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Billet de blog 3 novembre 2025

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Marwan Barghouti pour l’amour de l’humanité

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Marwan Barghouti pour l’amour de l’humanité

Il est un député palestinien extrêmement populaire parmi ses concitoyens. Capturé, enlevé près de son domicile par l’armée d’occupation israélienne au mois d’avril 2002 et, depuis, emprisonnés dans d’effroyables conditions. Les grands défenseurs des droits humains qui saturent notre espace public ne trouvent rien à redire de ses exécrables et violentes conditions de détention, des privations de visites de son épouse Fadwa - avocate - et de ses enfants ainsi que de la Croix-Rouge Internationale.

Cet homme, cet intellectuel, ce député, ce dirigeant politique, s’appelle Marwan Barghouti. Proche de la France, il avait à l’université de Birzeit, en Cisjordanie occupée, consacré un mémoire de recherche à la politique du général de Gaulle au Moyen-Orient. Puis, comme député, il est membre du groupe d’amitié entre le Parlement français et le Conseil législatif Palestinien.  

Par un sordide renversement des charges de la preuve, les commanditaires de son embastillement, au terme d’un procès ne répondant à aucun des standards internationaux et au mépris du droit international*, mènent une soutenue et violente campagne le dépeignant en « terroriste ». Un vocable utilisé aujourd’hui à tout-va pour justifier les pires reculs des libertés dans le monde et pour continuer à soumettre le peuple palestinien à un implacable joug colonial.

Mieux encore, comment pouvons-nous un seul instant, laisser croire que les militants de la liberté et de l’application du droit international seraient des « terroristes » quand les cours de justice réclament à l’occupant de rendre leurs terres aux Palestiniens et de cesser la colonisation-annexion ? Les mêmes cours qui poursuivent le Premier ministre de l’État occupant devant les tribunaux pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité ? Ceux qui traitaient hier Nelson Mandela de terroriste sont les mêmes qui l’encensent aujourd’hui ? Lorsqu’on leur rapporte leurs infectes paroles de l’époque à l’égard de Mandela, ils se dressent sur leurs ergots usés pour se renier et clamer que Mandela n’a jamais dirigé la branche militaire du Congrès national Africain (ANC). Or, le grand dirigeant sud-africain a fondé puis dirigé à partir du milieu de l’année 1961 l’organisation Umkhonto we Sizwe (fer de lance de la nation). Et la Résistance française disposait bien de sections armées pour combattre l’occupant. Les nazis et leurs supplétifs français n’hésitaient pas à traiter les communistes de « terroristes ».

Non seulement Barghouti a toujours nié avoir donné l’ordre des exécutions qui lui sont reprochées, mais dans un grand entretien au journal américain The Washington Post** avant son arrestation, il expliquait ainsi la stratégie qu’il défendait : « Moi-même et le mouvement Fatah auquel j’appartiens, nous opposons fermement aux attaques contre des civils en Israël, notre futur voisin », ajoutant ce complément fondamental : « Je ne cherche pas à détruire Israël, mais seulement à mettre fin à l’occupation de mon pays. »

Déjà dans les années 1980, Marwan Barghouti ne négligeait aucune possibilité de discussions avec des députés de la gauche israélienne. Où décèle-t-on ici la thèse « terroriste» ?

En revanche, comment qualifier l’armée d’occupation qui en août 2001 a fait projeter deux missiles antichars sur son véhicule, tuant son accompagnateur ? Les financeurs du Hamas se trouvent dans les palais officiels de Tel-Aviv alors que Barghouti défenseur du pluralisme politique dès le milieu des années 1990, a combattu le Hamas au nom de son refus strict de l’application de la loi islamique. Combattant acharné de la corruption, militant contre les inégalités femmes/hommes, il est un artisan de l’unité palestinienne. Unité entre les Palestiniens de « l’extérieur » et les Palestiniens vivant sous l’occupation. Unité entre les différentes sensibilités et factions palestiniennes, avec notamment l’élaboration en 2006 du « document des prisonniers » signé par les militants de toutes les factions. Dans ce texte, est réaffirmé le droit international avec la création d’un État palestinien « dans les frontières de juin 1967 ». La signature du Hamas et du Jihad islamique sont de fait une acceptation de l’existence de l’État d’Israël à l’extérieur de ces mêmes frontières.

Nous entrons dans un nouveau moment. La mobilisation populaire doit le rendre positif et constructif. Il est marqué d’une part par l’initiative conjointe de la France et de l’Arabie Saoudite pour faire reconnaître l’État de Palestine, et d’autre part par le plan Trump qui aboutit à la libération de tous les otages vivants détenus par le Hamas et à un - tout relatif - cessez-le-feu, alors que se révèlent de plus en plus aux consciences des peuples du monde, les atrocités du pouvoir israélien à Gaza et l’amplification de la colonisation-annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Le plan Trump restera une impasse tant qu’il n’intégrera pas les Palestiniens à un nouveau processus. Le pouvoir d’extrême droite israélien s’infiltre dans la brèche et en profite pour accélérer ses projets coloniaux.

Cependant, des voix dans l’entourage de Trump et dans certaines capitales arabes alertent sur cette grosse entaille au point d’évoquer le nom de M. Barghouti comme possible acteur majeur de cette nouvelle période.

En effet, on ne peut vouloir, comme Trump, dépolitiser la question palestinienne avec son fameux « comité de la paix » « apolitique et technocratique » alors même que l’enjeu de la construction d’un État palestinien viable et démocratique est politiquement central au Moyen-Orient. Dépolitiser revient à continuer de laisser le pouvoir israélien se servir du Hamas comme faire-valoir justifiant de part et d’autre, le refus de la solution à deux États.

Précisément, l’aura internationale de Marwan Barghouti, sa capacité à régénérer le Fatah et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), sa réflexion politique couchée noir sur blanc dans une lettre datant de l’année 2016 où il appelle à renouveler le contrat démocratique entre dirigeants et citoyens en font plus que jamais un interlocuteur solide et crédible.

Ce sont ces éléments qui conduisent de plus en plus de personnalités et d’organisations à réclamer sa libération. On trouve parmi ceux-ci Ami Ayalon, ancien chef du service de renseignement intérieur israélien (Shin Bet). Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial. Il a demandé d’inclure Marwan Barghouti dans la liste des prisonniers libérables dans l’accord de cessez-le-feu négocié à Charm-El Cheik en Egypte. La commissaire européenne à l’aide humanitaire et à la gestion des crises, ancienne ministre des Affaires étrangères de Belgique, Hadja Lahbib. Elle a récemment déclaré voir en Marwan Barghouti, « le Nelson Mandela palestinien ». Même s’il ne faut nourrir aucune illusion sur les propos si versatiles et réversibles du président américain, le fait qu’il ait évoqué le nom de Barghouti dans un récent entretien au Time dit beaucoup du rapport de force qui se construit. Et, pour la première fois, le prestigieux groupe des sages « The Elders » rassemblant des prix Nobel de la paix et d’anciens chefs d’État, s’est adressé au président Trump pour « exiger la libération de Marwan Barghouti, en tirant parti de l’opportunité ouverte par l’accord fragile de cessez-le-feu à Gaza ».

Nous demandons au président de la République française et aux institutions européennes de s’associer à ce mouvement et de s’y engager sans attendre pour que Marwan Barghouti retrouve la liberté, condition du lancement de réelles négociations, sans lesquelles se poursuivra l’escalade à Gaza et en Cisjordanie. Sans attendre, l’Union européenne doit protester contre les conditions scandaleuses de détention de Marwan Barghouti et contre l’appel du fasciste ministre israélien de la Sécurité appelant à exécuter les prisonniers palestiniens. Il ne suffit pas, en Europe, de se gargariser des « valeurs » et « des droits humains ». Il faut agir. Agir, c’est mener la bataille contre ce fascisme banalisé, cesser d’être les supplétifs de l’impérium nord-américain et porter le combat pour la libération des prisonniers politiques palestiniens au premier rang desquels Marwan Barghouti comme opportunité nouvelle pour tenter de construire  les conditions vraies des deux Etats. .

Le combat pour la libération de Marwan Barghouti est le combat pour la libération de toute la Palestine. C’est le combat pour la démocratie, une vie nouvelle pour les Israéliens et les Palestiniens, vivant côte à côte. Marwan Barghouti, c’est le combat pour l’amour de l’humanité.

Patrick Le Hyaric

3 novembre 2025

* les Avocats de Marwan Barghouti, notamment Gisèle Halimi, Daniel Voguet, Jawad Boulus, Fadwa Barghouti…

** « Tribune au Washington Post » 2002 « vous voulez la sécurité ? Mettez fin à l’occupation. » 

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