Lou mature, une pasionaria farouchement militante, et passionnément amoureuse, future « Libertine noire ». Louise Michel dans la force de l’âge, farouchement militante, mais, peut-être, « Vierge rouge »
Lou, pasionaria militante et amoureuse effrénée
Durant les années 1860, elle fut toujours opposée à l’Empire et était devenue blanquiste. Elle avait d’autres qualités ; elle n’aima pas que des poètes, ne négligeant pas, parallèlement, les couches des révolutionnaires et réformistes : Blanqui quand il n’était pas en prison, Cabet et bien d’autres ; seul Pierrot-Joé refusa ses avances : « Il préférait sans doute, clamait-elle, la Misère de la philosophie de Charlot, bien qu’il fût toujours colère quand il la relisait, à sa misère sexuelle : un vrai maso ce Pierrot-Joé ! ». Elle ne rencontra pas encore Charlot qui ne répondit jamais à ses lettres où elle critiquait son manque d’enthousiasme pour Auguste Blanqui dont elle se réclamait plus que jamais, tentant de le convaincre que la seule ligne révolutionnaire était celle de cet « Enfermé » ; elle lui répéta mille fois l’horreur de son rapprochement avec Pierrot-Joé, « Cet anarchiste couille molle ! ». Elle resta blanquiste jusqu’à la Commune de Paris, l’une des nombreuses Communes insurrectionnelles qui se révoltèrent en France. Elle méprisait donc le Manifeste des coLibs et ce rapprochement mi-figue mi-raisin : elle avait à cet égard les mêmes réticences que Mickey.
Charlot avait, rappelons-le, quitté Londres et Freddy, depuis 1852, fâchés à mort ; il vivait maintenant à Bruxelles, toujours à la Friterie Charlot. Il savait que le mouvement blanquiste était important en France, l’un des principaux concurrents des anarchistes proudhoniens ; et malgré son rapprochement avec Proudhon, il reluquait les idées de Blanqui, différentes mais assez proches des siennes. Malgré la réputation de Lou, il se tâtait, au sens figuré et au sens propre : il n’était pas de bois, encore jeune et toujours vert comme roi de la frite dans sa maisonnée et les passantes qui passaient souvent. Il hésita toujours entre répondre et ne pas répondre, prendre ou ne pas prendre le train de Bruxelles pour Paris. Hormis ses détails sur ses positions politiques, Lou lui promettait pourtant monts de Vénus et merveilles sur ses positions amoureuses. Il ne prit le train qu’en 1871.
Lou avait entendu parler de Mickey, détestait autant son anarchisme que celui de Pierrot-Joé mais le trouvait cependant plus radical, ce qui, du coup, l’attirait ; mais elle ne put le joindre car il était toujours par monts et par vaux. Elle le regretta, car un dessinateur inconnu, un clochard italien alcoolique et dans la misère nommé Topolino qu’elle avait rencontré sous les ponts de Paris, lui fit un dessin après qu’elle lui eut offert une ou deux gâteries : elle était très empathique. Le dessin était celui d’une petite souris avec de grandes oreilles et une grande queue ; elle savait que Mickey avait de grandes oreilles souvent cachées sous sa tignasse ; quant à la queue, elle était convaincue qu’elle la verrait un jour. Mais quand ? Elle était impatiente.
Dans les carnets de Lou, on peut lire les notes qu’elle attribuait à chacun des poètes ou politiques purs qu’elle connut au sens de la Bible ; elle ne fit aucune synthèse, mais un travail récent (de 2021) a fait ce travail avec minutie : les poètes arrivaient loin devant les politiques et l’on put résumer pour elle : « L’amour de la révolution fait baisser, paradoxalement, la tension des massues ; la sublimation joue donc les vases communicants avec Éros ; Sigismond Friede n’avait curieusement pas abordé cette question ; elle est maintenant résolue ». Seul Victor Hugo, moyen politique, mais grand poète, avait, dans ses carnets, la note maximum et même le commentaire : « Tu es trop fort, Victor ! ». À quarante ans révolus, en 1871, loin d’être usée par les baisers souvent, mais très bien donnés, elle rencontra Charlot et Mickey. Elle ne fut jamais une Vierge, ni rouge ni noire.
Louise Michel, ladite « Vierge rouge »
Louise Michel se lia autour des années 1860 avec de nombreux révolutionnaires, mais semble-t-il en tout bien tout honneur, avec plusieurs blanquistes et proudhoniens radicaux (dont Eugène Varlin). Quelle fut sa sexualité ? La question peut paraître encore hors de propos (voir plus haut les développements sur la sexualité de Proudhon) : se soucie-t-on des histoires de culs des héros de l’Histoire ? Un peu quand même. Le coup de canif de Marx est connu, Napoléon Ier fut aussi grand baiseur (paraît-il) que grand guerrier et grand chef d’État. Mais on ne fait pas de leur vie sexuelle le moteur de leur action ; et s’ils avaient eu une autre vie érotique, le cours de l’Histoire n’aurait sans doute pas été modifié. Louise Michel est (avec Proudhon, mais c’est moins connu) une exception qui confirme la règle.
Ses motivations, pendant et après la commune de Paris, souvent associées à son absence de sexualité assumée ou à son saphisme, ont fait de son temps couler beaucoup d’encre ; et la question fut posée des moteurs psychologiques, et sexuels évidemment, de ses actions. Sidonie Verhaeghe, dans Faut-il encore appeler Louise Michel la Vierge rouge ? s’interroge, donc comme beaucoup, sur la sexualité de Louise[1] ; on profita du 150e anniversaire de la Commune de Paris pour que cette question soit de nouveau soulevée, et avec beaucoup de prudence. Les raisons de son sobriquet de Vierge rouge (ou Vierge de la Commune, Pucelle de Belleville ou Vierge au pétrole) est abondamment illustré par le florilège des saloperies dites sur elle, dont sa prétendue laideur ; on y trouve par exemple : « Louise Michel n’est pas seulement laide, elle est repoussante ». « On peut dire, écrit Verhaeghe, que l’accent mis sur la virginité fonctionne comme un ″marquage″ de la figure de Louise Michel. Qu’elle soit ″sainte″ ou ″vieille fille″, elle est toujours, par sa virginité, en dehors de la sexualité légitime, normale et normée ». […] Ce serait donc parce que Louise Michel n’a pas pu prendre soin d’une famille et d’un mari qu’elle se serait tournée vers l’action militante et la lutte révolutionnaire, qui lui offrait la possibilité d’épandre son affection. […] Qui pourrait dire l’influence que son physique exerce sur les destinées d’une femme ? […] Imaginez-la radieuse de beauté, traînant après elle tous les cœurs, entourée d’hommages. [...] Mais laide au point de décourager l’amour, il y a eu chez elle inversion de sentiments tendres, et elle a appliqué à la collectivité les trésors d’affection qui résidaient en elle ». Rappelons que, jeune, elle était plutôt mignonne ; ses portraits les plus connus, après la Commune de Paris (genre identité judiciaire) témoignent d’une certaine laideur ; son buste sculté (grand nez, traits saillants) visible dans son village natal, semble reproduire ce qui est peut-être sa légende de son absence de beauté.
À l’inverse (les citations sont toujours celles de Verhaeghe) ses amis la comparent à Jeanne d’Arc, pucelle également putative : une « Jeanne d’Arc moderne », une « Jeanne d’Arc socialiste », une « presque Jeanne d’Arc » selon Verlaine. Et tout est alors inversé pour eux : « L’amour pour Louise Michel s’appelle le socialisme ». Même sa supposée laideur devient pour ses amis un atout : « Un visage aux traits masculins, d’une laideur de peuple », ou encore « Laideur, certes, mais laideur à la Mirabeau, à la Rienzi, à la Danton, laideur qui subjugue les foules, tant elle s’éclaire d’esprit, au rayonnement de la flamme intérieure, tant elle brille de génie et de bonté ». Verhaeghe résume parfaitement une autre idéologie, celle de gauche, en écrivant : « Cette désexuation du corps de Louise Michel, par sa masculinisation, va rendre possible une nouvelle incarnation : celle du corps populaire. On voit ici à quel point l’image du peuple est masculine... ».
Souvent, mais discrètement, est évoqué le saphisme de Louise : avec Nathalie Lemel au bagne en Nouvelle-Calédonie ; avec Marie Ferré, la sœur de Théophile Ferré son grand amour, peut-être platonique, fusillé après la Commune ; avec Charlotte Vauvelle surtout, qui partagera sa vieillesse, sa « compagne dévouée » qui accompagna Louise jusqu’à sa mort. D’autres tranchent pour son absence de sexualité : la Vierge rouge deviendrait ainsi une Vierge noire ou transparente : sans lumière ; sans sexe ; sans amies ; sans amantes ; rien !
On ne le saura jamais : Louise était probablement bisexuelle ou tout simplement lesbienne, mais qu’importe !
Notes de bas de page
[1] De 2021 ; on recommande sa lecture, possible sur la Toile :
https://journals.openedition.org/chrhc/15593
Elle avait auparavant, en 2018, écrit La jeunesse de Louise Michel : enjeux politiques des récits sur les origines d’une révolutionnaire, également lisible sur la Toile :
https://journals.openedition.org/criminocorpus/3714
Là, aucune référence directe à la sexualité de Louise Michel ; cet écrit est tiré de sa thèse : De la Commune de Paris au Panthéon (1871-2013) : célébrité, postérité et mémoires de Louise Michel. Sociologie historique de la circulation d’une figure politique, thèse de doctorat en science politique, Université Lille 2, 2016.