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Billet de blog 9 décembre 2025

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On n'est pas obligé de marcher dans la gadoue

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On n’est pas obligé de marcher dans la gadoue.

Les digues sautent les unes après les autres. Elles laissent se répandre une brune et nauséabonde boue où marinent et fusionnent les idéologies des extrêmes droites et des droites.

Chaque jour désormais apporte sa pestilentielle flaque de gadoue dans laquelle se coulent les idées de la droite - dont on dit qu’elle est républicaine - dans celles de l’extrême droite qui honnit viscéralement la République.

Une droite ayant voulu surpasser l’extrême droite en la singeant produit l’exact effet contraire. Cet alignement est manifeste en vue de la destruction de l’État social, de la sécurité sociale, du statut de la fonction publique et de l'école publique laïque gratuite au profit du privé. Ensemble, ils portent à la vindicte l’étranger, l’immigré et ses enfants. Ensemble, ils placent leur profession de foi commune sous les signes de l’autoritaire et du sécuritaire. Ensemble, ils nient les menaces contre l’écologie et attisent leur hostilité à l’État de droit. Ensemble, ils glorifient la méritocratie et chasse de prétendus « assistés ». On les trouve en symbiose totale dans la tentative de privatisation du pôle public de radio et de télévision. Et, par un triste hasard, l’actuel président du parti « Les Républicains » (LR), bruyamment soutenu par le très droitier David Lisnard, lance en même temps que son prédécesseur Éric Ciotti transfiguré en  clone du RN/FN, une pétition dénonçant un supposé « projet de labellisation des médias » élyséen, relayé à grand renfort d’antenne par les médias du groupe Bolloré. Ceux-ci, et tout un nouvel arsenal de presse écrite devient leur liant politique. Le refus de reconnaître la majorité relative du Nouveau Front populaire à l'Assemblée nationale pour donner l’image d’un parlement en désordre et théoriser la compromission politique en dehors des intérêts que l’on sert constitue un puissant accélérateur du confusionnisme au service de l’extrémisation des droites.

La diabolisation de la gauche, tantôt des communistes, tantôt de La France insoumise, tantôt des écologistes, sert à justifier des accords et alliances qui glissent vers l’union électorale des droites et de l’extrême droite. Les phares se sont allumés sur ce sinistre projet quand le sieur Retailleau a appelé, en octobre dernier, lors du second tour d’une élection législative partielle dans le département du Tarn-et-Garonne à ne pas accorder « une seule voix pour la gauche » et à préférer faire élire le candidat de droite extrémisée. Or, la candidate de gauche au second tour était socialiste. Ainsi, les pitoyables leçons autour d’une « gauche présentable » ou d’une « gauche modérée » ou d’une « gauche raisonnable » ne sont donc que les mots d’une propagande de division pour faire valoir leur marche vers l’union des droites afin de sécuriser les possédants. Hier, ce beau monde criait « communistes pas Français ». Aujourd’hui, ils distribuent des bons points en papier ternis sur le « républicanisme » des uns ou des autres pendant que leurs bottes cloutées écrasent la tête de la République et de ses valeurs. Et de plus en plus, s’entend de sinistres consignes équivalences actualisées du « plutôt Hitler que le Front populaire ». Quand on est à un tel moment, c’est folie de faire profession de fabriquant  de fissures dans le camp progressiste sous les rires goguenard de la section française  de l’internationale réactionnaire, protofascisantes.

Il y a quelques jours Wauquiez a élargi la voie d’eau en donnant quitus à celles et ceux de ses cadres souhaitant des alliances électorales avec l’extrême droite lors des élections municipales à venir. Quasi simultanément l’ancien président de la République M. Sarkozy, promet à la chef de l’extrême droite qu’il détruira désormais toute possibilité de construction d’un Front républicain qui empêcherait son parti d’accéder au pouvoir suprême « dans un esprit de rassemblement le plus large possible, sans anathème et sans exclusive » insiste-t-il.

Et, voici que germe dans les cerveaux de ces stratèges en « raison » l’idée d’avoir un candidat commun des droites et des extrêmes droites à la magistrature suprême après sa désignation dans le cadre d’une « primaire ».

Comme en Finlande, comme en Italie ou en Hongrie, se met donc en place, dans le nouveau contexte de basculement du monde et de soif d’accumulation renforcée du capital, la métamorphose des droites qui retrouvent ses penchants des périodes d'avant-seconde guerre mondiale et ceux de la collaboration.

Le triptyque du président des LR – travail-autorité-identité- pour intituler son futur programme dit exactement le sens des projets et des passerelles en construction.

La poutre des droites travaille si fortement que les fissures issues de ses torsions hébergent non plus les thèses dites « libérales » de soutien au capitalisme tel que nous l’avons connu, mais une mutation profonde faisant émerger un capitalisme se dépouillant de la démocratie et du droit, ne faisant même plus semblant de défendre l’égalité, brûlant la fraternité sur l’autel du rejet de l’autre et de la barbarie rampante. Ils ont entrepris d’éteindre « les lumières ».Il ne s’agit pas d’un fait naturel, mais d’une donnée hautement politique, idéologique et économique à ne pas sous-estimer.

Cette mutation à l’œuvre aux États-Unis se déploie sur notre continent grâce aux liens ténus entre les centres de réflexion qui alimentent la politique trumpiste et des Think-tanks (boîte à idées) confortablement installée dans notre pays et en Europe. C’est le cas de cette pieuvre mondiale de la guerre idéologique baptisée Atlas ou du Mathias-Corvinus Collégium (MCC) incubateur de l’élite réactionnaire Hongroise*. Financés par d’influents capitalistes dans le pétrole, le tabac, les médicaments, le militaire, ces centres internationaux d’actions et de production d’idées mènent une guerre idéologique et culturelle quotidienne dans les médias et dans tout l’espace public contre les services publics, les normes, l’État social, la fiscalité sur le capital, contre le droit à l’avortement, contre l’écologie ; pour la suppression du droit de grève ou du salaire minimum garanti.

Certaines de leurs filiales en France ont pignon sur rue et sur les plateaux de télévision. Leurs noms : institut de formation politique, Institut Molinari, Institut des libertés, Institut de recherche économique et fiscale, Contribuables associés, Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP) avec son inénarrable figure médiatique, Mme Agnès Verdier Molinié « spécialiste en tout ». Sa tâche est de déverser en permanence ses balivernes pour détruire tout le droit social. Pour ses nouveaux besoins d’accumulation, le capitalisme en métamorphose a besoin de progresser plus vite dans la destruction des conquis sociaux, démocratiques et écologiques et dans ses dangereux projets militaristes.

L’alliance des droites et des extrêmes droites lors de la dernière session du Parlement européen pour démanteler les réglementations sociales et environnementales participe de cet objectif**.

Les théoriciens de la survie du capitalisme en sont à imaginer la manière dont les possédants eux-mêmes gouverneraient directement, les pays au nom de la lutte contre la dette qu’ils créent pourtant eux-mêmes, à pourfendre l’idée même de « démocratie » et leurs guerres intra-impérialistes pour une nouvelle phase du pillage des ressources énergétiques et de terres rares alimentant les oligopoles numériques et militaires les font envisager une reconfiguration du monde débarrassé du droit international. La liberté d’exploiter, d’extorquer de la plus-value sans entrave sur le travail tout en absorbant une plus grande partie des finances publiques pour rémunérer les propriétaire-actionnaires devient leur crédo actualisé. Voilà qui explique la violence des levées de boucliers contre la taxe Zucman ou le rapport Gay sur les transferts de plus de 200 milliards d’aides aux entreprises sans conditionnalité, ni contrôle.

Aucun démocrate, aucun progressiste ne peut être insensibles à cette marche en avant accélérée vers l’union des droites en même temps que les représentants du grand patronat adoubent le RN/FN.

Les forces de gauche, progressistes et de l’écologie politique ne peuvent ainsi continuer à se disjoindre, dans un contexte où le pire peut advenir. La désunion donne une considérable force  aux possédants capitalistes  et à leurs mandataires, alors que le désir de transformation sociale et écologique est puissant. Celui-ci peut être détourné et retourné contre les citoyens. Ce sont les communs combats progressistes, les débats exigeants dans la fraternité et la sororité, la valorisation des recherches et des connaissances, la création culturelle, la fabrique de liens entre citoyens, l’étude d’expérimentations anticapitalistes, le refus des compromissions et des idées tièdes qui sont susceptibles de construire un mouvement populaire, unitaire et majoritaire pour porter les combats pour la transformation de la société, mais au-delà pour un processus permettant de faire émerger une civilisation nouvelle. On n’est pas obligé de laisser se répandre la gadoue !

Patrick Le Hyaric

8 décembre 2025.

*Voir les explications détaillées dans mon livre « Un monde à la renverse » éditions de L’Humanité.

** Bloc des directives dites « omnibus » en cours de vote au Parlement européen

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