C'est aux éditions de l'Arbre vengeur, un nom prédestiné, que Jean-Luc Coudray publie ses 62 lettres d'engueulade. Et il n'y a pas meilleure lecture en ce début d'année où nous sommes envahis d'une foule de voeux plus intéressés qu"intéressants et auxquels il ne nous est pas permis de répondre, si jamais l'envie nous en venait. Coudray est certainement le meilleur homme du monde et il ne ferait pas de mal à une mouche, mais trop, c'est trop - le voilà sorti de ses gonds - le monde décidément ne va pas comme il faut et nous sommes cernés par les produits les plus frelatés de notre société pourrie, sans pouvoir briser l'anonymat derrière lequel ils se réfugient. Coudray nous propose de déverser enfin le trop plein d'aigreur que nous avons accumulé - et comme il n'est pas question d'avoir recours à la violence - il a recours au seul moyen qui lui reste (et je doute qu'il ait une quelconque efficacité car les clones contre lesquels il se bat ne lisent certainement pas) et qui est l'écriture - pas des mails, pas flyers, pas des journaux publicitaires, pas des encarts dans la presse ou des spots à la TV - non, des lettres, comme on en écrivait jadis, comme des bouquins en proposaient des modèles, avec une adresse et des salutations distinguées ou méprisantes, selon le cas.
Coudray est quelqu'un de très bien élevé, il a une sainte horreur de toute forme de vulgarité. Il n'a donc recours que d'une manière exceptionnelle aux mots un peu crus -" con", à 4 ou 5 reprises, on m'accordera que c'est bénin et fort loin du vocabulaire utilisé à longueur de journée par une majorité de nos con (oh, pardon) citoyens . En revanche, il sait manier la vacherie qui détruit l'adversaire - être traité de "bouchon ontologique" n'est pas très agréable -; il sait dessiner un portrait totalement corrosif de ses victimes (mais, c'est lui qui a été la première victime). Et c'est à toute la socité, telle qu'elle existe, que Coudray en veut, du conducteur de 4 x 4 aux pubs qui défigurent nos villes, en passant par le témoin de Jehovah ou le présentateur TV ou le propriétaire du chien qui dépose régulièrement son étron devant sa porte ; il ne supporte pas ce monde où tout est marchandise, où le "naturel" est recouvert d'une telle couche de maquillage qu'il y faudrait des siècles pour le retrouver. Il part du principe que la "face exprime avec beaucoup d'éloquence [la] loi personnelle" de l'individu ; de l'employée de l'agence immobilière il dira que son "visage est commode comme une cuisine aménagée".
On pourrait penser que son procédé est un brin systématique mais de cette accumulation de détails, de traits plus horribles les uns que les autres naît une humanité qui a perdu, justement, toute une humanité, une galerie quasi surréaliste de monstres.
A chacun d'imaginer la lettre d'engueulade qu'il enverra à son plus cher ennemi : au facteur qui ne laisse que des factures et des demandes d'argent dans sa boîte aux lettres ; au bouffi d'importance qui passe son temps à faire son auto-promotion ; à l'autiste qui se referme comme une huître dès que l'on cesse de parler de lui ; au ....