Quels enseignements possible du 13 novembre… ?
Il serait de haute utilité de tenir compte des leçons de vie et des leçons de république que nous ont offert, avec force et douceur, les victimes des attentats djihadistes du 13 novembre 2015 lors des récentes cérémonies commémoratives.
Dix ans déjà. Dix ans et nous ne cesserons de penser à eux et à leurs familles, comme à toutes les victimes qui, de Toulouse à Charlie Hebdo, de Montrouge à l’hyper casher de la porte de Vincennes, de Saint-Étienne-du-Rouvray au Stade de France, d'Arras à Magnanville, de Carcassonne à Nice, de Strasbourg à Villejuif ou à Bruxelles, sont à jamais endeuillées par la barbarie fondamentaliste.
Leur association « 13onze15 » ou « Fraternité et Vérité » ont produit un travail remarquable avec la volonté, au-delà des nécessaires dépôts de gerbes et d’installations de plaques en souvenir des victimes des fanatiques, d’entraîner l’ensemble des citoyens à la réflexion, la discussion, l’action pour nommer le mal afin de l’empêcher de prospérer : éclairer le réel pour le transformer.
De ce point de vue, l’indispensable procès qui s’est déroulé sur le temps long permettant l’écoute, les témoignages bouleversants et les apports de réflexions aurait mérité d’être mis à la disposition du plus grand nombre. Il s’agit de permettre à chacune et à chacun de mieux s’approprier et de partager les paroles des victimes directes, de celles et ceux qui ont perdu des proches, de mesurer le poids des souffrances.
Si les terroristes islamistes et d’autres pensent leurs criminelles actions comme un moyen de répandre, les peurs et les fractures au sein de la société, peut-être, est-il nécessaire que le travail de la justice soit plus public, afin qu’il puisse alimenter les réflexions citoyennes et fortifier le bien commun que constitue notre République.
Ce terrorisme qui atteint violemment et cruellement les corps, affecte aussi la parole publique, la pensée, la possibilité de débattre sereinement, librement.
Il donne de la force à tous les projets régressifs, répressifs et autoritaires qui enserrent de plus en plus nos sociétés. Il frappe la liberté de pensée. Les forces de la réaction s’en servent pour favoriser les dévoiements du principe de laïcité et pour le transmuter en arme contre la religion musulmane.
Plus pernicieux encore, des États-Unis à l’Europe, ces courants réactionnaires aiguisent en ce moment même, au sein du catholicisme et de la chrétienté, les couteaux visant à embarquer cette religion dans les sombres idéologies de l’identitarismes et d’un nationalisme chrétien.
C’est le retour d’idées rances de siècles éculés. Terrorisme djihadiste et extrêmes droites montantes partagent en commun le refus des conquis du siècle des Lumières, les savoirs, la culture. Ils portent un projet totalitaire de soumission des femmes, d’oppression, de refus des diversités et des libertés.
À l'opposé, les interventions des associations et des familles des victimes défrichent les chemins de reconnexion à l’humanité.
Les mots échangés avec cœur pour ce dixième anniversaire, portés par un fleuve d’émotions et de pensées pour celles et ceux qui ont été lâchement assassinés, s'éloignent de toute volonté de vengeance et de tout sentiment de haine. Ils furent des appels à ne pas céder à la peur et aux divisions que veulent instiller les criminels mus par une idéologie sectaire, nihiliste et anti-progressiste.
Nous y entendons la demande claire de faire société ensemble dans le cadre d’une République revivifiée. Une République qui fasse vivre, en osmose et concrètement, les valeurs de son triptyque fondamental : Liberté, Égalité, Fraternité et tous les piliers du respect des peuples et des conditions de la paix.
Comme à d’autres périodes de notre histoire, il convient de se donner le courage de la réinvention permanente de notre République afin qu’elle tienne ses promesses.
Une République pleinement réalisée. Une république poussée jusqu’au bout. À l’opposé de la gestion managériale de l’État où des comptables nous abreuvent de chiffres et de tableaux de productivité, agitent les peurs et infusent « l’économie de guerre » pour détruire toutes les solidarités et les sécurités humaines.
L’empilement des lois sécuritaires, les multiples défigurations de la loi de « séparation des églises et de l’État » de 1905, n’empêchent en rien le djihadisme, mais contraignent toujours plus la vie associative et citoyenne, ouvrent toutes les vannes permettant les régressions sociales au nom d’une fumeuse « unité nationale ».
Nous sommes les promoteurs d’une République ouverte et solidaire, au service des dépossédés du monde. Une République fidèle à ses promesses qui pour se régénérer tourne le dos au capitalisme, à sa militarisation, à ses avilissements, à son racisme, à son patriarcat, à ses saccages de la biodiversité, de la biosphère et du climat.
La recherche des causes profondes du terrorisme n’est pas l’excuser. Elle est le chemin par lequel on peut le contrer, l’anéantir. Cela oblige à explorer une longue histoire, où se mêle colonialisme, pillages des ressources, violences politiques, violences des pouvoirs, répressions et suppressions des libertés, négations des droits humains, déliquescences d’États autoritaires et corrompus, destructions des syndicats et des forces progressistes sur un terreau où prospèrent la pauvreté et les humiliations de toute sorte.
Nous n’arrêterons pas les bras des entrepreneurs de violence sans bâtir un autre monde, fondé sur l’élimination des souffrances et des humiliations, ouvrant des perspectives concrètes, progressistes, à partir des aspirations populaires et citoyennes, promouvant les savoirs et la culture, des coopérations de co-développement humain et le bannissement des armes.
Éteindre les rages et les colères destructrices qui dévoient une religion, convoque la responsabilité de l’occident capitaliste dominateur et extorqueur, ses volontés coloniales et impériales, destructrices des forces de libération nationale au profit de « spiritualisme politique » qui laisse aujourd’hui sur les terres du Moyen-Orient meurtries, des centaines de milliers de morts, des millions de blessés, des destructions incommensurables, des sociétés en lambeaux et au bout du compte « un ordre mondial » en décomposition.
Il est trop peu rappelée la juste orientation onusienne adoptée en septembre 2006, baptisée « stratégie antiterroriste mondiale de L’ONU » qui en appelle à une approche politique des solutions nécessaires contre la marginalisation socio-économique, la violation des droits humains, la violence des conflits.
C’est à partir de ces enjeux que doit être déplacé, pour en élargir le champ, la question de la « sécurité ». Il n’y aura pas de sécurité tant que nous ne penserons pas une « sécurité humaine » englobant l’ensemble des droits sanitaires, alimentaires, sociaux, climatiques… définis en 1994 par les Nations unies.
La tâche est immense. Il convient cependant de se hisser collectivement à la hauteur des enjeux globaux et de porter ensemble un projet répondant aux défis communs de nouvelles conquêtes sociales, démocratiques, écologiques, féministes, antiracistes tout en cessant de détourner la lettre et l’esprit de la grande loi de 1905 de « séparations des églises et de l’état » vers le procès permanent d’une religion –bouc émissaire
Et, sans relâche, il s’agit de pousser les portes permettant d’ouvrir les chemins de la paix. La paix universelle.
Les commémorations des terribles attentats djihadistes du 13 novembre, nous incitent à y réfléchir, à amplifier ces combats, car elles portent l’idée de dépasser la violence et la tragédie, par la dignité et le respect de chacune et de chacun, tout en nous pressant d’inventer sans attendre un futur désirable. Un futur d’humanité.
Patrick Le Hyaric
19 novembre 2025