LA CHASSE ET LES TARTUFFES
Tous les rapports scientifiques recensent unanimement la disparition évaluée à un tiers des insectes en 20 ans en France, en Europe et aux Etats Unis et à plus du quart des oiseaux, deux phénomènes clairement liés que seuls nos tartuffes politiques feignent d'ignorer.
On se souvient de l'arrêté pris par le préfet des Alpes Maritimes, en date du 1er janvier 2019 et valable jusqu'au 31 décembre 2021, recommandant pour les perruches à collier l'élimination par tirs et si besoin par , je cite, "les animaux capturés seront euthanasiés par choc crânien" qui avait fait l'objet d'une page entière dans le quotidien régional NiceMatin du 18 octobre 2021, décision unilatérale, prise hors de toute considération scientifique (une espèce qui, je cite, "est susceptible de porter atteinte à la petite faune aviaire")... "Susceptible"....je n'ai pas vu une seule de ces perruches alors que je parcours régulièrement l'arrière pays dans lequel ma mère dispose d'une ferme (100 ha de bois et de forêts) C'est quoi l'euthanasie d'un oiseau par choc crânien? On les jette sur le béton? L'expression utilisée "euthanasie" est par ailleurs embarrassante; elle rappelle de sombres souvenirs.
Certains journaux régionaux ont rapporté dans le cadre d'articles teintés de compassion et de commisération le sort de la faune forestière victime des incendies qui ont ravagé des milliers d'hectares de bois et de forêts au cours de l'été 2022, en omettant de mentionner l'ouverture de la chasse prévue le 11 septembre, une date qui avait même était avancée, au mois d'août, pour plusieurs départements (Moselle, Haut Rhin, Bas Rhin..).Il y a eu tout de même au cours de cet été quelque 65 000 ha de forêts détruits par le feu. Mais la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage déclarait que "la reproduction n'a jamais été aussi bonne en trente ans"! Le prince Albert de Monaco était allé ce même 11 septembre à Peille poser la première pierre d'un refuge pour "animaux en souffrance" . De qui se moque t-on?
La diminution de moitié du coût du permis de chasse décidée par le président Macron en 2018 (dans le dos de son ministre de l'Ecologie d'alors, Nicolas Hulot), désormais fixé à 200 euros, avait conduit en quatre ans à multiplier par quatre le nombre de licenciés - chasseurs, de 100 000 à 450 000. Michèle Durieux, présidente du Collectif animalier 06 informe: "La chasse tue chaque année 220 000 merles noirs". Vous vous souvenez du poème de Théophile Gautier que nous récitions inocemment à l'école primaire:
"Un oiseau siffle dans les branches
Et sautille gai, plein d'espoir,
Sur les herbes, de givre blanches
En bottes jaunes, en frac noir
C'est un merle, chanteur crédule,
Ignorant du calendrier
Qui rêve soleil, et module
L'hymne d'avril en février".
Chez moi, dans la ferme familial des Alpes de Haute Provence, il n'y a même plus de corbeaux après l'ouverture de la chasse. Ils sont abattus parce qu'ils auraient l'audace de prévenir le gibier de l'arrivée des chasseurs et de leurs chiens. Même chose des renards dont le préfet du Var, Evence Richard, vient de décréter par arrêté l'abattage en raison du soi-disant "risque pour la santé et la sécurité publique" (allusion à l'échinococcose alvéolaire qui n'est pas une menace pour l'homme et qui est transmise par les chiens) alors qu'en réalité cet arrêté répond à une demande des chasseurs. Le renard leur fait "concurrence" en prélevant du gibier élevé au grain et relâché à l'ouverture de la chasse pour être aisément tiré "comme au ball trap" selon l'expression utilisée par Brigitte Bardot dans sa lettre de protestation adressée au préfet le 13 septembre 2022. En pure perte. Le préfet comme tout haut fonctionnaire nage dans le sens du courant du pouvoir. C'est à lui qu'il doit sa carrière.
Le quotidien Le Monde dans son édition du 23 août 2022 (journaliste Adonis Leroyer) révèlait que les subventions publiques versées à la Fédération Nationale des Chasseurs étaient passées de 27 000 euros en 2017, à 6,3 millions d'euros en 2020 et à 11,46 millions d'euros en 2021, soit une augmentation en quatre ans de + 42 450 %!
Je serais curieux de savoir si la Ligue de Protection des Oiseaux qui fait un travail excellent sous l'autorité et le dynamisme de son fondateur, Alain Dugrain Dubourg, a été distinguée dans cette manne. La Fédération allègue que des missions dans le domaine de l'écologie lui ont été confiées par le ministère de la Transition Ecologique. On se demande désormais à quoi sert l'Office français de la Biodiversité? Quant aux gardes-chasse, ils sont chaque fois plus employés et payés par les sociétés de chasse et terminent généralement leur carrière au sein des fédérations départementales des chasseurs. L'un d'entre eux m'informait que le code de procédure pénale lui interdisait de contrôler les carniers (poche à gibier des chasseurs) sauf si le règlement de l'association de chasse l'y autorisait!
La Fédération nationale des chasseurs, main à la main avec le ministère de la Transition écologique, a lancé fin 2023 une " expérimentation" qui autorise les chasseurs de cinq départements à capturer des alouettes des champs, des vanneaux huppés et des pluviers dorés, à l'aide de filets et de cage dans le but d'évaluer le caractère sélectif de ces piégeages que le Conseil d'Etat avait pourtant suspendus l'année précédente en raison de leur non-conformité avec les règles européennes. Le secrétariat d'Etat à la biodiversité, rapporté par le quotidien Le Monde en date du 13 octobre 2023 (article de Perrine Mouterde "Chasses traditionnelles: une expérimentation contestée"), estime apporter ainsi à la haute juridiction administrative française "les données nécessaires concernant la proportion des prises accessoires" et "l'effet de la capture sur la santé des oiseaux d'espèces non-ciblés". Dans le détail, est autorisée la capture de 6000 alouettes des champs à l'aide de pantes (filets horizontaux) ou de matoles ( cages tombantes) en Gironde, dans les Pyrénnées-Atlantiques, dans les Landes, en Lot-et-Garonne et dans les Ardennes. Cette "expérimentation" n'associe aucun des organismes spécialisés dans la protection des oiseaux: la Ligue pour la protection des oiseaux fondée et animée par Alain Bougrain-Dubourg qui fait un travail remarquable, le Muséum national d'histoire naturelle , l'Union internationale pour la conservation de la nature. L'alouette des champs est symbolique du déclin du nombre d'oiseaux communs en terres agricoles. Victime notamment des pesticides, elle aurait perdu plus de 20% de sa population en France au cours de ces 15 dernières années."Pour l'avoir vécu dans les landes, observe le président de la LPO, Alain Bougrain-Dubourg, on trouvait dans les matoles une multitude d'espèces protégées. Il était évident que ce n'était pas sélectif". Mais l'évidence ne s'impose pas à nos autorités politiques. L'"expérimentation" n'est pas confiée à l'Office français de la biodiversité mais repose sur les déclarations de chasseurs eux-mêmes puisque l'ampleur du pèrimètre géographique définit en toute complicité par le gouvernement avec la Fédération nationale des chasseurs ne permet pas à l'Office compte-tenu du nombre de ses agents de procéder à des contrôles rigoureux.
Catherine Le Troquier maire de Valaire en Loir et Cher avait pris en septembre 2020 un arrêté municipal interdisant, sur sa commune, la vénerie sous terre du blaireau. Saisi par la préfecture du Loir et Cher, c'est-à-dire l’Etat, le tribunal administratif d’Orléans avait suspendu la mesure au prétexte que les maires n’ont pas ce pouvoir de police en matière de chasse. Egalement appelée « déterrage », la vénerie sous terre est une technique de chasse à courre consistant, pour ce qui est du blaireau, à lancer un chien dans son terrier. La proie va alors fuir dans ses galeries avant d’être acculée par son poursuivant. Les chasseurs s’arment de pelles pour creuser une cheminée – de plusieurs mètres de profondeur parfois – puis extraient le blaireau à l’aide d’une pince, spécialement conçue pour cela. Il est ensuite tué avec une carabine, quand il n’est pas jeté vivant aux chiens. Il suffit qu’un agriculteur appelle la Fédération Départementale des chasseurs ou que celle-ci intervienne, le maître d’équipage décide lui-même du nombre de blaireaux à tuer dans un terrier. Des chasseurs veneurs à la fois juge et partie.
La France est le dernier pays en Europe à autoriser la chasse à courre (cerf, chevreuil, sanglier). L’Allemagne l’a interdite cette pratique obcène dès 1934. Symbole du pouvoir royal, ce qu’on appelle la vènerie était un privilège réservé à la noblesse. La République ne l’a pas entamée. Il y aurait plus de 350 équipages pour la chasse à courre de cerfs, chevreuils et sangliers. Je ne souhaite à personne d’assister à l’hallali d’un cerf, c’est sans doute la scène la plus odieuse qu’il m’ait été donnée d’assister alors gamin dans la propriété de mon grand-oncle Jean de Saint Céran dans son manoir de Préjeux, à Romorantin (en Sologne). Révoltant. Ecoeurant.Un trauma.
Chaque jour nous lisons dans la presse des informations qui confirment le soutien abject des dirigeants politiques à la chasse et aux chasseurs. Récemment (avril 2025), 750 koalas ont été abattus par des tireurs d'élite en hélicoptère en Australie sous le prétexte que l'incendie provoqué dans le parc national de Budj Bim, Etat de Victoria aurait causé chez ces animaux une «grande détresse», selon la ministre de l'Environnement de cet Etat, Penny Sharpe; "Nous avons pensé à leur bien-être" avait- elle cyniquement déclaré (cf l'article de Julie Bernichan dans Libération du 23 avril 2005: "Des koalas tués par hélicoptère en Australie"). Une initiative qualifiée de "tragédie écologique et culturelle en cours" selon l'Association Koala Alliance, interpelant les autorités sur le nombre de bébés Koalas occis dans la poche de leur mère. Les autorités australiennes sont coutumées du fait: l'année 2023 avait vu l'abattage par hélicoptère des "brumbies", ces chevaux sauvages que l'on trouve en Nouvelle Galle du sud. La raison invoquée était leur population croissante. Avant les chevaux, les cerfs furent victimes de ces procédés, notamment en Tasmanie, en 2022, avec le concours d'une société spécialisée utilisant l'imagerie thermique pour mieux trouver les animaux dans les zones reculées ou accidentés dans lesquelles leur présence ne gêne aucun humain.. En janvier 2025, c'est l'Alaska qui autorise l'élimination depuis des hélicoptères de 1075 ours et 35 loups au grand dam des associations d'animaux qui déplorent l'absence de preuves et de données scientifiques quant à une soi-disante "surpopulation". Alors conseiller de l'ambassade de France en Slovénie, j'avais été averti de l'arrivée de l'ex-président de la République, Valery Giscard d'Estaing et je m'étais enquis de son programme d'entretiens à Lubjana. Il venait uniquement se distraire: tirer sur les ours ayant appris que la Slovénie avait décidé l'abattage d'ours dans ses forêts afin d'en réduire sa population. Et m’intéressant un peu à sa biographie et interrogeant mes collègues au quai d’Orsay, je découvrais que lors de ses visites ministérielles (en tant que ministre des Finances) et présidentielles, il exigeait qu’une chasse lui soit proposée. Buffles, panthères, lions en République Centrafricaine, au Mozambique, au Sénégal, au Kenya (en 1971 et 1972), bison en Pologne ( septembre 78), mouflon au Tibet (octobre 1980). En janvier 1970, lors de la chasse que lui offrait les autorités roumaines, il se lamentait, coiffé de la traditionnelle catiula (toque d'astrakan), ne pas pouvoir tué un ours des Karpates, comme il l'avait d'abord espéré, car les chasseurs roumains respectaient en hiver l’hibernation de cet animal. Il avait alors mentionné auprès du président du Conseil roumain que lors de sa visite en Union soviétique en janvier 1964, la tanière avait été enfumée et l’animal avait été abattu par lui à sa sortie. Lors d'un voyage officiel en Malaisie à l'automne 1973, il avait exprimé le souhait de tuer un tigre.
Alors candidat à la présidence de la République, il écrivait le 10 mai 1974 à M. Jean-Paul Steiger et à la Fédération nationale des clubs de " jeunes amis des animaux et de la nature " : " La protection des animaux n'est pas pour moi un problème mineur. Elle s'inscrit, en effet, dans la ligne des efforts que nous devons mener pour sauvegarder notre milieu naturel, protéger la beauté et l'équilibre de ce pays, et améliorer ainsi la qualité et le cadre de notre vie. "
Dans son ouvrage,"Psychologie et politique", Madeleine Grawitz analyse la psychologie des hommes politiques, explorant comment leurs comportements sont influencés par des besoins de pouvoir et de domination tant dans leurs loisirs que dans leurs fonctions.La chasse est un loisir vicieux et l’attitude des dirigeants politique à son égard est faite de non-dits, de complicité et de tartufferie. Regardez,comment les opposants à la réintroduction de l’ours dans les Pyrénnées bénéficient, en dépit d’actes violents, d’une totale impunité de fait: des affaires « sans suite », dont l’incendie d’un véhicule de l’administration, des menaces sur agents de l’Etat, des agressions sur des militants associatifs, des ours abattus par des chasseurs ./
 
                 
             
            