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Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 7 novembre 2023

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Cocos et anars jouent Éros plutôt que Thanatos : uchronie et Histoire (Saison 7)

Précisons : uchronie très ensoleillée ; fort sombre Histoire. Les Rouges et les Noirs : Charlot (Karl Marx), Freddy (Friedrich Engels), Pierrot-Joé (Pierre-Joseph Proudhon), Mickey (Michel Bakounine), Lou (Louise Michel) et les autres...

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Illustration 1

Charlot et Pierrot-Joé eurent du nez en anticipant la crise economique de 1847. Et Marx « aurait pu le faire »

Illustration 2

La base du rabibochage de Charlot et Pierrot-Joé : l’anticipation de la crise économique déclenchée en 1847

Pourquoi ces deux prudences chez des débatteurs de course ? Pierrot-Joé était probablement conscient de ses faiblesses théoriques en économie ; peut-être fût-il également séduit par la proposition de sa participation à une Internationale qu’il allait (mais pas tout de suite) finir par accepter, lui qui n’avait alors une certaine renommée qu’en France ? Charlot avait-il fait un cauchemar (il en eut d’autres) à partir des critiques véhémentes du communisme déjà présentes chez Stirner, cauchemar où apparaissait dans un avenir pas si lointain, un vieux dictateur moustachu se disant Père du peuple et communiste ? S’était-il tout simplement rendu compte que la critique anarchiste du rôle de l’État n’était pas si idiote, lui qui pensait que l’État devait être aboli sous le communisme ?

Surtout, deux crises étaient en cours ou s’annonçaient. D’abord la Grande famine en Irlande commencée en 1845, et qui entraîna des répercussions dans toute l’Europe ; Freddy l’avait annoncé très tôt à Charlot, juste après la publication de son enquête sur la classe ouvrière de 1844[1]. Ensuite le krach boursier d’octobre 1847 que Charlot perçut immédiatement, et qui l’avait déjà anticipé plusieurs mois auparavant ; Pierrot-Joé qui ne voyait en fait rien venir eut confiance en Charlot. Ces deux crises n’annonçaient rien qui vaille en matière de prospérité économique : allait sans doute suivre une crise économique et du chômage, et ainsi la situation serait mûre pour une Révolution ; le mieux était de tenter de faire l’unité, malgré les divergences, ce qu’ils firent lors de leurs rencontres secrètes.

Mais la route vers l’unité sera encore longue. Cependant, une politique des petits pas commença ainsi dès 1847. Charlot et Pierrot-Joé eurent donc du nez ; et un génie économique exceptionnel. Ce nez concernant ces crises leur permit de ne pas s’entretuer : premier pas vers une longue amitié.

Marx et Proudhon ne virent rien venir… Mais Marx, s’il avait vraiment été génial…

La crise agricole, dont la Grande famine en Irlande qui sévit entre 1845 et 1849 n’est qu’un avatar, sévira aussi (mais moins catastrophique) en Angleterre et en France. Dans son ouvrage de 1844 publié en 1845 sur la classe ouvrière, Engels ne put évidemment en dire mot : la famine commence l’année de la publication ! Toutefois, Marx et Proudhon ne pouvait l’ignorer, et elle va se combiner avec la crise financière[2].

Car Krach, il y eut[3], et avec un grand K. Comme d’habitude, avant le krach boursier de 1847, la croissance était forte, soutenue par l’envol des chemins de fer, entraînant la sidérurgie, et une spéculation effrénée ; surtout la bulle spéculative, à partir de 1844[4], sur les sociétés du rail (la Railway mania en Angleterre) mais aussi en France où la crise a démarré ; le krach boursier se transforme alors en crise économique avec bond du chômage.

D’autres forces furent à l’œuvre comme causes de la crise d’un côté, ou contribuant à la freiner de l’autre. D’un côté, le Bank Charter Act de 1844 du Premier ministre Robert Peel, année de la victoire de la Currency School contre la Banking School[5] est l’une des causes de la crise financière : l’Angleterre s’était convertie entièrement à l’étalon-or et à la rigueur monétaire, l’émission de billets de banque devait être proportionnelle à la quantité d’or détenue dans les réserves de la banque d’Angleterre en vue d’éviter toute inflation. De l’autre côté, en revanche, l’abolition en 1846, par le même Peel, des Corn Laws (lois protectionnistes de 1815 pour limiter les importations de blés) eut cependant pour effet de calmer un peu, du moins en Grande-Bretagne, la crise agricole. Le libéralisme de l’école classique britannique venait enfin de gagner deux batailles décisives qui, déjà, allaient expliquer la crise de 1847 (et bien d’autres…).

Heureusement, la découverte d’or en Californie en 1849 (le fameux Eldorado), puis en Australie, mettra fin rapidement à la crise et dopera vingt ans de période de boom économique dont profitera en particulier le second empire de Napoléon III ; voir plus loin… Comme une autre vague de découverte d’or permit à ladite Grande dépression du dernier quart du XIXe siècle de se terminer, autour de 1896.

Marx n’eut donc pas le génie de prévoir la crise financière de 1847 et ses premiers effets furent discrets ; pas un mot dans Le Manifeste communiste de 1847-1848. Si Marx avait eu le même nez que Charlot, et s’il avait vraiment voulu l’unité des socialistes, notre uchronie serait peut-être devenue l’Histoire… Si…

Notes de bas de page

[1] Dans l’uchronie ; les effets de cette crise n’apparurent que plus tard et Engels n’annonça rien à Marx, sauf erreur.

[2] Voir sur cette double crise, l’article de Wikipédia, Krach de 1847, assez complet :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Krach_de_1847

[3] Nos deux lascars ne virent rien venir ; Marx, qui fit la corrélation entre la crise de 1847 et la Révolution de 1848, ne le fit que plus tard ; de même qu’il n’étudia que plus tard les conséquences de la nouvelle politique monétaire britannique.

[4] La crise boursière de 2002, par suite du boom spéculatif sur les sociétés de l’économie numérique, est quelquefois comparée à celle de 1847 : communication numérique, versus celle, matérielle, des chemins de fer... 

[5] Vieux débat interne à l’école libérale classique anglaise depuis les guerres napoléoniennes. Faut-il (Currency principle) limiter l’émission de monnaie de la Bank of England pour limiter l’inflation (grave inconvénient pour le commerce extérieur) qui serait la conséquence de la surémission gonflant la masse monétaire selon ladite Théorie quantitative de la monnaie, la TQM dont David Ricardo, ultralibéral à cet égard (mort en 1823) est le père selon son aspect moderne. Faut-il au contraire (Banking principle) faire confiance au crédit bancaire qui suit l’activité économique et donc la demande de crédit des entreprises ; point de vue soutenu au début du débat par Thomas Robert Malthus, nettement moins libéral et anticipant, analysant les crises économiques qui suivirent la fin des guerres napoléoniennes, l’interventionnisme keynésien. Plus tard, beaucoup plus tard, en 1859, dans La critique de l’économie politique (Zur Kritik der politischen Ökonomie) première ébauche du Capital dont le Livre I ne sera publié qu’en 1867, Marx critiqua le Currency principle et prit parti pour le Banking principle et l’un de ses ténors ; Thomas Tooke. Mais on s’éloigne du sujet (en fait pas tant que cela, car, point commun avec Keynes, ce dernier reprendra ce point de vue et critiquera la TQM…) ; les amoureux de l’économie, et en particulier ceux de l’économie marxiste, peuvent néanmoins se plonger dans cette première approche de Marx, lisible sur la Toile à :

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100p.htm

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