Cher François,
Nous ne nous connaissons pas, ou alors à moitié, ce qui veut dire que moi je vous connais et vous, moi, pas du tout. Je fais partie de ces lecteurs qui vous suivent. Comme je l'écrivais sur un autre post, je lis le dernier Begaudeau sans réfléchir, comme j'allai voir au cinéma le dernier Truffaut, ou que j'achetais sans l'avoir écouté, le dernier Pink Floyd. Voyez ça date.
J'ai aimé votre dernier opus. Il s'appelle “ L'Amour”, il aurait pu s'appeler “Vie” tout simplement. Je veux vous parler de mon ressenti, ne pas faire une analyse comme un structuraliste a pu le faire récemment ! Simplement.
Les images qui me sont venues. D'abord celles d'autres François. François Béranger pour sa Tranche de Vie, François Ruffin pour ses partages avec les auxiliaires de Vie, François Morel pour ses chroniques philosophiques, François Cavanna parfois pour le style et la peinture des humbles. Rassurez-vous, j'arrête là, il y a des François qu'il vaut mieux ne pas évoquer.
Dire que j'ai aimé votre livre n'est sans doute pas le bon terme, dire qu'il
m'a touché, ému, bouleversé, chamboulé, déstabilisé, serait plus adéquat. Moi qui aime les gros pavés de 600 pages, le vôtre de 90 pages, a suffi pour me sécher. Sans doute parce que, une Vie, ça file et s'éteint comme une comète, tellement vite. Et inévitablement, même si ce n'est ni ma vie ni mon Amour, il y a forcément des moments où l'on se retrouve. Et quelque part ça vous étreint, parce que ça vise juste. J'ai lu votre livre entre deux bouquins du psychanalyste Roland Gori, “ la Fabrique de nos Servitudes” et “la Fabrique des Imposteurs “. Dans les deux cas vous n'êtes pas loin, au point d'en être le trait d'union. (Si j'osais, je dirais que vous êtes un peu le Pierre Bourdieu du roman, mais ça risque de dissuader certains lecteurs, je préférerais, dans le cas de “l'Amour” parler plutôt de récit, ou simplement de texte, parce que chez vous rien n'est inventé, imaginé). Et pour ma génération, et pour la vôtre, se dire, mais… Qu'est-ce qu'on a manqué ? Où est ce qu'on a foiré, dans nos amours, nos amitiés, nos boulots, nos vies pour en être arrivés à ce marécage libéro-macroniste qui nous fait honte à ce point, tout en se disant que malgré les chemins de traverse que les forts en gueule de la pensée dominante ont tout fait pour nous faire emprunter, on a tous, essayé, de faire pour le mieux.
Parce que « l'Amour », votre livre, c'est ça, la vie de tant de couples, qui passent souvent à côté, avec maladresse, par malchance, par un désespoir voilé, par la dureté de la vie souvent impraticable, parce que là il n'y a pas de session de rattrapage, Jeanne et Jacques, c'est forcément un peu nous. La vie monstrueusement banale parfois, comme chez vos héros, mais singulièrement belle au travers de mille petits détails de la vie que vous décrivez si bien (les maquettes d'avion, les tomates du jardin, les chansons de variété). Et encore, moi, je me hasarderais en disant que comme médecin de campagne, je ne me plains pas trop, parce que malgré les heures (et les nuits) de travail j'ai pu, comme un entomologiste, scruter des vies, épier des sentiments, comprendre un peu comment ça fonctionne l'humain, (et j'en ai vu défiler des vies et des amours ! ), les voir transcender le banal du quotidien pour lui donner un sens, et corriger, un peu , ainsi, quelques « scories » de la mienne! . On suit l'étroitesse des sentiments qui progresse, lentement et sûrement, pour se figer dans la Mort. Ça n'a pas l'air très gai ce que je raconte, et pourtant, très souvent, on rit de ces petits riens qui nous font du bien, le chien Boule, les enfants qui éclaircissent nos journées, les copains, toujours présents, toujours fidèles. Et on se dit, tiens, ça c'est bien nous !
Je sais que je vais continuer de vous lire, partout, dans Socialter , dans vos livres (j'ai aimé vos “Boniments”) , vous écouter dans vos vidéos parce que vous parlez simple, juste, et clair.
Donc voilà, je ne vais pas m'étendre, mais en 90 pages, où il n'y a rien à jeter et rien à ignorer, vous vous affirmez, comme un moraliste, (peut-être n'aimerez-vous pas le terme) un humaniste alors, qui construit avec cohérence, une oeuvre qui moi me plait, parce qu'elle m'aide à comprendre, à vivre et à aimer.
J'espère vous voir chez Trappenard cette saison, pour que vous puissiez parler à grande écoute de ce qui est, peut-être, votre livre le plus (personnel ? Intime ?) poignant en tous cas. Et toucher ainsi tant de lecteurs qui se retrouveront dans cette belle histoire.
Amis lecteurs, laissez de côté ( du moins un instant) ces auteurs à succès qui n'ont souvent que peu à dire et à écrire, lisez “ l'Amour”, pensez au votre, et corrigez ce qui peut l'être.
Recevez, cher François, l'expression de mes sincères amitiés, et de mes plus vifs remerciements.
Billet de blog 18 septembre 2023
Lettre ouverte à François Begaudeau
Rentrée Littéraire (Suite) : A propos du nouveau livre de François BEGAUDEAU: L'Amour
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