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Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 16 novembre 2023

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Cocos et anars jouent Éros plutôt que Thanatos : uchronie et Histoire (Saison 14)

Précisons : uchronie très ensoleillée ; fort sombre Histoire. Les Rouges et les Noirs : Charlot (Karl Marx), Freddy (Friedrich Engels), Pierrot-Joé (Pierre-Joseph Proudhon), Mickey (Michel Bakounine), Lou (Louise Michel) et les autres...

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Illustration 1

La longue fin glorieuse de l’AIT de Charlot et Mickey. La fin peu glorieuse de la courte AIT de Marx…

La longue et glorieuse histoire de l’AIT des coLibs

L’histoire de l’AIT fondée par Charlot fut en fait longue, et un véritable fleuve tranquille : créée au congrès de Saint-Martin’s Hall à Londres en 1864, on perd ensuite sa trace après le glorieux congrès de La Haye en 1872 où l’alliance se renforça avec la défaite du Freddy coco resté en Angleterre. L’alliance des coLibs continua au moins jusqu’à la fin du siècle mais n’apparaît plus dans notre uchronie que nous avons décidé d’arrêter à cette date (sauf la petite suite en mode mineur) ; la grande union, semble-t-il définitive, entre Charlot et Mickey fut en effet l’apothéose du congrès de La Haye, où le conseil déménagea de Londres à Bruxelles[1].

Charlot déjà coLibs depuis l’accord avec Pierrot-Joé de 1852, accueillit favorablement, en 1867-1868, l’alliance entre Eugène Varlin et Mickey. La PD, la Punition démocratique devint l’axe central de la stratégie de l’AIT ; l’organisation interne ainsi que la question de la lutte politique et de la lutte syndicale se clarifièrent. Charlot accueille ainsi à bras ouverts Mickey quand il lui affirme, fin décembre 1868 : « Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l’être » ; il répliqua : « Il n’y a plus de disciple, et nous ne sommes plus seuls tous les deux ; la direction de l’AIT doit être collective, comme la Révolution que nous proposons, elle sera communiste libertaire ou ne sera pas, par exemple grâce aux Italiens de Malatesta et bien d’autres ».

Au congrès de Bâle de 1869, il y eut une large majorité sur la question de la socialisation du sol et de l’héritage ; seul Freddy fut dans l’opposition, mais très minoritaire. Le débat entre d’une part les partisans de la gestion centralisée ou, au contraire, de la décentralisation de l’organisation, et d’autre part, celui du primat des syndicats ou des partis politiques, se solda par un consensus : on trouva des formes mixtes d’organisation et les syndicats ne devaient pas se retreindre à la lutte économique mais devaient aboutir à la constitution de coordinations politiques pour une évolution révolutionnaire. La difficulté de savoir ce que signifiait vraiment l’accord fit les délices des congrès suivants : quid de la participation à des gouvernements d’union des gauches ? Elle fut acceptée, à condition qu’ils soient sur le chemin du socialisme.

Après la Commune qui interrompit un peu les contacts, le congrès de La Haye n’eut qu’un seul aspect négatif : les cocos de Freddy qui avait tenté les pires magouilles pour non pas prendre le pouvoir (c’était impossible compte tenu du nombre dérisoires de leurs représentants au congrès) firent tout leur possible pour tout saboter ; ils furent exclus.

Et Marx vira Bakounine, et l’AIT en mourut

Proudhon mort, il ne restait plus que deux coqs ; les rapports entre Marx et Bakounine passèrent rapidement de la méfiance à l’hostilité pour finir par une guerre ouverte au congrès de La Haye[2].

Commençons par le commencement de ce congrès. On discuta longuement de la représentativité (trois jours de ses travaux pour la vérification des mandats des délégués !). Ensuite, on reprit les vieilles querelles et on évoqua les vieilles casseroles de Bakounine : il fut surtout accusé de la création d’une sorte de mouvement légal parallèle à l’AIT, mais avec branche secrète ; on ne sait si on rajouta les accusations d’escroquerie, liées à l’affaire Netchaïev où la rumeur-fake news précédente le dénonçant comme agent du tsar. Une Commission d’enquête sur l’Alliance, nommée le mercredi soir, après donc les vérifications d’usage, tint ses réunions, à huis clos, comme tribunal jugeant Bakounine et ses copains. Marx, Engels et d’autres, dans un rapport sur mandat du Congrès, n’y allèrent pas de main morte contre Bakounine[3].

Une sombre histoire de deux coqs, une sombre histoire d’égos ? En fait, une pauvre manigance aux conséquences terribles ! Bakounine fut exclu avec James Guillaume (mais pas les autres anars) : un à zéro pour Marx. Guillaume est à l’époque un jeune anar suisse (il a plus de 30 ans de moins que nos deux coqs) qui conta[4] cette sombre histoire.

Laissons les coqs. En matière de lignes politiques fondamentales s’opposant : rien ! Mais alors, rien du tout ! Rien sur la question brûlante de l’État, de la prise du pouvoir en le transformant ou en le détruisant par la dictature du prolétariat avant de l’abolir dans le communisme ou en le détruisant immédiatement. Rien sur les projets de société après la Révolution. On cherche vainement ces débats de fond entre libertaires et communistes ; on n’en trouve pas, pourtant, on a cherché… Il est vrai que les débats des congrès précédents avaient déjà labouré le terrain : il ne restait donc que les magouilles et les débats secondaires ; ce qui ne veut pas dire sans importance.

Il ne resta donc en fait, après l’éviction de Bakounine et Guillaume, que deux questions où l’on s’opposa. La première est la vieille question de l’organisation de l’Internationale : faut-il une AIT constituée de fédérations autonomes (en gros les anars) ou une organisation centralisée (en gros les marxistes[5]) permettant une meilleure coordination ? La seconde, également récurrente, est plus politique : l’AIT doit-elle être une organisation de masse privilégiant l’action économique des syndicats (plutôt les anars, avec la préfiguration du syndicalisme révolutionnaire) ou un parti politique défendant les intérêts de classe du prolétariat en jouant le jeu (ou non) de la démocratie bourgeoise ? Le congrès répond à ces deux questions : il décide le renforcement des pouvoirs du Conseil général et son transfert aux États-Unis (pour éloigner les anars européens ?) ; le prolétariat doit agir en se constituant lui-même en parti politique distinct. Marx a gagné par deux à zéro !

Et Maurice Joyeux (op. cit.) de conclure : « Le congrès de La Haye fut un congrès truqué… ».

La renaissance des anarchistes, une semaine après le congrès de La Haye ! Et la naissance du communisme libertaire qui a quelques points communs avec la synthèse des coLibs de notre uchronie

En Histoire, la nature a souvent horreur du vide ; la politique et ses oppositions qui vont avec aussi.

Quelques années après la disparition de l’AIT qui, moribonde après 1872, va se dissoudre et mourir de sa belle mort, après deux congrès bidon, le dernier à Philadelphie loin de l’Europe, en 1876, les partis sociaux-démocrates se regrouperont dans une nouvelle Internationale ouvrière (dite ensuite Deuxième Internationale socialiste) sous l’impulsion notamment de Friedrich Engels, en 1889 ; elle se déchirera rapidement entre marxistes révolutionnaires purs et durs et réformistes dits révisionnistes, révisant donc à la fois les théories de Marx et la tactique de la prise du pouvoir.

Cependant, une autre Internationale naquit : une semaine après la fin du congrès de La Haye, se tint en Suisse, dans la bourgade de Saint-Imier, ce que l’on peut considérer comme la première Internationale antiautoritaire, disons la date de naissance officielle du mouvement anarchiste autonome. L’ironie de l’histoire, c’est que les Italiens Carlo Cafiero et Errico Malatesta (entre autres) de la Fédération italienne de cette Association internationale des travailleurs, tendance antiautoritaire, seront les premiers à se prétendre communistes libertaires, dès 1876 ; puis le Russe Pierre Kropotkine. Carlo Cafiero résume l’expression très simplement : « On ne peut pas être anarchiste sans être communiste. [...] L’anarchie et le communisme sont les deux termes nécessaires de la révolution. […] Nous voulons la liberté, c’est-à-dire l’anarchie, et l’égalité, c’est-à-dire le communisme ». Ils dépasseront ainsi la ligne politique de Bakounine qui venait de s’éteindre et son « collectivisme » pour accepter le communisme qui n’a cependant rien à voir avec le marxisme : refus de tout État même « prolétarien », aucun dogme sur un sens de l’histoire, aucune organisation sociale précise proposée ; ce que l’on peut appeler la bonne volonté et l’empirisme sont dominants[6].

Ce qui peut apparaître comme une synthèse entre les anars et les communistes va en effet se produire dans l’Histoire, mais le plus souvent éloigné de la synthèse des coLibs de notre uchronie entre anarchisme et marxisme. Il en sera en gros de même de la plupart des autres mouvements anarcho-communistes (Makhno, et anarchistes espagnols) où les paradigmes anars baigneront largement la synthèse avec forte critique de l’autoritarisme marxiste.

Notes de bas de page

[1] On est toujours ici dans l’uchronie ; le lecteur le moins politisé sait probablement que le Congrès de La Haye fut tout autre… Et, en fait, l’Histoire de l’AIT fut très courte…

[2] On ne va pas refaire le match : juste quelques repères…

[3] On peut lire ce rapport dans Le premier combat du marxisme contre le parasitisme (Courant Communiste International, Congrès de La Haye en 1872, Révolution Internationale n° 326, septembre 2002) ; il s’agit d’un groupuscule trotskiste. Ce rapport est soit un document interne au tribunal mentionné, soit une invention ? On le trouve sur la Toile, à :

https://fr.internationalism.org/ri326/La_Haye_1872

Ce rapport donne dans la dentelle : « Pour se faire reconnaître comme chef de l’Internationale, il [Bakounine] lui fallait se présenter comme chef d’une autre armée dont le dévouement absolu envers sa personne lui devait être assuré par une organisation secrète. Après avoir ouvertement implanté sa société dans l’Internationale, il comptait en étendre les ramifications dans toutes les sections et en accaparer par ce moyen la direction absolue. Dans ce but, il fonda à Genève l’Alliance (publique) de la démocratie socialiste. […] Mais cette Alliance publique en cachait une autre qui, à son tour, était dirigée par l’Alliance encore plus secrète des Frères Internationaux, les Cent Gardes du dictateur Bakounine ».

[4] En trois tomes, de 1905 à 1910 (dans L’Internationale : Documents et souvenirs, 1864-1878, Société nouvelle de librairie et d’édition). C’est l’histoire très précise de l’AIT, évidemment racontée du point de vue des anarchistes ; et singulièrement, dans le tome 3, celle les débats et dessous du congrès de La Haye. Voir Wikisource ou BNF Gallica, lisible sur la Toile :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k34141042/f1.item

[5] Peut-être aussi quelques blanquistes, bien que plutôt socialistes autoritaires ; ces derniers n’ont quitté l’AIT qu’à la fin du congrès.

[6] Malatesta a écrit, à la fin du XIXe siècle, Entre paysans, un dialogue entre Pierre (communiste libertaire) et Jacques (un brave paysan ordinaire) ; ça vaut bien les écrits théoriques de Proudhon ou Marx, avec une pédagogie magistrale…On peut le lire en traduction française sur la Toile, à :

Entre paysans - Malatesta - Dialogue sur le Communisme Libertaire (psychonaut.fr)

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