Patrick Le Hyaric

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 septembre 2025

Patrick Le Hyaric

Abonné·e de Mediapart

Patrick Le Hyaric député européen 2009-2019; directeur de la revue La TERRE

Patrick Le Hyaric

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le chemin et le but : la démocratie réelle.

Des profondeurs du pays, du creux des vagues de souffrances et de difficultés, montent de sourdes colères, de puissants mouvements de rejet d’un système qui spolie le travail, bouche les à-venirs, attise les guerres.

Écouter nos concitoyennes et concitoyens, c’est entendre la difficulté de vivre avec de bas salaires et des retraites de misère quand les prix montent les escaliers pour la fortune des grands propriétaires des centres commerciaux et des agences immobilières. Écouter le pays, c’est entendre le cri de cette femme seule, aujourd’hui grand-mère, ayant travaillé dur toute sa vie, contrainte de vivre avec une retraite de moins de mille euros ou cette autre contrainte de se rendre aux distributions alimentaires organisées par le Secours Populaire Français.. Écouter le pays, c’est être pris à la gorge par le récit d’un paysan qui, ayant commencé à travailler à 17 ans, se voit proposer une retraite mensuelle de 565 € à l’âge de 63 ans. C’est mesurer toute la difficulté de ce jeune couple d’ouvriers avec deux enfants à se loger avec une rentrée mensuelle de 2 650 €. C’est s’émouvoir aux larmes du récit de Joël et Françoise qui n’ont plus un sou le 15 du mois alors qu’ils travaillent tous les deux.

Écouter, c’est entendre la difficulté à trouver un médecin généraliste, un dentiste, un opticien ; c’est être rattrapé par les fractures territoriales, sentir les inquiétudes pour demain des jeunes générations. Écouter, c’est percevoir l’ampleur du déchiquetage des services publics si indispensables à une vie plus facile.

Écouter nos concitoyens et concitoyennes, ouvriers, caissières, instituteurs, médecins et aides-soignants, cadres, paysans-travailleurs, étudiants, c’est mesurer le poids des précarités de vie et des insécurités. Écouter, c’est entendre le poids de citoyens usés, méprisés, rejetés, par le quartier général des ministères et le directoire des milieux d’affaires. Il faudra entendre leur strident cri venant des profondeurs de nos villes et de nos campagnes : écoutez-nous enfin !

Aucun d’entre nous ne peut accepter que les grandes entreprises captent, sans contrôle, 211 milliards d’aides publiques directes pour délocaliser, réduire l’emploi, sacrifier la formation et les innovations technologiques indispensables.

Personne ne peut accepter que la caste des 500 plus grandes fortunes voie son patrimoine multiplié par 14, alors que le nombre de citoyennes et de citoyens en situation de pauvreté dépasse les 11 millions. L’amplification de la fracture politique épouse la fracture de classe : les riches deviennent toujours plus riches quand les plus modestes ne cessent de s’appauvrir. Et ce n'est pas le salmigondis médiatique, servi durant l’organisation du spectacle du saut en parachute du Premier ministre, sur le niveau de l’épargne et les 9 000 milliards d’héritage en cours de transmission qui changeront grand-chose à cette réalité. Au contraire, ils la confortent.

Nos concitoyens, qui se mobilisent sous différentes formes, l’ont bien compris. La coupe est pleine.

Le rideau des sentiments d’impuissance se déchire. Les mouvements pour la paix, contre le génocide à Gaza, contre la sordide guerre faite au peuple Ukrainien prennent de l’ampleur. Une pétition a recueilli plus de deux millions de signatures, au cœur de l’été, contre la loi dite « Duplomb » de concentration agraire, qui aboutirait à une alimentation plus détériorée, a donné un signal.

Le communiqué commun des syndicats contre le plan austéritaire de Bayrou, le mouvement populaire du 10 septembre et les journées d’action syndicale du 18 septembre et bien d’autres sonnent un renouveau unitaire. Les chaleurs suffocantes, les terribles incendies s’attaquant désormais aux maisons et aux fermes  combinés à de forts orages ont accéléré les prises de conscience des bouleversements climatiques.

Plus ou moins confusément, une majorité de nos concitoyens comprend qu’il ne suffira pas de changer de Premier ministre. C’est le système économique et institutionnel qui le protège qui est en cause. L’aspiration à un changement de pouvoir pour un changement de politique cherche un chemin.

Se pose de manière renouvelée une fondamentale question au peuple et aux travailleurs : devenir les souverains dans les lieux de vie et de travail. Il devient insupportable que leurs votes, leur « pouvoir citoyen », continuent d’être détournés en délégation permanente à des professionnels de l’exercice du pouvoir aux yeux uniquement rivés sur la prochaine élection alors que c’est l’avenir de la prochaine génération qui est en jeu. Les vieux habits du présidentialisme et d’une prétendue démocratie parlementaire concoctée par la bourgeoisie à son seul service sont tellement déliquescents que les citoyens tendent à les délaisser au fond de l’armoire d’une république malmenée. Le discrédit de la politique avec ses intrigues et manigances, ses coups bas et ses mensonges, ses charretées de promesses évanouies, ses petites phrases et ses petites ambitions atteignent le haut de l’échelle du dégout.

Conçues pour rendre pérenne, la domination des possédants sur la société et le travail, les institutions d’une cinquième république à l’agonie cultivent tous les travers de la société du spectacle, détournent les attentes populaires, orientent les consommations et les productions, les débats pour fabriquer des opinions, étouffent les voix singulières et progressistes dans les grands médias, désapprennent à penser et à raisonner, uniformise la culture, cultivent les champs de la guerre.

 De ce point de vue, nous aurions tort de sous-estimer ce qu’a fait infuser Bayrou dans la société ces quinze derniers jours sous les applaudissements nourris d’une connivente médiacratie : la réforme de l’aide médicale d’État, les accusations honteuses de « profiteurs du système » contre les retraités et les assurés sociaux, la prétendue nécessité de travailler plus pour gagner moins, la malhonnête idéologie qui vise à faire payer la dette par le travail et non par le grand capital… Mieux encore, il aura réussi à faire comprendre que le Premier ministre a peu d’importance parce que ce sont les marchés financiers qui déterminent la politique de la France. Il n’a pas hésité à laisser dire que le Fonds monétaire international (FMI) allait mettre la France sous tutelle, comme le font des préfets aux airs de policiers en faction devant des mairies qu’ils mettent sous tutelle. Se transformant en docteur Diafoirus, l’édile de Pau a pour ses adieux à Matignon solennellement déclaré que « le pronostic vital de La France était engagé ». Le pays serait donc au bord du décès. Ridicule ! Les fondés de pouvoir du capital n’hésitent devant rien : faire peur, organiser la panique pour obtenir la soumission. Il était piquant de voir tous ces responsables politiques qui occupent le pouvoir depuis quarante ans  défiler à la tribune de l'Assemblée nationale pour dénoncer les maux qu’ils ont eux même crée.

Voilà qui ne fait que renforcer la fondamentale demande de construire une démocratie réelle, une démocratie populaire où le souverain ne soit pas les institutions financières et le grand capital, mais les citoyens.

Cela implique de cesser de faire la confusion, en permanence entre prise du pouvoir au sommet et la nécessité de la transformation sociale, écologique, démocratique, féministe, antiraciste qui n’est possible que par l’action unie du peuple travailleur. Sans ce mouvement majoritaire conscient, déterminée, il n’y aura pas de transformation structurelle progressiste.

La démocratie réelle ne peut être confondue avec l’électoralisme. Elle appelle l’initiative communiste, c’est-à-dire la mise en place de collectifs du « commun », collectifs large ouverts à toute citoyenne, à tout citoyen, sur les lieux de vie et a toutes les salariées et tous les salariés sur les lieux de travail, jusqu’à des collectifs nationaux pour organiser l’information, l’échange, l’analyse, la réflexion et l’élaboration commune pour des changements progressistes au rythme décidé par les citoyens eux-mêmes. C’est ce qui se passe à la Fête de l’Humanité lors de centaines de débats, de discussions, de rendez-vous pris à inscrire dans les agendas du changement.

C’est ce qui a été tenté avec les collectifs du Nouveau Front populaire. Une organisation qui n’appartient pas à des chefs autoproclamés, ni d’inspiration « gazeuse », ni de délégation de pouvoir, ni de bons mots télévisés, mais permettant l'auto-organisation collective de la résistance au grand capital, de l’émancipation, de la solidarité  et de l’aide à la conquête du pouvoir sur le travail, la production et la création monétaire, condition essentielle du développement humain et de la préservation du vivant. De tels collectifs émergent déjà dans les luttes pour le climat, dans la constitution de coopératives, dans des mouvements associatifs et de solidarité, dans des actions municipales pour l’alimentation, le logement ou la santé.

C’est ce mouvement réel qui travaille à abolir le capitalisme, de plus en plus accapareurs des fruits du travail et de la nature, de plus en plus militarisé et qui donne leur élan aux aspirations à la justice, la liberté et la paix qui est seul susceptible de transformer la société. Il appelle un renouveau démocratique. Un nécessaire renouveau politique qui interpelle sérieusement, les forces de transformation sociale et écologique afin qu’elles se mettent au diapason de ce mouvement qui tâtonne et se cherche. Voilà qui donnerait de la force à un nouveau projet permettant de conjurer la catastrophe : l’accaparement du pouvoir par des forces autoritaire et fascisantes, la guerre et le possible chaos écologique. La Fête de l’Humanité cette fin de semaine va être le plus grand  lieu d’échanges d’informations, d’analyses, de réflexions, de partage d’expériences et d’idées neuves. Elle va être un immense foyer de culture et de démocratie.

Tel est le fondamental enjeu : la démocratie réelle est le chemin et le but.

Patrick Le Hyaric

8 septembre 2025

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.