«Une révolte?» «Non, sire, une révolution!». En océanographie, cela s'appelle une «remontée d'eau» (upwelling en anglais). La métaphore est séduisante et qualifiante, concernant l'actuelle situation politico-sociale de la France. Lorsque de forts vents marins poussent les eaux de surface, un vide se crée qui permet aux eaux de fond de remonter, chargées d'une grande quantité de nutriments.
On l'aura compris, la puissante mobilisation contre la «contre-réforme» des retraites permet la remontée à l'air libre des aspirations républicaines, sociales, démocratiques, égalitaires et solidaires de notre peuple, forgées dans son Histoire depuis 1789 et qui constituent en quelque sorte son génome historico-politique.
Lorsque la révolte passe du stade de la contingence à celui de la nécessité, c'est d'une révolution qu'il s'agit, à tout le moins copernicienne. Et c'est bien ce que nous vivons avec la confrontation violente entre la France des citoyens qui refuse une mutation génétique (politique, sociale, historique et culturelle) et un groupuscule «illégitime» au pouvoir qui tente de la lui imposer.
Expliquons-nous sur l'emploi du grave qualificatif «illégitime». «Mais il a été élu...», dit-on. Certes, mais le suffrage universel n'est pas un vulgaire jeu de Loto. Il donne évidemment à son vainqueur des droits, mais aussi des devoirs. Il ne constitue en aucun cas un chèque en blanc signé par le peuple sur le couvercle de la sacro-sainte urne.
«Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer», proclamait-il quatre mois avant d'être élu, comme le rappelle Serge Halimi dans le Monde diplomatique. Puis, un an après son élection, il enfonçait le clou du mensonge en évoquant l'éventuel report de ce droit: «Je ne le ferai pas (...) Ce n'est pas un engagement que j'ai pris devant les Français. Je n'ai donc pas de mandat pour faire cela», rappelle aussi Halimi.
Oui, s'il ne l'est pas dans la lettre, l'actuel pouvoir est devenu de facto illégitime dans l'esprit de notre démocratie républicaine.
Mais la question de l'âge de la cessation d'activité professionnelle n'est qu'un des éléments du parjure sarkozien, de son mépris du fait démocratique. La question est certes d'importance, mais n'est que l'arbre qui cache la forêt du tournant historique que l'histrion de Neuilly tente –aux ordres de la fraction la moins éclairée de la bourgeoisie– de faire prendre à notre pays au nom d'une idéologie bushiste que les étatsuniens ont renvoyée aux poubelles de l'Histoire.
«Hyper présidence», disent par euphémisme les «bonnes» âmes. Non, pouvoir personnel, autoritaire qui foule aux pieds les piliers de la démocratie que sont la Justice (affaire Bettencourt) et la Presse (contrôle et concentration des médias aux mains des «amis» de l'industrie et du Fouquet's, et barbouzeries quand ça ne marche pas ou plus).
En finir avec l'idéologie soixante-huitarde, comme il l'appelait de ses vœux? Non, en finir tout simplement avec la République Sociale, avec 36, avec les résolutions du Conseil National de la Résistance, nos héros des maquis anti-nazis, tout en invoquant de façon perverse, répétée et donc intrinsèquement injurieuse, la Résistance, les Guy Moquet et l'holocauste.
Oui, ce «président» est indigne du pays qu'il prétend diriger, de son peuple, de son Histoire. Les transfuges et les médiocres, autant d'hommes et femmes de paille qu'il a choisi pour mettre en application ses contre-réformes régressives, obéissent au doigt et à l'œil. Mais ils n'ont pas le choix. Leur peu d'envergure politique les rend inemployables dans un autre cabinet, y compris d'une droite un peu plus éclairée comme peuvent l'incarner un Villepin ou un Bayrou. Non, de Fillon à Kouchner, l'avenir politique des ces gens-là est étroitement lié à celui de leur petit maître et mentor. Ils ne peuvent naviguer qu'avec lui, ils couleront avec lui.
Le problème est à «gauche»
En juillet 2010, j'ai commis ici, au plus fort de l'affaire Bettencourt, un texte intitulé «Législatives anticipées?», estimant que c'était la voie dans laquelle devait s'engager la gauche sans attendre 2012 et 18 mois supplémentaires d'effondrement de la République. J'y soutenais que la réalité politique et sociale de la France était en parfaite inadéquation avec sa représentation parlementaire et qu'il convenait que l'opposition exigeat une dissolution de l'Assemblée nationale, selon une stratégie politique de rupture avec le pouvoir.
Dois-je préciser que ma naïveté n'allait pas jusqu'à envisager une acceptation d'une telle dissolution par Sarkozy, mais que cette stratégie avait le mérite de placer le pouvoir devant ses contradictions politiques, qui confinent à l'aporie. Comment aurait-il pu justifier de son refus d'une dissolution que rend possible notre constitution (cf le précédent de Chirac et Villepin)? Je ne suis pas un inconditionnel des sondages d'opinion, mais tous convergent pour dire la condamnation par une large majorité , des turpitudes, «affaires» et en général mal-gouvernance de la fraction, pour ne pas dire faction, au pouvoir.
Exceptées quelques personnalités (et le MRG), l'idée de dissolution est restée lettre morte dans l'opposition de gauche, du PS au NPA.
Evidemment, depuis juillet, la situation catastrophique de la France n'a fait que croître et enlaidir. Et la «gauche» n'en peut mais !
Ne pouvant détacher ses yeux du calendrier électoral (des cantonales de 2011 aux présidentielles et législatives de 2012), hormis ici et là quelques déclarations verbales plus morales que politiques pour fustiger la clique qui nous dirige, ainsi que l'apparition théâtrale de quelques dirigeants dans les manifestations de masse, elle regarde et attend. Convenons qu'à tout le moins, elle ne remplit pas son rôle, désespère Billancourt et le peuple en quête d'un encadrement politique à son action rebelle et revendicative, et contribue largement du même coup à maintenir au pouvoir, au-delà du supportable, cette droite extrême.
Elle se défend de prendre la moindre initiative politique de rupture avec ce pouvoir qui a dépassé toutes les bornes (depuis l'avènement de Ve République) de la bienséance républicaine et démocratique et qui flirte maintenant (provocations policières dans les manifs, cambriolages barbouzards, utilisation de services de police contre la liberté de la presse et des journalistes, mise au pas de la Justice) avec des pratiques d'un autre âge. Qui emploie des méthodes «fascistes», MM. Bertrand, Hortefeux et consorts ? Médiapart et quelques confrères qui font leur travail d'information courageusement et honnêtement ou vos sbires qui rodent la nuit équipés de passe-partout et les mains gantées pour ne pas laisser de traces, dans certaines salles de rédaction?
Oui, le problème central est à gauche. La droite, elle, aux ordres des puissances d'argent, ne fait que son sale boulot, mais son boulot tout de même. Elle est, en dépit de ses outrances, en accord avec elle-même.
Mais ladite «gauche», dont les dirigeants sont avant tout soucieux de leur propre objet et de leur avenir politique personnel, ne remplit pas son contrat. Et ne pas faire, à une droite aussi dure et rétrograde, ce pourquoi on a été désigné ou élu dans l'opposition, c'est en définitive trahir.
Votre idéal aujourd'hui, responsables du PS toutes tendances confondues, c'est vous mêmes. La lutte des places contre la lutte des classes... cette lutte des classes qui remonte du fond des océans avec tous ses nutriments politiques, culturels, syndicaux, libertaires, anti-autoritaires qui ont nourri notre peuple depuis le siècle des Lumières.
Alors il vous reste encore une chance, une toute petite, de justifier votre existence. Rompez ! Rompez unilatéralement avec ce pouvoir corrompu et corrupteur. Ne discutez plus, agissez. Ouvrez comme vous le demandent in fine les Français, avec leurs grèves et leurs manifs, une crise politique et institutionnelle profonde dont l'issue ne pourra être que l'effondrement de ce régime, sans attendre les urnes de 2012. Attendre, c'est reculer.
Faites ce que vous avez à faire, dites ce que vous avez à dire, écrivez ce que vous avez à écrire en prenant pour seul témoin ce peuple qui espère encore. Mais plus d'échanges pseudo-démocratiques, à l'Assemblée, au Sénat, dans toutes les institutions de la République, avec cette anti-France au pouvoir.
Les «conditions objectives», comme on dit en vulgate marxiste, sont réunies.
Battez le fer tant qu'il est chaud. Soyez réalistes, demandez l'impossible !