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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 27 mai 2025

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Charlot Marx et Mickey Bakounine enquêtent sur les coLibs... ("Voyage" 2)

2 – Le Second congrès du POSDR, à Bruxelles et Londres, en 1903. Un autre coup d’épée dans l’eau au niveau politique où nos deux larrons ne pouvaient rien à la scission naissante entre "Majos" (Bolchéviques) et "Minos" (Menchéviques). Mais, cependant, de belles réussites érotiques pour Charlot (retrouvant enfin la fameuse Véra) et pour Mickey (avec une dénommée Klara : la coco Clara Zetkin)...

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Illustration 1

Ils firent un saut vers le 2e congrès du POSDR de 1903, en plein été – on ne sait pas s’il était froid et pluvieux ou sec et chaud – du 30 juillet au 23 août (traduit selon notre calendrier ; c’est moins important que pour la Révolution du 23 février 1917 en calendrier julien qui commença en fait le 8 mars en calendrier grégorien) à Bruxelles mais aussi à Londres (le congrès fut viré de Belgique) où les menchéviques (les minoritaires, dont Véra) et les bolchéviques (les majoritaires, dirigés par Lénine) commencèrent à s’écharper (commencèrent seulement[1]).

Charlot et Mickey voulaient tenter de mettre leur grain de sel, non pas pour changer le cours de l’histoire (c’était impossible, rappelons-le) mais juste pour emmerder le monde, en exposant que le mouvement des CoLibs était la seule voie pour la Révolution russe. Ils furent encore, ça devenait une habitude, pris pour des clowns ; et avec toujours entrées musclées.

Le programme du POSDR

Le programme qu’ils connaissaient par cœur avant qu’il ne fût exposé, était précis, minutieusement préparé par le canard du parti, L’Iskra (L’Étincelle) l’organe du POSDR dirigé d’une main de fer par Wladimir Oulianov dit Lénine depuis sa création en 1900, mais avec ceux qui allaient devenir menchéviques, Julius Martov et Gueorgui Plekhanov. Son but était le rassemblement des différents courants du mouvement ouvrier en Russie et la formation d’une plateforme commune. Il comprenait deux parties citées ci-après, avec mes commentaires : 1/ « un programme minimum, pour la révolution démocratique, le renversement du tsarisme, la République, la confiscation des latifundia, le droit à l’autodétermination des peuples, et la journée de travail de 8 heures ». La "Révolution en deux étapes" était déjà, de fait, en marche avec la confiscation des terres gardées par les propriétaires fonciers après la réforme de 1861 abolissant le servage (dans les latifundia, les très grandes propriétés) ; la revendication syndicale (taxée, voir plus loin, d’"économiste" sur la journée de travail (à l’époque, ça valait largement notre passage aux 35 heures par semaine !). 2/ « un programme maximum, le socialisme ».

Ce programme fut accepté avec peu de désaccords (mais combien de pinaillages pendant un mois, et de rapports pervers avec les diptères) sauf sur 3 points qui furent finalement tous approuvés : 1/ « Le droit des minorités nationales à utiliser leur langue » (approuvé à une très courte majorité). 2/ « Le droit du parti à prendre des mesures d’exception ». 3/ « La nécessité d’une dictature du prolétariat pour que la révolution socialiste puisse triompher ». Mickey, surtout, mais aussi Charlot (que le premier avait donc fini par faire renoncer à cette "DP" pour la remplacer par la "Punition démocratique", la "PD") toussèrent très fort quand ces deux derniers points furent évoqués et applaudis par la majorité du congrès.

Sur le deuxième point, Plekhanov, pourtant menchévique, stupéfia Mickey qui finit pourtant par accepter cette "PD", mais très courte) en affirmant : « Tout principe démocratique doit être considéré non pas en soi, abstraitement, […] le succès de la révolution est la loi suprême. Et si le succès de la révolution exige une limitation temporaire du fonctionnement de tel ou tel principe démocratique, il serait criminel de s’abstenir d’une telle limitation ». « Rien à en tirer de ce congrès, râla Mickey qui remarqua cependant que Plekhanov, n’était pas trop loin de la courte PD ; pourquoi même leur présenter nos principes des coLibs, même ces mous du genou de menchéviques n’y comprendront rien ! ». Charlot, toujours plus précis que son compère, ajouta : « Je dirais même plus : ils n’y comprendront rien du  tout ! ».

La tronche de Lénine et son programme d’organisation du parti ne plurent pas aux deux larrons

Ils virent pour la première fois Lénine (dont ils connaissaient évidemment tout) impressionnés par ce beau parleur qui avait cependant une tête qu’ils n’appréciaient que moyennement. Ce Lénine, dont l’avenir sera radieux, cependant cassé par sa mort en 2024, après avoir perdu la raison (il n’avait pas 54 ans) due à la syphilis[2], eut un rôle important dans la préparation de ce congrès, notamment en écrivant Que faire ? sous-titré Questions brûlantes de notre mouvement, écrit en 1901, et publié en 1902. Charlot et Mickey savaient tout de cet ouvrage qui avait pompé mot pour mot, point d’interrogation compris, le titre du vieux roman best-seller du révolutionnaire russe Nikolaï Tchernychevski (populiste, narodnik) qui avait marqué Mickey : juste le contraire de la ligne politique marxiste « dure » anti petite-bourgeoise de Lénine à l’époque.

Dans cet ouvrage, ce n’est pas une question d’alliance de classes (pour ou contre l’alliance avec les paysans russes, certes « petits-bourgeois » mais bien révolutionnaires) c’est une question d’organisation : la classe ouvrière ne deviendra pas, selon Lénine, spontanément révolutionnaire par des luttes économiques pour les salaires ou pour la réduction du temps de travail : il faut des « révolutionnaires professionnels ». Les deux compères jugèrent parfaitement inutile d’essayer de convaincre ce Lénine qui leur aurait rigolé au nez, même s’ils avaient décliné leur identité, en les traitant d’intellectuels petit-bourgeois singeant, sous couvert de marxisme, les conneries des anars. Ils renoncèrent de même, mais après avoir hésité, à titiller Léon Trotski (Lev Davidovitch Bronstein) menchévique à l’époque (mais qui s’alliera par la suite à Lénine) ; Trotski, pas du tout anar pour un sous, avait cependant des mots très durs contre l’ultra centralisme (qui sera plus tard nommé « centralisme démocratique ») et parla en 1904 (dans Nos tâches politiques) d’une « pitoyable caricature du jacobinisme » qui aboutirait à la domination d’un dictateur. Ils regrettèrent que Lou n’ait pas fait partie du voyage : elle qui fut blanquiste avant de devenir anarchiste, et en connaissait un rayon, beaucoup plus que Charlot et Mickey. Pourquoi ? Les partisans de Lénine furent souvent, ce n’était pas idiot (car Blanqui affirmait que la révolution ne pouvait être que le résultat d’un « coup de main » d’un petit groupe organisé) taxés de blanquistes. Ce courant politique tirant son nom d’Auguste Blanqui, socialiste français non marxiste, contemporain de nos deux larrons (quoique plus âgé) fut surnommé l’ « l’Enfermé » car il passa une grande partie de sa vie en prison ; ce qui est piquant, c’est qu’en 1880, il publia le journal Ni Dieu ni Maître dont le titre est devenu une référence pour le mouvement anarchiste ;  Marx le considérait  comme « la tête et le cœur du parti prolétaire en France ».

Bref, ce voyage fut en fait un nouveau coup d’épée dans l’eau ; mais pas pour tout le monde.

Et Charlot retrouve Véra ; mais pour se faire remonter les bretelles : comme une scène de ménage

Charlot demanda encore : « Où est Véra ? » (cependant sans utiliser le génie de Zweisteine : il ne la brancha pas). Et Mickey leva encore les yeux au ciel. « Je suis là, qui êtes-vous ? Pauvres énergumènes, vous perturbez ce congrès, fondamental, celui-ci. Nous vous avons admis par bonté, en fait surtout par vos arguments convaincants, continua Véra en toussotant, mais restez ; on me dit qu’après enquête rapide de nos services de sécurité, vous êtes probablement non pas qui vous prétendez être, c’est ridicule, mais des camarades, certes un peu provocateurs, qui semblent néanmoins bien connaître les sujets débattus ici ; et je vous recevrai aussi ce soir, pour tirer les choses au clair ». « C’est pas vrai ! ne me dites pas que ça recommencer », pensa Mickey.

Charlot fut aux anges, je suis sûr qu’elle se souvient de moi, l’une des principales règles de Zweisteine ne marche pas, mais son exception si ; je vais essayer. Commençons donc par le principal, au moins pour notre érotomane. Il retrouva Véra, accompagné de Mickey. Les discussions politiques, commencèrent. Charlot étonna Véra qui fit semblant de ne plus se rappeler du tout de sa lettre à Marx en 1881, pas plus que de la réponse, mais il savait que c’était effectivement le cas dans l’Histoire : pas un des camarades de Zassoulitch ne se souvenait non plus de cet échange épistolaire ! Curieux, non ? Il la titilla mais n’obtint aucun éclaircissement : elle était têtue. Elle lui raconta bien toutes les difficultés, dans l’Histoire, des futurs cocos de 1881-1883 à quinze ans plus tard, mais pas de quoi se bidonner ; on passe. Charlot les connaissait évidemment et testa avec Véra la formule magique exceptionnelle de Zweisteine (il la brancha) ; c’était de l’or, bien qu’un peu gênant pour Charlot !

« Alors comme ça, tenta Charlot, après notre merveilleux après-midi de 1877, mi-politique (une alouette) mi-érotique (un cheval) tu es parti voir mon fils… ». « Salaud ! ordure ! le coupa Véra [voir Freud sur "le coupa"], ton fils dit "naturel" qui était naturellement ton fils, le petit Freddy que tu renias toutefois, comme une véritable crapule que tu fus alors, ton fils qui fut adopté et élevé, mais de très loin, grâce au fric de ton ami Freddy (qui en fut peut-être aussi le père, qui sait)… ». « Non, répondit Charlot, c’était bien moi son père… ». « Alors, pourquoi l’avoir rejeté, salaud ! Il te ressemble comme deux gouttes d’eau ; c’est parce qu’il te ressemblait en tout que je fus longtemps son amante, avant de t’avoir connu et bien après ; c’était un bien meilleur amant, malgré tes grands talents au lit, car, lui, était doux et ne philosophait pas en faisant l’amour… ». « Moi non plus… ». « Tu parles ! demande à ton Zweisteine : tes conneries d’érotisation de la dialectique de Hegel, le au-dessus ou au-dessous de la dialectique verticale, ou la position du missionnaire versus le 69, ta fameuse dialectique horizontale chère aux anarchistes que tu venais de découvrir, je les connais depuis quelques secondes ! Pas connes tes conneries philosophico-érotiques, mais moi qui croyais que seuls ton corps et ton amour s’exprimaient, il fallut que tu "théorisât" pour te rassurer, allez savoir pourquoi) alors que pour moi, tout baignait – pas besoin de Hegel et de sa dialectique renversée de tous les côtés : en haut, en bas, à droite, à gauche… : tu devrais en parler à Sigmund ».

Elle s’interrompit pour reprendre son souffle ; Charlot restait de marbre, mais le gris tournait vers le rouge ; il confessa cependant, « Tu as raison, ce rejet de mon fils dit naturel fut l’une de mes plus effroyables crapuleries, les autres, politiques, ne furent que des broutilles ; et il m’est impossible d’aller m’excuser auprès de ce malheureux petit Freddy que je me mis à adorer[3], celui que tu as connu ; dans la vraie vie, je n’y suis pas arrivé et je le regrette ». Il continua, pensant reprendre quelques points : « Et tu as fait aussi l’amour avec le grand frère de Wladimir Oulianov, Alexandre, sans l’empêcher de mener jusqu’à un quasi-suicide, ses velléités terroristes qui le conduisirent à son exécution ! Et tu fricotas avec Lénine, heureusement sans accepter ses avances ; il en serait mort, lui aussi, bouffeuse de mecs ! ». « J’aime les grands hommes, tous les hommes, même les petits, répondit calmement Véra, je ne suis pas comme toi qui n’a sans doute pas baisé, après ton mariage avec ta princesse prussienne Jenny von Westphalen, sauf, je retourne encore le couteau dans la plaie, avec Lenchen ; petit baiseur, va ! ». » « Je te rappelle, Véra, que nous fûmes amant… ». « Oui, mais seulement dans la première uchronie, s’énerva-elle, pas dans ta vraie vie ! ».

Véra poursuivit toujours fermement mais plus calmement : « Je me suis même demandé si, toi et le grand Freddy ne marchaient pas à la voile et à la vapeur ; je viens de découvrir, grâce à ton Zweisteine, que ce ne fut pas le cas, malgré les insinuations discrètes de Françoise Giroud dans son superbe bouquin, Jenny Marx ou La femme du diable. Mais je suis convaincu que vous ne pensiez qu’à ça ; je vois d’ici vos galipettes, avec, naturellement, des références à celles que vous rendriez infinies de la dialectique hégelienne, pour vous déculpabiliser ; comme s’il fallait se déculpabiliser quand on est homo ! Impossible de le savoir car on peut voir autour de ton crâne, planté comme la couronne d’épines de Jésus avant sa crucifixion, une couronne de cadenas tellement verrouillés que même le génie de Zweisteine n’y peut rien. Il ne reste que Freud ; je me répète : tu devrais aller voir ! ».

Mickey ayant été présent à toute la scène, était atterré, et Charlot vira au rouge foncé ; bien que très pressé de tenir Véra encore des milliers de fois dans ses bras, il proposa de changer de conversation et d’aborder la politique. Véra fut donc la seule qui discuta profondément avec eux du mouvement des coLibs ; elle le connaissait parfaitement (au moins pendant son entrevue avec nos deux compères, toujours grâce à Zweisteine ; mais elle l’oublia bien entendu ensuite). Son parcours politique synthétisait en fait, quoique de façon très désordonnée, celui du couple Mickey-Charlot : elle fut d’abord révolutionnaire violente (un peu comme Bakounine, mais qui devint Mickey en se rapprochant de Marx et contribua à ce qu’il devienne Charlot…) puis participa à la fondation de ce qui deviendra le POSDR (influencé donc par Marx, avant qu’il ne devienne Charlot…).

La même conversation reprit au 2e congrès de 1903 ; et il n’y a rien à rajouter[4]. Mickey et Charlot ne voyagèrent ainsi pas dans le temps pour importuner Lénine en 1907 : ils étaient sûrs que ce dernier, malin s’il est fût, nierait à la fois son erreur avant 1907 puis ensuite son autocritique voilée.

Mickey et Clara Zetkin ; mais pas de cours de marxisme…

À la fin de cette conversation politique, Véra proposa à Mickey de lui présenter une presque russe, l’Allemande Clara Zetkin née Clara Eißner qui épousa le Russe Ossip Zetkin ; dans l’Histoire, elle n’était pas là, mais qu’importe ! Mickey courut la rencontrer et, utilisant encore la formule magique (il la brancha) ils parcourent ensemble l’Histoire ? Clara, déjà d’extrême gauche au sein de la social-démocratie allemande, et l’une des principales féministes révolutionnaires de l’Histoire, apprit alors qu’elle participerait, à la fin de la Première Guerre mondiale, à la Ligue spartakiste à Berlin. Ce courant donna naissance, pendant la très courte Révolution allemande de 1918-1919, au Parti communiste d’Allemagne, le KPD (Kommunistische Partei Deutschlands) dont Clara Zetkin fut députée au Reichstag durant la république de Weimar, de 1920 à 1933, avant de se tirer en Russie soviétique pour éviter les persécution nazies ; elle en fut même une fois la présidente en tant que doyenne. Mickey exigea même qu’elle se rende en France au congrès de Tours de 1920 pour qu’il puisse y entendre son discours, car il promit qu’il y serait aussi, rien que pour elle. Elle y alla en effet dans l’Histoire, peut-être pas selon le scénario de Mickey, à ce 18e congrès de la SFIO (la Section française de l’Internationale ouvrière) où se produisit la scission entre la majorité décidant de se rallier à la IIIe Internationale communiste qui vit naître la SFIC, (la Section française de l’Internationale communiste) le futur PCF ; Mickey était convaincu qu’elle ne s’y rendit que grâce à son injonction ! « Je t’y retrouverai, ajouta-t-il, et on aura encore beaucoup de choses à se dire ». Mickey lui proposa pour tout de suite, quelques belles nuits d’amour qu’elle accepta immédiatement ; ses forces déjà de Titan furent au reste décuplées, grâce à Zweisteine. Avant de se séparer, il apprit à Clara qu’au congrès de Tours, la motion d’adhésion « sans réserve » au Komintern (l’Internationale communiste) fut adoptée par 69 % des voix.

Enfin seuls, Véra et Charlot se re-connurent

Pendant ce temps, Véra prit Charlot par le bras et ils se rendirent, avec la plus grande discrétion, dans sa chambre. Véra avait pris de l’âge mais était devenue plus belle, pas seulement aguichante et avec, probablement, les mêmes talents cachés qu’il connaissait ; je t’aime, tu sais, lui dit-elle, (mais tu n’es pas le seul, tu le sais aussi) et je ne croyais pas tout ce que je t’ai dit au début de notre rencontre ici. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre un long moment ; le génie de Zweisteine lui permit, comme à Mickey avec Clara, de rendre de vibrants et multiples hommages à Véra plusieurs jours et nuits de suite et ils ne dirent plus un seul mot, ni des vertus des coLibs, ni de leurs autres conversation politiques de l’après-midi : elle préférait de beaucoup ses positions amoureuses à ses positions politiques, qui, malheureusement pour elle, n’était plus celles de son ancien acolyte Freddy ; elle avait renoncé depuis longtemps à ce qui s’apparentait à l’anarchisme, tant dans sa phase terroriste que dans celle, plus mesurée, du populisme narodnik.

Rapports pervers avec les diptères, ce congrès

Mickey et Charlot restèrent ainsi très longtemps à Bruxelles et à Londres ; ça tombait bien, car ce congrès dura aussi bien longtemps, environ un mois, avec un nombre considérable d’empaillages, souvent pour des broutilles avec des textes et contre-textes où seules les virgules changeaient. Un exemple qui choqua au reste Charlot et Mickey, simplement sur la question organisationnelle et juste sur la condition d’adhésion au parti : le menchévique Martov dit qu’ « un membre du POSDR est quelqu’un qui accepte le programme du parti, le soutient financièrement, et lui apporte une aide personnelle régulière sous la direction d’une de ses organisations » ; le bolchévique Lénine dit qu’ « un membre du POSDR est quelqu'un qui accepte son programme et soutient le parti à la fois financièrement et en participant à une de ses   organisations ». Rapports pervers avec les diptères, en plus clair véritable enculage de mouches ; même si le pinaillage est possible : parti « souple […] de toute la classe (ouvrière) Martov proposant discrètement que chaque organisation de base du parti ait un certain pouvoir ; versus parti « d’avant-garde […] parti de révolutionnaires professionnels », Lénine pour qui le pouvoir revient au parti lui-même et non aux organisations de base. Sacrés diptères...

Nos deux larrons prirent le vol retour se disant qu’heureusement, il n’y avait pas que la politique.

Notes

[1] On a pris ici quelques libertés avec l’Histoire, par exemple Véra n’y était pas physiquement présente ; et sont mentionnées (avec les dates) des événements et des positions politiques antérieurs (singulièrement l’ouvrage de Lénine, Que faire ?) et des débats ultérieurs entre les mêmes protagonistes et d’autres.

[2] Où Lénine, peu connu comme baiseur acharné, avait-il choppé cette grave maladie vénérienne ? Les historiens restent d’une discrétion de violette...

[3] Dans la première uchronie, le petit Freddy, très mal connu dans l’Histoire, fut un révolutionnaire nationaliste irlandais.

[4] C’est Véra qui expliqua tout, évidement dans l’uchronie-tome 1, à Volodia-Lénine sur la nature du développement capitaliste en Russie, singulièrement sur le caractère particulier de ses structures agraires, sur la question dudit second servage (analyse proposée, sur le tard, par Marx et Engels). Quelques mots seulement reprenant ce tome 1  : « Pas plus de second servage que de manque de vodka chez les Koulaks, prétendit Véra : de l’Est de l’Elbe en Allemagne jusqu’à chez nous, et singulièrement en Ukraine, mais aussi dans toute l’Europe centrale et orientale, il y eut d’abord une libération du servage, mais qui se freina, car les propriétaires fonciers avaient compris qu’en exportant leurs blés ils s’en feraient plus (de blé) qu’en transformant la corvée en rente en nature puis en argent ; [comme dans la vulgate marxienne qui affirmait qu’en Europe occidentale, à l’Ouest, la libération du servage fut linéaire, et sur un temps très long, passant progressivement de « la corvée, la rente en travail, à la  rente en nature et, enfin, à la rente en agent ». On en causa encore bien longtemps, de cette Europe de l’Ouest et de cette Europe de l’Est…, ajouts de PC ]. « C’est donc tout simplement une transition capitaliste, continua Véra, certes bien particulière (et qui a trompé Charlot et Freddy) poursuivit Volodia, une transition certes lente, à partir de la domination du mode de production féodal, mais pas un retour en arrière. J’avais envie de l’appeler ″voie ukrainienne″ de transition capitaliste, car c’est surtout chez nous qu’elle a explosé ; mais elle a commencé en Prusse au XVIe siècle (je me suis renseigné) et s’est particulièrement développée au XVIIIe siècle. Je remarque d’ailleurs que les régimes un peu centralisés, seraient-ils du despotisme éclairé comme disait Voltaire, vont très bien avec ce type de transition où, en Prusse, les "Junkers" tenaient toutes les rênes économiques et politiques. Chez nous, c’est pareil ! ». Ces Junkers, en Allemagne à l’est de l’Elbe, singulièrement en Prusse, étaient des seigneurs propriétaires fonciers à l’origine féodaux mais ayant suivi la même voie que celle décrite par Volodia-Lénine. Le narrateur vient d’apprendre que cette appellation est dérivée du haut allemand Juncherre de Jung Herr, jeune seigneur, c’est-à-dire le fils d’un seigneur terrien.

« On peut l’appeler la "voie prussienne", fit remarquer Véra ; Charlot en sera ravi dans sa tombe ! ». « Oui, bonne blague à la fois aux Allemands et à nos tsars, surtout à Alexandre II qui a bien dopé cette voie en abolissant le servage en 1861 ; tu te rends compte que ça fait plus de trente ans et… ». Véra l’interrompit : « Et ça n’a pas empêché le mouvement paysan de continuer à réclamer la terre, toute la terre et pas que les petits lopins de merde qu’ils avaient dû racheter, et fort cher, lors de cette réforme agraire bidon. Tu ne trouves pas qu’on est un peu faiblard sur cette revendication : on l’affirme, mais on ne fait pas grand-chose dans les campagnes ; on laisse un boulevard à ce qui reste de narodniki (qui vont se dire plus tard "Socialises-révolutionnaires") bien plus radicaux et plus efficaces que nous avec les paysans. Je me demande s’il n’y a pas un peu trop de communisme et pas assez de libertaires chez les coLibs ! Moi qui ai d’abord été anarchiste terroriste puis pour le partage noir, je pense qu’il faut aller plus loin, bordel ! ».

« Tu as raison, répondit Volodia ; mais c’est ma faute : j’ai surestimé jusqu’il y a peu le développement capitaliste par la "différenciation" de la "paysannerie moyenne" en "paysans riches", nos Koulaks, et "paysans pauvres" en voie de prolétarisation ; j’ai également surestimé la rapidité du passage au capitalisme par la "voie prussienne" ». « Mais, heureusement, on a corrigé tout ça, grâce aux coLibs. Toutefois, tu as raison : il faut aller plus loin si l’on ne veut pas se faire doubler par les narodniki du canal historique comme  ils  disent ! ».

Lénine mit en fait beaucoup plus de temps dans l’Histoire que dans  l’uchronie ! Lors de la Révolution russe ratée de 1905, le POSDR, malgré le point 1/ de son programme de 1903 (voir plus haut) : « 1/ un programme minimum, pour la révolution démocratique… ». Lénine n’avait encore rien compris ; il ne prit conscience que plus tard, en 1907, que le rôle de cette paysannerie considérée dans sa totalité (sauf les "paysans pauvres en voie de prolétarisation") comme « petite-bourgeoise », était déterminant pour abattre le tsarisme.

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