Les seules réactions publiées à ce jour sont celles -totalement irresponsables de syndicats de police (d'Alliance à l'UNSA) - qui en rajoutent, se gobergent du chef gravissime de mise en examen de ce jeune manifestant au casier judiciaire vierge et dont la vie -et celle de sa famille dont on ignore tout- est en passe d'être brisée pour s'être colleté en manif (à tort ou à raison, là n'est pas la question) avec un représentant harnaché, casqué et armé de la police.
"Tentative d'homicide", "lynchage", "casseur", "élément incontrôlé"..... La présomption d'innocence bafouée, simili-instruction à charge de cavalerie avec une procureure qui cultive le superlatif criminel à satiété et un avocat de la défense nantais, Me Alain Barrière, qui reste quasi-aphasique sur ce dossier hallucinant, éludant les légitimes question de la presse et se bornant à dire que "la famille est effondrée..." et que son jeune client se trouve plongé dans "une affaire qui est bien trop grande pour lui"
Le jeune "X" (on finira bien par connaitre son nom) croupit depuis 48 heures derrière les barreaux, isolé, sans soutien, perdu, déboussolé, avec comme seule perspective -à ce jour- de se voir privé de liberté pendant de longues années. Sa vie vient de basculer dans la tragédie et tout le monde à l'air de s'en foutre royalement, des acteurs de la mobilisation contre la loi travail et le 49.3 aux défenseurs traditionnels des Droits de l'homme (institutionnels ou privés), en passant par la gauche radicale, les syndicats, tous tétanisés par la fuite en avant d'un gouvernement social-libéral aux abois qui dans la grande tradition la plus droitière et réactionnaire ne trouve plus que la corporation policière, ses matraques et ses grenades, pour lui faire un rempart de ses uniformes et armes de robocop.
Pas une voix ne s'est (encore) élevée pour, à tout le moins, relever que le chef d'accusation est en totale disproportion avec les faits pour le moment établis et reprochés. On vient de revêtir "X" des oripeaux d'un meurtrier en puissance. Du délire judiciaire crypto-facho !
En l'absence pour le moment d'éléments et d'informations tangibles concernant ce qui s'est exactement passé à Nantes lors des affrontements du 3 Mai, osons ici une ébauche d'analyse avec les moyens du bord:
"X" a 18 ans et 9 mois. Il est en terminale et prépare un bac pro. Socialement parlant, il semble donc qu'il appartienne plus vraisemblablement à ce qu'on appelait la "classe ouvrière". Rares sont les jeunes bourgeois -petits, moyens ou grands-, qui terminent leurs études secondaires avec la perspective de mettre les mains dans le cambouis pour un salaire homéopathique.
Le jeune embastillé sait ce qui l'attend. Il n'aura que sa force de travail pour tout viatique dans l'existence. Sa force de travail au service de la sacro-sainte entreprise chère au coeur ennamouré du 1er ministre, avec un patron en passe -grâce à la loi travail et son adoption antidémocratique en force à l'assemblée- de faire encore plus la pluie et le beau temps dans sa boite que ne l'autorise encore pour le moment l'actuel code du travail.
Pas besoin, dans son cas d'aller à l'école du PC ou d'entrer dans une cellule du NPA ou une section du Front de gauche pour acquérir une conscience politique et comprendre -grâce aux fautes colossales, régressives et pour finir scélérates- d'une "gôche" de gouvernement qui a perdu son âme, oublié son histoire, renié ses valeurs, trahi celles et ceux qui l'ont élu sur la base d'un programme verbal et mensonger qui avait toutes les apparences du progressisme (discours du Bourget).
"X" a compris qu'au niveau de sa modeste personne, ce sont ses conditions de future vie professionnelles, donc de sa vie tout court, qui sont en question avec cette bride sur le cou laissée au patronat redevenu de droit divin, par cette loi refusée dans la rue et les enquêtes d'opinion par une large majorité du peuple.
Désormais politiquement conscientisé (appartient-il à un parti, syndicat, groupe, mouvement, on l'ignore encore), il participe donc naturellement aux manifs. Il a près de 19 ans, rappelons-le. Il a intériorisé comme des milliers de jeunes de son âge, la mort de Rémi Fraisse dans le Tarn (aucune poursuite contre le responsable gendarme de cet homicide ) et la grave blessure avec perte d'un oeil d'un jeune manifestant étudiant à Rennes, victime d'un tir ciblé de flashball (tentative d'homicide cette fois absolument qualifiée mais dont la justice à plusieurs vitesse n'a que faire...)
Notre lycéen nantais -à tort ou à raison mais c'est pour le moins compréhensible à son âge- n'a pas froid aux yeux et veut en découdre avec les uniformes casqués. Sans imaginer ce qui va judiciairement lui arriver, il connait les risques, les foudres de la répression s'il se fait prendre, mais il assume.
Notons que contrairement à toutes les images de 2005 pendant la "révolte" des banlieues où jamais il n'y a de contact direct et physique entre les manifestants et la police qui reçoit des projectiles de loin ou d'en haut "par destination", "X" va courageusement au contact, à la baston mode années 70. Faut-il ici rappeler les deux principaux "faits d'armes" du service d'ordre central de la Ligue communiste: 1971, le Palais des sports contre un meeting international fasciste (une centaine de policiers au tapis) et deux ans plus tard en 1973 contre un semblable meeting d'extrême-droite (encore une centaine de membres des forces de l'ordre blessés après des charges à la barre de fer et cocktails molotovs).....
Il n'y a jamais eu dans ces deux cas extrêmement violents des "inculpations" pour "tentative d'homicide volontaire" et pourtant les flics et la justice n'étaient pas tendres !
Où en sommes-nous en 2016 ? L'exécutif (Hollande, Valls, Cazeneuve) s'avère pire que l'ultra réactionnaire ministre de l'intérieur Raymond Marcellin de sinistre mémoire. Les manifestants sont criminalisés et tant mieux si cela tombe à bras raccourcis sur un jeune d'une classe modeste. Oui, ce chef honteux de mise en examen est une "mise en examen de classe".
Mais il y a peut-être pire dans cette affaire dont l'issue dépendra de la capacité de mobilisation que j'appelle de mes voeux, contre ce terrible et invraisemblable déni de justice: cette imbécillité majeure dont se targuent sans réfléchir un instant les syndicats de police qui s'en félicitent, ne peut que se retourner contre eux et en format XXL
Rappelez-vous vos 18, 19 et 20 ans. Quelle eut été votre réaction ? Cette mise en examen scélérate risque évidemment de constituer un fantastique cours accéléré de radicalisation pour des milliers de jeunes qui ne vont pas manquer à leur tour de passer à l'action. C'est le cycle infernal contestation-répression qui est re-enclenché. C'est le "libérez nos camarades" de 68, puis les années de poudre qui refont surface. C'est Léo Ferré:
"Comme une fille, la rue s'déshabille, les pavés s'entassent, et les flics qui passent, les prennent sur la gueule...."
Le pouvoir vient d'écrire un scénario catastrophe.
Il en va de l'existence même des traditionnels défenseurs de libertés de tous horizons et obédiences -partis, mouvements, syndicats, travailleurs, lycéens, étudiants-, de se mobiliser pour impulser immédiatement au niveau national un vaste et ardent mouvement de solidarité avec le petit Jean Valjean de Nantes.
Cet Etat -s'abritant derrière la menace terroriste des islamo-fascistes- devient un Etat policier aux ordres du lobby des hommes assermentés en armes et en uniformes. C'est fini et bien fini les relations bisounours avec la police au lendemain des horribles attentats contre Charlie et le Bataclan dont les auteurs assassins méritent la comparaison (cf Alain Badiou) avec la milice fasciste de Pétain et Darnand.
Exigeons la requalification de ce chef de mise en examen criminel contre le lycéen nantais dont il n'est en aucun cas prouvé qu'il s'est rendu coupable d'autre chose que d'avoir fait tomber le policier qui n'a souffert que de quelques points de suture.
Que cette préoccupation se manifeste et soit au coeur des défilés partout en France des 17 et 19 mai.
Patrick Gabriel