L’Enfant
Victor Hugo
Les soldats de Tsahal ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Gaza, jadis un champ d'oliviers, n’est plus qu’un sombre écueil,
Gaza, qu’ombrageaient les charmilles,
Gaza, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses mosquées, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux sombres, un enfant de Palestine, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux ténébreux
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur turbidité, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête moribonde,
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta frêle épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, noir comme tes yeux belliqueux,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant gazaoui, dit l’enfant aux yeux vitreux,
Je veux de la poudre et des balles.
8-10 juillet 1828
Victor Hugo, Les Orientales