Cette pédanterie latine personnelle, je l’attache à Macron qui aura donc mal lu les Sermons de Saint Augustin et, en outre, avait pris comme devise, selon mon hypothèse osée[1], l’inverse de l’adage Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre !) transformé en Si vis bellum para pacem (Si tu veux la guerre, prépare la paix !) ; ce crime de lèse-majesté était pourtant sans doute l’adage implicite de Napoléon (Le Grand, pas Le Petit) qui, pour planifiez la guerre, abaissait souvent la garde des autres nations en promouvant la paix.
Notre Président ne planifiait peut-être pas la guerre, mais au moins une dure lutte pour faire plier les indépendantistes, en dissociant, lors de sa visite précédente en juillet 2023, en particulier le politique géré (mal) par Darmanin, son ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et l’économique avec le Pacte nickel géré (très mal) par Le Maire, son ministre de l’Économie et des Finances : un préalable minier en verlan de celui de 1988, une revanche pour détricoter la doctrine nickel (faite loi de Pays) des indépendantistes (mais aussi du parti loyaliste centriste Calédonie ensemble). L’État maniait ainsi, pour l’aspect économique, la carotte (plein de sous pour sauver le secteur nickel) et le bâton (si la Calédonie n’accepte pas de changer son code minier en généralisant les possibilités d’exportations de minerai, pas un sou !)[2]. C’est d’ailleurs la vive critique de cette stratégie qui a entraîné la première union explicite entre indépendantistes, Calédonie ensemble et l’Éveil océanien avec la revendication d’une approche globale du dossier calédonien qui fut la toile de fond rapidement remplacée par les manifestations organisées par la CCAT[3] (la Cellule de coordination des actions de terrain, fondée fin 2023, une frange radicale du FLNKS). Après une dizaine de jours de chaos incontrôlé, Macron a fait le voyage ; un voyage express…
…
1 – Le coup de com’ dans l’eau de Macron
Au bout de la nuit, après plus de 15 heures d’un marathon diplomatique express, Emmanuel Macron a pris la parole. « Je me suis engagé à ce que cette réforme ne passe pas en force aujourd’hui, dans le contexte actuel, et que nous nous donnions quelques semaines afin de permettre la reprise du dialogue en vue d’un accord global » : rien de nouveau par rapport à ses déclarations avant son départ pour Nouméa, après les deux votes du Sénat et de l’Assemblée nationale de la République où il avait déjà donné du temps au temps, votes qui auraient permis la convocation immédiates du Congrès à Versailles pour dégeler le corps électoral.
Le dernier vote est l’étincelle qui a mis le feu à Nouméa.
Mais Macron réaffirme en même temps sa volonté de poursuite de cette réforme ainsi que son refus de revenir sur les résultats du troisième référendum. Rien de nouveau non plus en matière de dialogue : il a bien rencontré séparément les quelques chefs à plumes loyalistes et indépendantistes, mais n’a pas réussi, pas plus que Darmanin, malgré sa floppée de voyages sur le Caillou, à entamer la moindre négociation tripartite. Enfin, il a posé ses conditions à une reprise du dialogue (avec trois hauts fonctionnaires laissés sur place et la ministre déléguée aux Outre-mer pour un temps) en affirmant : « Fort de cet engagement, j’ai demandé à ce que tous les responsables appellent explicitement à la levée des barrages et des points fixes » ; et « dans les heures qui viennent »[4], condition sine qua non pour ne pas demander à l’Assemblée nationale de renouveler l’état d’urgence. Bref, il continue à accentuer la pression sur les indépendantistes et à manier carotte et bâton.
Cependant, il plaide maintenant (nouveauté) pour un « accord politique global » sur l’avenir institutionnel et économique de l’île, alors que sa stratégie, lors de son voyage en juillet 2023 et jusqu’il y a peu, était de dissocier l’institutionnel (par exemple la loi sur le dégel du corps électoral promue par Darmanin) et l’économique (le fameux Pacte nickel, sans aucun doute mort de sa belle mort) de Bruno Le Maire.
Ce « mouvement d’insurrection absolument inédit » selon ses propres mots[5] « personne ne l’avait vu venir avec ce niveau d’organisation et de violence ». Et surement pas son ministre de l’Intérieur ni le Haussaire (le Haut-commissaire sur place, jouant le rôle de préfet) ; pourtant, beaucoup d’observateurs avaient pourtant joués les Cassandres, mais semble-t-il pas ses Services de sécurité intérieurs… D’où l’affolement et la difficulté des forces de l’ordre de mettre fin en plus de dix jours aux émeutes (pardon : au mouvement d’insurrection) avec des effectifs insuffisants et donc très prudents : pas un mort du fait des flics pendant cette décade ; un mort kanak le lendemain de son départ ; mais le policier (on le sut plus tard) n’était pas en service. Et les Européens loyalistes se sentant abandonnés choisirent (on peut les comprendre) de créer des milices d’autodéfense, couvertes un temps par le Haussaire en attendant les renforts. Macron a discrètement mis le holà en rappelant que la Calédonie, ce n’était pas le Far West.
2 – Les réactions, d’abord insipides puis rapidement radicales
Les réactions politiques au dernier discours de Macron furent en effet d’abord insipides ; sauf celle de l’inénarrable Nicolas Metzdorf qui s’est félicité que le Président ait « octroyé » un délai pour permettre un accord[6] ; sauf surtout le parti charnière communautaire wallisien-futunien, l’Éveil océanien qui, ayant pris part aux échanges avec le président de la République, a considéré que « le projet de loi constitutionnelle est mort ». Le parti de Milakulo Tukumuli juge en effet (et il n’est pas le seul, surtout après, en France, les deux pirouettes arrière du Rassemblement national et des Républicains…) que leurs demandes de retrait du texte rendent l’objectif des 3/5e au Congrès de Versailles inatteignable.
Rapidement, les réactions des indépendantistes furent plus vives ; la première[7] fut celle de Christian Tein, de la CCAT, toujours assigné à résidence (mais pourtant reçu en fin de soirée par Macron, à la demande du FLNKS…) ; la seconde[8] du FLNKS. Pas besoin de commentaires, il suffit de les lire pour comprendre le coup d’épée dans l’eau de Macron, malheureusement : ça va donc continuer, peut-être plus la guerre (la « continuation de la politique selon d’autres moyens » dixit Clausewitz) mais une guérilla politique, et toujours dans la rue.
La réaction la plus intéressante est, à mon avis, celle d’un autre « nationaliste calédonien », comme Barbançon, Jean-Pierre Taïeb Aïfa ; il n’y est pas non plus allé par quatre chemins, mais en restant pondéré[9]. Il faut l’entendre. Juste une phrase, mais au combien importante : « La jeunesse, plusieurs fois ça été dit, si vous ne vous occupez pas de la jeunesse, elle s’occupera de vous. […] Moi, les casses je suis contre, les violences, je suis contre, mais il faut regarder les raisons » ; et il développe, en tant qu’ancien syndicaliste, en évoquant les inégalités sociales sur le Caillou (« non pas de 1 à 10, mais de 1 à 100 ») et en critiquant les syndicats qui ne se sont occupés que des salariés au travail, mais pas des laissés pour compte ; et en critiquant tous les élus, bien éloignés des populations. On peut comprendre Aïfa…. Après les remerciements d’usage du journaliste de la télé Caledonia, il termine par « Merci à vous, et j’espère que cela fera réagir ».
…
Fin mal barré le retour au calme et, donc, le début du dialogue ; fin mal barrée la stratégie de Macron. L’Indépendance-association proposée par Pisani lors du début de l’histoire de la première guerre civile qui a précédé ce nouveau bégaiement (non pas une farce, mais une nouvelle tragédie[10]) est sans doute la seule solution.
Je sais, je radote.
Dernière nouvelle (AFP de ce jour, le 25 mai 2024 à 22h18, mis à jour le 25 mai 2024 à 22h44) Macron se déclare dans un entretien au Journal Le Parisien, prêt « à aller au référendum » national sur la réforme du corps électoral, en remplacement du vote au Congrès. Pourquoi ne l’a-t-il pas dit à Nouméa ? Il vient de comprendre ce que l’Éveil océanien lui avait problement dit; et ce n’atait déjà pas un scoop...
Se souvient-il d’un sondage des Français en 2020 (?) où 60 % d’entre eux étaient favorables à l’indépendance ? Si ce referendum (éventuel) était perdu, ferait-t-il comme de Gaulle ?
Notes
[1] Voir, pour mieux comprendre, mes billets précédents sur Le Club de Médiapart, singulièrement le dernier du 23 mai. Ici, j’arrête (sauf exceptions) de citer les sources de mes râleries : le lecteur intéressé par la situation sur le Caillou a, maintenant que ça chauffe, toute la presse qui s’y intéresse, ce qui n’est pas le cas en temps normal.
[2] On a démonté le raisonnement fallacieux qui sous-tendait cette stratégie dans quelques billets précédents ; voir en particulier les trois du 1er février 2014. Rappelons (encore de la pub gratuite…) qu’il suffit de surfer sur le Net en tapant Patrick Castex ; on tombe vite sur tous ces billets (les derniers apparaissent en premier, les autres, plus anciens, suivent).
[3] Selon Darmanin, il s’agit d’une organisation « mafieuse, violente, [qui] commet des pillages, des meurtres [… et] n’est pas politique » ; plusieurs de ses leaders (dont son porte-voix Christian Tein) ont été assignés à résidence en Nouvelle-Calédonie après l’instauration de l’état de siège. « La CCAT n’a jamais appelé à piller les magasins » a toujours affirmé Tein dès le début des émeutes, tout en appelant à la mobilisation sur des barrages.
[4] Un officier coiffé du casque colonial aurait jadis dit : « Et fissa ! » (de l’arabe fī l-sāa, sur l’heure).
[5] Il va cependant plus loin que de parler d’émeutes ou de vandalisme ; il ne va pas évidemment parler de « Guerre de libération nationale » ; voir Pierre-Yves Chicot, professeur en droit public à l’Université des Antilles :
Pour préciser le poids des mots, Chicot est fort clair : « Le vocabulaire choisi par les uns et les autres est toujours très édifiant. À l’occasion de la guerre d’Algérie, on parlait des "évènements d’Algérie". À l’occasion de ce qui est en train de se passer aujourd’hui, on parle "d’émeutes". […] Les Kanaks considèrent que c’est une guerre de libération nationale, comme la Palestine considère que c’est une guerre de libération, contre Israël ».
[6] Combien faudra-t-il de prière à Sainte Rita pour qu’un accord aboutisse ?
[7] Je cite l’un des très nombreux articles de presse que le lecteur peut lire :
Ou :
[8] Voir :
Le FLNKS pose des conditions à Emmanuel Macron - La Voix du Caillou
[9] Voir et entendre :
Vieux centriste (après avoir hésité entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, il a choisi au début des années 1980 le second qui présida le premier gouvernement légal dirigé par un indépendantiste) ; Aïfa est l’un des seuls à avoir soutenu l’Indépendance-association de Pisani proposée en 1985.
[10] Mes lecteurs assidus comprendront ; voir Hegel et Marx…