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Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 17 juin 2025

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Charlot Marx et Mickey Bakounine enquêtent sur les coLibs... ("Voyage" 9)

9 – C’est l’avant-dernier voyage, très particulier car effectué dans l’avenir ; de plus, nos deux larrons n’ont plus aucun pouvoir ni omniscience fournis par Zweisteine ; plus rien. C’est un voyage en France, pour les présidentielles de 2027, où, les lecteurs doivent s’en douter, les coLib emportèrent le morceau, grâce à nos deux larrons, évidemment, mais aussi grâce à une curieuse rencontre...

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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Illustration 1

Ce Voyage et le suivant sont donc encore plus singuliers que les précédents. Les dates ne sont bien sûr pas choisies par hasard : d’abord en France donc, en 2027, où Mickey et Charlot ont ainsi tout oublié après 1875, puis en Allemagne en 2033, le centenaire de 1933 (date tragique s’il en est...) dans les mêmes conditions. En Allemagne, dans leur dernier voyage (et où ils resteront définitivement, contraints par Zweisteine, sans espoir de retour pour retrouver Lou) ils arriveront ainsi, comme Hitler en 2011 dans le roman de Timur Vermes : plus de 20 ans plus tard que lui ; et ce n’est pas un détail, car ce dernier aura pris de l’âge. Mais, encore une fois, n’allons pas trop vite.

Ce qui va donner des récits plus insolites que ceux des Voyages précédents de nos Supermen devenus seulement humains.

Revenons en France…

2024-2026

Il s’y en est passé des choses depuis fin 2024 et début 2025 ! La censure du gouvernement Barnier après son 49-3 fut proposée par le NFP et votée par le RN-ex-FN début 2025, comme un seul homme, comme l’avait annoncé Marine Le Pen.

Tout ce qui suit maintenant, ou presque, est du domaine de l’uchronie.

Elle avait pourtant hésité la Marine, des semaines entières ; mais comme c’était plié pour elle pour 2027 (son inéligibilité automatique après ses six mois de prison avec sursis) autant sortir de la scène avec éclat. Jordan Bardella était effondré : comment allait-il pouvoir remplacer au pied levé une si haute figure du parti, et sans la moindre préparation ; il avait voulu écrire ses angoisses dans son livre Ce que je vais trouver, mais modifia tout son texte et son titre. Macron, tenté par une démission, Alexis Kohler, aidé par Dominique de Villepin l’en dissuadèrent ; il renonça ainsi à disparaître de la scène qu’il adorait, comme il l’avait adorée dans sa jeunesse avec Brigitte : il ne pouvait pas la trahir. Il nomma un premier ministre inconnu de la société civile (une femme, évidemment) dont le nom ne dira rien au lecteur. Si l’on précise qu’elle se nomme Micheline Onfraie, ça ne vous en dirait pas plus. Mais attention ! À surtout ne pas confondre avec Michel Onfray, beaucoup plus médiatisé, un immense anarchiste devant l’éternel qui ne jure que par son Grand Proudhon, un écrivain prolixe et débateur redoutable, comme son maître à penser, créateur avec l’un de ses copains qui s’y connaît en matière de com’, de la revue (avec bien sûr site Webb associé) Front Populaire fondée en 2020, sept ans déjà, « pour tous les souverainistes, de gauche, de droite, de nulle part et d’ailleurs » : un titre culoté pour une revue où le souverainisme bien de gauche et même socialiste (Jean-Pierre Chevènement, mais qui avait eu aussi un faible pour Maurras, y intervint à ses débuts) fraie allègrement en eaux troubles avec des souverainistes de la droite nationale (par exemple Philippe de Villiers). Onfray adorait en outre ses débats avec Éric Zemmour, lui demandant en particulier de « muscler son bras gauche » (ce fut, à mon avis, le clou de ses nombreux spectacles, comme aurait dit Guy Debord) ; on peut traduire : « Tu es national avant tout, mais un peu de socialisme ferait une belle synthèse ! ». Tout était dit.

Micheline Onfraie s’affirmait dans la lignée de Macron : ni à gauche, ni à droite, ou, mieux, en même temps ; c’est une énarque parfaitement méconnue, un peu comme son prédécesseur Jean Castex. Une rumeur courut, mais jamais confirmée, que Micheline était la demi-sœur de Michel. Elle ne commenta jamais, mais Michel fit nombre de procès qui firent taire la rumeur. Le gouvernement technique géra les affaires courantes jusqu’à la présidentielle de 2027, mais avec une surprise que Macron et Onfraie n’avaient pas prévue : le Parlement réuni en Congrès vota en 2026, à la demande commune du RN et du NFP, mais soutenue par tous les partis, un changement radical de la constitution : d’abord le retour à la proportionnelle intégrale pour les élections législatives ; ensuite l’élection présidentielle au suffrage universel à un tour avec un président et un vice-président, un VP, un ticket un peu comme aux États-Unis d’Amérique, mais sans le système des grands électeurs. Pourquoi le soutien de tous les autres partis à cette proportionnelle (que Macron avait proposée pour les autres élections, mais sans la réaliser) ? Fastoche ! Car la dynamique récente du RN et du NFP, et singulièrement depuis leur dernière alliance contre-nature, faisait craindre le laminage possible des autres partis, comme aux législatives de 2024, en cas de scrutin majoritaire à deux tours si, on peut rêver ou cauchemarder, c’est selon, le Front Républicain, toujours déclaré mort renaissait encore, tel un phénix, de ses cendres.

Au milieu de 2026, après le Congrès qui vota la proposition avec une majorité de 80 %, la campagne électorale des présidentielles débuta sur les chapeaux de roue. Les premiers sondages donnaient Bardella (qui n’avait pas encore choisi son VP) largement vainqueur avec 36 % des intentions de vote, suivi, avec 33 %, par le candidat non encore désigné du NNFP, le New New Front Pop’ (les anglicismes étaient devenus brusquement de plus en plus fashion) que la droite nomma immédiatement les Neuneus du Front Pop’). Les autres nombreux partis qui partaient chacun pour soi (la proportionnelle était intégrale, avec un tout petit seuil de 1 %) faisaient le reste : Horizon, le Modem, le nouveau parti qui reprit son nom d’En marche, mais sans Macron de plus en plus dans sa tour d’ivoire de Brégançon ; ce qui restait, après d’interminables scissions (Wauquiez, Bertrand, Barnier obligé de se recycler, j’en passe dont Retailleau…) ; les trois partis du NPA, le Nouveau Parti Anticapitaliste (toujours à dominante trotskiste mais avec quelques anars se déclarant communistes libertaires)  qui venait encore de se diviser (d’un côté, Philippe Poutou, avec Besancenot comme VP, d’un autre, Olivier Besancenot avec Poutou – le Conseil constitutionnel devait dire si cette curiosité était possible –  pour  le NPA-Révolutionnaire enfin, Selma Labib et un autre moins connu ; LO avec le ticket Nathalie Artaud-Arlette Laguiller, plus pétulante que jamais ; même les anars unis entre les vieux descendants de Maurice Joyeux et les jeunes loups des communistes libertaires, les vrais (pas ceux infiltrés au NPA) en plein essor avec le ticket Daniel Cohn-Bendit et Jean-Pierre Duteuil.

On ne présente plus Dany, le premier, sauf pour indiquer qu’il était redevenu anarcho-communiste et autocritiquait maintenant, les larmes aux yeux, sa terrible erreur libérale-libertaire – c’est tout juste s’il ne regrettait pas d’avoir été écolo... Le second était moins passé à la postérité, second couteau du Mouvement du 22 mars en 1968, il est toujours resté communiste libertaire mais pas rancunier envers Dany qui lui proposa au reste la première place car « Toi, disait-il, éploré, tu n’as jamais joué l’anguille ». « Non, répondit Duteuil, je n’ai jamais aimé être le premier, tu le sais, je considère, avec beaucoup d’autres, que l’ambition est le résultat d’un complexe d’infériorité. Et je n’ai pas ce complexe ; comme tu le sais, ceux qui désirent posséder une grande voiture, une grosse moto ou une maison immense, ou être le premier ne font que compenser ce complexe d’infériorité, placé surtout en-dessous de la ceinture, tu me suis ? Dany devint blême… « Et tu es bien connu, continua Duteuil, c’est ce qui va compter ; tout dans la com’ ! ». On passe sur le ticket Jean Lassale et Michel Onfray et d’autres social-folklos.

Le choix des candidats du NNFP : une innovation très démocratique, allant dans le sens du mouvement des coLibs

Le plus dur fut le choix du NNFP. Mélenchon s’y voyait bien, secondé par Ruffin (ils s’étaient rabibochés et le second n’était plus du tout adulé par tous les bobos, droite comprise, qui le voyaient bien, avant 2024, arriver premier en 2027) mais les hurlements les firent se taire. Clémentine Autin voulait y aller seule, sans VP, ou à la rigueur avec son compagnon malheureusement peu connu ; les murmures sur son parcours compliqué en dents de scie la firent renoncer. Le PCF voulait y aller, sans encore désigner le candidat à la présidence, mais en proposant la VP à François Hollande qui accepta : allait être proposé Un Nouveau Programme Commun, UNPC. On vous passe les autres hypothèses...

Après des palabres pendant des mois, il y eut une primaire au suffrage de tous les encartés de l’alliance de gauche (syndicats nommément listés, et autres organisations aussi nommément listées) ayant payé depuis au moins deux ans leur cotisation, sans aucun candidat désigné (tout vote pour un candidat qui se déclarerait serait considéré comme nul) : ce fut une première, pour donner toute liberté aux électeurs. Arrivée ou arrivé en tête serait la candidate ou le candidat à la présidence de la République, la seconde (ou le second) serait la ou le VP. Laurent Berger (qui avait déclaré son refus d’être, en 2024, le Premier ministre de Macron) jura pendant toute la campagne de ces primaires, à la télé, à la radio, en boucle, dans la presse écrite, qu’il n’accepterait aucun poste si, à Dieu ne plaise, il sortait premier des urnes. Il arriva bon premier avec 22 %, suivi par Marine Tondelier à 16 % ; Mélenchon était troisième à 7 %, les autres, très nombreux, faisaient des scores ridicules. Une polémique s’engagea au NNFP : le refus réitéré de Berger (on ne parla que de ça pendant des jours) avait peut-être biaisé les résultats du vote. Elle ne dura pas : rien n’interdisait à qui que ce soit de s’exprimer, sauf de se déclarer candidat ; d’ailleurs, Tondelier, Mélenchon et quelques autres, dont Clémentine Autin, avaient déclaré matin midi et soir, sans se porter évidemment candidats, qu’ils accepteraient le résultat du scrutin. Pressée par Tondelier, Berger feignit de se faire tirer l’oreille mais finit par accepter avec un grand sourire, disant qu’il donnait son corps à la science politique de gauche. Bref, il était ravi…

Les mois passèrent, avec le gouvernement technique qui ne gérait que les affaires courantes. C’est là que l’arrivée de nos deux larrons (Mickey et Charlot, pas le ticket vainqueur de la primaire du NNFP) changea tout.

L’arrivée à Paris de nos deux larrons, complètement paumés, et la rencontre magique avec un nommé La Pérouse

Charlot et Mickey se réveillèrent sous un pont ; à côté d’eux, dormait paisiblement un homme, pas du tout du genre clodo, propre sur lui, bien rasé, sur un matelas luxueux posé sur un sommier tout aussi luxueux ; à côté ronronnait un petit frigo sur lequel était posées deux bouteilles de Mouton Rothschild pleines, et une bouteille-cadavre de même marque. Charlot, qui connaissait le Paris du XIXe siècle, reconnut immédiatement le Pont neuf car on pouvait voir sur la gauche, au milieu de la Seine, la pointe du square du Vert-Galant. « Qui êtes-vous ? leur dit calmement celui qui venait de se réveiller. Vous n’êtes pas des clochards, probablement des bobos provenant d’une soirée déguisée bien arrosée ; pourtant vous ne sentez pas l’alcool ; vous ressemblez étrangement à Marx et Bakounine, je m’y connais car je tiens un stand de bouquiniste près d’ici spécialisé en vieux portraits (hors de prix, mais il y a des clients) de vieux révolutionnaires, juste en face du restaurant Lapérouse, quai des Grands Augustins. Vous allez rire, je me présente : La Pérouse ; je ne dors ici que quand je suis fatigué, sinon, à vélo en général ou en taxi limousine quand il pleut, je rentre à Passy où je possède un petit hôtel particulier ; à qui ai-je l’honneur ?

Nos deux larrons hésitèrent, surtout que leur français, néanmoins parfait, laisser sonner un petit accent et présentait des allures de fin du XIXe siècle ; Charlot se jeta à l’eau : « Nous habitons à Bruxelles, nous sortons en effet d’une soirée déguisée, pas loin d’ici ; et comme ce printemps ressemble presque à un été, nous avons décidé de dormir sous ce pont neuf (on connait à peine Paris) ; au fait quel jour sommes-nous ? », s’attendant à une réponse du genre mardi ou mercredi. « Vous tombez bien, et votre bizarre accent bruxellois me plaît ; nous sommes le lundi 22 mars 2027 ; je le sais car je viens de fêter mes 50 ans (en général je sais à peine quel jour je suis) d’où les deux bouteilles posées sur le frigo et l'autre, vidée ; et le 22 mars, c’est une date qui doit vous dire quelque chose, non ? ». « Vous savez, en Belgique, on suit peu l’actualité », se hasarda Mickey. « Bien la peine de vous déguiser en Marx et Bakounine : le mouvement du 22 mars 1968, avec Cohn-Bendit ! »« Bien sûr, ce bandit de Cohn-Bandit ! se hasarda encore Mickey. Ne vous vexez pas, mais c’est une blague belge que l’on n’ose pas faire chez nous ». « Elle est bien bonne, mais ici un peu éculée, remarqua en riant La Pérouse. Allez, buvons un coup ! L’aube se lève. Vous repartez quand à Bruxelles ? ». « Ce matin même, car notre hôtel nous a mis dehors hier matin, inventa Charlot, il est maintenant complet ; on doit rentrer ».

Nos deux compères ne comprenaient rien à ce qui se passait : aucun bruit de calèches ou de pas rythmés de chevaux sur le quai au-dessus d’eux, seulement de curieux ronronnements ; et les surprises qui les attendaient furent pires encore ; ils ne comprenaient donc rien, mais alors rien du tout ; et il fallait donc jouer serré avec ce La Pérouse[1]. Se rendant compte que ces deux-là étaient très bizarres, il les interrogea sur des événements que tout le monde connaissait, en France comme ailleurs : ils ne connaissaient rien ! Je suis tombé sur des rigolos, fort sympathiques mais au QI zéro. « Pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi quelques jours » ; ils prirent une curieuse calèche où l’on ne voyaient pas les chevaux ; « Ils sont cachés dans le moteur », rigola La Pérouse qui comprit leur étonnement. « C’est ça, et au moins 4 CV » se hasarda encore Charlot. « Raté, c’est une vielle DS 19, pas une 4 CV, arrêtez  de déconner ; pas mal le mouton Rothschild ! ».

Arrivés à Passy, il leur proposa un jeu (un test de QI qu’ils ne connaissaient évidemment pas) : égalité : 175 ! C’est la meilleure, ce ne sont que des autistes géniaux, pensa-t-il, mais à côté de leurs baskets ; «  175 ! »  s’esclaffa La Pérouse. « On mesure 180 cm tous les deux, rigolèrent nos deux larrons, pas terrible ton jeu à la con, tout ça pour calculer notre taille, et avec une belle erreur ; dans ta salle de bain il y avait plus simple ! ». Avec un tel QI, ça ne sera pas trop difficile de leur enseigner le principal, à ces deux golmons, pensa La Pérouse qui leur enseigna comment utiliser Internet : « Vous y passez la nuit, il faut soigner votre curieuse amnésie ; interro écrite demain à l’aube ! ». Pas idiot, se dirent Charlot et Mickey qui savaient tout de l’histoire du monde enseignée à l’époque jusqu’en 1875, mais comme ce salopard de Zweisteine nous a refusé de tout connaître et nous a même refusé l’invincibilité, allez savoir pourquoi, il faut qu’on se démerde, et avec La Pérouse, ça tombe bien ; on aurait pu plus mal tomber. Ils travaillèrent en pianotant toute la nuit ; ça commençait à entrer, mais tout savoir après 1875, ne serait-ce que le principal pour ne pas paraître idiot, c’était mission impossible. La note à l’interro du lendemain dépassa à peine la moyenne ; La Pérouse employa la dernière méthode qui venait de sortir, mais encore à ses balbutiements, qu’il avait achetée une fortune ; « Venez, je vais poser sur votre crâne tous les livres de ma bibliothèque, un par un bien sûr, et vous brancher ces électrodes ; nouvel interro ce soir, et interdiction de manger et de boire quoi que ce soit, il faut être comme en période de de ramadan ». Période de quoi ? Laissez tomber, ça va venir, et ce sera une des questions de l’interro de demain. Ils s’exécutèrent sous l’œil vigilant de cette espèce de sorcier qui jeûna aussi. Le soir, épuisés et ayant rapetissé, ils eurent 12/20 de moyenne et savaient tout du ramadan qui ressemblait au carême des chrétiens ; après une semaine (mais on pouvait manger et boire entre le coucher et le lever du soleil) ils stagnèrent entre 17 et 18/20. Ça suffit, se dit La Pérouse, avec ça ils peuvent entrer dans les premiers à Normal Sup lettres ou sciences.

La Pérouse, soucieux, les surveilla la nuit et, étonné, leur dit le lendemain matin : « Vous ne parlez , endormis, que de l’union entre cocos et anars, de CoLib et autres choses peu compréhensibles (DP, PD) etc...  ; bref vos rêves sont bien bruyants. Sans parler de vos parties de somnambulisme où le mime est encore plus efficace que vos dires ; la politique a l’air de vous obséder... ». « C’est vrai, tout ça ? l’interrompit Mickey ; c’est bien la première fois que nous parlons en dormant, et personne ne nous a jamais pris en marchant la nuit les yeux fermés et les mains devant ». « C’est curieux tout ça, ajouta Charlot ; vous allez nous prendre pour des sortes de messies qui entendent des voix et les transmettre ; mais je me demande maintenant si ce n’est pas le cas ». La Pérouse ne répondit pas mais son visage devint très souriant ; Charlot avait lair sérieux. Charlot, venait peut-être de tout comprendre : même s’ils avaient oublié tous les deux leurs précédents Voyages dans le temps, il n’avait par oublié la scène avec ce fou de Zweisteine, ivres morts ; il les avait peut-être envoyé pour une mission coLib à un moment crucial de l’Histoire de France. Ça ne pouvait être que ça, pas sûr mais probable. Il en parla avec Mickey qui eut la même hypothèse ; de toute façon il ne fallait parler à personne de cette éventuelle mission : si l’hypothèse est la bonne, laissons faire !

Quelques jours plus tard, La Pérouse leur posa quelques questions politiques. Ils étaient intarissables sur un mouvement né, selon eux, à la fin du XIXe siècle, alliant les cocos et les anars, nommé le mouvement des coLibs ; La Pérouse éclata de rire mais semblait intéressé : « Cela vous dirait si on allait voir deux candidats à l’élection présidentielle de 2027 pour que vous leur présentiez vos idées dont je n’ai jamais entendu parler avant vous mais qui me semblent intéressantes ? Mais il faut qu’on travaille encore un peu avec Internet et ma machine ! ». Ils travaillèrent et nos deux larrons allaient changer le cours de l’Histoire.

Le bras long de La Pérouse : les magouilles avec les chefs, démarche nettement moins coLibs…

La formation continue étant terminée, il leur proposa d’aller voir Tondelier et Berger, interrogeant quand même, le matin même, ses nouveaux élèves pour savoir s’ils pouvaient se débrouiller : une ou deux erreurs mises à part, ça devait aller. Mickey et Charlot s’étonnèrent auprès de lui de tant de relations, et avec des chefs à plumes : il répondit simplement qu’il avait en effet ses entrées un peu partout. Il avait déjà parlé (après les élucubrations de nos deux compères sur les coLibs) de ces deux fou-fous au candidat Président et à la VP, leur affirmant qu’ils étaient très spéciaux mais géniaux et plein d’idées nouvelles sur la politique à mener à gauche. L’entretien fut tenu dans le plus grand secret à Passy, dans l’hôtel particulier cossu de La Pérouse où Mickey et Charlot avaient pris leur aise. 

Ils avaient abandonné depuis longtemps leur accoutrement et leur barbe, donnant maintenant dans le genre vieux hippies des années 1970. La Pérouse les présenta : « Ils viennent d’ailleurs en politique, et ça se voit déjà rien qu’à les regarder, n’est-ce pas ! ». Charlot et Mickey sourirent, feignant la gêne ; Tondelier et Berger sourirent aussi, mais très gênés, se disant que ces deux-là avaient un port et une attitude faisant penser plutôt à Zola et à Dreyfus qu’à Cohn-Bendit. Un ange passa ; gonflé à bloc, Charlot prit la parole : « Vous semblez étonnées de notre look, comme le fut notre ami lorsqu’il nous rencontra par hasard sous… ». La Pérouse toussota. « … sous la tour Eiffel, continua Charlot, soyons francs avec vous : nous sommes deux frères, de vrais frères de sang et homosexuels pas honteux du tout, mais vivant loin de ce monde capitaliste pourri dans une communauté isolée en Lozère depuis notre plus tendre enfance, avec tous les LGBTQIAet P+ du coin (vous ne le savez peut-être pas, mais le "et P" veut dire que nous sommes tous passionnés de politique, de gauche et d’extrême-gauche bien sûr, contrairement aux autres LGBTetc. qui ne se regardent que le nombril, en fait surtout la zézette et le zizi ; nous vivons de l’air du temps et de l’élevage de chèvres, comme beaucoup de ceux qui ont gardé notre look. Du coup, personne ne nous connaît et notre nom de famille que nous avons presque oublié, ne vous dirait rien ; nous sommes très heureux comme ça et mon frère se nomme Mickey, moi, c’est Charlot ; nous n’avons pas connu notre père qui n’est peut-être pas le même, mais qu’importe, et doit être maintenant, vu notre âge, aux cieux (je plaisante !). Voilà ! Vous savez tout ou presque tout. Nous sommes ici grâce à notre rencontre fortuite avec Monsieur La Pérouse lors de notre première visite à Paris, sous la tour Eifel donc, que nous voulions voir avant de retourner en Lozère. Il nous a convaincu de rester à Paris pour un temps, on se demande bien pourquoi d’ailleurs, peut-être pour vous rencontrer car il semble bien vous connaître. Et c’est beaucoup d’honneur pour nous de rencontrer l’éventuel président et l’éventuelle VP de la République. Je me permets d’insister sur les mots "éventuel" et "éventuelle" : ce n’est pas gagné ! ».

La Pérouse fila aux toilettes et envoya quelques mails ; où avaient-ils été chercher tout ça, ces deux dingues ! Il fallait donner une identité officielle à ces deux larrons qui ne venaient évidemment pas de Lozère et étaient en train de raconter toutes ces conneries que Tondelier et Berger allait bien sûr vérifier grâce à leur important réseau. La Pérouse envoya quelques SMS. Ils vérifièrent inévitablement : tout concordait. Trop fort, ce La Pérouse qui ne toucha pas un mot de sa manip à ses deux amis. Il retourna à la conversation qui continuait.

Tondelier était ravie, elle n’osa même pas leur demander leur point de vue sur l’écologie, sujet qui ne fut au reste pas abordée dans la discussion qui suivit, sauf à la fin : sujet secondaire quand on parle de choses sérieuses. Berger était plus perplexe, un peu gêné mais sans plus, d’avoir en face de lui deux frères déclarant haut et fort leur homosexualité incestueuse. La Pérouse prit la parole : « Mes deux nouveaux amis, dont je connais toute l’histoire – Mickey et Charlot tiquèrent, cependant sans faire apparaître leur embarras, sur l’expression « toute l’histoire », car ils n’avaient pas fait leur outing et n’avait aucune intention de le faire –  de leurs activités dans cette communauté un peu spéciale de Lozère, défendent des idées, certes pas vraiment originales car elles existent depuis longtemps dans le mouvement progressiste, mais malheureusement de façon très marginale ; je propose de passer la parole à Monsieur Mickey ». « Pas de "Monsieur" s’il te plaît. Monsieur Berger...». « Pas de Monsieur non plus, s’il te plaît ! ». « Laurent, alors ; je vais être direct : tu as dirigé longtemps la CFDT qui se définissait, mais ça fait un bail, comme faisant partie du "socialisme anti-autoritaire", dixit Edmond Maire lui-même, et autogestionnaire, c’est plus connu ; bref un peu anar mais sans être révolutionnaire (on peut être socialiste et réformiste ; c’est bien ton truc, n’est-ce pas ?). Quelle est ta position actuelle, car avec le "recentrage" d’ailleurs commencé par Edmond, puis bien renforcé par Nicole Notat qui vira en 1992, par un petit coup d’État interne, ce pauvre Jean Kaspar pourtant installé en 1988 par Edmond lui-même (sous le prétexte d’une sombre histoire de cul, paraît-il) on ne sait plus bien quelle est donc ta position concernant la CFDT dont on ne sait plus, en 2027, ni d’où elle vient vraiment, ni où elle est, ni où elle va ».

« Je ne commence pas par te dire "tu as raison" pour mieux t’enfoncer ensuite ; je me rends compte depuis peu que si notre position syndicale a toujours été claire, réformiste-point, mais avec des erreurs évidentes notamment sur les retraites du temps de Juppé par exemple, notre positionnement politique le fut beaucoup moins : "Deuxième gauche", certes, mais où foutre ce satané curseur. Tu remarqueras aussi que si Notat, draguée comme pas deux par la droite et, il faut bien le dire, un peu tentée d’avoir un maroquin, elle a toutefois toujours refusé, et j’y fus, avec d’autres, pour quelques chose ; comme j’ai refusé les avances de Macron au milieu de 2024 après le bide de sa malheureuse dissolution de l’Assemblée nationale, aussi cornaqué par mes amis toujours dans l’"appareil" de la CFDT. Tu remarqueras aussi que j’étais, tout le monde le disait et c’est un peu vrai, à la pointe de la lutte syndicale lors de cette putain de réforme des retraites de 2023 ; on aurait dû aller plus loin, mais la guerre civile était peut-être au rendez-vous. On a perdu, je peux même dire, "j’ai" perdu, mais je ne regrette rien. Toujours ce fameux curseur ! Dis-moi, Mickey, tes questions directes et franches, sont évidemment celle d’un anar, ton look hippy me rappelle fort celui de Bakounine ! Je l’ai lu étant petit quand j’étais à la JOC, la Jeunesse ouvrière chrétienne ; comprendre qu’on appartient à une classe sociale, je dis bien une classe, pas une CSP ou autre connerie, ce n’était pas rien ; et je ne fus pas le seul, Sophie Binet, ma remplaçante même pas chrétienne, et tous ceux partis, bien avant, de la CFTC pour la CFDT (une majorité) furent dans le même cas. "Autogestion" contre le "socialisme autoritaire", sans aucun doute, mais réformiste, oui ! Tu crois que ton Bakounine auquel tu veux tant ressembler ne dirait pas la même chose aujourd’hui ! ». « Tu es dans le mille, Laurent ; c’est vrai que je fais tout pour y ressembler à ce Mikhaïl, si je me nomme Mickey, ce n’est pas par hasard. Je me pose exactement la même question que toi avec ton petit "curseur". J’aimerais tant que le réformisme soit une solution à la merde dans laquelle tout le monde vit, même les riches et les pauvres bobos dont je suis, sinon, je ne serais pas là avec vous aujourd’hui avec mon ami Charlot, bien que nous soyons maintenant sur la même ligne, il est plus proche du socialisme autoritaire de Marx ; tu ne trouves pas qu’il n’a pas exactement le même look que moi ? Et son petit nom, d’où pensez-vous qu’il a été le pêcher ! ».

« C’est vrai, se hasarda Marine, on vous colle de la barbe et un costume d’époque, et l’on retrouve ces deux frères ennemis qui firent semblant, au sein de la Première Internationale ouvrière, après s’être chamaillé, de s’entendre comme larrons en  foire ; avant de tout faire pour s’entre-tuer, et Marx fut déclaré vainqueur par KO ». « Tu es aussi dans le mille, intervint Charlot – mais j’aime mieux cette époque-ci de merde que celle de cette Première Internationale qui éclata, sans aucun doute à cause de celui qui est resté Karl Marx quand il décida de virer Bakounine, juste après La Commune de Paris – et je partage tout ce que tu viens de dire, Laurent, et ta belle analyse, Marine, de la merde qui a abouti à la fin de la Première Internationale, en particulier la question du curseur entre la Révolution avec un grand  R et la réforme avec un tout petit r. Mais c’est presque une question secondaire, Pourquoi ? ».

Berger et Tondelier étaient un peu perdus ; La Pérouse en profita pour verser quelques verres. Charlot reprit : « Ma question vous rend perplexes, je le sens ; je vais vous expliquer et vous comprendrez tout. Dans votre Neuneu de NewNew Front Pop’ comme se moquent tous les réacs, mais pas que, la famille issue de Marx, avec tous ses paléo- et néo-révisionnismes à sa droite (PS et PC) et LFI et plus radicaux (NPA, etc.) à sa gauche, reste dominante chez vous, un cheval de vieux marxisme poussiéreux, divisé donc en deux et sans doute irréconciliables, et une petite alouette de deuxième gauche anarchisante-réformiste-bien-comme-il-faut (Toi, Laurent) ou écolo (Toi, Marine) !

Je ne vais pas vous sortir toute la démarche ayant abouti à notre théorie que deux frères pédés et fiers de l’être ont élaboré depuis leur enfance, grâce à notre mère : le Grand  R et le petit r ne sont pas que l’opposition entre "Révolution" et "réformisme", tu l’as parfaitement évoqué, Marine, mais sans aller au bout du bout ; question secondaire selon nous. Car il s’agit de questions plus profondes, celles des luttes d’égos de deux coqs aux ergots déployés dans une basse-cour pour être le mâle dominant pouvant seul enfiler les cocottes : que reste-t-il comme différence entre le PS et toutes ses tendances, et le PC avec les siennes ? Rien que des luttes d’égos ! Il en fut de même de la lutte de ces deux connards de Marx et Bakounine, ce ne fut que ça, rien d’autres ! Bien sûr que la question de l’État est des plus importante, mais l’État était à abolir de toute façon pour ces deux comparses, et la question pouvait se résoudre en deux temps trois mouvements ; idem pour la question de l’organisation du mouvement, centralisé ou non, reprise par ce taré de Lénine qui a ainsi foutu un beau bordel dans cette putain de "Révolution" russe (un vulgaire coup d’État contre cet autre taré de Kerenski, plus à cause de son gros égo que par son opposition viscérale aux anars ! Je ne vais pas vous bassinez encore avec ce que vous connaissez sans aucun doute : Marx salua la Commune de Paris en 1871 (avant de salement virer Bakounine et ses anars au Congrès de La Haye moins d’un an plus tard) alors que les anars "organisés", si l’on peut dire, y étaient loin d’être dominants – le parti dominant, c’était celui d’Auguste Blanqui, tout le monde le sait  – et le même Marx ne prononça plus, pour caractériser le régime de la Commune, l’expression "Dictature du prolétariat" ; tout le monde sait aussi que ce n’est qu’Engels, vingt ans plus tard, qui l’évoqua. Et ne faites pas semblant de ne pas avoir compris tout ça, vous aussi, vous avez des égos ! C’est pour cela que nous sommes ici pour tenter de vous expliquer tout ça que vous ne voulez pas voir ! ».

« Pouvez-vous préciser "tout ça", comme vous dites. Et, calmez-vous : vous êtes en train de réveiller Freud ! » se hasarda La Pérouse. « Ça me semblait inutile, dit Mickey, mais allons-y. Quand nous étions petits, nous nous bagarrions tout le temps, Charlot et moi, mais pas à cause de la politique évidemment, mais à cause de nos petits ergots de petits coquelets, bien que nous ne rêvions pas des culs des poules, vous le comprenez ; après nos études, Charlot fut un fan de Marx, Lénine, Mao, et moi de Stirner et rapidement de Bakounine ayant laissé ce mollasson de Proudhon : il fallait bien trouver un prétexte à nos ergots qui nous démangeaient. On a mis des années, et on s’engueule encore, mais de plus en plus rarement, à comprendre que la division entre le "socialisme autoritaire" et le "socialisme anti-autoritaire" comme disait Edmond (ça ne vous choque pas qu’anti-autoritaire se substitut souvent à libertaire ?) était une foutaise : on est tous les deux à proposer une véritable synthèse, "une vraie" que l’on appelle, ne serait-ce que pour rigoler, le coLib. Non pas le vieux communisme libertaire de Malatesta et de cette secte, cependant montante en 2027, et tant mieux, d’anars de l’UCL, l’Union Communiste Libertaire  (avec leur canard mensuel Alternative libertaire) que l’on trouve ici, en Suisse et en Belgique francophones et un peu ailleurs, vous savez, avec comme logo le petit oiseau, le merle moqueur noir qui atterrit ou va s’envoler, on ne sait pas, et à droite, à côté du bec du piaf, Union écrit en noir, communiste en rouge, évidemment, et libertaire encore en noir. Bref, le communisme rouge y est pris en sandwich : ce sont des anars avant tout ! Ils ont aussi mis le temps à s’entendre : pour la première fois des gauchistes fusionnaient plutôt que de s’entre-déchirer, en 2019 ; Macron avait deux ans de présidence. Ils interviennent partout, mais aussi et peut-être surtout dans le syndicalisme ; on peut leur reprocher plein de choses (soutien aux Gilets jaunes au départ surtout poujadistes, mais ça se discute ; position mi-figue mi-raisin face au Passe sanitaire pendant la COVID, mais ça se discute aussi ; sans parler de votre histoire de curseur entre lutte des classes ou luttes plus fractionnées et spécifiques ou électoralisme ou révolution. Ils sont vachement intéressants, malgré tout, et ils ont appelé à voter pour la gauche unie en 2024 et vont probablement appeler à voter pour vous deux ». « Ils l’ont annoncé hier », corrigea La Pérouse.

« On a du mal à vous suivre, râla gentiment Tondelier, tout ça, on le connaît, certes plus ou moins ; j’ai bien entendu parler de l’UCL, mais sans plus… ». « J’ai plus que du mal ; ils commencent à me gonfler, vos petits copains, mon cher La Pérouse, avec leur cours à la Freud dont on n’a rien à cirer ! », coupa Berger en élevant le ton. « Je propose de continuer quand même, si vous le voulez bien, dit calmement La Pérouse, mes amis ne font que vous proposer de clarifier la position du NNFP en sortant du débat stérile entre le PS social-démocrate, et LFI aligné, qu’on le veuille ou non, sur une sorte de trotskisme plus ou moins assagi, avec au milieu les écolos où il n’y a pas que Marine loin de là (il y a aussi Jadot et Rousseau, Sandrine pas Jean-Jacques ; c’est dommage…) le PCF jouant la quatrième roue du tricycle… et toi, Laurent – excuse-moi – comme pièce rapportée. Bref : presque une synthèse à la François Hollande… »« Ça va comme ça !... » tenta Berger devenu tout rouge. « Je ne t’ai pas interrompu, dit calmement La Pérouse, le danger fasciste, je pèse mes mots, est bien là : comment expliquer qu’une grande partie de la classe ouvrière, peut-être sa majorité, soit passée au RN, chez Zemmour et compagnie ? Comme en Allemagne avec Hitler – peut-être avec un remake demain – et avec, même après l’abandon tardif, mais grâce à Dimitrov du "classe  contre classe" : le mal était fait ! Certes mes deux amis l’ont évoqué à demi-mot, c’est plus compliqué, et les références à Freud semblent, contrairement à toi, Laurent, à ne pas jeter à la poubelle  : "les gens", comme ne dit plus Mélenchon, sont attirés par le chef, le guide, bref un Führer avec une grande gueule (Méluche en a bien profité aussi !). Quand il n’y en a plus à gauche, la nature ayant horreur du vide, Marine Le Pen ici, d’autres ailleurs, remplacent le père de gauche perdu. Et ceux, les anars qui refusent ce mythe du père guidant ses enfants, n’y peuvent rien et n’ont jamais pu faire quoi que ce soit ; c’est bien dommage. Qu’en pensez-vous, Marine et Laurent ? Je pense que votre campagne électorale doit tenir compte de tout ça, en insistant plus, hormis les revendications économiques (la forte hausse du SMIC et des bas salaires, la hausse des impôt sur les riches, l’abolition de la réforme des retraites, que sais-je…) sur l’autogestion et une société épanouie pour les salariés sans chefs (et Laurent est bien placé pour ça) que sur l’écologie que beaucoup considèrent comme punitive et affaire de bobos rêvant de décroissance et de bouffe bio avec un salaire de 4 000 € par mois alors que beaucoup ne sont même pas smicards ; en oubliant de plus que "sauver la planète", c’est la négation même de la lutte des classes entre "riches" et "pauvres", Merde ! Excuse-moi, Marine, tu n’es pas comme ça, l’écologie est aussi une nécessité quand elle est liée à la lutte des classes, mais certains chez les écolos restent libéraux  (je pense à Yannick Jadot) et d’autres, à l’opposé (je pense à Sandrine Rousseau : on a le droit d’ aimer les barbecues sans être un con de machiste !). Maintenant, démerdez-vous tous les deux avec ça ! Mais c’est une présidentielle, les législatives qui suivront, à la proportionnelle, feront sans doute éclater encore le NNFP devenu par construction inutile ».

Marine et Laurent étaient perplexes ; le show semblant être terminé car plus personne ne prit la parole, ils se levèrent en remerciant La Pérouse et ses deux fou-fous : « On se téléphone et on se fait une bouffe, à vite ! ».

Une autocritique : on laisse tomber Freud 

« Ce n’est pas gagné, et vous y êtes allé un peu fort » remarqua La Pérouse, effondré. « Qu’ils crèvent ! hurla Mickey, Salauds de pauvres politicards de gauche ! ». « Moi, je les sens bien, tempéra Charlot, mais on n’a pas été trop bons concernant notre notion de coLib, pas assez développée politiquement et en insistant trop sur la psy ; s’ils comprennent vraiment notre synthèse géniale, ils vont y arriver, j’en suis sûr. Mais trop insister sur la psy, c’est contre-productif, car la conclusion, c’est la mienne et celle de Mickey, est que la "vraie" synthèse gagnante entre cocos et anars est presque impossible, ce qui est désespérant : il faut arrêter d’insister sur ce point ; c’est d’ailleurs ce qui a foutu les boules à Berger ». Et une engueulade commença entre les deux larrons et continua jusqu’au pousse-café au restaurant Lapérouse ; on recommanda à La Pérouse en fin de repas, le restaurant étant vide, de tenter de modérer ses amis…  

Cyril Hanouna était dehors, tiré à quatre épingles en costume trois pièces bleu, chemise blanche et nœud-papillon rouge, parfaitement rasé mais avec les cheveux longs : méconnaissable. Il les attendait ; il connaissait bien La Pérouse qui eut du mal à le reconnaître mais avait toujours refusé les nombreuses invitations à ses émissions-poubelles où il aurait joué, ayant de la tchatche, le trublion de la gauche caviar. Je vous ai entendus, se permit Hanouna, j’étais seul à la table juste derrière vous ; vous n’êtes pas obligé de me croire, mais j’ai beaucoup changé depuis que Bolloré m’a viré de ses chaînes de télé rayées de la carte de la TNT, il est vrai un peu à cause de moi. J’ai eu une longue traversée du désert, j’ai été tenté par le diable (les vrais fachos que j’ai en fait toujours méprisés, étant Juif) je suis maintenant de gauche et vais soutenir le NNFP… La Pérouse s’esclaffa, toi de gauche ! Je te comprends ! J’aimerais bien recevoir tes deux amis dans ma nouvelle émission à la télé ; je compte sur toi pour qu’ils me fassent confiance. Je suis en effet depuis peu sur Antenne 2, avec une émission politique et littéraire mais très branchée psy, un peu à la Bernard Pivot, la psy en plus, avec mon nouveau look ; pas plus tard qu’hier, j’ai reçu Cohn-Bendit, Modiano et Hollande avec Julie Gayet pour son livre, Ma vie, joli titre n’est-ce pas ? Ma vie avec Trotski ? osa Charlot. Non, il est mort depuis longtemps, je m’en suis rendu compte quand j’ai tenté de l’appeler il y a peu ; c’est sa vie avec Hollande bien sûr. La Pérouse pouffa. Pourquoi tu pouffes, tu ne sais pas qu’elle est toujours avec Hollande ; ils viennent même de racheter le fameux scooter ? Venez, allons boire un verre chez moi, j’habite juste au-dessus.

Quelques minutes plus tard, ils étaient devant la télé : Hanouna était de plus en plus méconnaissable pour La Pérouse, poli mais pas obséquieux, cultivé mais sans en rajouter ; en bref, mieux que Pivot dans ses meilleurs moments. Pour Charlot et Mickey qui ne l’avaient évidemment jamais vu, car ils n’avaient pas la télé en Lozère, précisa La Pérouse à Hanouna, ébahi. Très bien votre émission, dit Charlot, surtout quand vous avez titillé Cohn-Bendit sur sa longue carrière politique et son aller-retour entre Dany le Rouge (en fait le Noir) le libertaire-libéral Macron compatible puis retour aujourd’hui à la case départ. Comment savez-vous tout ce que vous avez raconté, demanda encore Charlot ? C’est un gros boulot, mais avec Internet, ça va plus vite qu’à la BN, mais ça reste un gros boulot et je suis devenu sérieux, même votre ami en semble étonné. La conversation s’éternisa. « On va rattraper le coup avec Tondelier et Berger avec ce connard… » dit La Pérouse dans l’ascenseur. Charlot le prit presque à la gorge « Tu n’as rien compris, que ce connard ait changé ou pas, il va nous entraîner, Mickey et moi, sur une sorte de divan de psy où l’on va développer, s’il est malin, toute la vérité sur la difficulté sinon l’impossibilité de notre géniale synthèse : on arrête ces conneries ! ». « Je suis entièrement d’accord avec toi, reprit La Pérouse, je voulais juste te tester ». « Tu parles, gros menteur ! ». Fatigués, ils eurent du mal à aller se coucher sous le Pont-neuf.

Charlot et Mickey démasqués par le Canard enchaîné, mais seulement leur idée du CoLib ; sans Freud

Le projet avec Hanouna fut abandonné, on verra après l’élection lui expliqua La Pérouse ; la suite montra qu’Hanouna était bien passé à gauche et était devenu un bien charmant bonhomme. Pendant ce temps, l’hebdomadaire le Canard enchaîné avait eu vent de l’entretien pourtant secret chez La Pérouse et publia le même jour en format papier un long article couvrant toute la troisième page intitulé Charlot et Mickey, ni Chaplin ni Disney, les clones de Marx et Engels briefent Tondelier et Berger, en proposant un mouvement qui nous sied bien : celui des « coLibs » ! Et surmonté d’une palme d’or qui se trémoussait en hologramme, une première ; première fois ou presque de la couleur et première fois un hologramme ! On ne sut jamais d’où venait la fuite ; les salauds, mais ça va leur retomber sur le bec ; c’est sûr, hurla La Pérouse, cependant épanoui : ils ont dû installer des micros cachés ! On n’en trouva pas la moindre trace. Des micros lointains, bien dirigés : ce fut la seule hypothèse plausible mais jamais confirmée. Le papier, curieusement, ne disait pas un mot des longs développements sur la psy, mais développait bizarrement tous les détails de l’histoire de sa création ayant transformé Marx et Bakounine en Charlot et Mickey. Pourquoi ce bizarrement ? Le lecteur en est témoin : cette histoire ne fut en fait pas évoquée ! 

Charlot, Mickey, Marine et Laurent étaient décrits à leur avantage ; c’est ce qui comptait. Mais nos deux compères ne comprenaient pas comment le Canard avait modifié autant à leur avantage le compte-rendu de l’entretien, et l’air réjoui de La Pérouse qui, pourtant, pestait. Le Palmipède eut son heure de gloire, le papier fut chroniqué partout dans le monde, son directeur dont personne ne connaissait la tronche, grande première, passa sur toutes le chaînes de télé, même à l’étranger. Le ticket de gauche vit dans les sondages les intentions de vote bondir : il talonnait Bardella qui ne perdit pourtant aucun point : toutes les nouvelles intentions de vote provenaient du centre. C’est anecdotique, mais même certains anars pur jus qui militaient depuis longtemps, sans réussite, pour l’unification avec l’UCL, sortirent un papier, signé d’un certain Fernand Réno qui appela à voter pour le ticket Berger-Tondelier. Seul Médiapart, rageant d’être passé à côté de ce scoop, mit plusieurs de ses journalistes d’investigation sur le coup ; ils tentèrent même leur chance en tentant de contacter un autre fou-fou qui écrivait des tas de billets sur leur Club dont certains avaient un rapport évident avec cette histoire de coLibs, sans succès.

Le nouveau salto arrière de Dany

Le ticket Cohn-Bendit-Duteuil se déchira peu avant la date de l’élection présidentielle. Le second partit avec pertes et fracas soutenir le NNFP, proposant, sans trop y croire, son changement de nom en avançant : Les coLibs de France, et sans en faire un sigle ou un acronyme ; on lui expliqua que c’était mal venu mais on l’accueillit à bras ouverts, lui promettant une place au soleil. « Mon soleil du Poitou me suffit, et ma petite maison d’édition Acratie aussi ; je vous soutiens de tout cœur, mais allez vous faire foutre ! ». Il ne changera jamais, ce Duteuil ! Le premier réussit, mais pas facilement, à convaincre Michel Onfray (qui laissa ainsi Jean Lassale seul) de jouer le second rôle : ce dernier voulait jouer le jeune-premier ; Dany tint bon et Onfray cala. Ce fut le seul mouvement, hors le ticket Zemmour-Maréchal Le Pen, qui, se prétendant plus à droite que Bardella, se présenta au dernier moment. Tous les autres partis avaient fait leur choix ; il ne restait que quatre tickets pouvant prétendre à ne pas être ridicules.

Et la lutte continua, mais toujours avec les chefs : encore un accro dans le coLib !

Bien sûr, nos deux larrons furent invités sur toutes les chaînes et par la presse écrite, de Libé à Valeurs actuelles ; mais on ne les trouva jamais : ils se cachaient chez La Pérouse et ne sortaient que déguisés, changeant tous les jours de look ; le restaurant Lapérouse vit son chiffre d’affaires baisser et celui des kébabs un peu augmenter. Berger l’exigea, Mickey, Charlot et leur ami s’exécutèrent de bonne grâce, comprenant le danger. Mais ils rencontraient chaque nuit, dans des lieux différents, les deux du ticket et leurs principaux conseillers. Plus ils les rencontraient, plus la victoire devenait une évidence selon les sondages. Il n’y eut ainsi jamais la moindre photo ni la moindre vidéo de Charlot et Mickey ; ça les démangeait pourtant : raconter à la télé leur génial coLib et son histoire, faire les fanfarons (surtout Mickey) avec leurs bons mots bien préparés et les éclats de rire quand il fallait, comme au bon vieux temps de la fin des années 1860, ça leur manquait. Ils avaient compris que c’eût été parfaitement improductif : la spontanéité populaire allait remporter le morceau, c’était écrit. Et ils étaient convaincus, et en étaient très fiers, qu’ils avaient, c’est une évidence, lancé le mouvement.

La belle bévue de Bardella

Micheline Onfraie venait de donner sa démission, quelques jours avant l’élection, au Président Macron pour ne pas influencer, dit-elle, l’élection présidentielle ou l’Avenir (avec un grand A, précisa-t-elle) de la France allait se jouer. Bardella qui s’y voyait déjà mais était bien embêté par la progression du ticket qui le talonnait maintenant, tenta un coup fumant : il passa le soir même sur BFM TV à 20 H pour présenter sa candidate VP. Et ce fut un scoop : Micheline Onfraie ! Sans doute la première et dernière erreur de la courte vie politique du petit Jordan. Un véritable scandale se déclencha immédiatement, et de tous les bords hors RN : « Ainsi, l’ancienne PM de Macron qui avait tenu si longtemps son gouvernement technique, n’avait été qu’une taupe du RN, et imposée par Macron ! » clamait la presse, pas loin du mot pour mot, comme des éléments de langage. Le Président qui n’apparaissait plus à la télé que de loin pour ses inaugurations de chrysanthèmes et ses voyages à l’étranger, de plus en plus rares, exigea de s’expliquer le lendemain même au 20 H de TFI et Antenne 2 en JT commun ; il semblait avoir vieilli de vingt ans, les traits tirés, le cheveu grisonnant et sa petite houppette à la Tintin bien dégarnie. Il fit mine de s’étrangler en expliquant que celle qui restait malgré tout son amie malgré son étonnant revirement, n’avait jamais été une taupe du RN, mais une macroniste convaincue depuis les premiers jours de 2015-2016. Micheline apparut brusquement au milieu de l’interview (c’était bien sûr programmé) saluant poliment Macron, mais sans l’approcher, jurant qu’elle venait juste d’être convaincue que le seul moyen de faire barrage au NNFP devenu (elle était l’une des rares à voir tout compris) un très dangereux mouvement communiste libertaire, surtout communiste en fait (en accentuant bien le premier mot et en ne susurrant que le second) bien plus dangereux que la NUPES, le NFP puis le NNFP. Macron critiqua tout de suite cette position qu’il ne partageait pas, affirma-t-il, ajoutant cependant : « La France serait moins belle sans la Nouv…, pardon, la liberté (vous comprendrez mon émotion !) et je ne pense pas, bien au contraire, que ni Monsieur Berger, ni Madame Tondelier en soient des ennemis ; je comprends cependant, mais en le désapprouvant avec vigueur, ce que vient d’affirmer Madame Onfraie, tout en me rendant compte, je ne suis pas devenu idiot, que le NNFP évolue de façon très bizarre, et disons-le, singulièrement depuis l’arrivée de ces étranges Charlot et Mickey dont on n’entend étrangement plus parler. Vive la république, Vive la France ! ». Le summum du « En même temps ».

Happy end

Le ticket Bardella-Onfraie n’arriva pas premier mais obtint néanmoins 44 % des suffrages exprimés (ça fait un peu réfléchir…) devancé par Berger-Tondelier à 54 % ; les deux tickets Zemmour et son ex-copine avec laquelle il venait de se raccommoder et Dany-Onfray sortirent les têtes basses avec 1 % chacun.

Les deux larrons repartirent vers 1875 retrouver Lou et la friterie de Bruxelles. « Vous avez fait un bon boulot, mes amis, à bientôt ! » dit La Pérouse en les embrassant. « Tout ça, c’est grâce à toi ; mais pourquoi cet "à bientôt" ? ».

Notes

[1] Rappelons aux têtes en l’air qu’ils n’avaient plus (exigence de Zweisteine) aucune mémoire de leurs Voyages précédents, par exemple en Mai 68.

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