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Billet de blog 26 mai 2025

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Une minute de silence pour 25 000 enfants tués et 17 000 orphelins... c'est trop?

Une enseignante est sanctionnée depuis le 31 mars dans un collège de Sens (département de l'Yonne, académie de Dijon) pour avoir observé, à la demande des élèves, une minute de silence en hommages aux enfants palestiniens tués et blessés à Gaza par les bombardements israéliens.

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Le 26 mars 2025, une professeure de physique-chimie du lycée Janot-Curie à Sens (Yonne) a organisé une minute de silence en hommage aux enfants victimes des bombardements à Gaza avec ses élèves de seconde (âge moyen des élèves 16 ans -17 ans). Elle a été immédiatement suspendue et fait l’objet d’une procédure disciplinaire Le rectorat de Dijon a considéré cette initiative comme "un manquement à l'obligation de neutralité des fonctionnaires". C’est à la demande des étudiants émus par les images transmises depuis Gaza par les medias que l’enseignante a organisé cette minute de silence après le terme de sa classe (la sonnerie avait retenti), informant à ses élèves que la participation à ce bref hommage était volontaire et que ceux qui souhaitaient sortir pouvaient le faire.

L'enseignante, qui a préféré rester anonyme, a exprimé ne pas regretter son geste, estimant que "c'est quelque chose qui aurait dû être fait par l'Éducation nationale depuis longtemps" . Elle a également souligné que cette action visait à répondre à l'émotion de ses élèves face à la situation à Gaza. Cette suspension a suscité des réactions provenant essentiellement de syndicats d’enseignants et d’associations d’étudiants. A l’exception du parti "La France Insoumise", le monde politique est resté coi. La ministre de l’Education, Elisabeth Borne, ancienne premier Ministre, s’est inscrite aux abonnés absents. 

A cette date, le chef de l’OCHA, le Bureau des Nations-Unies pour la Coordination de l’Aide Humanitaire,, Tom Fletcher,  déclarait à l’émission Radio 4 Today de la BBC que 14 000 bébés à Gaza pourraient mourir dans les prochaines 48 heures si les camions d’aide humanitaires n’atteignaient pas les communautés de l’enclave palestinienne. Israël bloque ou filtre au compte-goutte depuis le 2 mars, l’entrée de toute aide humanitaire dans la bande de Gaza. Ce blocus a été condamné par plusieurs ONG, dont Médecins du Monde, Oxfam et le Norwegian Refugee Council, qui alertent sur un "effondrement total" de l’aide humanitaire et dénoncent "l’un des pires échecs humanitaires de notre génération"

A ce jour, ce sont plus de 25 000 enfants tués à Gaza et plus de 50 000 enfants blessés pour ne pas dire amputés ou handicapés à vie (chiffres communiqués par le ministère de la Santé palestinien et reconnus par les Nations Unies), et 17 000 orphelins selon l’UNICEF.

Mais, prendre l’initiative d’une minute de silence en leur hommage est un acte qui mérite sanction selon le rectorat de Dijon. A ce jour (26 mai) l’enseignante est toujours suspendue et les élèves ainsi privés de son enseignement. Le "rectorat", vocable anonyme cité par les medias. La rectrice de l’Académie de Dijon, Mathilde Collety, et l’inspecteur d’académie pour ce département de l’Yonne, Jean-Baptiste Lepetz, se gardent bien d’apparaître et d’assumer cette honteuse décision. L’administration, par nature, par vocation et par lâcheté ne s’individualise pas. Cette insensibilité rappelle celle de leurs prédécesseurs sous le régime de Vichy, le recteur Jean Mercier et l’inspecteur d’académie Maurice Ory sur le sort des enfants Juifs arrêtés et détenus dans ce département de l’Yonne dans les camps de Saint-Denis-lès-Sens, Vaudeurs et Saint Maurice aux Riches Hommes et envoyés ensuite aux camps de Pithiviers et Beaune la Rolande vers Auschwitz-Birkenau.. 

"On découvre bien sûr le Pôle Nord si on souligne combien  les vocables administratifs évacuent la cruauté et la douleur derrière un fallacieux objectivisme", écrit Edith Fusch au terme de sa longue quête dans les archives départementales de Sens pour comprendre comment sa mère Cilly Affenkraut, alors mère de trois enfants,  avait été arrêtée à Sens en juillet 1942 par la gendarmerie française, convoyée à Auschwitz et assassinée*. Que devient en de telles circonstances, s’interroge t-elle, "le don de l’action"  que Hannah Arendt impute à l’humaine condition comme la marque même de sa capacité politique ?

Lorsque nous sommes empêchés d’agir librement et moralement face à l’injustice et à la cruauté, nous perdons quelque chose d’essentiel de ce que signifie être humain.

Et sur le site de l'Académie de Dijon est inscrit en lettres d'or:"La culture de l’engagement et la lutte contre toutes les formes de discrimination sont au centre de la mobilisation de l’école pour les valeurs de la République".

*Edith Fuchs, "Entre témoignage et histoire: Saint-Denis-lès-Sens 1940-1942", Revue d’Histoire de la Shoah 2013/2 N°199 (p.445 à 456) https://doi.org/10.3917/rhsho.199.0445.

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