
La guerre civile en France n’aura pas lieu : le beau temps des cerises… Elle aura lieu, bien sûr, en se terminant par la Semaine sanglante
Le début de la crise économique de 1869, vu par Charlot et Mickey ; ces deux-là eurent encore du nez
La tactique réformiste, de Charlot et Pierrot-Joé, celle de l’entrisme dans l’Empire grâce aux think tanks, n’était qu’un demi-succès ; soutenue à la fin, mais avec réticence, par Mickey qui la transforma en stratégie révolutionnaire, tout changea. Mais il fallait un déclencheur : une guerre ou une crise économique. La guerre était probable depuis la spectaculaire Victoire de l’Autriche contre la Prusse à Sadowa[1] ; la Prusse voudra sans doute se venger en se retournant contre la France qui avait probablement épaulé l’Autriche, mais elle pouvait être évitée en jouant serré, toujours grâce à l’entrisme dans les rouages de l’Empire. Mickey et Charlot scrutèrent donc non pas le ciel, mais la situation économique ; rapidement, ils comprirent (surtout Charlot, toujours aussi génial, ce qui énervait Mickey) qu’une crise immobilière ne pouvait pas être évitée.
La crise boursière et bancaire de mai 1869[2] commence par un krach boursier qui marque le début d’une période de ralentissement de la croissance économique appelée la Grande Dépression qui ne s’arrête qu’à la fin du siècle. Elle est mondiale : partie de Vienne, elle touche Paris, Berlin puis New York. Elle est la conséquence de centaines de faillites bancaires, les banques ayant trop prêté aux investisseurs immobiliers (boostés à Paris par le baron Haussmann, préfet de la Seine, et ses équivalents ailleurs) : les banques avançaient des sous aux spéculateurs immobiliers pendant la période de hausse des prix qui entraîna un boom, plutôt une bulle ; les arbres ne pouvant monter jusqu’en haut des gratte-ciel (à peine six étages chez Haussmann) les prix de l’immobilier chutèrent, et Krach. Le chômage et la crise économique fragilisèrent l’Empire.
Quant à une éventuelle guerre, les think tanks avaient d’ailleurs réussi à convaincre Émile Ollivier de se tourner le plus discrètement possible vers l’Autriche sans attiser les relations avec l’Allemagne que dominait la Prusse ; cette dernière, défaite par la première à la bataille de Sadowa n’était sans doute plus dangereuse ; mais qui sait : Bismarck n’allait-il pas se venger de l’aide de la France à l’Autriche ? Le pacte secret allait sans doute être éventé. Qu’il le fût ou non, la guerre n’arriva pas.
La guerre franco-allemande : l’analyse pas ambiguë du tout contre la France (mais aussi son mouvement socialiste ! ...) de Marx et Engels…
Tout le monde sait que la guerre arriva. Deux textes de Marx, les deux Adresses du Conseil général de l’Internationale, renvoient à cette guerre entre la France et la Prusse ; elles semblent avoir peu de rapport avec la lutte entre marxistes et anarchistes ; il n’en est rien ! C’est vrai, l’internationalisme et ses difficultés d’application par les révolutionnaires et les classes ouvrières en cas de guerre ne semblent pas être centraux dans les débats entre les différentes factions de l’AIT ; on en parle peu dans les débats entre libertaires et marxistes ; là n’est donc apparemment pas le sujet. Pourtant, ces questions se télescopent bizarrement avec la tactique particulière et cynique du jeu politique de Marx et Engels : on revient donc au sujet !
Dans cette Première Adresse… sur la guerre franco-allemande aux membres de l’Association en Europe et aux États-Unis (de fin juillet 1870) Marx insiste d’abord sur cet internationalisme qui a fondé l’AIT et l’union des prolétaires de tous les pays ; il se réfère ensuite à une déclaration dans le même sens des membres parisiens de l’Internationale au début de la guerre ; il indique enfin une réplique des ouvriers allemands, mais bien hésitante et très ambigüe.
Maurice Joyeux insiste sur cette ambigüité en résumant la position de Marx par : « La guerre du coté allemand doit rester une guerre défensive ». Joyeux va cependant beaucoup plus loin en écrivant (ce que les marxistes citent peu ; c’est une litote…) : « Mais la véritable pensée du personnage devant cette guerre, c’est sa correspondance avec Engels qui nous la fait connaitre. Voici un échantillon de cette prose : ″Les Français ont besoin d’être rossés. Si les Prussiens sont victorieux, la centralisation du pouvoir d’État sera utile à la centralisation de la classe ouvrière allemande. La prépondérance transfèrerait en outre de France en Allemagne le centre de gravité du mouvement ouvrier européen, et il suffit de comparer le mouvement de 1866 à aujourd’hui dans les deux pays pour voir que la classe ouvrière allemande est supérieure à la classe française sur le plan de la théorie et de l’organisation. La prépondérance, sur le théâtre du monde, de la classe ouvrière allemande sur la française signifierait du même coup la prépondérance de ‘notre’ théorie sur celle de Proudhon″ ». Joyeux termine par une conclusion logique : « La prédominance sur Proudhon [plus exactement des proudhoniens, PC : Proudhon n’est plus…] voilà quelle est la préoccupation du personnage alors que la guerre fait rage ». Et Joyeux de continuer pour enfoncer le clou : « Et naturellement un certain nombre d’internationaux français, ne voulant pas être en reste, accuseront Marx et sa clique d’être à la solde de Bismarck, et comme lorsque l’on s’est engagé sur ce terrain aucune absurdité n’est négligée, on accusera Bismarck d’avoir payé Marx 25.000 francs. Mais on ne saisirait pas bien l’absurdité où conduit ces ″grosses têtes″ en proie au délire si on ne lisait pas cette lettre d’Engels à Marx. ″Ma confiance dans la force militaire croit chaque jour. C’est nous qui avons gagné la première bataille sérieuse. Il serait absurde de faire de l’antibismarckisme notre principe directeur. Bismarck comme en 1866 travaille pour nous à sa façon″ ». Pourquoi cette date ? Il s’agit simplement de celle de la bataille de Sadowa ! Marx, changeant apparemment de sujet, indique discrètement dans sa première adresse ce qu’il laissera écrire crûment par Engels : « Si la bataille de Sadowa avait été perdue au lieu d’être gagnée, les bataillons français auraient inondé l’Allemagne comme alliée de la Prusse ».
Dans la Seconde adresse... (début septembre 1870) Marx marche sur des œufs (on en parle encore moins) ; il tente d’expliquer que la guerre des Allemands était bien défensive, le passage de la frontière française puis la déculottée donnée aux troupes de Napoléon III et à lui-même à Sedan, presque un accident militaire ; l’annexion de l’Alsace-Lorraine, presque une récupération historique ; le nationalisme des ouvriers allemands et français est expliqué, avec des critiques alambiquées. Bravo, l’Internationalisme prolétarien de Marx et Engels… Bref, tous sont partis, « Comme en 14 !... ». Car ça va recommencer, encore et (peut-être) toujours : on n’est pas près et prêts de sortir de la connerie nationaliste…
Charlot resta d’abord le cul sur son fauteuil à Bruxelles, mais envoya à Paris une militante russe des coLibs, Véra-Lise[3]
Une dénommée Véra-Lise se présenta à la Friterie Charlot à Bruxelles en novembre 1870 ; elle refusa de rappeler son patronyme à Charlot ; pourtant Outine, l’un des derniers Russes cocos de Genève qui hésitait encore à adhérer aux coLibs mais assez proche de Mickey, le lui avait donné dans sa recommandation pour qu’il la reçoive, mais Charlot l’avait oublié, ses pensées étant obsédées par ce qui allaient se passer à Paris et surtout par l’image de Lou, la « Libertine noire » tant louée par tous les poètes et politiques qu’elle eut comme amants, circulant sans cesse dans ses songes, en petite tenue.
Véra-Lise se contenta de donner le mot de passe que Charlot avait bien gardé en mémoire : « Les fourmis sont dans le sucrier ; je répète, les fourmis sont dans le sucrier » ; elle l’avait pourtant réveillé au milieu de sa sieste. « C’est Outine qui… » ; Charlot l’interrompit : « Oui, je sais, il est encore, à Genève, de la bande de cocos de Freddy mais est également copain avec Mickey ; c’est pour cela que je te reçois ! On a besoin de tout le monde pour la Révolution des coLibs qui se prépare à Paris ; pas de guerre franco-allemande, mais une guerre civile révolutionnaire et partout en France, grâce aux Prussiens et à Napoléon qui ne sont pas tombés dans le panneau de ces petits-bourgeois de Républicains français qui pensaient, grâce à la guerre, faire à la fois une bouchée de Bismarck, de la pauvre Allemagne unie (ou presque : la Bavière n’aurait pas marché dans la combine !) et de l’Empire, et recommencer le numéro de 1848 pour prendre le pouvoir et encore se mettre au service du Capital… ». « Tu racontes n’importe quoi, mon cher Charlot ! rétorqua Véra-Lise, croyant avoir marqué un point décisif, si la France avait gagné cette foutue guerre ratée (et je suis sûre que tu l’aurais souhaité sans ton alliance contre nature, d’abord avec Pierrot-Joé puis avec Mickey) l’Empire de cette crapule de Napoléon en serait sorti renforcé et l’Allemagne serait devenue, par sentiment de vengeance bien compréhensif, assoiffée de remettre le couvert de la guerre : on en aurait parlé jusqu’au début du siècle prochain ; et fini l’internationalisme ! Si, à l’inverse, l’Allemagne avait gagné, c’en eût été fini de l’Empire, et personne n’aurait été prêt à donner sa vie en France pour défendre la patrie en danger contre les Prussiens dont une bonne moitié de syndicalistes avait refusé la guerre contre leurs camarades français, grâce, justement, à ton alliance internationaliste et à la fusion entre ses deux principaux courants ! ».
Charlot dut reconnaître qu’elle avait marqué un point ; Véra-Lise s’enhardit : « Tout aurait été plus simple si tu étais resté coco et Pierrot-Joé et Mickey anars ; maintenant , en Russie, on ne sait plus sur quel pied danser ; ces cons de narodniki pensent que ta théorie du développement capitaliste nécessaire à la Révolution est bidon : les masses paysannes, l’écrasante majorité de la population chez nous, vont passer, affirment-ils, au socialisme en sautant l’étape capitaliste en gardant leur structure communautaire, l’entraide et tout ce qui leur a permis de résister à l’oppression féodale des seigneurs propriétaires fonciers. Moi, je pense, comme Outine et contre Mickey (et pourtant, j’y ai cru à Herzen et Tchernychevski !) que c’est maintenant illusoire : c’est trop tard, le capitalisme se développe, même dans l’agriculture, après la réforme de notre Tsar en 1861 que tout le monde considère comme un libérateur. Qu’en penses-tu, maintenant que tu as accepté (et, je te le répète : je le regrette) de mettre de l’eau claire dans ton vin rouge ? ». Charlot hésitait à répondre ; Véra-Lise en profita pour continuer : « Pas cons ces vieux oppresseurs qui changent leur fusil d’épaule, comme les Républicains de Lincoln aux États-Unis d’Amérique et leur guerre de Sécession (de 1861 à 1865) pour en finir avec l’esclavage, ou le nouvel empereur Mutsuhito de l’ère Meiji[4] à partir de 1868. Tu remarqueras que notre Tsar a ouvert le bal ! ».
« Tu en sais des choses, ma petite Véra-Lise… » ; « Je ne suis pas si petite ; bien sûr à côté de ton allure athlétique qui commence à se décrépir… ». Vexé, Marx répondit : « Je n’ai qu’un peu plus de cinquante ans… ». « Justement, il paraît que depuis la naissance de ton petit Freddy, tu as retrouvé tes talents d’avant ton mariage avec Jenny qui valent bien, paraît-il, ta dialectique et ton matérialisme historique réunis, fussent-ils mâtiné d’anarchisme à la Pierrot-Joé et à la Mickey ; j’ai une seconde question qui m’amène : ton bureau sent un peu trop la frite et, si la chambre d’à côté est vide, je gouterai bien de ces talents… ». Suivirent des heures de correspondance sans le moindre mot.
Charlot dut reconnaître qu’elle avait marqué plusieurs points au lit : il était épuisé. Véra-Lise réitéra sa question : « Maintenant que l’on se connaît mieux, que penses-tu de la Révolution en Russie ? ». « J’y réfléchirai ; mais je pense que ça va me demander du temps ; pour le moment, c’est en France que ça se passe et la Russie attendra encore un peu ; je te demande d’aller à Paris au moment où se déclenchera vraiment l’insurrection et de me conter tout ce qui s’y passe ; tu peux rester ici dans la Friterie en attendant ; j’espère qu’ils ne déclencheront pas l’insurrection avant le printemps et que nous pourrons ainsi continuer nos échanges… ».
Marx envoie, en 1870, Élisabeth Dmitrieff à Paris : une Histoire qui interroge…
Quant à l’histoire de Marx et d’une Russe qui serait venue l’interroger sur l’avenir de la Révolution en Russie, il faut s’y appesantir. Il s’agit d’Élisabeth Dmitrieff (ce fut son nom de guerre pendant la Commune : elle s’appelait Elizaveta Tomanovskaïa) une révolutionnaire et militante féministe russe née au milieu du siècle ; on ne sait quand elle est morte, 1910 ou 1918. Dans l’histoire de Marx et de la Commune, elle ne fit que passer.
Elle s’intéressa, dès son adolescence, à la fois à Marx et à l’écrivain Nikolaï Tchernychevski[5] qui fut l’un des premiers, avec Herzen, à penser en Russie que la Révolution russe pouvait s’effectuer à partir de la paysannerie déjà organisée en communauté, et grâce à un large mouvement de masse, sans attendre le capitalisme, peu après l’abolition du servage en 1861 par Alexandre II. C’est avec ces deux références, un peu coco, un peu anar, qu’elle participa à la fondation en Suisse, en 1868, de la section russe de l’AIT en codirigeant le journal Narodnoe delo (La Cause du peuple). À Genève, elle rencontre d’un côté Bakounine, dont l’anarchisme de base doit plus aux russes de Zemlia i Volia (Terre et liberté) de Herzen et Tchernychevski, qu’à Proudhon et Eugène Varlin, de l’autre le socialiste russe Nicolas Outine qui épouse les idées de Marx. Armée de ces deux idéologies, mais plus proche de Marx, et sur recommandation de Outine, elle alla en effet voir Marx à Londres quelques mois avant le déclenchement de la Communes de Paris. Après le soulèvement du 18 mars 1871 (vrai début de la Commune) Marx envoie ainsi Dmitrieff en mission d’information à Paris ; celui qui en était chargé, Hermann Jung, étant grippé[6]… Dmitrieff participa à toute la Commune en codirigeant le mouvement des femmes (l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, ainsi que des coopératives autogérées de textile) jusqu’à la fin de la Semaine sanglante ; elle ne s’enfuira qu’au dernier moment. Marx perdit sa trace seulement quelques années plus tard.
On a surtout un doute que nous sommes incapables de lever : cette militante envoyée à Londres voir Marx en 1870 avait-elle pour principale mission de lui demander ce qu’il pensait de la voie révolutionnaire à emprunter en Russie : soit celle de la Révolution paysanne (promue par Herzen et Tchernychevski ) avec maintien de la communauté paysanne (le Mir) ; soit celle de la voie marxiste traditionnelle, cette dernière supposant auparavant le passage au capitalisme et donc la destruction de la communauté paysanne qui survivait encore sous le servage sous la domination d’un mode de production féodal au sens de Marx. Certains l’affirment, ce que j’ignorais pensant que la question était définitivement réglée : il avait fallu attendre la fin des années 1870 et plus spécifiquement 1881 avec la même demande à Marx par une lettre de Véra Zassoulitch (une ex des narodniki, et, qui plus est, ex-terroriste) pour que Marx fût interrogé à ce sujet) ; et la réponse de Marx (retrouvée bien plus tard) sous le régime soviétique.
Et il n’y a, à notre connaissance, que quelques rares écrits qui affirment que cette question fut explicitement posée à Marx dès 1870 : d’une part l’article Elisabeth Dmitrieff de Wikipédia[7] ; d’autre part, le livre d’Olivier Besancenot et Michael Löwy, Marx à Paris, 1871. Le cahier bleu de Jenny[8] ; l’origine de ces deux analyses semble se trouver dans le livre de l’Américaine Kristin Ross, L’imaginaire de la Commune[9]. S’agit-il simplement de régler le différend entre Bakounine et Netchaïev qui préoccupait en effet Marx (Bakounine refusant jusque très tard de se séparer de son encombrant et jusqu’au-boutiste ami, le premier étant déjà assez encombrant…) ou la question de comment faire la Révolution en Russie fût-elle également posée[10] ?
Alors, pourquoi un doute ? Car aucune analyse, ou presque (ni marxiste ni anarchiste, sauf les deux textes mentionnés) n’évoque en langue française (sauf erreur de notre part) cette question de Dmitrieff à Marx en 1870. C’est, curieusement, moins rare en langue anglaise (influence de Ross ?).
Un rêve[11] : Les Communes dirigées par les coLibs, pas seulement à Paris, annonçant de belles histoires d’Amour
Pas de guerre, donc en 1870 ; mais le mouvement social annoncé comme conséquence de la crise de 1869[12]. Les émeutes contre le chômage et la vie chère, à Paris et dans toutes les grandes villes se propagèrent dans le monde rural où les paysans, pourtant au début le socle politique de l’Empereur, se plaignaient de leur domination par les premières industries qui leur fournissaient leurs instruments ou de grands commerçants qui achetaient leur récolte. La crise fut bien la cause de la chute de Napoléon III, car les républicains les moins révolutionnaires recommencèrent le scénario de 1848, utilisant évidemment le mécontentement du peuple. Bingo ! pensèrent les militants des coLibs : on les aide, puis on prend le pouvoir, mais sans se faire embobiner comme en juin 1848. L’Histoire ne bégaya pas, les blanquistes surtout, les rares communistes purs que Freddy dirigeait encore depuis Londres, les nombreux anarchistes individualistes qui avaient refusé l’alliance anarcho-communiste, et surtout les coLibs, proclamèrent des Communes, à Paris et dans la plupart des villes de Province, avec l’organisation prévue : Fédération et autogestion des producteurs.
Charlot décide de partir pour Paris, autant pour tenter de rencontrer la belle Lou que pour tenter de sauver la Commune déjà en péril d’après les rapports de Véra-Lise
Paris était évidemment le fer de lance de la tentative de Révolution dans toutes les villes de France, Charlot ne prit pas le train à Bruxelles mais s’y rendit par mille moyens de transport et à pied. L’amour qu’il avait toujours ressenti pour Lou, sans la connaître, cachait mal sa peur, mais la cachait. Ce fut au péril de sa vie : la première fois qu’il prit de véritables risques physiques sérieux ; contrairement à Freddy, il fut plus timoré en 1848… Il traversa sans mot dire la banlieue, puis, arrivant à Paris, la Zone autour des « fortifs » où il eut quelques ennuis avec les banlieusards, à cause de son accent allemand ; heureusement, il fut reconnu par un vieil ouvrier ancien de la Ligue des justes de Londres d’avant 1848, qui, bien que resté fidèle à Weitling, l’aida à entrer dans Paris insurgé. Pour une fois, il ne joua pas les divas, ne se mit pas en avant, mais contrôla en fait tout ; il fut rejoint par Mickey qui avait auparavant fait le job à Lyon et à Marseille.
La Banque de France fut attaquée ; elle distribua, bien contrôlée par le Comité révolutionnaire, une partie de son or aux Fédérations et son activité d’émission monétaire fut dopée pour faire chuter le taux d’intérêt et à la fois étouffer les rentiers. Ce fut la panique du côté bourgeois : les taux d’intérêt en valeur nominale chutèrent en Province et s’écroulèrent en valeur réelle avec l’inflation de la vie chère ; non pas à cause de la théorie quantitative de la monnaie puisqu’on était entré en récession, mais à cause de la chute des échanges due aux désordres. Rapidement, le gouvernement officiel de la IIIe République, dirigé par Monsieur Thiers, dut quitter Paris pour Versailles ; il tenta un siège à partir de l’hiver 1870-1871, mais, grâce à l’insistance de Charlot, une sortie victorieuse de la Garde nationale transformée en Fédérés le rompit à Courbevoie, balayant les troupes versaillaises : Versailles fut conquise dans la journée, Thiers se retira à Bordeaux. Dans les grandes villes de province, sauf à Bordeaux, le même scénario se reproduisit.
Face à face, deux armées : d’un côté, l’armée légale de la République, avec surtout des paysans, nettement plus forte en nombre et en matériel (l’armée s’était préparée pour une éventuelle guerre avec l’Allemagne) ; de l’autre, celle des Fédérés, partout dans toutes les grandes villes de province, moins nombreuse, moins entraînée, mais déterminée. Personne ne franchit le Rubicon : une sorte de « drôle de guerre » civile où tout le monde attendait cependant avec angoisse le déclenchement des hostilités.
La constitution du trouple amoureux : Lou, Mickey, Charlot
Lou fut ravie de rencontrer Charlot ; on le sait, elle en rêvait. Elle le rencontra par hasard dans une réunion du Comité où les blanquistes et les coLibs tentaient de régler quelques différents mineurs concernant la politique monétaire à mettre en place par la Banque de France. Charlot n’ayant plus sa barbe bien connue (le déguisement était de rigueur) elle le reconnut cependant, mais pas tout de suite, par « son esprit très scientifique et des orgueils qu’il tentait vainement de cacher », dit-elle. Charlot la reconnut tout de suite : c’était de loin la plus belle des fédérées, malgré son costume militaire masculin. Il regretta ses hésitations à Bruxelles (prendre ou ne pas prendre le train...) et la dragua ; il n’y tenait plus. Quand il lui dit qui il était (bien que toujours prudent : les espions et surtout les espionnes courraient les rues et surtout les réunions des chefs) elle lui sauta au cou et lui roula la pelle de sa vie. Une idylle était née.
Mais arriva, un peu plus tard ; exactement la même histoire entre Lou et Mickey revenant de Lyon (Lou avait, on le sait maintenant, un tempérament de lionne sautant sur tout ce qui bougeait). Elle le reconnut tout de suite grâce à ses grandes oreilles qui encadraient une boule rasée à zéro et à un discret accent slave. De grandes oreilles augurent d’un physique aguichant ; elle se remémora soudain sa passe rapide sous un pont de Paris avec le clochard Topolino et lui sauta au cou : nouvelle pelle.
Ce qu’allait réussir Clemenceau entre les Communes et Thiers, Lou le répéta : au bord du duel, elle les convainquit que l’Amour à trois était plus sympathique qu’un ou deux morts et une veuve à moitié ou complètement éplorée. Elle leur laissait toute leur liberté sexuelle, à condition de garder la sienne. Elle ne dit rien à nos deux compères, mais constata encore, en ayant bien connu Jean-Baptiste Clément qui la baptisa sans relâche, que les poètes étaient de meilleurs amants que les politiques. Un peu accro au nouveau pouvoir, allez savoir, elle ne quitta pourtant pas ses deux révolutionnaires. Leurs journées, agrémentées de coups de feu, allaient commencer à s’organiser comme plus tard, la paix revenue.
La fin des Communes : le compromis et le Beau temps des cerises
L’affrontement n’eut pas lieu. Peut-être, l’histoire d’amour ou d’Amour entre nos trois héros fut-elle pour quelque chose à ce qu’il faut bien appeler un compromis gagnant-gagnant. Clemenceau (le futur « Tigre ») déjà député, tenta longuement une conciliation entre les deux forces : armé d’un grand drapeau blanc qui énervait toutefois les lignes des fédérés, il fit de nombreux allers-retours entre Paris et Bordeaux ; il y parvint.
Ce compromis tournera à l’avantage de la bourgeoisie, car l’union des révolutionnaires ne fut pas sans faille[13]. On fêta cependant en commun la paix sociale retrouvée en s’accrochant des couples de cerises en boucles d’oreille[14]. Ce compromis amoureux formant le premier trouple officiel du siècle révolutionnaire fit jaser au Comité central et dans la troupe des fédérés, mais il fut admis. Des historiens prétendent que les ébats amoureux de ce trouple permirent le compromis obtenu par Clemenceau qui participa peut-être à ces ébats ; les historiens ne se sont encore jamais mis d’accord.
La Commune de Paris : pas une drôle de guerre mais une insurrection avec Louise Michel qui se termina par les massacres de la Semaine sanglante
L’Histoire générale de la Commune est éculée, on en fait grâce au lecteur[15] ; si ce dernier n’en avait pas la moindre idée, il n’aurait pas lu ce feuilleton ; et il peut se renseigner maintenant facilement en surfant sur le Net… Quelques lignes cependant sur Marx et Louise Michel qui ne se rencontrèrent évidemment pas : Marx étant resté à Londres à lire les journaux et à commenter les événements. Deux mots enfin sur Bakounine : il se mouilla, au moins à Lyon, mais descendit vers Marseille plutôt que de monter vers la Capitale.
Pendant l’été de 1869 (bien avant la Commune donc) Marx serait venu illégalement à Paris : « J’ai passé, écrit-il à Engels, une semaine à Paris où, soit dit en passant, la croissance du mouvement saute directement aux yeux ». « Le pire, écrivait Engels dès le 15 août 1870, c’est qu’en cas de véritable mouvement révolutionnaire à Paris, personne n’est là pour en prendre la direction ». Comme dit le proverbe chinois : « Plutôt que de te plaindre qu’il n’y a personne au volant, prends-le ! ». Marx mit d’ailleurs, au début de la Commune, les ouvriers français en garde contre une insurrection prématurée ; il écrivit cependant des tas de lettres aux dirigeants de la Commune[16], mais leur reprocha à la fois de ne pas avoir contrattaqué et pris Versailles et de ne pas s’être emparé de la Banque de France. Marx ne se mouilla donc pas ; on sent même un certain mépris pour les dirigeants de la Commune et cette pauvre classe ouvrière sans parti pour la diriger et lui permettant d’exercer sa dictature. Marx s'est donc contenté d’écrire. Mais son texte, La Guerre Civile en France[17], est fort barbant pour les première et deuxième parties, peut-être intéressantes comme article de journal, mais sans grand intérêt historique, c’est surtout une succession de diatribes contre Thiers et d’autres (en particulier Jules Ferry).
Pour finir, on ne peut éviter d’évoquer la part qu’y prit Louise Michel. Toujours blanquiste au début du mouvement, elle ne fut pas qu’ambulancière, elle prit les armes et s’en servit ; on dit qu’elle eut pour projet de se rendre seule à Versailles pour tuer Thiers ; le projet avorta. En 1871, elle devint anarchiste. À moins que ce ne soit plus tard en Nouvelle-Calédonie avec Nathalie Lemel, elle aussi grande animatrice de la Commune ; c’est, dit-on, sans doute au contact de cette dernière que Louise Michel devint anarchiste. Elle est arrêtée après la Semaine sanglante en se rendant pour faire libérer sa mère ; jugée, réclamant la mort comme son grand ami Théophile Ferré, journaliste blanquiste[18], elle fut, après la prison près de chez elle (à Auberive en Haute-Marne jusqu'en 1873) déportée sur la presqu’île de Ducos, près de Nouméa où elle arrive à bord de La Virginie, dans le même convoi qu’Henri Rochefort, journaliste de gauche devenu communard, Nathalie Lemel et beaucoup d’autres.
Son courage, avant et après la Semaine sanglante, laisse pantois : au moins lors de son procès. Devant ses juges, elle déclare : « Ce que je réclame de vous, c’est le poteau de Satory où, déjà, sont tombés nos frères ; il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, on a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit aujourd’hui qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ». Elle revendique toutes les accusations qui lui sont faites lors de son procès (ce ne fut pas le cas de beaucoup de communards) : « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ».
Elle a connu, peut-être soutenu mais pas participé, à la Révolte du chef Ataï de 1878 en Nouvelle-Calédonie, écrasée, grâce à la collaboration avec les Français, de tribus hostiles à la sienne ; certains communards vont s’associer (remises de peine aidant) à la répression de cette première grande Révolte des Kanak. Il y en eut auparavant, mais de plus petites. Louise Michel prit donc leur défense, mais pas les armes. On raconte néanmoins que « Contrairement à presque tous les autres déportés favorables aux Blancs et particulièrement à ceux qui participèrent à la répression contre remise de peine, elle soutient la révolte canaque de 1878, allant jusqu’à apprendre aux insurgés comment couper les fils du télégraphe pour interrompre les communications. Symboliquement, elle leur offre d’ailleurs la moitié de son écharpe rouge sauvée de la Commune »[19].
Elle est ensuite sortie du bagne, est un peu instit, avec des enfants de colons, mais surtout avec des Mélanésiens. Elle rentre à Paris en 1880 après avoir débarqué à Dieppe, suite à l’amnistie, et est accueillie triomphalement ; elle militera, fera des conférences, ira souvent en prison, participera mollement à la défense de Dreyfus (son mentor, Rochefort, déporté avec elle au bagne puis évadé, était devenu farouchement antisémite...) jusqu’à sa mort à 74 ans.
Marx analysant la Commune presque comme un anar ; Engels un peu différemment…
La troisième partie de La guerre civile en France aborde enfin (Ouf !) le sujet principal qui oppose les anarchistes et les marxistes ; celui de l’État et de son appareil.
L’organisation que décrit Marx n’est déjà plus un État traditionnel, mais les conceptions des réformistes proudhoniens où des radicaux et Bakounine ne sont pas très éloignés de ce qu’il décrit[20] : des conseillers élus et révocables, avec un salaire d’ouvrier ; le fameux État qu’il faut briser n’est évoqué qu’en passant, et seulement pour la religion ! Mais de là à prendre l’État sans le chambouler, le pas n’est pas franchi : « ... la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État et de le faire fonctionner pour son propre compte ». Il n’y a qu’en conclusion, à la fin de la description des œuvres de la commune, que les termes brisé et destruction apparaissent ; et de façon curieuse qui aurait dû irriter Lénine (sauf si ce dernier avait vraiment donné « tout le pouvoir aux soviets »). Allons plus loin, car Marx passe à la société dans son ensemble et parle de deux « gouvernements » dont un « gouvernement central »[21] ; et surtout il faut le lire jusqu’au bout : « L’unité de la nation ne devait pas être brisée (je souligne, PC) mais au contraire organisée par la Constitution communale ; elle devait devenir une réalité par la destruction (idem, PC) du pouvoir d’État qui prétendait être l’incarnation de cette unité ». État or not État ? Les anars n’auraient pas dit mieux !
« Son véritable secret [celui de la commune], le voici, continue Marx : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ». Mais on cherchera donc en vain l’expression dictature du prolétariat ou même de « prolétariat organisé en classe dominante » (expression plus douce de Lénine). Curieux, cette non-utilisation de l’expression très ancienne chez lui. Dans sa Lettre à Weydemeyer[22] de 1852, Marx était très clair : il n’a pas découvert l’existence des classes et de leurs luttes, il a par contre inventé que leur aboutissement dans la société capitaliste est la dictature du prolétariat ; mais une transition provisoire vers une société sans classes et sans État. Près de 20 ans plus tard, Marx apparaît hésitant en 1871, bien le cul entre deux chaises, sur cette fameuse dictature. Voulut-il mettre, par opportunisme ou par galanterie, pour ne pas choquer les anars, un peu d’eau dans son vin ? Avait-il évolué depuis vingt ans ? Suivent, enfin, dans cette troisième partie, quelques indications sur les alliances de classes avec les paysans et même la bourgeoisie moyenne[23].
C’est Engels qui va préciser, beaucoup plus tard, ce qui est resté dans la vulgate marxiste[24] : « … la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat ».
Notes de bas de page
[1] Pour les distraits, nous sommes dans l’uchronie : dans l’Histoire, ce fut le contraire…
[2] L’uchronie anticipe de quelques années la crise boursière qui ne commença en fait qu’en 1873, après la guerre franco-allemande. Mais sans cette anticipation, ce qui est conté dans l’uchronie ne pourrait pas tenir la route. Cependant, il y eut bien avant 1870 quelques prémisses de cette crise, fondamentalement immobilière. Jules Ferry, alors républicain d’opposition à l’Empire (plus connu comme créateur, plus tard, de l’école gratuite) fut plus direct en dénonçant la folie immobilière par la publication en 1868 du pamphlet Les Comptes fantastiques d’Haussmann (allusion évidente aux Contes d’Hoffmann d’Offenbach). Le site Napoléon.org nous en offre quelques extraits et quelques analyses ;
Ferry met en relief, en bon comptable, l’énorme surcoût pour les finances publiques des opérations lancées en 1858. Haussmann sera destitué quelques mois avant la chute de Napoléon III.
[3] Ce récit dans l’uchronie n’est, un peu décalé, que le clone de ce qui est en quelquefois conté dans l’Histoire ; voir juste à la suite.
[4] Meiji n’est pas le nom du nouvel Empereur ; l’expression renvoie simplement à cette période : celle des Lumières ou Gouvernement éclairé, composé de lumière/clarté, mei, lumière et ji, gouvernement.
[5] Dans son roman Que faire ? déjà mentionné où son héroïne se nomme Véra.
[6] Et ce n’est pas une blague !
[7] Lisible sur la Toile à :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Élisabeth_Dmitrieff
[8] (Éditions Manifeste ! en 2021). Ce livre fut publié pour commémorer les 150 ans de la Commune. Le bouquin imagine une visite clandestine à Paris de Karl Marx accompagnée de sa fille Jenny, quelques jours pendant la Commune : rencontres fictives, en particulier avec Louise Michel (mais en tout bien tout honneur : rien à voir avec notre uchronie). C’est une fiction (sauf l’envoi d’Élisabeth Dmitrieff à Paris, chargée ainsi de la même tache que Véra Zassoulitch plus de dix ans plus tard) pas une uchronie ; rappelons que Marx n’a pas bougé de Londres… Ce livre a bénéficié d’une foule de chroniques ; une vidéo où interviennent Löwy et Besancenot est particulièrement intéressante :
[9] Cité par Wikipédia dans l’article sur Élisabeth Dmitrieff (notes 78 et 79) ; livre traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque, La Fabrique éditions, Paris, 2015.
[10] D’après Wikipédia (et donc Kristin Ross) elle le fut ; y est écrit en effet : « En novembre 1870, les internationalistes genevois envoient Élisabeth Dmitrieff à Londres demander à Karl Marx d’arbitrer leurs conflits internes (entre Netchaïev et Bakounine) et leur différend en matière de Révolution russe. […] Dmitrieff passe les trois mois qui précèdent la Commune à discuter avec lui des organisations rurales traditionnelles russes. […] Tchernychevski pense que la Russie peut passer du stade féodal au stade socialiste sans transition par le stade capitaliste du développement, […] Il s’agit de revitaliser les communes sur le modèle du phalanstère de Charles Fourier tout en les débarrassant de leurs éléments d’oppression patriarcale. Dmitrieff a une influence sur les idées de Marx, qui commence à envisager la possibilité de cheminements alternatifs et pluriels vers le socialisme, sans passer par le stade du développement capitaliste. Ces conversations se poursuivent avec Véra Zassoulitch ». Mais dix ans plus tard… Il est vrai que Marx commence à apprendre le russe à la fin des années 1860 et se préoccupe donc déjà de la question…
[11] Pour ceux qui se seraient assoupis, il s’agit toujours de l’uchronie.
[12] Répétons-le, cette crise ne commencera vraiment qu’en 1873.
[13] La IIIe République sera à peu de chose près ce qu’elle a été ; mais sans massacre. L’imagination nous manque pour uchroniquer en détail cette période ; on peut émettre l’hypothèse que la loi sur l’éducation de Jules Ferry de 1881 (obligation et gratuité absolue de l’enseignement primaire pour les garçons et les filles) fut votée dès 1871 ; le mouvement syndical se renforça plus tôt, les syndicats, autorisés depuis 1864 grâce à Émile Ollivier, vont former une confédération en 1875 (la CGT ne se créera dans l’Histoire qu’en 1895…) ; les grands travaux de Freycinet n’attendront pas 1878 pour commencer ; la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 aura plus de 15 ans d’avance.
[14] Le futur communard Jean-Baptiste Clément écrivit, selon l’Histoire, les paroles de la chanson Au temps des cerises en 1866 et non pas après la défaite de la Semaine sanglante ; il a dédicacé plus tard cette chanson à une certaine Louise, une très jeune ouvrière et vaillante infirmière rencontrée pendant le massacre (ce n’était ni Lou ni Louise Michel).
[15] Allez, quand même un grand récit (en trois parties) avec illustrations, trouvé sur la Toile et qui remonte loin… :
https://www.youtube.com/watch?v=MlXpU1erzac
Et un petit truc sympa (mais mal fichu) sur Louise Michel dans la Commune :
https://www.youtube.com/watch?v=iA5H3K1lld0
[16] Dont une à Frankel et Varlin : « La Commune me semble perdre trop de temps à des bagatelles et aux querelles personnelles. On voit qu’il y a d’autres influences que celle des ouvriers. Tout cela ne serait rien si vous aviez du temps pour rattraper le temps perdu ». En avril, dans une Lettre à Kugelmann, il écrit : « La classe ouvrière de Paris, n’ayant pas de parti à elle qui l’aurait guidée et eût réalisé sa dictature, a commis des fautes nombreuses. Elle n’a pas poursuivi l’ennemi sans le laisser souffler, mais lui a permis de battre en retraite et de s’organiser à Versailles ; elle ne s’est pas emparée de la Banque de France ; elle n’a pas su créer avec la paysannerie le lien qu’elle aspirait à établir ; elle s’est montrée généreuse envers l’ennemi de classe qu’il faut supprimer quand il ne se rend pas ». Là, la dictature du prolétariat est explicitement évoquée.
Le réel départ de la Commune, le 18 mars 1871, fut la tentative de Thiers et de ses Versaillais de prise des canons de la butte Montmartre (pas quelques malheureux canons : probablement une bonne centaine) ; ce furent surtout les femmes qui s’y opposèrent et, avec la fraternisation de beaucoup de soldats, ce fut un échec : selon Marx, Versailles aurait pu être prise par les Communards.
[17] Plus exactement L’Adresse du Conseil général de l’Internationale sur La Guerre civile en France, et bien d’autres textes de 1871 ; il en existe des tas de publications, avec toutes les préfaces d’Engels aux différentes éditions. Notre édition de référence est celle, électronique, des Classiques des sciences sociales de l’UQAC (Université du Québec à Chicoutimi) avec la préface d’Engels de 1891 ; une note générale d’introduction présente les textes, ainsi que des notes de bas de page qui les parcourent, où Lénine est cité plusieurs dizaines de fois ; sont-elles de l’éditeur, Jean-Marie Tremblay, sociologue ? Voir, donc :
https://commune-1871-tregor.monsite-orange.fr/file/5f623950b19766f333635127c5f3175b.pdf
La note d’introduction commence donc par des citations de Lénine, la première étant : « D’aucuns représentent Marx comme un savant de cabinet, coupé de la pratique révolutionnaire. Il n’y a rien de plus absurde que cette falsification du rôle de Marx. Marx a été le plus grand maître du prolétariat, un véritable chef prolétarien, un participant de la lutte des masses, qu’il a vécue avec toute l’ardeur, toute la passion qui lui sont propres ». Si l’on veut pour la Commune de Paris : il ne quitta donc pas Londres ; courageux mais pas téméraire...
Lénine rajoutera une couche au mépris de Marx pour les dirigeants de la Commune (toujours dans notre édition de référence) : « La Commune de Paris porta un coup définitif et mortel au socialisme d’avant Marx. Les théories petites-bourgeoises de Louis Blanc et de Proudhon qui avaient cours sous le Second Empire, grâce au lent développement de l’industrie lourde en France, furent entièrement mises en pièces par la Commune… ». Pour Lénine, ce n’est pas l’horrible défaite de la Semaine sanglante qui importe ; c’est celle des « théories petites-bourgeoises » ! Sacré Lénine !
[18] Simple forte amitié, amour réel consommé ou relation platonique, on ne sait toujours pas ; elle repose au cimetière de Levallois aux côtés de celui qui semble avoir été l’homme de sa vie.
[19] Lisible sur la Toile :
L’un des premiers mouvements indépendantistes kanak, celui des Foulards rouges, après Mai 68, trouve son appellation dans cet épisode ; certains prétendent (ce n’est pas du tout la version officielle…) que la bande rouge horizontale centrale du drapeau de Kanaky serait une référence à ce foulard.
[20] « La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au Suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. [...] Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. [...] Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises. [...] Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance. [...] Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables ».
Dans l’uchronie, Charlot aurait dit la même chose…
[21] « La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime de la Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l’ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes. Dans une brève esquisse d’organisation nationale que la Commune n’eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l’armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris ; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions, peu nombreuses, mais importantes, qui restaient encore à un gouvernement central, ne devaient pas être supprimées, comme on l’a dit faussement, de propos délibéré, mais devaient être assurées par des fonctionnaires de la Commune, autrement dit strictement responsables ». C’est encore un État, mais plus vraiment un État… et sans évoquer une quelconque dictature du prolétariat, contrairement à ses lettres du début de la Commune.
[22] Un Allemand de la Ligue des communistes qui émigra aux États-Unis et y publia, en allemand, Le 18 Brumaire. Il prit part, du bon côté, à la guerre de Sécession. Le contenu qui nous intéresse dans cette lettre est le suivant : « ... ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l’évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l’anatomie économique. Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est : de démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases historiques déterminées du développement de la production ; que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ; que cette dictature elle-même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes ». Marx n’était donc pas très loin des anars…
[23] La quatrième partie ne vaut guère mieux, pour notre sujet, que les deux premières.
[24] Avec sa préface de 1891 où il prétend préciser l’écrit de Marx : « Si, aujourd’hui, vingt ans après, nous jetons un regard en arrière sur l’activité et la signification historique de la Commune de Paris de 1871, il apparaît qu’il y a quelques additions à faire à la peinture qu’en a donné La Guerre civile en France ». Ce n’est pas la plongée des faits dans le trou de mémoire du 1984 de George Orwell, mais la mémoire est bien revisitée… Engels admet que la majorité des communards étaient blanquistes, les autres proudhoniens ; en gros, il ne manquait bien que les marxistes pour diriger tout ça… Et il conclut, ce qui fut tant de fois cité : « Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat ».