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Billet de blog 8 août 2022

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"LES VALEURS DE LA REPUBLIQUE"

Nos hommes politiques ne cessent de mentionner "les valeurs de la République". Mais, le président Macron reçoit à Paris le prince héritier d'Arabie Saoudite après avoir reçu et décoré le maréchal égyptien Al Sissi. Des réceptions qui donnent la nausée. Où sont ces "valeurs de la République"

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"Les valeurs de la République"

C'est devenu aujourd'hui un leitmotiv, un slogan de nos hommes politiques, de toutes tendances, "les valeurs de la République".

On comprend que les excès du passé - conquêtes coloniales et massacres des indigènes , arrestations et transferts des Juifs vers Drancy et Auschwitz, pratiques de la torture en Algérie et en Cochinchine - sont des pages noires de notre passé qu'il convient de tourner, dans l'incapacité de pouvoir les oublier.

Mais, ces pages noires de notre histoire devraient inciter nos hommes politiques à observer plus d'humilité et cesser d'invoquer des valeurs qu'ils ne respectent pas. La liste est longue parmi eux de condamnés, d'inculpés, de poursuivis pour malversations, d'accusations diverses et de corruption ( Jacques Médecin, Jean de Broglie, Charles Pasqua, Hervé Gaymard, François de Rugy, Michel Mouillot, Henri Emmanuelli, Jean Tiberi, Jean-Noêl Guerini, Jérôme Cahuzac, Raymond Barre, Charles Hernu, Edouard Balladur, François Léotard, François Fillon, Nicolas Sarkozy , Jean-Pierre Destrade, Bertrand Boulin, Christian Nucci, Bernard Granié, Valery Giscard d'Estaing, Jean-Jacques Bridey, Richard Ferrand, Mustapha Laabid, Coralie Dubost,, et autres consorts..), sans mentionner ceux poursuivis pour agressions sexuelles. L'éthique, il est vrai, est souvent un paradoxe.

Aujourd'hui est accueilli à Paris avec tous les honneurs dû à un Chef d'Etat, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman. En mars 2015, alors ministre de la Défense, il entreprend d'envahir le Yémen, une guerre qualifiée de "génocide" par les Nations Unies: à ce jour, plus de 400 000 morts dont 85 000 enfants de moins de cinq ans; plus de 4 millions de réfugiés. En mars 2018, il fait assassiner, et son corps démembré plongé dans l'acide, un opposant politique, Jamal Kashoggi, alors journaliste du Washington Post, dans les locaux du Consulat Général d'Arabie Saoudite à Istanboul, alors que la fiancée de ce dernier l' attend à l'extérieur du Consulat. Les écoutes clandestines turques enregistrent cet assassinat qu'un rapport circonstancié accablant de la C.I.A. attribuera directement à Mohammed Ben Salman. C'est lui le commanditaire . C'est cet homme là que nous accueillons à Paris, sous le couvert de la crise ukrainienne, le prétexte fallacieux de chercher une issue à l'augmentation des prix du pétrole et du gaz dans l'intérêt du consommateur français et de son pouvoir d'achat. En réalité, l'Arabie Saoudite est le troisième budget militaire mondial et notre premier client en armement. peu importe que la France soit signataire du traité sur le Commerce des Armes entré en vigueur en décembre 2014 qui oblige ses signataires à ne pas vendre d'armes aux pays qui les utiliseraient en violation du droit humanitaire. Dans le seul premier trimestre 2022, ce sont 92 détenus exécutés à Riyad (dont 81 en une seule journée). Selon Duaa Dhairy, de l'organisation Human Rights, près de la moitié des exécutés n'avaient pas commis de crime majeur au regard des lois internationales. La moitié étaient de confession chiite, minorité discriminée et réprimée en Arabie Saoudite depuis l'exécution en 2016 du leader religieux cheikh Nimr Al-Nimr. Le président Macron avait rencontré le prince héritier saoudien en décembre 2021 dans la cadre de sa visite aux Emirats Arabes Unis (partie prenante aux côtés de l'Arabie Saoudite dans la guerre du Yémen) au cours duquel il avait annoncé la vente de 80 Rafale au prix de 17 milliards d'euros. Le groupe d'experts du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies avait, dans un rapport en date du 9 août 2019, demandé aux Etats de s'abstenir d fournir un soutien militaire quel qu'il soit aux parties en conflit au Yémen. Le site Disclose avait révélé en avril 2019 l'usage des armes françaises (Frégates F 3000, hélicoptères Cougar, avions Mirage 2000, Blindés Leclerc, artillerie Caesar, radar Cobra..) contre les populations civiles yéménites et la participation de corvettes françaises dans le blocus criminel du port d'Hodeïda.

Hier, c'était le putschiste autoproclamé maréchal, Abdel Fattah Al Sissi, qui était reçu à l'Elysée (décembre 2020). . Et le président Macron lui avait - en catimini, il est vrai - décerné la Grand-Croix de la Légion d'Honneur. L'Egypte est le quatrième client de la France en armement: 24 Rafales et deux porte-hélicoptères Mistral en 2015; 30 Rafales en mai 2021. L'officier, alors général, avait renversé en 2013 le président démocratiquement élu, Mohammed Morsi, personnage modéré issu du "printemps arabe" mouvement populaire qui renversa le dictateur Hosni Moubarak. Mohammed Morsi meurt en pleine audience en juin 2019, faute de soins. Al-Sissi met en oeuvre depuis lors une répression brutale contre protestataires, libéraux, intellectuels, artistes, avocats, journalistes. Plus de 2000 partisans islamistes sont assassinés. Ce sont des dizaines de milliers de détenus politiques incarcérés dans des conditions outrageantes, des centaines de "disparus". Le site Disclose a révélé en novembre 2021 que le soutien apporté au dictateur égyptien par une mission française du renseignement militaire (mission "Sirli") sous le couvert de la lutte contre le terrorisme avait permis aux forces égyptiennes de bombarder des trafiquants, des migrants et des opposants politiques avec de nombreuses victimes au sein des populations civiles.

Certes, le dictateur égyptien n'est pas le seul leader politique abjecte à être distingué dans l'Ordre de la Légion d'Honneur. La liste est longue de ces dirigeants immondes distingués par nos hommes politiques de tous bords, depuis le leader fasciste italien, Benedito Mussolini (1923) et le putchiste espagnol, le général Franco (1928). Il s'agit plutôt de l'Ordre du Déshonneur: le président Roumain, Nicolas Caeusescu; le dictateur tunisien Zine el Abidine Ben Ali, l'ami, de notre ministre de la Défense, Alliot Marie qui se proposait de lui envoyer des policiers français pour l'aider à mater la rébellion du "printemps arabe" ; le dictateur et trafiquant de drogue du Panama, Manuel Obrega; les deux dictateurs père et fils, Omar Bongo et Ali Bongo dont le patrimoine immobilier en France est estimé à 33 propriétés; le gouverneur de l'Etat de Rio de Janeiro, Sergio de Oliveira Cabral, aujourd'hui derrière les barreaux pour avoir détourné 61 millions d'euros etc...La liste donne la nausée. Mais ceux des hommes politiques français confrontés à la Justice dont la liste sommaire est sus-mentionnée ont pratiquement tous été distingués dans l'Ordre de la Légion d'Honneur.

Les "droits de l'Homme" dont la France s'estime le dépositaire , les "valeurs de la République" invoquées par nos hommes politiques, sont une poudre aux yeux. Alors jeune diplomate en poste en Argentine pendant les années de la dictature militaire (1977-1980), nous étions les témoins d'une répression terrible, de jeunes gens souvent adolescents kidnappés chez eux devant leurs familles par des forces armées et disparus à jamais. Paris ne réagissait pas même lorsqu'il s'agissait de jeunes français ou de double nationaux. Il avait fallu l'arrestation par des policiers argentins de deux religieuses françaises, les soeurs Alice Domont et Léonie Duquet, pour que le gouvernement français (Valery Giscard d'Estaing) , interpellé par la droite catholique en France, demande à l'ambassadeur de France une démarche en faveur de leur libération. Les corps des deux religieuses réapparaitront plus tard dans le rio de La Plata, jetés comme tant d'autres victimes depuis les aéronefs militaires argentins. Parallèlement, notre attaché militaire, le colonel Le Guen, s'efforçait de vendre nos missiles Exocet à la marine argentine, dont elle fera usage contre les forces britanniques lors de la guerre des Malouines. Allez lire la plaque en marbre gravée aujourd'hui à l'entrée de notre ambassade à Buenos-Aires en hommage aux victimes de la répression militaire: un morceau  de tartufferie.

Les ventes d'armes, lesquelles sont largement subventionnées, sont défendues par nos hommes politiques pour les emplois qu'elle procureraient. Nous sommes le troisième marchand de canons au monde; 8% des exportations mondiales. Il n'y a pas lieu d'être fiers de ce palmarès. Il dévoile en vérité chez nos hommes politiques cette vanité, cette mégalomanie absurdes de mesurer notre influence à l'aune de nos ventes d'armement . L'essentiel de notre influence dans le monde procèdent de notre culture et du respect des droits. En Chine, la France se dit et s'écrit comme "le pays de la loi" fà guo 法国. C'est ce crédit que nous perdons au fil des années.

Il serait temps que nos hommes politiques, eu égard à notre histoire et eu égard à la leur, et en référence à la diplomatie mise en oeuvre actuellement, s'abstiennent désormais de répéter ce mantra, "les valeurs de la République". On leur serait reconnaissants.

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