Gérard Larcher, président du Sénat, a été qualifié récemment de « crapule » par l’eurodéputée Rima Hassan. Il a saisi immédiatement la Procureure de Paris et a porté plainte pour «diffamation et injure». On peut évidemment s’étonner d’un tel manque de respect à l’égard du troisième personnage de l’Etat dans l’ordre hiérarchique, après le président de la République et le premier Ministre.
Rima Hassan réagissait à des propos tenus par le président du Sénat le 11 avril au micro d’Europe 1 au cours desquels il observait que « les conditions n’étaient pas réunies pour aller plus loin dans la reconnaissance d’un Etat palestinien ». L’eurodéputée est de descendance palestinienne. Il est compréhensible, même si le jargon utilisé n’est pas acceptable entre élus, qu’elle soit particulièrement affectée par l’indifférence du président du Sénat à l’égard de la cause palestinienne, à un moment où la bande de Gaza fait l’objet d’une catastrophe humanitaire provoquée par les bombardements indiscriminés de l’aviation israélienne : plus de 25 000 enfants tués et autant de femmes assassinées. L’expression « pour aller plus loin » laissait entendre que la France avait déjà fait beaucoup, ce qui était une imposture.
Cent quarante six Etats ont reconnu de jure la Palestine à ce jour (28 mai 2025), dont, récemment l’Irlande, la Norvège et l’Espagne. Et dans la situation où se trouve actuelle la population palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, on comprend que Rima Hassan attendait du troisième personnage de l’Etat, un message de solidarité ou, à tout le moins de sympathie, à son égard dont Israël, depuis sa fondation en 1948, nie l’existence. Mais de là à qualifier de « crapule » Gérard Larcher, sénateur des Yvelines depuis 1986, président du Sénat depuis 2014, deux fois ministre du gouvernement (mars 2004-mai 2005) !
Dans la préface de son ouvrage « Bel-Ami », Guy de Maupassant note sur le personnage sans scrupule de son roman, Georges Duroy : « Voulant analyser une crapule, je l’ai développée dans un milieu digne d’elle, afin de donner plus de relief à ce personnage ». Quel serait, dans cette hypothèse, « le milieu digne » de Gérard Larcher ?
1/ Des émoluments qui donnent le vertige :
En tant que président du Sénat, Gérard Larcher perçoit une rémunération globale composée d’un salaire de base, d’indemnités, d’avantages en nature et des frais de fonction. Voici une synthèse détaillée (données 2023-2024) :
- Salaire de base
- Indemnité parlementaire:
Comme tous les sénateurs, il touche une indemnité brute mensuelle d’environ 7 100 € (5 820 € net après retenues). Mais, en tant que président, il perçoit une indemnité supplémentaire de 7591 € (6220 € nets) , portant sa rémunération totale à environ 14 691 € brut/mois (soit près de 12 040 € net). - Indemnité de représentation(non imposable):
- Indemnité parlementaire:
Montant mensuel : 6 293 € (depuis 2022, revalorisé annuellement). Exonérée d’impôt sur le revenu (car considérée comme un remboursement de frais professionnels).En 2002, un amendement voté au Sénat en interdit le contrôle par l’administration fiscale.
B.Avantages en nature
Logement de fonction :
Un appartement de prestige dans l’Hôtel du Petit Luxembourg (palais du Sénat), d’une superficie d’environ 200 m², mis à disposition gratuitement. Équivalent locatif estimé : 10 000 à 15 000 €/mois (valeur marchande à Paris).
- Personnel de maison, y compris un chef étoilé, sur lequel les informations ne sont pas divulguées.La dépense mensuelle est estimée à 20 000 euros.
- Voiture avec chauffeur: Une berline officielle blindée, avec chauffeur, pour ses déplacements professionnels.Coût non-divulgué.
- Agents de sécurité et policiersmis à disposition 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 (à un coût annuel estimé de 400 000 à 500 000 euros)
- Staff composé de 10 à 15 conseillers ou attachés (un coût annuel de l’ordre de 200 000 à 300 000 euros)
- Déplacements pris en charge: déplacement aériens en classe affaires, voyages illimités (en première classe) en TGV et Ouigou premium et passe Navigo intégral.
- Repas au restaurant du Sénat à prix réduits.
Comme tous les sénateurs, le président bénéficie de repas largement subventionnés par le Sénat . Selon le rapport de la Cour des Comptes (2019), le prix moyen d’un repas complet (entrée + plat + dessert) est entre 5 et 10 € (contre 25-40 € dans un restaurant parisien équivalent).Exemple concret (2023) : un déjeuner complet coûte environ 7,50 € à un sénateur.Le coût réel pour le Sénat (donc pour le contribuable) est estimé à 30-50 € par repas. La différence est subventionnée à 70-90%. Mais le Sénat ne comunique pas le montant global de cette subvention.
- Budget courtoisie pour des cadeaux, entre 30 000 et 50 000 euros par an.
- Frais de représentation: Une enveloppe annuelle pour les réceptions officielles (dont le montant n’est pas rendu public, mais estimé entre 600 000 et 800 000 euros).
Le total annuel de ces privilèges est évalué entre 2 et 2,7 millions d’euros par an.
En outre, dans le cadre de ses fonctions, Gérard Larcher, dispose d’un budget d’environ 2,5 millions d’euros par an, dotation dont il peut faire bénéficier les projets locaux de municipalités et d’associations. Ce n’est plus la « réserve parlementaire », à hauteur pour les sénateurs de 50 millions d’euros, laquelle peu contrôlée avait suscité scandales et polémiques et qui avait été abolie en 2017 lors du début de la première présidence Macron, dans le cadre des lois sur la transparence de la vie politique. Selon Mediapart ces financements témoignaient d’ une approche électoraliste et clientéliste (un tiers des aides étaient fléchées en faveur des Yvelines, le propre département d’élection de Gérard Larcher).Les projets financés sur cette dotation sont désormais publiés par le Sénat, depuis peu (2021). Mais, la «réserve parlementaire» est ressuscitée en décembre 2023, une renaissance présentée comme désormais mieux contrôlée et dont la ventilation serait rendue publique.
2/ Un cumul de 4 pensions de retraite :
Le montant total est estimé à 8000 euros brut. Contrairement aux salaires, les pensions de retraite des élus ne sont pas publiques. Gérard Larcher n’a pas publié, à ce jour, ses bulletins de pension.
Récapitulatif des Retraites de Gérard Larcher:
Sénat
Régime parlementaire
4 500 € (30 ans de mandat)
Mairie de Rambouillet
Caisse des Dépôts
2 000 € (maire de 1983 à 2004)
Médecine
CARMF/Agirc-Arrco
1 000 € (10 ans d’exercice, avant 1983)
Ministre (RAFPM)
Caisse des Dépôts
500 € (2004-2007, seules les primes cotisent)
Total estimé: 8 000 €
Depuis des années, Gérard Larcher défend le maintien des régimes spéciaux de retraite en faveur des sénateurs (comme des militaires et des policiers). Il défend les retraites des "actifs" (il a soutenu la réforme en 2023) mais protège les "acquis" (régimes spéciaux).
Son cas symbolise le fossé entre les multipensionnés (élus, professions libérales) et les salariés du privé. Il est légal (le cumul des retraites est autorisé), mais témoigne de disparités avec le régime général (un salarié moyen touche environ 1400 € par mois).
3/ «...afin de donner plus de relief à ce personnage», selon la formule de Guy de Maupassant:
-Le Tribunal de Grande Instance de Paris avait ouvert en décembre 2011 une information judiciaire pour faux et usage de faux à l’encontre de Gérard Larcher pour avoir bénéficié de trop-perçus d’indemnités. Le Parquet avait finalement classé l’affaire sans suite, faute de preuves suffisantes. Gérard Larcher a tout de même remboursé de lui-même en 2012 une partie des indemnités irrégulièrement reçues, environ 20 000 € (sur les 60 000 € en question);
-Le Sénat maintien un pécule qui double la retraite de ses administrateurs (50 à 100 hauts fonctionnaires éligibles). Aucun document officiel ne détaille ses modalités d’attribution issu de conventions internes. Le rapport de la Cour des Comptes mentionnait en 2021 «des avantages indemnitaires non-transparents». 50 à 80 millions d’euros seraient placés en fonds sécurisés et rapporteraient chaque année 2 à 2,5 million d’euros. Mais cette «rentabilité» n’est pas distinguée précisément dans le budget communiqué par le Sénat. Le budget 2023 indique seulement «produits financiers: 7,9 millions d’euros»;
-Gérard Larcher a présidé une amicale gaulliste créée pour administrer la cagnotte du groupe RPR au Sénat. L’argent de cette cagnotte provenait de fonds publics destinés à la rémunération des assistants et collaborateurs des sénateurs. Il était entendu, de 2009 à 2014, que les sommes non-utilisées pouvaient être versées au groupe parlementaire lequel se devait, par reconnaissance, rétrocéder un tiers des sommes aux sénateurs concernés (les fameuses «ristournes»). Mediapart avait consacré une enquête en 2017 à ce sujet («Les arrangements de Bruno Retailleau avec l’argent du Sénat», article de Mathilde Mathieu en date du 18 mars 2017). De 2003 à 2014, les sénateurs UMP (Républicains) ont ainsi touché des «étrennes», restées secrètes, style 13ème mois, à hauteur de 8000 €. Le marquis Henri de Raincourt, sénateur de l’Yonne de 1986 à 2009, alors ministre du gouvernement François Fillon (mandat Sarkozy) de juillet 2009 à mars 2011, touchait clandestinement 4000 € par mois, en sus de son salaire de ministre, depuis un compte HSBC parallèle du groupe UMP du Sénat, dont le trésorier , le sénateur Jean Claude Carle est mis en examen avec lui en décembre 2016 (voir l’article du Figaro en date du 15 décembre 2016 de Juliette Mickiewicz «Détournement de fonds au sénat: l’ex-ministre Henri de Raincourt mis en examen»);
-Gérard Larcher défend en 2024 l’instauration de 7 heures de travail non-rémunérés par an pour les salariés afin de réduire le déficit de la Sécurité Sociale. Elle serait censée rapporter 2,5 milliards d’euros. Il n’a pas proposé, comme le faisait remarquer la sénatrice du Pas-de-Calais , Cathy Apourceau-Poly, une « journée de solidarité des dividendes » pour faire contribuer les actionnaires. En mai 2025, le Sénat adopte une résolution afin d’écarter les associations d’aide aux étrangers et étrangères des centres de rétention administrative, où sont détenues les personnes que les autorités souhaitent éloigner du territoire français. À la place, il propose de déléguer leurs missions d’accompagnement à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). placé sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Autrement dit, à l’État. Ces associations (telles que La Cimade, France Terre d’Asile, Assfam) accompagnent les personnes enfermées en leur apportant une écoute, un réconfort, une aide juridique.
C’est, sans doute eu égard à ce «relief» inspiré de la formule de l’auteur de «Bel-Ami» que l’on pourrait s’interroger sur le qualificatif de « crapule» prononcée à l’encontre de Gérard Larcher, président du Sénat, par la député européenne Rima Hassan.
Ce qui est sûr c’est que ce genre d’insulte n’ a jamais été adressée au sénateur uruguayen José Mujica, décédé le 13 mai dernier à l’âge de 89 ans. Détenu et torturé par les militaires pendant 14 ans, il est sénateur pendant 15 ans, président du Sénat à deux reprises (2005, 2020) et élu président de l’Uruguay (2010-2015). Il versait 87% de son salaire en tant que sénateur à un programme de logement social, conservant pour lui-même l’équivalent du salaire moyen en Uruguay (environ 900 euros par mois). Il habitait la modeste fermette de son épouse, Lucia Topolansky, où il s’adonnait, à ses heures de loisirs, à la culture d’orchidées. Lors de la vague de froid que subit le pays en juin 2012, il inscrit immédiatement la résidence présidentielle qu’il n’occupait pas sur la liste des refuges pour les sans-abris. Il se rendait au Sénat conduisant lui-même sa Volkswagen Coccinelle de 23 ans d’âge, avec un policier à ses côtés. « Je ne vis pas pauvrement » disait-il, « je vis sobrement ».
Et, dignement.
Patrick Howlett-Martin (Conseiller des Affaires étrangères)