérer) de ce métissage souvent complexe. Mômes (plus rarement les moins jeunes ; mais ça avance) un peu noirs clair, mais aux cheveux crépus roux ou même blonds ; on se surprend même à trouver coquasses, et pour tout dire déplacés, au milieu de tous ces métis, des petites rousses bien pâlottes ou des grands blonds avec des chaussures noires.

On n’utilise pas sur le Caillou, contrairement aux Antilles, les termes de chabin et chabine (adjectifs récents très dépréciatifs) pour nommer ces métisses et métis ; on trouve sur la Toile leur origine : « Chabin : l’on appelle ainsi, dans quelques-unes de nos îles de l’Amérique, l’animal produit par l’accouplement du bouc et de la brebis ; ce mulet a les formes de la mère et le poil du père… ». Les voix du racisme sont impénétrables.

[39] Selon que l’on se réfère aux données brutes ou aux données corrigées ; voir plus haut.

[40] Cependant, Ataï avait préparé avec d’autres tribus, dans le plus grand secret, tout simplement la prise de Nouméa ; on peut penser que ceux qui auraient été rejetés à la mer étaient, dans l’esprit des Kanak, autant des Blancs que des colons.

Il y eut quelques incidents auparavant, mais pas de véritable guerre ; en 1917, une autre insurrection eut lieu dans le nord de la Calédonie, essentiellement sur fond de refus à l’envoi en France pour participer à la guerre contre l’Allemagne.

[41] Ataï n’était pas n’importe qui, Grand chef kanak (adoubé par le pouvoir colonial, comme tous les Grands chefs) il tenta de négocier avec le gouverneur au Fort Teremba : il déversa d’abord un sac de terre : « Voilà ce que nous avions », et ensuite déversant un sac de pierres : « Voici ce que tu nous as laissé ». Au gouverneur qui lui conseilla de protéger ses champs par des clôtures (le monde à l’envers) il rétorqua : « Quand mes taros iront manger ton bétail, je construirais des barrières ».

[42] Avec au nord la Micronésie (Îles minuscules) et à l’est la Polynésie (Îles nombreuses). 

[43] Black est peut-être beautifull, mais pas en sanscrit ; en anglais, ça viendrait de brûler ou briller, ce qui est un peu plus contradictoire. L’allemand est plus direct : schwarz viendrait de l’indo-européen suordos (noir, mais encore dans le sens de sale) qui a donné le latin sordeo (être malpropre) et le français sordide. En langues latines, le mot blanc (ou blanco, bianco ou branco) vient bizarrement du germanique blank (brillant, clair, sans tache) qui signifie également curieusement nu ; quand les Blancs sont arrivés, les Kanak étaient donc aussi des Blancs...

[44]  On vit très bien bronzé, et les Blancs, après le ski où les vacances à la mer, se trouvaient plus beaux que tout palots ; c’était même fait en grande partie pour ça : pour montrer son fric par son bronzage. Mais, c’est vrai, c’est passé de mode depuis longtemps. Bon signe (la connerie sauta enfin aux yeux) ou mauvais signe (retour à la pureté du blanc, comme les Sudistes américains se protégeant farouchement du soleil).

[45] Yves Copens, codécouvreur de Lucy (en 1974) et scénariste du film documentaire L’Odyssée de l’espèce (de 2002) n’a bizarrement pas trouvé choquant que les Noirs deviennent brusquement blancs en passant près de la neige …

[46] Revoir ou voir, Patrick Castex, Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante ? (op. cit.).

[47] Voir l’article du journal Le Monde de 2010, Derrière l’art océanien des Lapita, l’enjeu politique, article écrit au sujet d’une exposition au musée du quai Branly sur les premiers occupants de Nouvelle-Calédonie ; Sand fut l’un des deux commissaires.

[48] L’archéologie en Nouvelle-Calédonie : 3000 ans d’histoire à faire parler ; voir :

https://www.geo.fr/histoire/larcheologie-en-nouvelle-caledonie-3000-ans-dhistoire-a-faire-parler-192904

Il s’agit d’une interview de Christophe Sand (d’Aline Maume de juillet 2018 dans la revue Géo) qui précise d’abord : « Les explorateurs lapita, qui naviguaient sur de simples pirogues à balancier, furent les premiers à découvrir et peupler, il y a environ trois mille ans, les archipels du sud de la Mélanésie et de Polynésie occidentale. Leur culture, née dans le nord de la Mélanésie à partir d’emprunts d’origine asiatique et locale, se caractérisait entre autres par la production de poteries décorées de motifs géométriques et anthropomorphes pointillés… Les Lapita sont les ancêtres les plus anciens des Kanak actuels, mais les considérer comme les seuls serait nier trois mille ans de dynamiques historiques en Mélanésie ! ». Il ajoute : « Il faut attendre 2002 et une conférence internationale sur la civilisation lapita organisée à Nouméa et Koné, dans la Province Nord, pour que cette mémoire de la civilisation océanienne soit enfin reconnue ».

[49] Tous les linguistes semblent d’accord sur ce diagnostic qui ne remet pas en cause l’incroyable diversité des langues (ou dialectes ? On y reviendra) des îles mélanésiennes, singulièrement chez les Papous.

[50] Voir l’historien africaniste Cheikh Anta Diop qui insista beaucoup sur le rôle central de l’Africain Noir.

[51] Personne ne prétend cela, ce qui renvoie à la théorie évolutionniste raciste de l’adaptation par le climat. À la Darwin, ça peut marcher ; mais ça prend le temps, car il n’y a pas d’hérédité des caractères acquis. Ce qui est étonnant (encore un non-dit évident) c’est que l’on n’explique pas comment des Asiatiques (que personne ne prétend encore noirs à Taïwan ; sauf l’autre hypothèse) le sont devenus. Personne sauf Sand, mais oubliant d’indiquer l’origine des Papous.

[52] Cette contribution se trouve dans le recueil : Émilie Dotte-Sarout, Anne Di Piazza, Frédérique Valentin, et al, Pour une histoire de la préhistoire océanienne (pacific-credo Publications, Cahiers du Credo, Marseille, 2020). Sand cite rarement ou jamais cette contribution dans ses conférences postérieures à 2020. Tout est lisible sur la Toile, à :

https://books.openedition.org/pacific/1103

Voir en particulier la contribution de Sand au Chapitre 12, La question du « premier occupant » en Nouvelle-Calédonie (Mélanésie du sud) : écrits archéologiques dans un contexte colonial et de décolonisation, p. 269-298 ; également lisible et particulièrement intéressant concernant le vieux débat que l’on évoque :

https://books.openedition.org/pacific/1263?lang=fr

[53] Il est en outre plus direct que nos Caldoches ou Métros d’aujourd’hui évoquant la nonchalance des Kanak ou leur amour de la Target Economy, quand il écrit : « … le Canaque ne travaille que sur l’ordre de ses chefs ; il préfèrerait vivre de la plus grossière nourriture pourvu qu’elle ne lui coûte aucune peine ».

[54] On y apprend que les Lapita seraient arrivés des îles de Bismarck (ex-colonie allemande d’avant 14-18 chez les Papous) au nord-est de la Nouvelle-Guinée ; voir :

https://lepetitjournal.com/nouvelle-caledonie/la-civilisation-lapita-et-la-nouvelle-caledonie-296859

On peut lire également La grande histoire des Kanak, sous-titrée, L’histoire exceptionnelle des Kanak en 1 505 événements, de Jean-Marc Fernandez ; il vient de sortir en juin 2022 chez Sudocéan.

[55] J’habite depuis quelques années, lors de mes passages sur le Caillou, la rue qui porte son nom (elle n’est pas située dans les quartiers difficiles, comme on dit en Métropole) ; je n’avais jamais eu la curiosité de savoir qui était ce personnage.

On sait depuis longtemps, et Sand le rappelle, que les Kanak post-Lapita ont continué à graver (mais moins…). « Les pétroglyphes, indique quelque part Christophe Sand, ont longtemps été utilisés comme support pour démontrer que les Kanak n’étaient pas les premiers occupants ». Il précise : « Spirale, cercles concentriques, croix enveloppées, corps d’humains ou d’animaux, les graphismes ont été creusés dans la roche avec des cailloux pointus puis avec des objets métalliques, à la faveur des premiers contacts avec les Européens ». Cette pratique ne se serait en effet éteinte que vers 1930. On sait peu de choses sur la signification de ces ancêtres des graffitis ; Sand avance qu’un « motif a la forme d’un ovale avec un trait … évoque clairement le sexe féminin ». Bref, selon Sand, l’art Lapita aurait continué jusqu’aux années trente du siècle précédent, mais probablement moins dominant que deux millénaires auparavant. Toujours l’énigme…

[56] Voir :

https://www.youtube.com/watch?v=63SVA2oK-Wk

Cette conférence avait pour objet de présenter le nouveau livre de Sand, publié en 2021 (bilingue français-anglais) L’héritage des ancêtres (archéologie de la Mélanésie) The Ancestors’ Heritage (Archaeology of Melanesia) éditions IANCP (janvier 2021)… alors que Sand  en avait été viré (comprenne encore qui pourra : il doit y avoir des contradictions politiques au sein des équipes…).

[57] Au sens du matérialisme historique de Marx. La société sans histoire du « Mode de production communiste primitif », de ce paradis perdu, (mais qui reviendra, avec le « Mode de production communiste », le vrai) en prend un coup.

[58] Sans insister sur les tenants et aboutissants de cette forte hiérarchie sociale, Sand remet en cause les conceptions habituellement retenues qui ne nient pas la hiérarchie sociale mais insistent à loisir sur l’absence de propriété privée, le caractère collectif du travail (on va y revenir) et tous les aspects Bisounours d’une société décrite comme ressemblant fort au communisme primitif des marxistes.  J’ai déjà critiqué cette naïveté dans Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante de 2018 (op. cit.).

[59] En janvier 2023 : il en fera probablement d’autres.

[60] Conférence de juillet 2022 au Centre culturel Tjibaou, Monumental ! Ancêtres océaniens bâtisseurs, également retransmise par Caledonia ; voir :

https://www.youtube.com/watch?v=iKBPVI0uBx0

[61] Une transition entre la société dite « primitive » ou « première » (le mot passe mieux que primitive…) sans classes sociales, mais où le pouvoir des chefferies apparaît rapidement, et l’État moderne (despotique ou démocratique).

[62] Actuellement 100 000 habitants (et plus de 45 000 émigrés, surtout en Australie, Nouvelle Zélande et Fiji, sans compter les descendants des vieux émigrés) pour 650 km2 d’îles habitées : plus de 150 habitants au km2 (mais 270 pour l’île où se trouve la Capitale). La Calédonie, c’est 28 fois les Tonga en superficie et moins de 3 fois en nombre d’habitants…

[63] Le lecteur doit se demander ce que viennent faire ici la densité de la population, la langue unique, l’armée et la marine ; un peu de patience…

[64] Qui pense que l’unification de la Chine s’est faite en cinq minutes ? La division Nord-Sud a marqué toute cette histoire ! Pour ceux qui veulent voir plus loin que le Caillou et jeter un œil sur l’un des principaux avatars du MPA, voir sur Wikipédia, Dynasties du Sud et du Nord :

Https://fr.wikipedia.org/wiki/Dynasties_du_Sud_et_du_Nord

[65] Un temps seulement pour Marx et Engels ; mais c’est une autre histoire ; j’en cause dans beaucoup de mes écrits théoriques. Peut-être Marx et Engels avaient-ils compris que ce mode de production sans propriété privée et avec travail collectif sous la houlette d’une horde de bureaucrates, despotes nécessaires à la gestion technique de cette société, ressemblait trop au communisme qu’ils proposaient et auquel les anarchistes s’opposaient (se fichant comme d’un guigne de ce MPA qui fut pourtant, sans aucun doute, le premier État centralisé de l’histoire humaine).

[66] On parle souvent de Mode de production hydraulique ; ce fut bien le cas en Égypte pharaonique, également en Mésopotamie ; ce ne fut pas le cas chez les Incas où ce furent les moyens de communication terrestres (sentiers de montagne) qui furent centralisés.

[67] Et repris par l’Encyclopédie de Diderot-d’Alembert, mais en restant au niveau purement politique, sans se soucier de ces forces productives.

[68] C’est certes encore une autre histoire, mais (je viens de le découvrir en relisant mes classiques) qui peut éclairer notre hypothèse ; mais n’allons pas, encore une fois, trop vite…

Wittfogel, allemand communiste spécialiste du despotisme étatique chinois (celui des millénaires passés…) pourchassé par les nazis et émigré aux États-Unis d’Amérique, publia en 1957 son œuvre majeure, Oriental Despotism: A Comparative Study of Total Power (Le despotisme oriental, une étude comparative du pouvoir total) Yale University Press. Le Despotisme oriental fut publié en France en 1964 (éditions de minuit) avec une préface de Pierre Vidal-Naquet, du CNRS ; et, nouveau débat que nous laissons de côté, Wittfogel râla contre cette préface. Voir, sur la Toile, l’article de Wikipedia sur Wittfogel :

Https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_August_Wittfogel

[69] Pierre Vidal-Naquet, Karl Wittfogel et le concept de « Mode de production asiatique » (Annales, Économies, sociétés, civilisations, 19e année, N. 3, 1964. pp. 531-549 ; il est indiqué que « Pour l’essentiel, ces pages sont extraites de l’introduction à l’édition en langue française de l’ouvrage de K. Wittfogel, Oriental Despotism, à paraître aux Éditions de Minuit (N.D.L.R.) ». Ceux qui ont encore beaucoup d’énergie peuvent le lire sur la Toile à :

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1964_num_19_3_421177

[70] (Référence bien sûr au bestseller de 1978 : Le Communisme est-il soluble dans l’alcool ?). Il s’agit de la contribution d’Alban Bensa et de Jean Freyss La société kanak est-elle soluble dans l’argent… ? (in Les usages de l’argent, Revue terrain, anthropologie et sciences humaines, 1994 p. 11-26). C’est lisible sur la Toile :

https://journals.openedition.org/terrain/3098

[71] Hypothèse qui m’est venue à l’esprit en pensant à l’une de mes nouvelles (Les Nouvelles calédoniennes, L’Harmattan, 2022). Il s’agit de la troisième nouvelle : La Catastrophe et l’Histoire en verlan ; c’est plus drôle et désopilant que ce blog, mais on y déguste aussi beaucoup de théorie matérialiste historique…

[72] Ce qui me semble une évidence était déjà notée par le grand linguiste, et spécialiste du yiddish, Max Weinreich, pour montrer qu’un dialecte devient une langue seulement avec un État puissant : « Une langue est un dialecte avec une armée et une marine ». Certains datent cet aphorisme de 1945 ; le français Jean Laponce en attribue la paternité au Maréchal Lyautey, et lui donne même le nom de « loi de Lyautey ».

Notons que cette définition de Weinreich colle d’ailleurs mal avec le yiddish (exception qui confirmerait la règle, à moins de considérer cette langue comme un dialecte) ; et Israël s’est empressé de substituer l’hébreu au yiddish comme langue nationale de l’État juif qui a en effet maintenant une armée et une flotte.

Les Papous, pas plus que les Kanak, n’eurent d’armée ou de marine au sens de Weinreich ; et les Papouans-Néo-Guinéens, ou Papouasiens, ou Papous parlent 800 langues (et dialectes…) dont 600 langues papoues et 200 langues mélanésiennes, aucune n’étant parlée nativement par plus de 5 % de la population du pays. C’est le pays le plus multilingue du monde : pour une population de 7,3 millions d’habitants, cela fait une moyenne (qui a évidemment peu de sens) de 9 100 locuteurs par langue. Pas d’État, beaucoup de langues ; et les plaisirs et la diversité qui vont avec. Les Tonga qui avaient donc une seule langue, une armée et une marine, n’eurent qu’un petit Proto-État.

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