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Billet de blog 1 juillet 2025

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Des poèmes qui bousculent

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

        Je ne suis pas un spécialiste de la poésie, voilà des siècles que je n'ai pas "commenté "un poème - vieux souvenirs scolaires. Je lis des poèmes comme on suit le fil d'un courant, au risque parfois de m'y noyer ou d'être rejeté sur la rive ; mais je n'en dis rien. Exception faite pour ce recueil de Rémi Letourneur, "L'odeur du graillon", paru aux Editions Cheyne, que mon ami Dominique Boudou, un poète lui aussi,  m'a conseillé de lire. Je n'en suis pas encore revenu et c'est sans doute le but poursuivi par Letourneur que de dépayser son lecteur, que de le perdre.-perdre serait plus juste.

       Je pourrais jouer les érudits, chercher des références, des influences, des parentés. Des parentés ? ce serait un comble quand ce poème commence par un rejet radical de toute filiation :"j'ai laissé mes parents à la maternité/ils ont pleuré/ l'infirmière a voulu couper les ceps enroulés sur mon bras/ je veux dire/ elle leur a demandé de me lâcher/ils ont pleuré/alors j'ai décroché leurs doigts moi-même/ je ne suis pas votre tuteur j'ai dit". Il fallait oser renverser la table et faire de la naissance même le début indépassable de la solitude et du refus de tout lien. Partir pour tenter de vivre.

      La rue, les squats, l'errance dans la nuit, les rencontres de fortune, la volonté systématique d'échapper à toute contrainte : "les autres/ ceux qui voudraient que je taffe/ perfusé à une chaise/ que je fasse rentrer des thunes/ et des clous dans mes pompes/ je les écoute pas/  fier de mes poches toutes boursouflées d'amendes / de dettes / j'esquive tout ce qui ressemble / à une porte." Il y a une fierté à clamer son autonomie, à la revendiquer dans les termes les plus violents et les plus crus : "personne pour m'empêcher de chier par terre /de glisser / dans le flux des jouissances qui s'allongent/ comme un blanc d'oeuf /personne/ pour me cacher les ciels / les bouts de toits / et les paupières du soir cobalt / aguicheur / rien que pour moi / je me racontais des voyages qui n'arriveraient pas / tapais d'énormes branlettes / sur les seins en terre rouge/ du terrain vague "

   Il y a bien des moments où l'on peut rêver de s'arracher à cette vie :"il fait chaud / la fièvre ne m'a pas donné d'ailes / un cerf-volant qui n'a pas su trouver de main / je suis / et j'attends que quelqu'un passe / m'emmène vers quelque chose  de sûr / depuis que j'ai scalpé la ville / j'ai perdu tous mes plans" ; "je cherche une main / pour partager avec moi /le silence des trottoirs et le fouet / monter en neige les caniveaux / et attendre que la mousse / ouvre un autre chemin dans la ville : pas le choix ". Mais la vérité ultime est dans l'irresponsabilité assumée de n'être pas dans la morne normalité, de dégueuler tout ce qui ressemble de près ou de loin à un établissement.

 Il faut lire Rémi Letourneur et entendre cette voix d'un qui ne trouve pas sa voie. Et saisir la réussite fascinante de son aventure.

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