Surprenant: plus d'un millier de Libyens qui s'étaient mis en sécurité en Egypte, devant la contre-offensive des troupes de Kadhafi, sont rentrés au pays depuis 3 jours et ce mouvement de retour, au poste frontière de Sollum (Egypte), va en s'accentuant: c'est le constat fait par le chef de la mission humanitaire de l'ONG ACTED (Aide à la coopération technique et au développement), joint mercredi par téléphone.
Voici les deux questions que nous avons posées à Cyril Dupré:
Q: Vous dirigez la mission humanitaire d'ACTED en Libye, depuis près d'un mois. Quelle est la situation à la frontière Libyo-Egyptienne ?
R: Nous nous sommes mis en sécurité à Sollum, côté égyptien, depuis une semaine et nous retournons en Libye dans les heures qui viennent. Nous constatons depuis 3 à 4 jours, que le nombre de Libyens quittant leur pays pour l'Egypte va en diminuant. En revanche le mouvement inverse de retour va en s'accentuant. Plus d'un millier d'hommes, femmes et enfants, familles et marchands (628 personnes exactement mercredi, 400 la veille) ont repassé la frontière pour rentrer en Cyrénaïque.
Q: A Benghazi, avez-vous eu le sentiment que les insurgés, dans leur résistance armée au régime de Kadhafi, bénéficiaient d'un véritable commandement militaire ou politico-militaire, notamment en la "personne" du CNT (Conseil National de Transition), reconnu par la seule France comme seul représentant du peuple libyen ?
R: C'est très difficile à dire. La situation sur ce chapitre, était très chaotique. Nos interlocuteurs, pour la mise en place de notre aide humanitaire et qui se réunissent au "Conseil Révolutionnaire", changeaient tous les jours. Il m'est impossible de dire par qui est composé ce CNT ni quelles sont ses prérogatives.
Ce témoignage inquiétant concernant le CNT renvoie à son silence assourdissant, à sa non existence publique depuis la réception à l'Elysée d'une poignée de ses membres auto-proclamés.
Depuis le vote de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU, puis le début de l'intervention armée de la coalition occidentale, ce CNT brille par son absence des scènes libyenne et internationale: pas une déclaration, prise de position, appel, directive, ordre, recommandation... à la fois à ses troupes, mais aussi à l'adresse du reste du monde qui assiste, par médias interposés, à l'accélération de la guerre civile dans l'ancienne Cyrénaïque.
Et nous ne voyons, ni n'entendons personne dans les médias et dans la classe politique, poser au quai d'Orsay cette question cardinale. Cette interrogation qui en engendre bien d'autres, tant pour ceux qui défendent en ce moment leur vie, leur révolution et leur liberté les armes à la main, que pour nous, Français, qui nous sommes singularisés en proclamant en quelque sorte ce groupe de quasi inconnus, "gouvernement provisoire de la Libye démocratique" à qui Sarkozy disait vouloir envoyer un ambassadeur dont on ne parle plus non plus.
Première hypothèse: l'effacement de ce CNT souligne-t-il son caractère "ectoplasmique", en rien représentant authentique du peuple libyen, mais "alibi" sorti de la poche de BHL, pour justifier la tentative sarkozienne -toute inspirée par des considérations de politique intérieure avant Présidentielles- de se refaire une légitimité "droitdel'hommiste" de grand défenseur de la veuve et de l'orphelin en menant la "croisade"?
Seconde hypothèse: A-t-on (la coalition et la France en tête), intimé l'ordre à ce CNT ou ce qu'il en reste, de la mettre en veilleuse concernant la "révolution" (un mot dangereux et détesté par ceux qui s'approvisionnent en pétrole libyen), pour ne présenter dans l'option militaire mise en oeuvre, qu'une action humanitaire armée et non un soutien clair, net et précis à l'insurrection dont on craint qu'elle ne mette en danger nos intérêts égoïstes ?
En d'autres termes, y-a-t-il actuellement une direction politico-militaire dans le camp de la révolution libyenne, capable à la fois de commander les opérations armées contre les troupes de Kadhafi, mais aussi de tracer la route politique devant mener à la victoire ?
Tout porte à en douter.
Et ce doute est tout entier illustré par cette dernière et douloureuse question:
"Où est passée la +Révolution lybienne+ dont l'échec briserait le Printemps Arabe, porteur de toutes les espérances sociales et démocratiques, dans cette vaste et ultra-sensible région du monde " ?