Patrick Castex (avatar)

Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

Abonné·e de Mediapart

150 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 octobre 2022

Patrick Castex (avatar)

Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

Abonné·e de Mediapart

Après la ruée vers l’Eldorado, l’exode des Blancs de Nouméa la Blanche

Plus d’un Européen sur trois, surtout les Métros, se sont tirés ou vont se tirer de Nouvelle-Calédonie de 2014 à 2024… Mais qu’en termes plus polis ces choses-là sont dites…

Patrick Castex (avatar)

Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La population de Nouvelle-Calédonie serait maintenant en baisse, en pleine incertitude des négociations sur l’avenir institutionnel : Indépendance ou pas ? Plus de câlins sur Le Caillou ? On aura compris que la solution à cette fausse énigme réside dans le flux migratoire extérieur net : les « Blancs[1] » (il faut appeler un chat un chat, surtout dans un pays de Mélanésie, Îles noires) se tirent. Et en masse ; et essentiellement les Métros ou Zoreils, les originaires de Métropole.

C’est l’ISEE (l’Institut des statistiques et des études économiques, l’INSEE local) qui le suggère discrètement, mais sans aller jusqu'à une affirmation péremptoire. Tout est dit en termes plus politiquement corrects : en évoquant les natifs et non-natifs, et sans plus de précision. Dans les médias, on n’en fait pas de gorges chaudes, et toujours en termes mesurés ; chez les loyalistes anti-indépendantistes, pas de pleurs, ou alors sous cape ; chez les indépendantistes, pas d’explosion de joie, ou alors bien cachées. Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine…

La forte dynamique du taux de croissance naturelle, mais surtout celle de l’immigration historique pouvait cependant laisser espérer, avant un revirement datant déjà de 2014-2019, et bien documenté par l’ISEE après le recensement de 2019 (trois ans déjà…) une population de 300 mille âmes aujourd’hui et 322 milles en 2024[2] ; patatras, ce n’est qu’environ 270 en 2022 et peut-être 266 en 2024. Pas grand monde de toute façon : moins de 15 habitants  / km2  (119 en France). Mais les deux tiers de la population du Caillou habitaient en 2019 le Grand Nouméa (Nouméa la blanche[3] donc et ses trois banlieues), et surtout des Européens[4] et dans ces derniers essentiellement les Métros ; on ne s’aventure guère en prétendant que la plupart sont partis de là…

Plus qu’un exode[5] : une catastrophe ! En Métropole, on immigre ; là-bas où l’on immigrait le plus souvent, maintenant on émigre : un Grand remplacement en verlan qui doit remplir d’aise l’inénarrable Zemmour. Catastrophe sociale qui éclaire un peu mieux la dynamique des « Blancs » sur ce Caillou. Les Métros sont très mobiles : ils sont attirés par l’Eldorado, mais fuient en temps de crise (économique et politique) ; autrement dit, l’éventuelle Kanaky Nouvelle-Calédonie est bien l’une des dernières colonies du Nouveau Monde. Catastrophe économique qui était annoncée depuis 2019, effet et cause de la crise économique, au moins du ralentissement de la croissance depuis une petite décennie[6], mais, répétons-le, dans un silence assourdissant. Silence radio ! Il y avait, il est vrai : les successions de référendum de 2008 à 2021, dont la farce du troisième en décembre 2021[7]) ; la crise de l’Usine du Sud (à Goro) quelques semaines plus tard et la quasi-reprise des « événements » ; enfin le danger de la Covid en 2020 et surtout 2021.

 Aujourd’hui, toujours pas de buzz ; mais quelques murmures au MEDEF local qui, pour une fois, se fait l’adepte de l’offre expliquée par la demande et voit d’un mauvais œil la consommation s’écrouler ; tout en se plaignant cependant du manque de main-d’œuvre (qualifiée) qui risque de faire déraper le coût du travail… Catastrophe politique, encore peu évoquée, où le Grand remplacement à l’envers verra peut-être la population kanak[8] devenir ultra-majoritaire en 2024 (avec autour de 58 %, contre 25 % pour les Européens[9]) année charnière en matière de transformation institutionnelle.

La crise sanitaire de la Covid est souvent mise en avant comme explication du solde migratoire négatif : elle n’est que très conjoncturelle, et avec elle les difficultés d’arrivées sur le Territoire (longtemps Covid free) pour se préserver du virus (en vain) et la facilité des départs, le recul des mariages et des naissances[10], le bond des décès (en fin 2021) ; l’ISEE est intarissable pour décrire par le menu, dans la presse, tous ces aspects démographiques qui nous semblent pourtant une goutte d’eau dans le torrent de l’exode ; on va le montrer.

Tout a commencé en fait, répétons-le, dès 2014, l’ISEE ne s’en est rendu compte qu’avec le recensement de 2019 qui indiquait clairement le fort flux migratoire négatif net ; une lecture même pas trop attentive permettait déjà de comprendre que l’exode provenait des Européens, et en particulier des Métros[11]. L’ISEE l’écrivait de façon plus soft : « Le net fléchissement démographique s’explique par un solde migratoire apparent devenu négatif pour la première fois depuis près de quarante ans. Entre 2014 et 2019, 27600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l’archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie … Inversement, 17300 personnes qui ne vivaient pas sur le Caillou en 2014 sont arrivées depuis .... Le solde migratoire apparent est déficitaire de 10300 personnes entre 2014 et 2019, soit 2000 départs nets par an ». Résumé : « L’émigration importante de non-natifs explique en partie ce résultat ». Il faut lire les tableaux pour comprendre que les Européens ont en effet diminué de 7,7 milliers ; quand même près de 11 % de moins qu’en 2014… Différence sous-estimée ; on y reviendra, mais n’allons pas trop vite… Et des chiffres neutres ; aucune mise en relation avec la minuscule population de l’Archipel : 10 % de départ, ça ferait combien en France avec 67 M d’habitants ?

En septembre 2022, le même ISEE indiquait curieusement une croissance de la population en 2020 et 2021 ; mais se reprenait un peu plus tard notant « Une dynamique démographique en berne dans un contexte atypique », indiquant ainsi qu’au 1er janvier 2022, la population serait tombée sous la barre des 270 milliers d’habitants. Cette baisse est simplement due (radotons…) mis à part les longs développements de l’ISEE sur la fécondité, la nuptialité et les décès, au solde migratoire déficitaire : en 2020 comme en 2021, le solde migratoire apparent est resté déficitaire ; la tendance de 2014-2019 se poursuit simplement, en pire d’après l’ISEE qui a vite corrigé le tir.

Mais on ne parle toujours pas ou peu de l’aspect ethnique ; pardon : de l’analyse par Communauté… C’est ce que l’on propose de faire. Une image valant mille mots (selon Confucius) on ne fera à la suite que commenter, pour étayer ce qui vient d’être affirmé, les graphiques que le lecteur trouvera en fin de Billet.

De 1853 au début du XXe siècle, les Kanak ont failli disparaître

Cette petite accroche pour réintroduire, par contraste, l’analyse du sujet...

Tout avait bien commencé. Un petit ou un gros millénaire avant notre ère, des Austronésiens débarquent sur le Caillou ; certains grands spécialistes de la question évaluent la population à l’apogée de la civilisation sur ce territoire (déclaré fort fertile par certains chercheurs, bien qu’il ne s’agisse pas d’un volcan) à l’équivalent de la population totale actuelle ; elle n’était (évaluée comment par les chercheurs ?) que 50 à 200 milliers quand James Cook débarqua pour une très brève halte au nord-est en 1774 ; peut-être, entre 40 et 80 milliers à la prise de possession par la France en 1853 (officiellement 50 milliers).

La chute (voir le Graphique 1, G 1) commença alors : épidémies importées (déjà bien avant le milieu du siècle, par les santaliers et les baleiniers) ; confiscation des terres et cloisonnement des « Canaques[12] » dans les réserves, puis statut de l’Indigénat (jusqu’en 1946, comme en Algérie) ; nombreuses révoltes matées dans le sang (pas seulement les deux grandes, en 1878 et 1917). Les Européens (à peine une poignée d’aventuriers anglophones avant 1853, date de la prise de possession sur ordre de Napoléon III) ne prennent une certaine importance (mais rapidement) qu’à la fin  du XIXe siècle (colons libres, mais en fait peu nombreux, qui sont venus après les bagnards et leurs matons, puis lesdits contrats avec les Asiatiques pour les mines, surtout de nickel). La population kanak ne représente plus que moins de 30 milliers d’âmes de 1900 à 1930 puis contre toute attente (en particulier des autorités[13]) se rétablit.

En 1963, au début du « boom du nickel », les Kanaks (41 milliers, contre 33 d’Européens) comptaient (voir plus loin) pour 48 % de la population. Ils seront en gros trois fois plus en 2019, et les Européens seulement deux fois plus : le commencement de la fin... D’où la sortie de Messmer… Mais les Kanak vont devenir indépendantistes ; avant et surtout après Messmer[14].

Il faut approfondir les données de l’ISEE

Tous les mouvements de population du Caillou ne peuvent donc se comprendre sans les soldes migratoires extérieurs. Et l’ISEE ne s’y est pas trompé : les bosses et creux (cependant rarement en territoire négatif) se succèdent (voir G 2). Mais ses évaluations pour 2020 et 2021 (malheureusement publiées juste avant un retour en arrière…) tablant sur une reprise de l’immigration positive nette (modifiant donc profondément la tendance de 2014 à 2019) sont pour le moins malheureuses[15].

Le taux de croissance naturelle de la population diminue (transition démographique déjà ancienne, natalité moins mortalité) d’un taux de moins de 3 % en 1965 à moins de 1 % actuellement ; le solde migratoire toujours positif (avec cependant, répétons-le, des hauts et des bas) depuis une quarantaine d’années, avant le choc 2014-2019 qui semble continuer, n’empêche pas le taux de croissance globale de la population de s’éroder (phénomène visible sur le G 2 avec la courbe en tendance logarithmique).

Mais, au risque d’encore radoter, c’est bien le solde migratoire qui explique la conjoncture démographique depuis 2014 ; pas la petite chute du taux natalité moins mortalité (taux net, certes en baisse pendant la crise sanitaire). Mais il faut de bons yeux pour la lire sur le graphique : 0,9 % de 2016 à 2020 ; 0,7 % en 2021 et 2022…).

Le G 3 illustre ce qui a été affirmé plus haut : la croissance de la population n’est plus ce qu’elle était. Plus enquiquinant est, on l’a déjà noté, le refus de plus en plus de Calédoniens de définir précisément leur Communauté d’appartenance, et pas seulement pour les Métis. Ce qui n’était qu’un mouvement de mauvaise humeur où de volonté de se définir simplement comme Calédonien dans le cadre du fameux destin commun, jusqu’en 1996 (5 % de refus), devient depuis 2009, et surtout en 2019, un mouvement de grande ampleur qui concerne plus d’un enquêté sur cinq en 2019 (G 4 et 5). Notre solution consistant à répartir ces indécis au prorata des réponses permet sans doute (même s’il s’agit d’une évaluation pas loin du doigt mouillé) de mieux appréhender la structure par Communauté du Caillou (G 6 et 7).

La répartition par Provinces est significative ; la Provincialisation est à la base des accords de Matignon-Oudinot de 1988 et n’a jamais encore été remise en cause, sauf par des murmures[16]. La plus grande partie de la population se trouve en Province Sud (les trois quarts en 2019, dont deux tiers dans le Grand Nouméa donc) un peu plus des deux tiers il y a quarante ans. Mais la majorité européenne est courte (39 % et 38 % de Kanak, après correction des données brutes de l’ISEE qui n’ont plus le moindre sens) ; ils sont cependant soutenus politiquement par une large majorité de Wallisiens (et Futuniens), autour de 10 %, et la mosaïque des Asiatiques et autres Océaniens (dont surtout les Tahitiens) par ailleurs quasi absents des deux autres Provinces où les Kanak forment une majorité écrasante.

Cette provincialisation du Territoire (mot lourd de sens...) a en grande partie permis d’éteindre l'incendie : chacun chez soi... Elle peut évoquer, certes en plus soft, le développement séparé (certains iront jusquà dire l’apartheid...) avec des migrations internes très spécifiques.

Au niveau global, en 2019, contrairement aux pourcentages farfelus affichés selon les données brutes de l’ISEE,  (41 %, 24 % et  8 %, en chiffres ronds, pour respectivement les Kanak, Européens et Wallisiens-Futuniens, mais avec donc 21 % d’indécis ; le reste, 5 % formant la mosaïque des petites minorités) les Kanak étaient déjà probablement majoritaires en 2019 (avec autour de 52 % ; 47 % déjà en 1989) ; les Européens ne compteraient plus que pour environ un petit tiers (31 % ; contre 35 % en 1989).

Mais il y a l’après 2019…

Ce qui n’était qu’une quasi-stagnation de la population de 2014 à 2019 (mais encore une petite croissance bien visible sur le G 8, mais peu visible sur le G 9 décrivant le long terme) devient une forte érosion qui saute aux yeux. Il s’agit encore  de la combinaison des taux de croissance naturelle érodés et du solde migratoire négatif, encore plus important pendant les années Covid 2020 et 2021 selon les estimations de l’ISEE (après son revirement de septembre 2022) somme toute assez précises (quoique hardies et pouvant être infirmées quand paraîtront les résultats du recensement de 2024).

Plus dure serait la chute, selon notre analyse chiffrée dont nous sommes seuls responsables (seul un graphique soutenant notre prise de risque fut donné par l’ISEE...) utilise ces estimations et apparaît au G 8. À partir de 2020, si les hypothèses hardies de l’ISEE ne sont pas farfelues, le solde migratoire négatif (autour de 3 000 départs nets par an : nettement plus qu’en 2014-2019, autour de 2 000) explique à lui seul le renversement.

Plus délicate est l'analyse du passage du niveau de la population globale à celle par Communauté

La seule solution est de projeter le niveau connu de répartition du solde migratoire nette par Communauté de 2019 pour les années qui suivent ; et, en oubliant les aspects négatifs des deux années particulières de la crise sanitaire de 2020-2021 sur les taux d’accroissement naturel, qui rend relativement plausible le pessimisme qui suit sur la dynamique démographique.

On peut ainsi répartir le solde migratoire négatif global et approcher l’évolution probable de la population par Communauté (G 10). Le résultat est frappant ; on comprend mieux pourquoi l’ISEE ne s’y est pas hasardé : c’est politiquement très gênant compte tenu du blocage actuel des négociations sur l’avenir institutionnel et la sortie des Accords de Matignon-Oudinot de 1988 et de Nouméa de 1998, la date butoir  d’éventuels nouveaux accords étant justement 2024. Les Kanak (G 11) deviendraient largement majoritaires au niveau du pays en 2024, avec 58 % contre 25 % pour les Européens : plus de deux fois plus. Si cette hypothèse pessimiste pour les tenants de la Calédonie française est risquée, celle d’un rapport 55-28 ou même 53-30 suffit à émouvoir les loyalistes et à réjouir les indépendantistes…

Les G 12 à 15 (pour les pinailleurs amateurs de précisions) permettent de tirer quelques conclusions qui vaudront bien quelques discussions politiques animées. De 2020 à 2024 en cumul, la population Kanak pourrait augmenter de 11 milliers ; celle des Européens chuter de 15 milliers. Bof, 15 000 personnes de moins ! Mais sur un pays de moins de 300 000 habitants… C’est - 18 % des habitants du Caillou qui s’envolent (après des arrivées qui continueront pourtant) ; un peu plus qui prennent l’avion, car il reste une croissance naturelle positive, certes érodée. Les Wallisiens devraient rester et même croître, comme sur 2014-2019 ; les ethnies très minoritaires, autres Océaniens et Asiatiques, s’envoleraient également (- 10 %), mais en nombres absolus bien plus faibles.

Explicitons quelques proportions. En France, cela ferait 12 M d’habitants de moins. Si ce n’est pas un désastre ou une catastrophe qui évoque les rapatriés et autres exilés d’Algérie (un million) au début de l’indépendance, ou la Nakba (la catastrophe ou le désastre en langue arabe) toute proportion gardée[17] lors de la guerre israélo-arabe de 1948.

En dix ans (G 15), de 2014 à 2024, on peut se consoler : c’est moins de 1 % de la population de 2014 qui aurait disparu (- 2,4 milliers) ; solde encore un peu positif de 2014 à 2019 (+ 2,6), mais solde très négatif sur 2019 à 2024 (-5,1). Mais, c’est donc là l’explication principale, et de très loin, avec plus de - 9% de solde migratoire (- 25) dont - 31 d’Européens (surtout des Zoreils donc) et - 4 des minorités hors Wallisiens-Futuniens, compensés par un apport massif de Kanak (+ 11 ; qui sont-ils et d’où viennent-ils ?).

Les vases communicants ou le Grand remplacement en verlan…

Ce ne sont pas tous les Européens qui s’envolent : ce sont bien surtout les Métros

Le lecteur qui n’aurait pas encore compris serait bien inattentif… ; mais ce n’est pas une évidence pour celui qui tente de comprendre de loin ce qui se passe sur le Caillou : une sorte d’omerta a toujours évité d’appeler un chat un chat… Les Européens se divisent (et pas seulement statistiquement ; mais là, l’ISEE est précis) entre Caldoches (nés sur le Caillou) et Métros, ou Zoreils, nés en général en France ou dans les ex-DOM-TOM (qui ont changé de nom...) : en gros, moitié-moitié en 2019 : 47 % nés sur le Caillou, 46 % nés en France, mais aussi 7 % nés à l’étranger ; en 1996, les proportions étaient assez différentes : respectivement, 57 % ;  35%  et encore 7 %.

Bref, l’ISEE nous permet de mieux comprendre ceux qui arrivent ou s’envolent (G 16). L’immigration nette positive des Métros vers l’Archipel a fait son œuvre de 1996 à 2014 : (en milliers) + 13,4 pour les Métros ; - 8,0 pour les Caldoches qui ne sont pas immortels ; + 0,7 pour les nés à l’étranger. L’Eldorado : bonne activité économique et référendums encore loin. Renversement donc de 2014 à 2019 : - 7,7 Européens de moins, dont 0,5 Caldoches de plus (il y a des jeunes qui font des petits) et - 6,9 Métros et - 1,3 nés à l’étranger envolés. La fuite face à la crise économique et à la proximité des prises de décision démocratiques institutionnelles.

C’est aussi simple que cela ; ce ne sont pas les Caldoches qui fuient le danger Kanak, (sauf quelques-uns, mais la plupart, pas seulement les milliardaires – en CFP – ont assuré leur retraite en plaçant leur thune dans les paradis fiscaux proches) : ce sont  les néocoloniaux de la Nouvelle néocolonisation de Zoreils, à l’écoute des opportunités.

Pour ceux qui s’interrogent encore, voir le G 17 : de 1996 à 2009, c’est l’Eldorado (plus près de 10 milliers de Métros de plus), avec quelques Caldoches s’éteignant (- 6) ; de 2009 à 2014, c’est la même chose, en plus discret (respectivement + 4 et - 2) ; de 2014 à 2019, renversement complet (- 7 et + 0,5 respectivement) ; sur toute la période de près d’un quart de siècle, l’équilibre est presque parfait (+ 6,5 pour les Métros ; - 7,5 pour les Caldoches).

Mais ce n’est pas tout : la décolonisation sans indépendance tant vantée par les loyalistes n’est pas un franc succès au niveau de la lutte contre les inégalités…

Pour ce qui est de la structure de la population active au travail, l’ISEE nous informe clairement, ne fait pas le buzz dans sa communication, mais alerte toutefois sur les inégalités. Résumons de façon lapidaire (G 18 et 19) : les Européens gagnent plus de thunes que les Kanak ; beaucoup plus en 1996 qu’aujourd’hui, mais encore largement plus après le quart de siècle qui a suivi les Accords de Nouméa de 1998. Ledit rééquilibrage et la discrimination positive, clés de la décolonisation sans indépendance, se sont  avancés avec un pas de tortue malade !

La structure de la population active a certes évolué de la fin des années 1990 à la fin des années 2010… mais plutôt au bénéfice des Européens : 1 sur 6 était ouvrier en 1996 et 1 sur 10 en 2019 ; 28 % étaient employés en début de cette période et 19 % à la fin ; 40 % appartenaient aux professions intermédiaires et cadres au début de cette période et 54 % à la fin. Les éleveurs de brousse ont toujours été marginaux (2 % des Européens en 1996) et le restent en 2019 (1 %).

Certes, les Kanak étaient encore en partie aux champs en début de période (12 % des leurs), mais y sont encore pas mal (6 % ; sans compter que ce fameux champ reste encore fondamental pour une grande partie de ceux qui vivent maintenant à Nouméa et dans sa banlieue) ; la proportion des ouvriers est la même sur toute la période  (un gros tiers), idem pour les employés ; la proportion dans l’ethnie des classes moyennes (professions intermédiaires et cadres) a en effet doublé (5 % au début ; 11% à la fin) ; mais ça ne fait encore pas grand monde. Grâce aux discriminations positives et aux différents plans de formation, les Kanak prennent plutôt un escalier étroit que l’ascenseur social.

Les Wallisiens-Futuniens étaient ouvriers à 55 % en 1996 ; ils ne sont plus que 38 %, mais, gros bras, forment les gros bataillons des ouvriers dans le BTP : ils sont peu passés employés (respectivement 38 % et 35 %), mais pas mal « classe moyenne-Middle Class » (7 % à 20 %) : leur dynamique est ainsi très différente de celle des Kanak.

Quant aux inégalités de formations diplômantes, il reste un long chemin…

La seule vision des graphiques (G 20 et 21) est éclairante : les Européens montent en grade de diplôme, et ça se voit ; les Kanak également, mais ça se voit moins pour les post-bac, beaucoup mieux pour le niveau Troisième et plus et Bac. Mais ils reviennent de loin : près des deux tiers sans plus que le Certif  (le CEP) en 1996 (cependant beaucoup mieux que du temps de Leenhardt) un peu plus d’un tiers en 2019 ? L’évolution du profil des Wallisiens-Futuniens est peu différente.

« Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons » affirmait Victor Hugo. La prison de Nouméa, le Camp est (une véritable horreur) vient de faire un petit (plus moderne…) qui devrait bientôt ouvrir à Koné, la « Capitale » de la Province Nord…

Conclusion

L’un de mes profs nous faisait remarquer, il y a bien longtemps, que les ratios (un pourcentage[18]) « C’est comme les bikinis : ça donne des idées, mais ça cache l’essentiel ». Ceux de l’ISEE sur la répartition de la population par Communauté sont en plein dans le mille ; et en plus ils ne présentent plus, depuis 2009, aucune relation avec la réalité : les Kanak sont-ils minoritaires en 2019 (ratio brut) ou majoritaires (ratio corrigé, même au doigt mouillé, mais pas tant que ça).

Et, cet aspect technique mis à part, la communication de l’ISEE nous semble bien mesurée ; politique oblige, probablement ; même pour des technocrates. Ce ne sont pas des Européens qui fuient quand l’Eldorado se tarit, ce sont des non-natifs (surtout des Zoreils donc, ou des Tahitiens et Asiatiques, dont la fuite en nombre absolu est donc cependant dérisoire ; les Wallisiens-Futuniens s’accrochant aux murs du Caillou, faute de mieux). Tout nest peut-être pas perdu : on ne peut oublier qu’il existe encore une immigration à la recherche de l’Eldorado ; j’en connais, et de très proches... Et ils ne sont pas au courant de tout ce que je viens de conté...

Tout ce que conte l’ISEE, ça va sans dire ou dit plus discrètement ; mais ça va mieux en le disant, même en langage plus fleuri. Nous avons entendu des critiques plus acerbes contre ces touristes néocoloniaux, propos j’hésite à rapporter  : « En cas de naufrage, les rats sont les premiers à quitter le navire ».

 Notes

[1] Comment ose-t-on parler de Blancs et de Noirs ! Depuis l’ONU, on préfère évoquer au mieux les ethnies, le mot race étant devenu un repoussoir ; bien que les recensements sur le Caillou posent des questions sur les origines ethniques (par dérogation), l’ISEE préfère utiliser le terme de Communauté… On l’utilisera tout au long de ce billet, mais en italique pour bien marquer notre réticences à l’emploi de mots bien élevés...

Même Pierre Messmer, alors Premier ministre, évitait d’écrire noir sur blanc ce qu’il pensait très fort dans sa lettre de juillet 1972 au secrétaire d’État aux DOM-TOM : « La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants. Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire. La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones [...] À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants.[...] ».

Messmer ne dit pas  « Il faut planter du Blanc », comme en 1970, Roger Laroque, maire de Nouméa, qui déclarait : « Il faut faire du Blanc  ». Mais le cœur y était…

[2] L’IEDOM (Institut d’émission des départements d’outre-mer) prévoyait il y a peu 321 milliers d’habitants en 2030 et 378 en 2050… Les prévisions sont difficiles, surtout en qui concerne l’avenir, répétait Churchill.

[3] Épithète donnée par les indépendantistes pendant les années 1980 pour raillier la couleur de son urbanisme et surtout le caractère de sa population.

[4] Nouméa est la seule agglomération (c’est en fait la seule ville…) du Caillou où les Européens sont majoritaires. Peut-être plus pour longtemps : Nouméa la blanche se colore… En annexe des graphiques, on pourra trouver l’évolution de la population du Grand Nouméa (182 milliers en 2019) et de la seule commune de Nouméa (94 milliers) : comme dans tout le Territoire, la population stagne sur 2014-2019 et baisse à Nouméa-commune :  - 6 milliers environ en 5 ans (soit - 1200 par an) ; le chiffre ne dit pour le moment pas grand-chose, mais s’éclairera  un peu plus loin. Allons, déflorons : il y eut 2 milliers migrations nettes négatives par an de 2014 à 2018 ; ce serait bien le diable qu’une bonne partie ne vienne pas de Nouméa la blanche ! 

[5] Deux références possibles bien que lointaines : la sortie des Hébreux d’Égypte sous la conduite de Moïse ; le bateau Exodus et les Juifs rescapés de la Shoah arrivant difficilement à Haïfa.

[6] Qui se traduit cependant par une « croissance négative » (en forte hausse…) du PIB depuis 2018.

[7] On a commis, concernant cette farce, un billet sur le blog de Mediapart en décembre 2021 : Votre décolonisation ratée, Monsieur le Président, est un pied de nez à l’humanité ! On peut également consulter un bouquin désormais un peu ancien (publié en 2018 chez L'Harmattan, collection Écrit-Tic) : Kanaky Nouvelle-Calédonie Indépendante ? Si on l’actualise un jour, le point d’interrogation sera remplacé par un point d’exclamation… On peut lire aussi des nouvelles plus cocasses et aguichantes, toujours chez le même éditeur, sorties en 2022 : Nouvelles calédoniennes ; sous-titre : Entre Éros et politique.

[8] Rappelons que, selon l’usage, le mot est invariable en genre et en nombre.

[9] Voir plus loin ; mais autant annoncer la couleur…

[10] Pas d’effet gros câlin des rares confinements ; contrairement à la Métropole.

[11] Il notait seulement dans la synthèse : « Pour la première fois depuis 1983, le solde migratoire est négatif ». En lisant plus avant, on comprend que ce sont les non-natifs qui sont surtout partis.

On trouve tout cela sur la Toile sur le site de l’ISEE nc. On y affirme (ce n’est pas anodin, ne serait-ce que statistiquement ; et on y reviendra) que « Plus de quatre habitants sur cinq estiment être Calédoniens » ; à la nouvelle question posée par l’ISEE : « Estimez-vous être Calédonien ? », près de 83 % ont répondu « Oui ». C’est vrai, mais cette vérité peut prêter à confusion après lecture attentive des nombreux tableaux publiés, on découvre vite qu’un habitant sur cinq refuse de se définir, dans le recensement de 2019, comme appartenant à une Communauté précise. Grave ennui sur lequel on reviendra bien sûr.

L’ISEE développe cependant, mais sans en tirer la moindre conséquence quant aux pourcentages affichés des diverses Communautés : « Plus de 20000 habitants n’ont pas renseigné de communauté d’appartenance ou ont indiqué Calédonien. 30800 personnes se déclarent métissées. Le nombre de Métis, stable entre 2009 et 2014, passe de 9 % à 11 % entre 2014 et 2019. Deux tiers des personnes métissées ont indiqué deux communautés, 15 % trois communautés. Parmi les Métis ayant indiqué deux communautés, près de 5000 ont déclaré être Européen et Kanak, 2200 être Kanak et Wallisien-Futunien, 1600 être Kanak et Tahitien, 1250 être Européen et « Autre » et 1200 être Européen et Wallisien-Futunien. Ainsi, en 2019, les Kanak et les Kanak métissés représentent 47,2 % de la population au lieu de 43,0 % en 2014, les Européens et les Européens métissés 29,7 % au lieu de 31,0 % et les Wallisiens-Futuniens et les Wallisiens-Futuniens métissés 10,9 % au lieu de 10,0 % ». Ouf ! Avec les Métis, les Kanak étaient ainsi plus de 47 % en 2019 (mais 41 % pour les seuls Kanak affichés, le plus souvent la référence) ; les Européens au sens plus large près de 30 % (respectivement 24%).

Pourquoi l’ISEE n’approfondit-il pas la question ou ne propose-t-il pas une tentative de résolution de ces 21 % (16 % déjà en 2014 : vieux problème) de refus de réponse à leur appartenance à une ethnie précise ?

[12] Transformation péjorative du terme Kanak, mot importé d’Hawaï (signifiant homme, ou être humain) et utilisé dans tout le Pacifique sud pour désigner en fait les portefaix. C’est l’un des plus beaux jurons du capitaine Haddock ; Jules Garnier (envoyé peu après la prise de possession par la France pour chercher des mines de charbon et le découvreur sur le Caillou du nickel et du riche minerai nommé garniérite) utilisait encore le mot kanak qui ne retrouva toute sa noblesse que grâce à Jean-Marie Tjibaou au début du mouvement indépendantiste.

[13] Maurice Leenhardt, missionnaire protestant (une icône de l’enseignement aux Kanak, ethnologue et missiologue français) est accueilli en 1902 à Nouméa par le maire qui lui dit : « Que venez-vous faire ici ? Dans dix ans il n’y aura plus de Kanaks ».

[14] En 1975 est fondé le Palika (Parti de libération kanak) par la fusion de deux groupes d’extrême gauche et d’indépendantistes radicaux nés au lendemain de Mai 1968 : Les Foulards rouges (référence au foulard rouge offert par Louise Michel aux insurgés de 1878, ceux de La grande révolte kanak ou Guerre d’Ataï) et Le Groupe 1878. L’ancienne UC (Union calédonienne) autonomiste, traditionnellement au pouvoir depuis les années 1950, rejoint, sous l'impulsion de Jean-Marie Tjibaou, le Palika en 1977. Il est d’autres partis et mouvements indépendantistes.

[15] Par ailleurs, la courbe parfaitement plate (déjà publié bien avant) de la période de la quasi-guerre civile de 1984 à 1988 (dite les « Événements », comme ceux de la guerre d’Algérie) interroge… D’autant plus, on l’a indiqué, que l’ISEE fait référence à une forte migration négative nette au moins en 1983…

[16] Du côté indépendantiste il le fut un temps ; mais surtout du côté loyaliste, rarement de front (quoique la sortie au Sénat du sénateur Pierre Frogier, du Groupe des Républicains, soit borderline…) mais pour remettre en cause les discriminations positives (nombre d’élus au congrès ; répartition des ressources fiscales, etc.).

[17] Entre 700000 et 750000 Arabes palestiniens sur les 900000 qui vivaient en Palestine (qui sera sous contrôle israélien à l’issue de la guerre) fuirent ou furent chassés de leurs terres.

[18] Par exemple, pour ce qui nous intéresse, celui des Kanak ou des Européens dans la population du Caillou

Graphiques

Illustration 1
Illustration 2
Illustration 3
Illustration 4
Illustration 5
Illustration 6
Illustration 7
Illustration 8
Illustration 9
Illustration 10
Illustration 11
Illustration 12
Illustration 13
Illustration 14
Illustration 15
Illustration 16
Illustration 17
Illustration 18
Illustration 19
Illustration 20
Illustration 21
Illustration 22

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.