L’aspect humour (bien provocateur) du premier coup tient à quelques chiffres : 50 ans avant le prochain référendum d’autodétermination (pourquoi pas un siècle pendant qu’on y est…) ; 5 ans de résidence pour voter (pourquoi pas 5 mois, 5 semaines ou 5 jours…). L’humour éventuel du second coup est plus gras, à la limite de l’invective.
Ledit « document martyr » (les propositions de l’État, c’est-à-dire du gouvernement français, pour négocier sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie) est jugé « inacceptable » et « irrecevable » par les indépendantistes de l’Union Calédonienne (l’UC) ; lesquels refusent encore le dialogue avec l’État avant leur Congrès de novembre. Ceux de l’UNI-Palika acceptent ce dialogue et prennent aussi langue avec les loyalistes, tout en s’opposant au fameux document jugé tout autant inacceptable[1]. Quant à la droite des loyalistes, elle s’est lâchée le 31 octobre[2] lors d’une conférence de presse présentant sa liste de contre-propositions audit document martyr. Sonia Backès ne s’y est pas mise en avant dans le chœur de ces critiques (un peu plus sur les photos) : elle attendait son heure et sa réaction en soliste. Elle arriva peu après.
Silence radio, pour le moment du parti Calédonie ensemble (qui prône depuis toujours un dialogue apaisé avec tout le monde) face à ces deux réactions.
1 – La provocation de la première salve dont certains coups peuvent prêter à sourire
50 ans…
Selon ces loyalistes, la Nouvelle-Calédonie doit être désinscrite de la liste des territoires à décoloniser, à l’ONU : « Ce n’est plus une colonie, les Calédoniens ont choisi par trois fois de rester dans la France. L’idée c’est d’avoir un statut définitif dans la République » précise l’inénarrable Nicolas Metzdorf, député de la seconde circonscription. D’autres sont plus raisonnables, acceptent avec abnégation le droit à l’autodétermination et proposent une « période de stabilité » avant le possible déclenchement d’un nouveau référendum : « On ne veut pas d’un référendum tous les deux ans. Nous, on veut 50 ans, deux générations de tranquillité », affirme Gil Brial, porte-parole du groupe Les Loyalistes.
Mais rien de plus facile pour les indépendantistes que de demander, au bout d’un petit demi-siècle, un référendum : un vote des 4/5e des élus du Congrès[3] ! Et ce n’est pas fini, ensuite nos loyalistes proposent l’approbation par référendum avec au moins 70 % des Calédoniens au niveau global. Et, ce n’est pas toujours fini 70 % des électeurs de chaque province. La blague qui va crescendo est savoureuse…
5 ans…
Toujours selon les mêmes, une durée de résidence de 5 ans sera suffisante pour la citoyenneté calédonienne et pour voter à toutes les élections locales (fusion du corps électoral des provinciales et celui d’un potentiel référendum de projet). « On a fait un effort, parce qu’on était sur trois ans », affirme Virginie Ruffenach, des Républicains. L’État propose 10 ans et les indépendantistes les admettraient; au mieux et du bout des lèvres.
Et plein d’autres farces…
Toujours plus haut, toujours plus fort, le nombre d’élus au Congrès devra être réduit et correspondre à la population des provinces[4] ; sera également revu le mode de désignation du gouvernement[5] ; la clé de répartition déterminant le budget alloué à chaque province, devra aussi correspondre à la population de chaque région[6] ; le Sénat coutumier, ses missions étant transférées aux aires coutumières, sera de fait enterré ; certaines compétences seront redonnées à l’État ; l’euro remplacera le franc pacifique « pour conforter la stabilité économique et financière du territoire » (ce qui n’a aucun sens : la parité entre le franc pacifique et l’euro étant parfaitement fixe) ; pour permettre « l’identité commune » du destin commun, l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK, celle du fameux Centre culturel Jean-Marie Tjibaou) changerait de nom, culture kanak devenant culture calédonienne ; l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (Adraf ) n’aurait par ailleurs plus pour but de redistribuer les terres spoliées aux Kanak, mais de « valoriser le foncier ».
Tout cela pour faciliter les premières discussions avec les ministres Gérald Darmanin (le ministre l’Intérieur et des Outre-mer dont la visite a été décalée d’un mois) et Bruno Le Maire (ministre de l’Économie) fin novembre. Et sans aucun doute pour faciliter un accord avec les indépendantistes… En cas d’accord, il serait validé par les Calédoniens résidents présents depuis plus de cinq ans.
Si les élections provinciales devaient être repoussées de plus de six mois, nos loyalistes proposent que l’État prenne la main sur « l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie jusqu’aux nouvelles élections ». Voilà une idée qu’elle est bonne pour mettre l’indépendantiste président du gouvernement Louis Mapou sur le banc de touche…
2 – La seconde salve : Sonia Backès qui se réveille[7]
Cet entretien avec celle qui fut battue aux sénatoriales et contrainte de démissionner du gouvernement français, nous semble une sorte de complément à ce qui précède. Et elle va beaucoup plus loin : sa cible principale étant le parti, également loyaliste mais moins radical, Calédonie ensemble est son Líder máximo, Philippe Gomès.
Elle rappelle (et à plusieurs reprises : une banalité pour les loyalistes, le gouvernement français et le président Macron) que le troisième référendum ne pose pour elle aucun problème de légitimité[8]. À la suite d’une question[9] (où la réponse s’y trouve déjà) concernant le Hamas et Israël, elle introduit sans le moindre état d’âme une analyse qui peut évoquer un certain Zemmour : « SB : Ce n’est pas une simple crise qui a lieu en France, c’est extrêmement grave, c’est un combat de civilisation. Les islamistes radicaux combattent ce que nous représentons : la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la civilisation occidentale. C’est presqu’une guerre de civilisation. Mais pendant trop longtemps, la France a été naïve. On a cru dans l’intégration. Mais l’ampleur de l’immigration ne permettait pas cette intégration. Quand on accueille trop, on intègre moins. La France s’est laissée embarquée par l’Europe, la bien-pensance et paye aujourd’hui l’addition ».
Et elle enfonce le clou en amalgamant la question de l’immigration et celle de l’antisémitisme et, encore plus fort, celle des indépendantistes du Caillou[10] : des « indépendantistes extrémistes », tenants d’un « système féodal (?? ; la société coutumière kanak ne serait donc qu’un féodalisme). Le choc des cultures ; mieux, la guerre de civilisations ! Contre des barbares ?
Emporté par son élan, elle revient cependant sur terre : tous les départs de population du Caillou (les migrations nettes négatives[11] de 10 % des Européens de 2014 à 2019 et encore de 2019 à aujourd’hui (en grande majorité des Zoreils, des chercheurs d’Eldorado qui retournent au pays) c’est la faute à l’incertitude, de même que la crise économique (vieilles rengaines). Et ça arrange évidemment, selon elle, certains indépendantistes[12] : c’est la première fois qu’un élu loyaliste est aussi clair sur une question où le non-dit régnait. Sonia Backès est en revanche plus cool avec les autres indépendantistes[13] ; c’est de bonne guerre et facile pour les loyalistes de profiter de divisions de plus en plus marquées. Elle a l’art de bien présenter cette opposition[14] et enfonce ainsi un clou sur lequel les loyalistes tapaient peu.
Et elle en profite, en passant, pour régler son compte à Philippe Gomès, le patron du parti Calédonie ensemble.
Elle part d’une petite pique[15], va crescendo[16] pour finir par un assaut de picador[17] tout en finesse : « Un conciliateur, disait Churchill, c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant être le dernier à être mangé », et bien (sic) il nourrit les indépendantistes, et en étant bien avec eux, il espère peut-être reprendre le pouvoir ou conclure un accord majoritaire avec eux, comme il l’a fait aux sénatoriales ».
On ne connaît pas encore la réaction de Calédonie ensemble à ces amabilités, tout le parti (et pas seulement Gomès) discutant de nouveau, depuis fin octobre 2023, avec les deux groupes indépendantistes qui se regardent en chiens de faïence, d’abord avec l’UC (ce qui enragea Sonia Backès) ensuite avec l’UNI-Palika (ce qui enrage encore les autres loyalistes radicaux)[18].
Vilaine vengeance de Backès après sa cuisante défaite aux sénatoriales ? Remake des vieilles critiques contre Calédonie ensemble et singulièrement Gomès qui « parlait » jadis avec Paul Néaoutyine, le patron du Palika, les deux rêvant d’une possible Indépendance-Association[19] ? Il y a peu de chance que ce rêve se réalise grâce à Gomès, sauf un miracle.
L’union aussi est un combat chez les loyalistes…
Notes de bas de page
[1] Cette division des indépendantistes peut agacer ; d’autant plus que l’UC et l’UNI-Palika inversent régulièrement les rôles du gentil et du méchant face à l’État français et aux loyalistes locaux. Je comprends mal le jeu du gentil actuel, d’ailleurs de plus en plus dorloté par les loyalistes (on y reviendra).
[2] Voir les nombreux commentaires, sur la Toile, de la conférence de presse du 31 octobre 2023, pour présenter la liste commune de contre-propositions en réponse au document martyr de l’État, aucun d’entre eux n’étant exhaustif. On peut jeter un œil sur quelques-uns :
et l’article de Brice Bacquet :
Les Loyalistes et le Rassemblement font leurs contre-propositions – DNC.NC
Ainsi que :
[3] L’État proposait une majorité des 2/3.
[4] L’État propose de réduire à 35 le nombre d’élus au Congrès (contre 54 aujourd’hui) avec une nouvelle répartition des sièges : 4 pour la province des îles Loyauté, 9 pour la province Nord et 22 pour la province Sud. Pas encore assez pour nos loyalistes qui préfèrent 26 élus pour le Sud, 6 pour le Nord et 3 pour les îles Loyauté.
[5] Qui avantage les indépendantistes ; surtout quand un Éveil océanien entre en scène…
[6] Finies donc les discriminations positives.
[7] Article du 4 novembre 2023 (peu de temps après la première salve…) de La voix du Caillou, intitulé Rencontre avec… Sonia Backès ; voir :
Rencontre avec… Sonia Backès - La Voix du Caillou
Le 3 novembre, Sonia Backès était aussi l’invitée d’Elizabeth Nouar de la radio RRB. Nettement moins à cran que lors de son interview par La Voix du Caillou, elle mordit moins Philippe Gomès : juste quelques coups de crocs avec l’évocation (le contraire d’une ligne ferme) d’une ligne molle. Voir :
TRANSPARENCE : SONIA BACKES | Radio Rythme Bleu (rrb.nc)
8] « Le signal donné par le président de la République, insiste-t-elle, de nommer une Calédonienne au gouvernement, après que l’on ait décidé par trois fois de rester Français, était très fort pour la Calédonie ». Rappelons que si la légalité d’un référendum avec autant d’abstention ne pose aucun problème (selon les plus hautes instances juridiques françaises) il n’en est pas de même pour sa légitimité politique.
[9] « Vous étiez secrétaire d’État à la Citoyenneté. Aujourd’hui à cause du Moyen-Orient, cette citoyenneté est mise à mal par les centaines d’actes antisémites qui se produisent en France. La Calédonie est épargnée par cette haine, toutefois certains syndicats comme l’USTKE ou partis politiques comme l’UC, ont pris fait et cause pour le Hamas, quel sentiment cela vous inspire-t-il ? ».
[10] « Gérald Darmanin porte une loi immigration qui va quand même permettre de renvoyer chez eux ceux qui polluent la France avec leurs thèses antisémites, mais ça va être dur car nous avons été trop loin. J’espère en effet que cela ne touchera pas la Nouvelle-Calédonie, mais lire un communiqué de Pierre-Chanel Tutugoro soutenant l’action du Hamas, ça fait froid dans le dos. Cela doit nous conduire à ne pas être naïfs parce que de la même manière qu’il y a ce combat de civilisation en métropole, en Europe et dans le monde occidental, on a en Nouvelle-Calédonie une partie des indépendantistes extrémistes, je pose [ou je pèse, PC ?] le terme, qui combat ce que nous sommes ! La liberté, l’égalité, la fraternité, le fait de ne pas être dans un système féodal, que nous valorisions le mérite, le travail, c’est ça la civilisation occidentale, et qui est combattu par une partie des indépendantistes ». Tout est dit…
[11] Voir mon billet récent sur Le Club de Médiapart concernant les énormes contre-vérités du député Nicolas Metzdorf…
[12] « C’est pour cela que nous enregistrons autant de départs. Et là non plus, il ne faut pas être naïfs. Une naïveté dont fait preuve une partie de la classe politique non-indépendantiste. Il faut savoir qu’il y a des indépendantistes, en particulier à l’UC, qui veulent faire partir les non-indépendantistes pour rapidement faire un référendum et avoir la majorité. C’est ça la réalité ».
[13] « On a des gens comme l’UNI, (le Palika et l’UPM) qui sont constructifs, qui parlent avec nous, nous aurons la semaine prochaine des réunions avec eux. On sait que l’on avance sur le corps électoral, sur l’organisation interne de la Calédonie, on sait qu’un accord est possible là-dessus ». Heureusement, il y a des gentils indépendantistes !
[14] « … si Daniel Goa [le patron de l’UC, PC], dans ses discours écrits par Mathias Chauchat [le professeur indépendantiste de droit public, sherpa de l’UC et bête noir des loyalistes, PC] est si dur, c’est parce qu’il n’arrive pas à ses fins : les indépendantistes voulaient qu’il n’y ait pas de 3e référendum, il y en a eu un, ils voulaient casser les résultats de ce référendum, ils ont échoué, ils ont été validés, ils voulaient le maintien du gel du corps électoral, et il y aura un dégel. Notre résistance fonctionne. Elle est dure, elle est longue (message subliminal érigeant la psy en un art nouveau ? PC) mais les indépendantistes n’obtiennent pas leur trajectoire vers l’indépendance. Leur radicalité a une raison, c’est qu’il n’y aura pas d’indépendance et qu’ils n’osent pas l’avouer à leur base. Il va donc falloir considérer que l’on a une partie extrême des indépendantistes qui ne veut pas avancer, mais qu’il y a une majorité de la population que l’UNI écoute d’ailleurs, qui ne veut pas de ça ». On continue à dorloter...
[15] « … la vision … de Philippe Gomès, qui nous a mené dans le mur, cette vision naïve et dangereuse selon laquelle si on est gentil avec les indépendantistes, ils seront gentils avec nous. Non ! Comment avons-nous réussi à maintenir le 3e référendum ? En étant ferme. … [etc.] ».
[16] « Ce n’est pas parce que l’on se montre ferme que l’on va aller au conflit. Les Calédoniens par trois fois ont choisi de rester Français [une redite, PC…], ce n’est pas pour lire dans le communiqué commun de l’UC et de Calédonie Ensemble qu’il faut « poursuivre la trajectoire d’émancipation du pays ». Les Calédoniens n’ont pas choisi de continuer vers l’indépendance, ils ont choisi de rester Français. Je le redis, cette naïveté est mortifère ».
[17] La question du journaliste est claire : « Loyalistes et Rassemblement, vous avez donné votre vision de l’avenir, vous avez fait des propositions que vous avez présentées en conférence de presse. Mais c’est quoi ? C’est votre projet ? C’est négociable ou ça ne l’est pas ? […] Le consensus, ça réclame de l’unité. Comment créer l’unité chez les non-indépendantistes ? ». Elle répond : « C’est essentiel et nous y consacrons beaucoup de temps […]. Et tous les partis loyalistes ont déposé des propositions de modification de manière unie [voir la première partie de ce billet, PC], à l’exception de Calédonie Ensemble, avec qui nous avons des différences fondamentales. Autour de la table où il n’y a que Philippe Gomès pour Calédonie Ensemble qui parle, parce que Philippe Dunoyer se tait, il ne défend jamais la position des non-indépendantistes. Il se positionne en conciliateur qui n’est pas non-indépendantiste, mais qui est au milieu ».
[18] Voir le communiqué de presse diffusé vendredi 3 novembre 2023, par Calédonie Ensemble et l’UNI :
Le 6 novembre, au JT de Calédonie la première, Nicolas Metzdorf réagit au dialogue entre Calédonie ensemble et les indépendantistes : « C’est de l’agitation politicienne ». Il ne reprend cependant pas les diatribes de Sonia Backès.
Voir :
[19] Gomès en fut souvent accusé ; il en rêvait peut-être mais a toujours rejeté cette solution, « suicidaire » selon lui pour un loyaliste qui la proposerait. Et Néaoutyine a renoncé à parler…